Livre qui parle de comment La mort peut nous apprendre à vivre avec Sagesse et Amour.

Highlights

The Silent Question

I beg you … to have patience with everything unresolved in your heart and try to love the questions themselves as if they were locked rooms or books written in a very foreign language. Don’t search right now for the answers, which could not be given you, because you would not be able to live them. And the point is, to live everything. Live the questions now. Perhaps then, someday far in the future, you will gradually, without ever noticing it, live your way into the answer.

—RAINER MARIA RILKE

PRÉFACE

Pour reconnaître la vraie nature des choses, nous avons besoin de quelque chose de plus vaste, qui interrompe de manière plus radicale notre façon habituelle de voir et d’entendre, défie nos manières routinières de percevoir et de penser. La mort est l’un de ces points d’entrée. La conscience est le grand présent que nous offre la mort. Pour beaucoup de gens, la vie authentique commence à l’heure de la mort – pas la nôtre, mais celle de quelqu’un d’autre.

Autrement dit, la nature de la vie même est sacrée. Nous sommes toujours en terrain sacré. Pourtant, c’est rarement ce que nous expérimentons au quotidien.

PRÉFACE

Mon grand-père m’a appris qu’un professeur n’est pas un sage, mais un doigt qui dirige notre attention sur la réalité qui nous entoure

PRÉFACE

très souvent, la soif de spiritualité nous étreint en pleine abondance, alors que nous sommes entourés de professeurs, qui nous offrent patiemment tout ce dont nous avons besoin pour vivre bien et avec sagesse

PRÉFACE

Beaucoup de ceux qui sont morts, avant de revenir parmi nous grâce aux progrès de la science, nous disent que cette expérience leur a révélé le sens profond de la vie. Qui n’est pas de devenir riche, célèbre ou puissant. Mais de gagner en sagesse et d’apprendre à mieux aimer. Si c’est votre intention, alors Les Cinq Invitations vous sont destinées.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

On ne peut pas être réellement en vie si l’on n’est pas conscient de la mort.

La mort ne nous attend pas au terme d’un long chemin. Elle est toujours avec nous, au cœur même de chaque instant qui passe. Elle est le professeur secret, qu’on ne voit pas au grand jour.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

la bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’attendre la fin de notre vie pour prendre conscience de la sagesse qu’elle peut nous offrir.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Chaque cellule de notre corps fait partie d’un tout organique, interdépendant, qui doit collaborer de manière harmonieuse pour préserver la santé. De même, tout ce qui existe dans ce monde est lié par des interactions constantes qui se répercutent sur l’ensemble du système, affectant toutes les autres parties. Quand nous agissons sans prendre en compte cette vérité fondamentale, nous souffrons et nous causons de la souffrance

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Nos habitudes de vie sont une force puissante qui nous propulse jusqu’à l’instant de notre mort. Une question évidente se pose alors : quelles habitudes voulons-nous créer ? Nos pensées n’ont rien d’inoffensif. Elles se traduisent en actions, qui se développent en habitudes, qui finissent à leur tour par se rigidifier en traits de personnalité.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Notre rapport inconscient aux pensées peut façonner nos perceptions, déclencher des réactions et prédéterminer notre rapport aux événements qui surviennent dans notre vie. Mais nous pouvons surmonter l’inertie de ces schémas en prenant conscience de nos points de vue et croyances et, ce faisant, choisir consciemment de remettre en question ces tendances habituelles.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Les habitudes et les idées arrêtées réduisent notre esprit au silence et nous incitent à vivre en pilote automatique. En revanche, les questions nous ouvrent l’esprit et expriment la dynamique d’une vie humaine. Une bonne question émerge du cœur, d’une profonde envie de découvrir ce qui est vrai

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Nous ne saurons jamais qui nous sommes et pourquoi nous sommes là si nous ne nous posons pas les questions inconfortables.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Si la mort ne nous rappelait pas à son bon souvenir, nous aurions tendance à considérer la vie comme acquise, à nous égarer dans des quêtes d’autosatisfaction sans fin.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Lorsqu’on reconnaît que personne ne peut échapper à la mort, on comprend qu’on est tous dans le même bateau, ensemble. Et on peut devenir un peu plus gentils et aimables les uns envers les autres.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

C’est l’impermanence de la vie qui nous permet de prendre du recul. Lorsqu’on entre en contact avec la nature précaire de la vie, on en vient également à comprendre combien elle est précieuse. Et on ne veut plus perdre une seule seconde. On veut vivre pleinement sa vie et l’utiliser de manière responsable. La mort est un bon compagnon de route lorsqu’on veut bien vivre et mourir sans regret.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

La sagesse de la mort n’est pas seulement pertinente pour les personnes en fin de vie et leurs aidants. Elle peut aussi permettre de gérer le sentiment de perte ou les situations qui nous donnent l’impression d’être prisonniers de pensées étriquées ou de ne plus contrôler quoi que ce soit – que l’on soit confronté à une séparation ou à un divorce, à la maladie, à un licenciement, à un rêve brisé, à un accident de voiture ou même à une dispute avec un enfant ou un collègue.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Je ne prétends pas que mourir soit une partie de plaisir. C’est un travail ardu. Peut-être même le plus ardu qu’il nous soit donné d’accomplir en cette vie. La mort ne se passe pas toujours bien. Elle peut être triste, cruelle, laborieuse, belle et mystérieuse. Mais surtout, elle est normale. Nous passons tous par là.

Personne ne sort d’ici vivant.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Aucun vivant ne comprend réellement la mort. Mais, comme me l’a dit un jour une dame qui s’en approchait : « Je vois les panneaux de sortie bien plus nettement que vous. »

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Je me suis fié à mon intuition, j’ai gardé à l’esprit que le moyen le plus sûr de se connecter aux autres est de les écouter, j’ai accordé toute sa place au refuge du silence et laissé mon cœur s’ouvrir. C’est ainsi que j’ai découvert ce qui aidait réellement.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Très tôt, la pratique bouddhiste, par l’importance accordée à l’impermanence – l’apparition et la disparition moment après moment de toute forme d’expérience –, a eu une grande influence sur ma vie. Affronter la mort est une pratique fondamentale dans la tradition bouddhiste. C’est un moyen d’accroître la sagesse et la compassion et de renforcer l’engagement à s’éveiller. La mort y est considérée comme une ultime étape du développement. Les exercices quotidiens de pleine conscience et de compassion permettent de cultiver les qualités mentales, émotionnelles et physiques qui nous préparent à accueillir l’inévitable. En mettant en pratique ces moyens habiles, j’ai appris à ne pas me laisser paralyser par la souffrance de mes premières années et à en faire le socle de ma compassion.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Un soir pluvieux, au terme d’une journée particulièrement éprouvante, j’étais tellement bouleversé en regagnant ma chambre que j’ai éclaté en sanglots, à genoux dans une flaque d’eau boueuse. Mes efforts pour éloigner le chagrin des participants n’étaient qu’une stratégie d’autodéfense, une manière de tenter d’éviter ma propre souffrance.

Au même moment, Elisabeth est arrivée et m’a relevé. Elle m’a invité à prendre une cigarette et un café dans sa chambre. « Il faut que tu t’ouvres et que tu laisses la douleur te traverser, m’a-t-elle dit. Ce n’est pas à toi de la retenir. » Sans cette leçon, je ne crois pas que j’aurais pu demeurer présent, de manière saine, à la souffrance dont j’allais être témoin au cours des décennies suivantes.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

La vie ne cesse de nous offrir des leçons et, avec un peu de chance, nous y prêtons attention.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Le Zen Hospice Project, premier centre de soins palliatifs bouddhiste d’Amérique, mêlait vision spirituelle et pragmatisme social. Nous pensions qu’il y avait une concordance naturelle entre les adeptes du zen qui cultivaient un « cœur à l’écoute » par des pratiques méditatives et les personnes – en fin de vie – qui avaient besoin d’être entendues. Nous n’avions pas de programme et peu de projets concrets, mais nous avons fini par former un millier de bénévoles. Bien que les histoires que je partage dans ce livre relèvent essentiellement de mes propres expériences, personne en particulier ne peut se prévaloir de la création du Zen Hospice. Nous l’avons créé tous ensemble. Une communauté au grand cœur partageant un même objectif : répondre à notre vocation de servir.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Mon slogan était le suivant : « Allez à la rencontre des gens là où ils se trouvent. » J’encourageais nos soignants à aider les patients à découvrir ce dont ils avaient besoin. Nous apprenions rarement aux gens à méditer. Et nous ne leur imposions pas davantage nos idées sur la mort ou sur la manière de mourir. Nous pensions que c’étaient les individus que nous accompagnions qui nous montreraient comment ils souhaitaient mourir. Nous avons créé un bel environnement réceptif où les résidents se sentaient aimés et soutenus, et où ils étaient libres d’explorer qui ils étaient et ce en quoi ils croyaient.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

J’ai vite compris que les soins que nous prodiguions étaient en soi assez ordinaires. Préparer de la soupe, masser des dos, changer des draps souillés, faire prendre des traitements, écouter les récits de vies parvenues à leur terme, afficher une présence calme et aimante. Rien d’extraordinaire. Un peu de gentillesse, d’humanité, ni plus ni moins.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Dans la vie, très souvent, lorsqu’on dépasse ce qu’on considérait comme ses limites, on est propulsé vers la transformation. « La mort ne vient pas à nous, entend-on parfois, mais à quelqu’un d’autre que les dieux préparent. » Ce sentiment me semble juste. La personne que je suis aujourd’hui, qui vit cette histoire, n’est pas exactement celle qui mourra

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Pour que quelque chose de neuf émerge en soi, il faut s’ouvrir au changement.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

J’ai vu la douleur de personnes qui allaient à leur mort en se sentant victimes des circonstances, de facteurs indépendants de leur volonté, ou pire, convaincues qu’elles étaient les seules responsables de leurs problèmes. Trop de gens meurent encore dans la détresse, la culpabilité et la peur. Il est possible d’y remédier.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Bien que sept Américains sur dix affirment vouloir mourir à leur domicile3, 70 % finissent leurs jours à l’hôpital, dans une maison de retraite ou une unité de soins de longue durée4.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Imaginez que nous cessions de cloisonner la mort, de la couper de la vie. Imaginez que nous la considérions comme une ultime étape de notre développement, qui recèlerait un potentiel de transformation sans précédent. Pourrions-nous nous tourner vers la mort comme vers un maître enseignant et demander : « Et donc, comment devrais-je vivre ? »

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Les mots que nous utilisons jouent un rôle important dans notre relation à la mort. Je n’aime pas parler de « mourants ». Mourir est une expérience que l’on vit, pas une identité

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Mourir est inévitable et intime. J’ai vu des gens ordinaires développer des connaissances profondes à la fin de leur vie et s’engager dans un puissant processus de transformation qui les a aidés à devenir plus vastes, plus expansifs et bien plus vrais que le soi étriqué, séparé, qu’ils croyaient être jusque-là. Il s’agit moins d’une fin idyllique qui viendrait contredire les souffrances endurées précédemment que d’une transcendance du tragique. Chez beaucoup de gens, la découverte de cette capacité se produit dans les mois, les jours, voire les minutes ultimes de la vie.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

« Trop tard », me direz-vous. Et je serais tenté d’être ­d’accord. Pourtant, ce qui compte, c’est moins le temps qu’ils ont eu de profiter de cette expérience que la possibilité qu’une telle transformation existe.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

La mort est bien plus qu’un événement médical. C’est un temps de croissance, un processus de transformation. La mort nous ouvre aux dimensions les plus profondes de notre humanité. Elle éveille la présence, une intimité avec soi-même et ce qui est vivant.

PREMIÈRE INVITATION - N’attendez pas

À l’approche de la mort, on se rend très vite compte que chaque minute, chaque souffle compte. Mais, en réalité, la mort est toujours à nos côtés, elle fait partie intégrante de la vie. Tout change constamment. Rien n’est permanent. Cette idée peut effrayer et inspirer à la fois. Pourtant, si nous tendons l’oreille, le message qui nous parvient est le suivant : N’attendez pas.

PREMIÈRE INVITATION - N’attendez pas

« Le problème du mot “patience”, disait le maître zen Suzuki Roshi, c’est qu’il implique d’attendre que quelque chose aille mieux, que quelque chose de bien se produise. Si l’on devait trouver un mot plus juste pour désigner cette qualité, on parlerait de “constance” – c’est-à-dire la capacité à être avec ce qui est vrai moment après moment6. »

PREMIÈRE INVITATION - N’attendez pas

Accueillir que toute chose doive inévitablement prendre fin incite à vivre chaque moment avec un profond engagement. On cesse de perdre son temps dans des activités dépourvues de sens.

PREMIÈRE INVITATION - N’attendez pas

On apprend à moins s’attacher à ses opinions, à ses désirs et même à son identité. Au lieu de placer ses espoirs dans un avenir meilleur, on se focalise sur le présent, en appréciant ce qu’on a devant soi à cet instant. On dit « Je t’aime » plus souvent car on prend conscience de l’importance de la connexion humaine

1 - UNE PORTE OUVERTE SUR LE POSSIBLE

La mort est un sujet tabou. Une vérité que nous connaissons tous mais que nous choisissons de ne pas évoquer. Nous essayons de la tenir à distance. Nous projetons nos pires peurs sur elle, tentons de la gérer par toutes sortes de plaisanteries ou d’euphémismes, de la contourner quand c’est possible ou d’éviter purement et simplement d’en parler.

On a beau courir, la vérité nous rattrape toujours.

1 - UNE PORTE OUVERTE SUR LE POSSIBLE

On se condamne à une profonde déception lorsqu’on ­s’accroche aux choses dans l’espoir qu’elles ne changeront jamais. C’est une attente déraisonnable de la vie. Quand j’étais adolescent, mon père m’invitait souvent à « profiter de chaque instant car ils passent en un clin d’œil ». Je ne le croyais pas. Quelques années plus tard, ma mère est morte sans que j’aie pu lui dire adieu et que je l’aimais

1 - UNE PORTE OUVERTE SUR LE POSSIBLE

L’impermanence est une vérité essentielle tissée dans la trame de l’existence. Elle est inéluctable, parfaitement naturelle et notre compagne la plus constante.

1 - UNE PORTE OUVERTE SUR LE POSSIBLE

Un bruit s’élève, puis se dissipe. Une pensée apparaît, puis disparaît aussitôt. Tout ce qu’on voit, goûte, touche, sent et ressent partage ce même caractère impermanent, fugace, éphémère.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Au cours de ces trente dernières années, j’ai pris place au bord de ce précipice avec quelques milliers d’hommes et de femmes. Certains venaient à leur mort le cœur empli de déception. D’autres franchissaient cette porte avec émerveillement. Ce qui les séparait était la volonté d’explorer peu à peu les dimensions plus profondes de ce que signifie être humain.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Imaginer qu’au moment de mourir nous aurons la force physique, la stabilité émotionnelle et la clarté mentale nécessaires pour accomplir le travail de toute une vie est un pari ridicule.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

L’éclairage de la mort permet de distinguer plus nettement les tendances qui nous mènent à la plénitude de celles qui nous inclinent à la séparation et à la souffrance

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Elle nous aide à découvrir ce qui compte réellement.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Réfléchir à la mort peut avoir un impact profondément positif sur notre manière de mourir, mais également de vivre.

INTRODUCTION - Le pouvoir de transformation de la mort

Lorsqu’on maintient la mort à portée de main, elle incite à ne pas s’accro­cher trop fermement à la vie. À ne pas prendre le soi ou les idées trop au sérieux. À lâcher prise un peu plus facilement.

1 - UNE PORTE OUVERTE SUR LE POSSIBLE

Il y a plusieurs années, avec un ami, nous avons créé un atelier destiné aux élèves de maternelle. De temps en temps, nous emmenions des enfants âgés de trois à cinq ans dans les bois environnants, où nous leur demandions de chercher des « choses mortes ». Les enfants adoraient ce jeu. Ils rassemblaient gaiement des feuilles tombées, des branches cassées, des petites pièces de voiture rouillée, voire les ossements d’une corneille ou d’un autre petit animal. Après avoir disposé ces découvertes sur une grande toile bleue étendue dans un bosquet de pins, nous faisions une sorte d’exposé.

À cet âge, les enfants n’éprouvaient pas de peur, mais de la curiosité. Ils examinaient avec soin chaque objet, les frottaient entre leurs doigts, les sentaient – ils exploraient les « choses mortes » de manière attentive et personnelle. Puis ils partageaient leurs pensées.

Parfois, ils tissaient des histoires étonnantes sur l’origine de tel ou tel objet. Une pièce de voiture rouillée était tombée d’une étoile ou d’un vaisseau spatial qui survolait la zone, une feuille qui avait servi de couverture à une souris pendant l’hiver n’avait plus d’utilité l’été venu.

Je me souviens des paroles d’un des enfants : « Je trouve que les feuilles qui tombent des arbres sont très gentilles. Elles font de la place pour permettre à de nouvelles feuilles de pousser. Ce serait triste que les arbres ne puissent plus avoir de nouvelles feuilles. »

1 - UNE PORTE OUVERTE SUR LE POSSIBLE

Comme la plupart des gens, j’apprécie les conditions favorables. Je fais partie des chanceux qui mangent à leur faim, j’ai une famille solidaire et des amis remarquables, une vie de joie et de confort considérables. Je ne prône pas l’ascétisme. Je parle simplement d’apprendre à vivre de manière harmonieuse avec le changement constant.

1 - UNE PORTE OUVERTE SUR LE POSSIBLE

En général, notre quête de bonheur nous incite à vouloir organiser le monde de manière à attirer les choses agréables et à éviter les choses désagréables. Quoi de plus naturel, n’est-ce pas ?

Nous nous leurrons chaque fois que nous parvenons à manipuler les circonstances de notre vie pour obtenir un bonheur temporaire. Sur le moment, c’est réconfortant mais, une fois ce moment passé, nous nous mettons aussitôt en quête d’une autre expérience agréable. Nous devenons des « fantômes affamés », ces personnages mythiques au ventre gonflé, au long cou maigre et à la bouche minuscule, qui ne sont jamais satisfaits.

1 - UNE PORTE OUVERTE SUR LE POSSIBLE

Le cadeau de l’impermanence, c’est de nous ancrer directement ici et maintenant. Nous savons que la naissance s’achèvera dans la mort. Y réfléchir peut nous amener à savourer l’instant présent, à insuffler plus de reconnaissance et de gratitude à notre vie. Nous savons que la fin de toute accumulation est la dispersion. Y réfléchir peut nous aider à pratiquer la simplicité et à découvrir ce qui compte réellement. Nous savons que toutes les relations s’achèveront dans la séparation. Y réfléchir peut nous éviter d’être submergés par le chagrin et nous inciter à distinguer l’amour de l’attachement.

1 - UNE PORTE OUVERTE SUR LE POSSIBLE

L’impermanence invite à l’humilité. Bien qu’elle soit parfaitement irréfutable, ses manifestations sont totalement imprévisibles.

1 - UNE PORTE OUVERTE SUR LE POSSIBLE

Nous ne sommes pas seulement notre passé : nous sommes en devenir. Nous pouvons lâcher les rancunes. Nous pouvons pardonner. Nous pouvons nous libérer du ressentiment et du regret avant de mourir.

16 - NE PAS SAVOIR EST TRÈS INTIME

La sagesse me dit que je ne suis rien.L’amour me dit que je suis tout.Entre les deux s’écoule ma vie.

NISARGADATTA MAHARAJ

16 - NE PAS SAVOIR EST TRÈS INTIME

Au niveau le plus intime, sujet et objet s’évanouissent. Les frontières fixes et rigides n’existent plus. « Je » et « Tu » sont intimes. Ce qui nous sépare se dissout. On expérimente une ouverture sans défense, une union complète. C’est le cœur et la beauté mêmes de l’esprit-qui-ne-sait-pas.

16 - NE PAS SAVOIR EST TRÈS INTIME

Quelques jours avant sa mort, mon ami John gisait dans une sorte de coma éveillé. Il avait le visage crispé, la tête rejetée en arrière, les muscles de la gorge raides et contractés. Chaque souffle était une lutte.

Un soir, assis au chevet de John, j’étais inquiet, ne sachant pas quoi faire.

Un célèbre maître bouddhiste qui avait une longue expérience de ce genre de situations me dit que l’esprit de John cherchait à quitter son corps et que je devais toucher le sommet de son crâne pour lui montrer la voie. Je suivis ses conseils, mais rien ne changea.

Le médecin de John appela pour demander qu’on augmente un peu la morphine, qui était censée calmer sa respiration. Je suivis ses conseils, mais rien ne changea.

Plus tard dans la soirée, un masseur passa. Il m’incita à presser deux points précis sur les pieds de John. L’acupression était censée soulager ses tensions. Je suivis ses conseils, mais rien ne changea.

Tout ce savoir n’étant d’aucune aide, je me tournai vers l’intérieur. Je lâchai tous les conseils qu’on m’avait prodigués, mais aussi ma peur, et je respirai profondément à quelques reprises.

Un besoin s’éleva en moi. D’instinct, j’eus envie de m’envelopper autour de cet homme qui souffrait. Ce n’est pas quelque chose que j’aurais fait en temps normal, mais je décidai de suivre mon intuition. Je montai dans le lit et tins John au creux de mon bras. Tout en le balançant légèrement d’avant en arrière, de manière très spontanée, je me mis à lui chanter de douces berceuses. Pas des comptines à texte, mais des berceuses qu’on invente au fur et à mesure. Des mots et des sons dénués de sens, qu’on assemble au hasard. Des sons d’amour, comme je les appelle. Tous les parents ont déjà fait cela pour un enfant malade ou effrayé. Et, tandis que je chantonnais à l’oreille de John et que je lui embrassais le front, mes mains surent quoi faire, alors même que je n’avais aucun objectif en tête. Mes doigts caressèrent délicatement sa gorge et son visage. Mes mains décrivirent des cercles autour de son cœur, très lentement.

Nous n’avions plus aucune notion du temps. Je sentais John s’enfoncer en moi, mon corps amortissant ce qu’il restait de sa forme osseuse. Sa gorge finit par se détendre et sa tête remonta. Ses yeux s’ouvrirent un instant. Il sembla soulagé. Puis il s’endormit.

Plus tard, je me suis brièvement demandé si j’avais bien agi. Avais-je sorti John d’un état de mort imminente, interrompu prématurément un processus spirituel de libération ? Je l’ignore. En revanche, je sais que quiconque veut se libérer doit avoir le cœur léger.

Avec le recul, j’ai compris quel était le problème de toutes les stratégies d’expert que j’avais employées avant de me mettre simplement à étreindre John : elles partaient toutes du principe que ce qui arrivait à John n’était pas bien. Ces méthodes visaient en premier lieu à atténuer ses symptômes. John, la personne, semblait avoir été oublié en cours de route. Ce n’est qu’après m’être épuisé en vain à appliquer toutes ces stratégies que j’ai été prêt à abandonner, à lâcher l’idée que je me faisais de ce qui était censé se passer. Ensuite, mon esprit s’est détendu et mon cœur m’a montré la voie. Je suis parvenu à voir des possibilités que je n’avais pas reconnues plus tôt. J’ai pu m’autoriser à me mouvoir de manière naturelle, sans l’ingérence de mon esprit-qui-sait. Il suffisait d’écouter et de ne plus barrer ma propre route. Ce faisant, j’ai pu honorer John et me connecter à lui, à ce qu’il était vraiment et à ce dont il avait réellement besoin à ce moment-là. Ne pas savoir est très intime.

Parfois, la volonté de ne pas savoir est notre plus grand atout. Notre capacité à vivre dans cet instant toujours neuf est à la mesure de notre aptitude à servir réellement.

16 - NE PAS SAVOIR EST TRÈS INTIME

Une des caractéristiques humaines que met en lumière la mort est le besoin de sécurité dans un monde toujours changeant. Nous croyons que ce que nous sommes et la situation dans laquelle nous nous trouvons devraient rester figés et permanents. Nous voulons savoir ce que nous réserve l’avenir. Mais, surtout, nous ne voulons pas que ce que nous croyons être finisse un jour par mourir.

16 - NE PAS SAVOIR EST TRÈS INTIME

Qui serait « Je » sans l’histoire familière de mon soi ? Il n’est pas étonnant que nous ayons peur de lâcher prise. Nous ne connaissons que ce « moi » tout-puissant. Nous nous accrochons au connu et craignons de pénétrer dans l’inconnu.

16 - NE PAS SAVOIR EST TRÈS INTIME

La réalité ne peut être cartographiée. Elle dépasse toute description, tout point de vue. Ce n’est pas une vérité unique et statique, mais un mystère sans fin, en déploiement permanent. La réalité est vivante, dynamique et s’exprime constamment à travers la forme et l’informe.

16 - NE PAS SAVOIR EST TRÈS INTIME

J’aime considérer la vacuité comme un espace ouvert, un champ sans bordures, qui n’est limité par aucun concept.

16 - NE PAS SAVOIR EST TRÈS INTIME

quand nous observons notre esprit, nous voyons d’abord les objets qui s’y trouvent – nos pensées, sentiments, souvenirs, rêveries, projets, les sensations qui nous parviennent de notre corps et les perceptions des événements qui nous arrivent. Un examen un peu plus poussé montre que nous avons connaissance de ces activités mentales parce qu’elles surviennent dans l’espace ouvert de la conscience. Cette conscience est toujours là, mais, en général, nous n’y prêtons pas attention parce que nous sommes préoccupés par les objets, nos perceptions et nos émotions – de la même manière qu’en pénétrant dans la pièce meublée nous faisons d’abord attention aux tables et aux chaises plutôt qu’à l’espace vide. On pourrait donc dire que l’espace ouvert de notre conscience illimitée, qui contient les « formes » de nos pensées et de nos perceptions, est « vide ».

Le plus amusant, c’est que, très souvent, nous considérons les formes comme permanentes. C’est vers elles que nous nous tournons dans notre quête de sécurité. Pourtant, lorsqu’on y regarde de plus près, on découvre que les formes mêmes sont vides, impermanentes. Nos idées, nos fantasmes et nos sensations physiques peuvent nous sembler solides, mais ils s’apparentent davantage à des bulles. Ils apparaissent un certain temps, puis se dissipent. Ils vont et viennent. Comme nous. Comme tout dans l’univers. Nous existons, puis nous n’existons plus. Chaque vie, chaque occurrence, chaque émotion, chaque rapport sexuel, chaque petit déjeuner, chaque atome, chaque planète, chaque système solaire est éphémère. La roue de la vie et de la mort tourne pour chaque forme.

La vacuité, en revanche, est sans fin. La vacuité, en réalité, donne naissance à la forme. La vacuité rend tout possible.

16 - NE PAS SAVOIR EST TRÈS INTIME

Comme nous nous prenons pour une sorte de forme solide, la vacuité nous semble susceptible de nous miner ou de nous annihiler. Au lieu de reconnaître la vacuité comme notre nature, nous la voyons comme un ennemi à éviter ou à vaincre. Et nous voyons la forme comme quelque chose à fabriquer, à défendre ou à promouvoir.

16 - NE PAS SAVOIR EST TRÈS INTIME

Quand nous nous prenons pour des formes solides et séparées, la mort devient l’ennemie. La mort est la vacuité qui menace notre forme. Mais nous pouvons nous détendre quelque peu quand nous prenons conscience que notre vraie nature est ouverte, spacieuse et illimitée, et que cette immense vallée de vacuité est traversée par un fleuve de changements.

CINQUIÈME INVITATION - Cultivez l’esprit-qui-ne-sait-pas

L’esprit est comme un parachute. Il ne fonctionne que si on l’ouvre.

THOMAS ROBERT DEWAR, RAPPORTÉ PAR FRANK ZAPPA

CINQUIÈME INVITATION - Cultivez l’esprit-qui-ne-sait-pas

L’esprit-qui-ne-sait-pas se caractérise par la curiosité, la surprise et l’émerveillement. Il est réceptif, prêt à aborder tout ce qui se présente tel quel.

CINQUIÈME INVITATION - Cultivez l’esprit-qui-ne-sait-pas

Quand nous vaquons à nos occupations quotidiennes, nous nous fions à ce que nous savons. Nous nous en remettons à notre capacité à résoudre les problèmes, à comprendre les choses. Nous sommes instruits, formés à des compétences particulières, qui nous aident à effectuer notre travail correctement. L’expérience nous permet d’accumuler des informations, mais également des leçons. Tout cela est nécessaire pour que nous vivions notre vie sans heurt.

CINQUIÈME INVITATION - Cultivez l’esprit-qui-ne-sait-pas

L’esprit-qui-ne-sait-pas n’est limité ni par des programmes, ni par des rôles, ni par des attentes. Il est libre de découvrir. Quand nous savons plein de choses, que nos décisions sont prises, notre champ de vision est réduit, notre capacité à avoir une vue d’ensemble obscurcie et notre aptitude à agir limitée. Nous ne voyons que ce que notre savoir nous permet de voir. Le sage, qui est à la fois humble et compatissant, sait qu’il ne sait pas.

CINQUIÈME INVITATION - Cultivez l’esprit-qui-ne-sait-pas

Cet instant présent qui nous est disponible, ce problème auquel nous nous attaquons, cette personne qui meurt, cette tâche que nous réalisons, cette relation que nous bâtissons, cette douleur et cette beauté auxquelles nous sommes confrontés – nous ne les avons jamais expérimentés auparavant. Lorsqu’on aborde une situation avec l’esprit-qui-ne-sait-pas, on le fait avec une pure volonté, sans être attaché à un point de vue ou à un résultat particulier. On ne se débarrasse pas de ses connaissances – elles sont toujours là en arrière-plan, prêtes à venir en aide si nécessaire – mais on lâche les idées arrêtées. On lâche le contrôle.

L’esprit-qui-ne-sait-pas est une invitation à aborder la vie avec un regard neuf, à vider notre mental et à ouvrir notre cœur.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

proximité des êtres confus nous rend nous-mêmes confus. Leur apparente irrationalité et l’absence de schémas sociaux conventionnels nous perturbent. Nous attendons des gens qu’ils soient cohérents.

Nous nous identifions si étroitement à notre esprit rationnel que, pour la plupart d’entre nous, l’idée de perdre le contrôle est effrayante.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Tomber dans la démence ou ne plus avoir les idées claires, je détesterais ça. » Et c’est cette peur de perdre le contrôle qui nous pousse à prendre nos distances avec les êtres confus. Effrayés, nous nous éloignons, y compris des personnes qui nous sont chères.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Que ressent-on lorsqu’on est perdu dans l’instant, qu’on ne sait pas ce qui se passe, qu’on est incapable de se connecter ?

Aborder cette expérience avec bienveillance et acceptation permet d’imaginer combien les personnes qui ne parviennent pas à se faire comprendre peuvent se sentir seules. On peut éprouver de l’empathie face à leur sentiment de peur ou de solitude. On peut ressentir la honte de ne pas pouvoir fonctionner « normalement » et la tendance à vouloir dissimuler sa maladie aux autres. On peut comprendre qu’on puisse laisser sa colère se déchaîner ou résister aux efforts des soignants pour tenter de reprendre le contrôle de sa vie.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Les personnes qui souffrent de la maladie d’Alzheimer ou de démence sont souvent incapables de contrôler leur comportement, quels que soient leurs efforts. Autrement dit, ni vous ni eux ne pouvez éviter que les problèmes surgissent. Toutefois, l’attitude avec laquelle vous abordez la rencontre peut avoir un impact sur leur comportement. Leur bien-être dépend souvent de votre bien-être. Si vous êtes pressé ou irritable, les personnes atteintes de démence ressentiront très probablement ces sentiments. Souvent, comme de petits enfants, ils deviennent nerveux et réfractaires. Votre calme présence, accompagnée de gestes compatissants, peut insuffler un peu d’ordre au sein du chaos, se substituer à la structure interne qui leur manque. Il est presque toujours rassurant de rester simplement assis en silence avec les gens qui sont dans cet état.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Quand je passe du temps avec des personnes atteintes de démence ou de la maladie d’Alzheimer, je m’efforce de regarder au-delà des apparences pour voir l’individu dans sa globalité. Je reste assis sans agir, en faisant de l’espace pour être simplement présent sans affairement habituel ni intentions particulières. Je m’astreins à aborder les gens avec acceptation, en écoutant avec le cœur, sans juger leurs manies ou leur confusion. Je cultive l’esprit-qui-ne-sait-pas. À partir de là, je constate qu’il m’est possible d’apprécier les échanges souvent ludiques sans me soucier de logique, d’interprétations littérales ou d’exactitude. Pendant un bref instant, les dieux de la raison et de la rationalité ne règnent plus sur notre interaction et je trouve cela très reposant. J’étreins également les intenses émotions sous-jacentes qui s’élèvent souvent, aussi violentes et imprévisibles que les rafales d’un cyclone.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Pour pouvoir étendre le pardon et l’acceptation aux autres, il faut d’abord se les appliquer à soi-même.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

si, comme moi, il vous arrive de perdre les pédales et de vous retrouver sur un parking, submergé par l’angoisse, veuillez faire preuve de bienveillance envers vous-même. Nous sommes humains et nous commettons tous des erreurs. Respirez profondément à plusieurs reprises. Ressentez de nouveau votre corps. Le fait de prendre soin d’une personne confuse nous confronte à nos peurs les plus profondes. C’est une expérience qui peut s’avérer épuisante sur le plan physique mais aussi émotionnel. La compassion est de rigueur

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

En réalité, nous oublions tous. Il n’est pas nécessaire d’être atteint de démence ou de la maladie d’Alzheimer pour oublier les choses, bien que ce soit naturellement beaucoup plus fréquent avec l’âge. Nous entrons machinalement dans une pièce et nous ne savons plus ce que nous venons y chercher. Un bref trou de mémoire nous fait arriver en retard à un rendez-vous. Les clés de la voiture, une plaisanterie entendue récemment, l’équivalent espagnol du mot « rêves » – nous nous mettons à perdre des petits fragments de connaissances. Puis même ce qui était très important à nos yeux commence à s’éclipser – des souvenirs que nous chérissons, le nom de gens que nous aimons. Nous oublions de plus en plus de détails à mesure que nous avançons dans notre vie. C’est peut-être ce qui nous effraie quand nous sommes confrontés aux oublis des autres : nous nous rendons compte que nos souvenirs, mais aussi nos vies, seront bientôt oubliés.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

La mémoire n’est donc ni objective, ni fidèle, ni exacte, ni permanente. Nos souvenirs sont des constructions façonnables. Une étude a montré que chaque fois que nous nous rappelons quelque chose, nos réseaux cérébraux changent de sorte que notre souvenir de l’événement d’origine s’en trouve altéré. Comme le vieux jeu du « téléphone arabe » auquel nous jouions quand nous étions enfants, de petites inexactitudes surviennent chaque fois que nous nous remémorons quelque chose. Ces « erreurs » font ensuite partie de notre expérience. En définitive, le souvenir d’un événement peut devenir si imprécis qu’il en devient complètement faux63.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Après mon opération du cœur, j’ai expérimenté des troubles cognitifs et des trous de mémoire importants. J’oubliais des faits élémentaires, confondais les noms et intervertissais des dates du calendrier. Mes amis infirmiers me disaient que c’était un effet secondaire fréquent chez les personnes qui ont été reliées à un dispositif de circulation extracorporelle ou qui ont été sous anesthésie prolongée.

Au départ, je trouvais mes pertes de mémoire embarrassantes. Je tapotais ma tête avec mes doigts, dans l’espoir de faire remonter quelques connaissances jusqu’au sommet de l’esprit. J’essayais de dissimuler mes erreurs et je m’accablais d’auto­critique quand j’en commettais une.

Mais j’ai fini par accéder à un lieu d’acceptation de mes oublis. Je me sentais plus à l’aise quand je parlais sans honte ni reproche de mes pertes de mémoire. J’ai accepté le fait que je ne serais probablement plus jamais aussi vif d’esprit que je ne l’avais été avant l’intervention.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Nos souvenirs sont constamment réécrits. La mémoire est faillible. Cela fait partie du processus de la vie. Il vaut donc mieux chercher à se rappeler ce qui compte le plus. Pas les détails des dates ou des conversations, mais le fait que nous soyons aimés et capables d’aimer les autres

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Quand nous acceptons parfaitement de ne pas savoir au lieu d’avoir peur, quand nous cessons de vouloir à tout prix que la réalité soit différente, nous pouvons nous détendre avec les choses telles qu’elles sont.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Quand les souvenirs passent pour des vérités, on ne les remet pas en question. Cela conduit fréquemment à des présupposés, à une manière de voir les choses en blanc ou noir, qui peuvent avoir des conséquences imprévues sur des décisions à venir. Examiner ces présupposés dans un esprit de curiosité et d’ouverture peut nous aider à découvrir de nouvelles façons de comprendre d’anciennes histoires.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Comme le dit un vieil adage yiddish, « parfois on a plus besoin d’une histoire que d’un repas ». Raconter son histoire aux autres est un moyen puissant de mieux comprendre sa vie et de la considérer d’un point de vue différent.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Quand nous partageons nos histoires, nous détendons notre besoin d’interpréter les événements de la vie de telle ou telle manière. Nous nous ouvrons à l’esprit-qui-ne-sait-pas et permettons à une part plus profonde de nous-mêmes de faire un pas en avant pour prendre la parole. En un sens, ce qui émerge est l’histoire de notre âme.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Nous ne pouvons pas changer l’événement d’origine qui nous a causé de la peine, mais nous pouvons parfaitement changer notre réaction à ce qui s’est passé. Nous prenons conscience qu’en nous attardant sur une histoire, en la ressassant, cette réactivation incontestée des souvenirs peut loger encore plus profondément d’anciennes souffrances dans notre esprit et nous pousser à définir le présent par notre passé. Quand nous observons nos réactions actuelles avec compassion, nous parvenons à nous libérer de l’étau de vieilles blessures. Nous pouvons influencer la manière dont nous voyons des événements aujourd’hui en examinant nos interprétations, en modifiant nos perceptions et en découvrant de nouvelles significations. Nous pouvons prendre conscience des souvenirs qui nous retenaient en arrière, puis lâcher prise.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Raconter son histoire permet de prendre du recul et d’avoir une vue d’ensemble. On se rappelle les choses différemment et on prend davantage conscience de certains détails, qu’on n’avait peut-être pas remarqués jusque-là. Souvent, les vieilles histoires recèlent la force dont on a besoin pour accepter la situation actuelle. Guérir exige plus qu’une simple modification dans une intrigue, mais raconter une histoire peut déclencher ce processus. Lorsqu’on raconte notre histoire, on guérit. Quand quelqu’un écoute notre histoire, on guérit.

15 - L’HISTOIRE DE L’OUBLI

Si vous le pouvez, n’oubliez pas ceci : tout va et vient dans la conscience. C’est le socle de ce que nous sommes. Le reste n’est que fumée et miroitements

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Connaître le sacré ne signifie pas voir des choses nouvelles mais plutôt voir les choses de manière nouvelle. Le sacré n’est ni séparé ni différent de toute chose : il est dissimulé en toute chose. Et mourir est une occasion de révéler ce qui est caché.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Je parcourais la longue salle des soins palliatifs de l’hôpital Laguna Honda où s’alignaient pas moins de trente lits quand j’ai repéré Isaiah du coin de l’œil. Cet Afro-Américain originaire du Mississippi s’activait à mourir. Il respirait péniblement et était en nage. Je me suis assis à côté de lui.

« Vous avez l’air de faire beaucoup d’efforts », lui ai-je dit.

Isaiah a levé le bras, désignant quelque chose au loin. « Faut juste que j’arrive là-bas, m’a-t-il répondu.

— J’ai oublié mes lunettes. Je n’arrive pas à voir aussi loin. Dites-moi ce que vous voyez. »

Isaiah a décrit un pré vert lumineux et une longue colline menant à un plateau herbeux.

« Si je promets de ne pas vous ralentir, est-ce que je peux vous accompagner ? »

Isaiah m’a agrippé la main et nous avons entamé l’ascension ensemble. Sa respiration s’est accélérée et chaque pas le faisait transpirer davantage. C’était une longue marche, qui n’avait rien d’une partie de plaisir.

« Qu’est-ce que vous voyez d’autre ? » ai-je demandé.

Il a décrit une école rouge et trois marches qui menaient à la porte d’une salle de classe unique.

Mon expérience m’indiquait clairement qu’Isaiah ne parvenait plus à se repérer dans l’espace et dans le temps. J’aurais pu dire au vieil homme que ses visions étaient probablement causées par la morphine et des métastases au cerveau. J’aurais pu lui rappeler que nous étions dans une chambre de ­l’hôpital Laguna Honda. Mais ce n’était vrai qu’au niveau le plus superficiel.

La vérité la plus profonde, c’est que nous marchions vers une petite école rouge.

« Vous voulez entrer ? lui ai-je demandé.

Isaiah a poussé un soupir. « Oui. J’attends ça depuis un moment.

— Je peux venir avec vous ?

— Non.

— OK. Eh bien, allez-y. »

Quelques minutes plus tard, Isaiah est mort très paisi­blement.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Le maître Thich Nhat Hanh utilise un simple exercice pour illustrer ce point. Il lève une feuille de papier blanc et demande au public de nommer ce qu’il voit.

« Une feuille blanche », répondent la plupart des gens.

Les enfants et les poètes se montrent plus créatifs. « Des nuages, de la pluie et des arbres », disent-ils.

Car, comme le dit Thich Nhat Hanh : « Sans nuages, il n’y a pas de pluie. Sans pluie, les arbres ne peuvent pas croître. Et sans arbres, on ne peut pas fabriquer de papier. Si nous portons plus loin notre regard, nous voyons le bûcheron qui a coupé l’arbre et l’a acheminé jusqu’à l’usine pour le transformer en pâte à papier. Puis nous voyons le blé. Nous savons que le bûcheron ne peut exister sans son pain quotidien et, par conséquent, que le blé qui a donné ce pain est aussi dans cette feuille de papier. Tout comme le père et la mère du bûcheron. Quand nous regardons les choses ainsi, nous voyons que cette feuille de papier ne pourrait exister sans tous ces éléments. En regardant encore plus en profondeur, nous voyons que nous aussi sommes en elle67. »

C’est une manière de signifier que nous sommes tous profondément connectés et interdépendants et que nous ne sommes pas séparés du sacré, qui est ici, avec nous, à tout moment.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Le sacré a toujours existé. Il imprègne tout. C’est la nature de la réalité. Pourtant, la plupart du temps, nous parcourons le monde avec un regard ordinaire. Comme si nous étions daltoniens, incapables de distinguer les différentes nuances du spectre : nous ne percevons ou ne distinguons pas toujours le sacré. Nous ne saisissons pas toute l’ampleur de sa beauté. Notre regard est conditionné et nous restons à la surface des choses. Pourtant, lorsqu’on est attentif, on se rend compte que le sacré se révèle continûment.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Le mot « sacré » est un symbole qui désigne l’innommable. Le sacré ne peut être entièrement décrit. On ne peut qu’évoquer certaines caractéristiques de sa présence, son influence sur la conscience et les manières d’y accéder.

Littéralement, sacré signifie « rendre saint ». La racine sacra signifie également « distinguer ce qui est extrêmement précieux ou important ».

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

L’intention et l’attention augmentent nos chances d’entrer en contact avec le sacré. Mais sa présence peut aussi se manifester en nous de manière subite et spontanée, comme pour Jacob qui, selon la parabole biblique, s’éveilla d’un profond sommeil en déclarant : « En vérité, le Seigneur est en ce lieu. Et moi, je l’ignorais68. »

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Notre réponse au sacré peut inclure la joie, l’extase, l’inspiration, l’inclusivité, l’expansivité et un sentiment de révérence, comme si nous avions rencontré ce qu’il y a de plus saint dans la vie. Elle est évidente et sans équivoque. Parfois l’expérience s’accompagne d’une intensité ou d’une densité palpable. On peut éprouver un calme intérieur, comme si l’élan sur lequel on comptait pour avancer dans la vie n’était plus nécessaire. Le besoin de faire, de lutter ou de contrôler se dissipe dans le non-agir. Nous prenons conscience que ce que nous sommes est inséparable du calme, et du silence qu’il induit.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Zoe emballait des vêtements dans une usine avant d’inté­grer le Zen Hospice. Elle adorait les matchs de catch à la télévision. Sa peau était devenue jaune à cause d’une maladie du foie. L’accumulation de fluides qui faisait enfler son ventre finit par devenir si gênante qu’elle perdit l’appétit et cessa de s’alimenter.

Pourtant, bien qu’elle se sentît très malheureuse, Zoe conserva sa gaieté. La maladie la rendait somnolente si bien qu’elle dormait seize heures par jour. Pendant ses dernières semaines de vie, elle accéda à des états de sommeil encore plus profonds, qui pouvaient durer un jour ou deux – des « séances d’entraînement à la mort », comme je les appelle.

Quand Zoe remontait à la surface de la conscience, elle nous racontait ce qui se passait au cours de ces voyages entre rêve et réalité. Un jour, elle décrivit un lieu de paix totale. « Si j’avais su que le silence était si beau, fit-elle remarquer, j’aurais consacré beaucoup plus de moments de ma vie au calme. »

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

tous ceux qui ont assisté à la venue au monde d’un enfant ne peuvent s’empêcher d’éprouver une stupeur révérencieuse face à la présence émergente de la vie. Au-delà du sang et des larmes, de la douleur, de l’intensité émotionnelle, des cris et du chaos, la femme qui accouche exprime une beauté, une joie démesurée, en plus d’une puissance et d’une intensité stupéfiantes.

L’accouchement est une invitation à accéder au sacré. La clé qui ouvre sa porte est l’amour, un amour sans commune mesure avec ce que nous avons connu auparavant. Interrogez n’importe quelle mère à ce sujet.

La mort nous tend la même invitation. En réalité, la naissance et la mort sont très proches l’une de l’autre.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

La mort et la vie peuvent permettre d’accéder au sacré. Ou pas.

Pour beaucoup de gens, la mort est parfaitement triviale : ce n’est qu’un phénomène biologique, une affaire de sciences physiques dépourvue de tout mystère. Certaines personnes pourraient mourir en regardant « La roue de la fortune » à la télévision. Ça me va très bien : je suis devenu très bon en casse-tête. Pour d’autres, la mort est éminemment tragique. Et puis il y a des gens pour qui la mort est un moment de transformation spirituelle, qui les emporte au-delà de leur identité personnelle, leur inspire un sentiment de sécurité absolu, de confiance, voire de perfection, face à l’inconnu. Le processus de la mort permet à beaucoup de personnes ordinaires de percevoir en elles ce que j’appelle « un amour immortel ».

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Selon une étude de l’institut Gallup, « les gens veulent très majoritairement retrouver et réaffirmer les dimensions spirituelles de la mort69 ». Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils veulent qu’on les bombarde de religion ou de croyances, mais que l’expertise de la médecine moderne ne leur suffit pas

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Le soutien spirituel ne se résume pas à des pratiques ésotériques et à des discussions existentielles. Il peut s’agir simplement d’offrir une présence bienveillante et rassurante ou un bouillon de volaille préparé avec affection. Au Zen Hospice Project, nous partions du principe que les personnes en fin de vie ont besoin de soins intensifs – d’amour intensif, de compassion intensive et de présence intensive. En définitive, le soutien spirituel est l’engagement courageux à respecter la manière unique dont chaque individu aborde sa mort.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Au premier stade du processus de la mort, les gens ont souvent besoin d’aide pour découvrir le sens et la valeur de la vie. Lorsqu’elle est dépourvue de sens, la vie devient mécanique, vide, sans âme, trop étroite pour permettre aux êtres humains d’exister

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

La mort vient à tous. Que ce fait nous plaise ou non, il se produira. Au lieu d’éviter cette vérité, il est préférable de comprendre sa signification. Affronter notre propre mortalité peut nous amener à modifier nos priorités et nos valeurs, et à changer en profondeur nos visions de la réalité. Parfois, l’adversité nous permet de découvrir nos forces, tout comme la mort peut nous permettre de découvrir la beauté de la vie. L’acceptation de la mort recèle un engagement qui peut nous aider à passer de la tragédie à la transformation

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

La souffrance est la souffrance. On ne peut pas toujours l’expliquer, et encore moins la contrôler. Mais on peut l’aborder avec compassion. On peut l’aborder avec présence, la regarder en face, la comprendre, et peut-être trouver un sens à la relation que nous entretenons avec elle.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

vient un moment où le sens perd de son importance pour les personnes en fin de vie. Elles se retirent peu à peu du monde extérieur pour répondre à l’appel d’un voyage plus intérieur. Si les amis, les parents et les soignants bien intentionnés que nous sommes persistons à les distraire en les ramenant au monde des objets, du temps et du sens, nous risquons d’interrompre leur connexion avec ce flux sacré.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Grand-mère ne veut plus parler de son premier baiser sur la grande roue à la foire du comté. La chanson préférée de votre père ne l’incite plus à se remémorer avec nostalgie le jour de son mariage. L’expédition héroïque de tante Ellen en Antarctique, qui définissait sa vie jadis, n’est plus aussi centrale.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Vous souvenez-vous du silence et du calme qu’on ressent dans les lieux qui permettent d’accéder au sacré, telles la cathédrale de Chartres ou une forêt de séquoias ? Eh bien, imaginez que plusieurs cars débarquent subitement et qu’ils déversent des hordes de touristes bruyants pressés de prendre des photos. Notre attention serait détournée par le brouhaha. Bien que le sacré soit toujours présent, nous risquerions momentanément de ne plus le percevoir. Quand les soignants et les proches se présentent avec leurs propres préoccupations, souvenirs et besoins, ils deviennent des touristes agaçants – une distraction désagréable pour les personnes en fin de vie.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Heureusement, d’autres possibilités existent. Les proches et les soignants peuvent choisir d’être des compagnons discrets ou des guides fiables à mesure que la personne s’enfonce dans la forêt sacrée.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Au moment de mourir, les gens présentent fréquemment des symptômes physiques éprouvants, de l’agitation ou de la torpeur et des bouleversements émotionnels. Pour les aider, il faut gérer la douleur, les symptômes et tout problème perturbant. Il faut avoir des compétences. En revanche, si nous ne mettons que notre expertise technologique et médicale au service du patient en fin de vie, la dimension sacrée de la mort nous échappe. Nous risquons même d’interrompre un processus de croissance et de transformation.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

La mort survient simultanément à deux niveaux – physique et spirituel. Au moment où le corps cesse peu à peu son activité, la conscience s’ouvre.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Idéalement, lorsqu’on accompagne les personnes en fin de vie avec compassion, il faut s’occuper des deux processus en même temps. C’est une tâche qui peut s’avérer délicate pour une seule personne. Je trouve cela difficile, même avec trente ans d’expérience. C’est pourquoi il me semble souvent précieux d’avoir plusieurs intervenants. Pendant que l’un s’occupe des besoins physiques de la personne, l’autre l’accompagne dans un voyage spirituel.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Quand nous faisons le « pas en arrière », comme il est dit dans le zen, nous pouvons observer les choses du point de vue de la conscience ouverte, nous savons que nous sommes cette toile de fond, cette conscience pure, nue, sur laquelle tout changement personnel et universel se produit. C’est à cela que nous nous abandonnons.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

J’ai été témoin du rayonnement de plus en plus grand de gens ordinaires, sans pratique spirituelle, qui devenaient poreux à leur nature essentielle. Un processus de transformation similaire se produit chez les méditants après des décennies de pratique contemplative.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Les notions idéalisées de « belle mort » ou de « mort digne » sont tout aussi troublantes. Elles peuvent nous empêcher de voir ce qui se passe réellement, nous incitant à rejeter les aspects désagréables et à piétiner le sacré. Les normes arbitraires, la manière dont « devraient se passer les choses », exercent une énorme pression sur les personnes en fin de vie, ajoutant de la culpabilité, de la honte, de l’embarras et un sentiment d’échec à un processus déjà délicat.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Soigner dans la dignité, c’est promouvoir le respect de soi, honorer les différences individuelles et soutenir la liberté de vivre sa vie et sa mort selon ses propres souhaits.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Peu importe la noblesse de nos intentions, nous devons résister à la tentation d’agir selon nos propres préjugés ou d’imposer nos conseils ou croyances spirituelles aux personnes en fin de vie.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Une approche contemplative de la mort inclut des façons d’être, notamment la pleine conscience, la cordialité, l’authenticité et l’écoute généreuse. C’est un moyen d’aborder la question de la mort sans réponses préconçues. Être avec la mort exige de l’humilité, de l’acceptation et la volonté de lâcher le contrôle.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Notre capacité à pratiquer nos activités préférées étant de plus en plus limitée, nous devons lâcher les voyages, la cuisine ou la sexualité, puis des plaisirs plus simples, comme avaler sans difficulté. Nous renonçons aux rôles que nous jouions dans notre famille, notre entreprise et notre communauté, et lâchons les rêves portés toute notre vie mais jamais réalisés. Lorsqu’on meurt, on doit même lâcher l’avenir et tout ce et tous ceux qu’on aime.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

C’est en lâchant prise qu’on se prépare à la mort. Pour Suzuki Roshi, renoncer ne consiste pas à tourner le dos aux choses du monde mais à accepter qu’elles s’en aillent. Accueillir l’impermanence nous aide à apprendre à mourir. L’envers de la perte – le lâcher-prise comme acte de générosité – peut alors se manifester. En lâchant les vieilles rancunes, on s’offre la paix. En lâchant les idées arrêtées, on s’en remet à la non-­connaissance. En lâchant l’autonomie, on s’en remet aux soins des autres. En lâchant l’attachement, on s’en remet à la gratitude. En lâchant le contrôle, on s’en remet à l’abandon.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

S’abandonner et lâcher prise ne sont pas synonymes. En général, le lâcher-prise est considéré comme un détachement souvent accompagné du sentiment d’être libéré de contraintes passées. L’abandon s’apparente davantage à une expansion. Il y a une part de liberté dans l’abandon, mais il ne s’agit pas précisément de déposer quelque chose ni de prendre ses distances avec un objet, une personne ou une expérience comme c’est le cas dans le lâcher-prise. L’abandon nous libère parce qu’il nous permet d’accéder à une qualité d’être spacieuse, illimitée, qui peut inclure, sans en être affectée, les croyances limitantes qui nous définissaient auparavant et nous maintenaient dans la séparation et la partition. On lâche l’habitude stérile de s’accrocher à des objets changeants comme source de bonheur. Dans l’abandon, on est reconstitué. On n’est plus asservi par son passé ou ses anciennes identités. On devient intime avec la vérité intérieure de sa nature essentielle. Dans l’abandon, on ne s’éloigne pas, on se rapproche.

S’abandonner, c’est se laisser porter. Je me souviens de mon père lorsqu’il faisait la planche dans l’océan Atlantique. Il semblait être absorbé par la mer. Je ne voyais que son ventre blanc et mou qui montait et descendait au gré des vagues. On ne peut pas flotter si on s’accroche trop.

L’abandon apparaît lorsqu’on cesse de se battre. Contre soi-même. Contre la vie. Contre la mort. C’est un état où toute forme de résistance disparaît. On n’érige plus de barrières pour se défendre.

Je ne suis pas convaincu que l’abandon soit un choix. Il semble involontaire. Il m’apparaît comme un courant sous-marin impossible à éviter ou un fil karmique qui nous ramène chez nous. Les qualités qui engendrent l’abandon incluent la foi, l’amour, la conviction religieuse, la confiance en la sagesse acquise, le sentiment d’émerveillement, mais aussi un élément beaucoup plus fréquent – l’épuisement.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

ma rencontre avec l’abandon total m’a aidé à me rapprocher de la réalité expérimentée et décrite par les patients en fin de vie. J’ai senti ce que signifiaient les mots de Barbara : « Je ne suis plus aux commandes. » J’ai compris la quiétude dans la voix de Ruth lorsqu’elle m’a confié : « À présent, je me laisse tomber dans le souffle, qui me rattrape. » J’ai reconnu le sourire dans les yeux de Joshua lorsqu’il m’a déclaré presque en chantant : « Je n’ai plus aucun souci. Ma tête repose dans les mains de Jésus. »

S’abandonner est infiniment plus profond que lâcher prise. Le lâcher-prise est toujours une stratégie de l’esprit habité par le passé. C’est une activité de la personnalité, dont la principale préoccupation est de se perpétuer. Dans le lâcher-prise, c’est encore moi qui fais un choix. L’ego est incapable de s’abandonner. L’abandon, c’est le non-agir aisé, dénué d’effort, de notre nature essentielle sans interférences. C’est être simplement conscient.

L’abandon est une initiation, où l’on sacrifie le superflu au profit de l’essentiel. On peut résister, mais notre lutte s’avère en définitive inefficace. La dissipation de l’illusion engendre inévitablement un sentiment de peur et les voix dans notre tête nous invitent au repli. Mais le sacré est si captivant, l’abandon si imposant, que la peur ne peut pas nous arrêter. La lutte finit par cesser. Notre conscience reconnaît que la puissance que nous ressentons, jadis si terrifiante, est notre être profond. Nous nous abandonnons à la réalité de la non-séparation.

L’abandon est la fin du deux et l’ouverture à l’un.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

Mourir est un processus de dépouillement, une libération, un abandon, un changement porteur de profondes possibilités. Comme la mort, le changement est inévitable. Le propre de toute expérience est d’être fugace. Pourtant, le changement même n’est pas gage de transformation.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

La transformation est une modification intérieure profonde qui réorganise notre identité fondamentale. C’est une métamorphose aussi radicale que celle de la chenille en papillon. Au cours de la transformation, les écailles nous tombent des yeux et nous voyons et expérimentons toute chose de manière nouvelle. Nous prenons conscience que nous sommes bien plus vastes que nos histoires. Les barrières personnelles limitantes s’effondrent. Une paix profonde et un sentiment d’appartenance universel imprègnent notre conscience. La liberté d’être est si expansive qu’elle dépasse notre compréhension présente et est presque méconnaissable pour notre ancien soi.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

La transformation de la conscience, qui est accessible à chacun d’entre nous dans notre vie quotidienne, exige notre engagement actif. On n’y accède pas par la réflexion. Ce n’est pas un plan stratégique qu’on exécute. La transformation requiert la volonté ouverte d’être pleinement vulnérable à l’expé­rience de l’inconnu.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

Il me semble que la plupart des gens ont peur de la mort parce qu’ils ne savent pas comment être avec l’inconnu. »

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

Notre parcours de transformation est facilité quand nous nous ouvrons au mystère, une expérience ou une force intangible qu’on ne peut ni prévoir, ni mesurer, ni expliquer.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

La rencontre avec la mort est imprégnée de mystère, qui ne peut être résolu ni même pleinement connu par l’esprit conceptuel. Il ne peut être saisi mais, comme lorsqu’on écoute une magnifique œuvre musicale, il est possible de se livrer entièrement au mystère. On ne se contente pas d’observer le mystère : on prend conscience qu’on est le mystère. Qu’il vit à travers nous.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

D’après mon expérience, et celle des nombreuses personnes que j’ai accompagnées, la rencontre avec le mystère se caractérise souvent par de la stupeur et de l’émerveillement, comme lorsqu’on reste bouche bée devant un spectacle d’une beauté inconcevable. L’activité habituelle de l’esprit s’arrête et notre conscience se repose. Nous nous absorbons dans la tranquillité et devenons humblement témoins. Dans de tels moments, le temps ne dévore plus notre vie. Nous accédons à l’éternel présent. Le futur n’existe pas : il ne s’est pas encore produit. Le passé n’existe pas : il s’est déjà produit. Ici, dans ce lieu exempt de la tyrannie du temps, la peur de la mort n’existe pas. Et lorsqu’il y a absence de peur, il y a présence d’amour. L’amour est le lubrifiant qui nous permet de nous glisser hors des frontières du corps. L’amour est l’aspiration qui nous rappelle chez nous.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

Chaque fois que nous sommes confrontés à un moment transformateur de la vie – quand nous mourons, naissons, méditons, faisons l’amour, nous absorbons dans la beauté de la nature, nous connectons à une grande œuvre d’art ou que nous plongeons dans les yeux d’un enfant –, nous avons le sentiment de scruter le vaste innommable. Ici, on se sent en parfaite sécurité. Rien ne manque. Tout ce dont nous avons besoin est présent. Chaque gorgée de cette expérience étend notre amour et nous rapproche davantage de l’infini et inépuisable mystère de l’être.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

La contemplation de la vie, de la mort et du mystère inhérent à chaque moment est trop importante pour être reléguée à nos dernières heures. Accueillir nos peurs et découvrir ce que la mort a à nous apprendre sur la vie est essentiel pour notre transformation

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

Au bout du compte, toutes les voies mènent à un champ ouvert. Elles nous demandent de lâcher notre attachement aux habitudes de l’esprit et aux idées préconçues, d’aborder la vie de manière nouvelle et curieuse. Comme me l’a demandé un professeur un jour : « Peux-tu lâcher ton histoire et accéder au mystère ? »

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

Bien que ces réflexions puissent sembler morbides à certains, cultiver une sage ouverture vis-à-vis de la mort m’apparaît comme une manière d’affirmer la vie. L’intérêt de ces réflexions est de nous faire voir dans quelle mesure nos idées et nos croyances sur la mort nous affectent ici même, à cet instant même.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

je lisais un livre intitulé Japanese Death Poems 72. Au Japon, les moines zen, mais pas uniquement, ont l’habitude de rédiger de courts poèmes en préparation de leur mort. D’après la légende, ces vers, composés le jour même du décès, sont censés exprimer une vérité essentielle découverte au cours de leur vie. En général, ce sont des poèmes courts, intenses, parfois profonds, parfois satiriques, qui expriment souvent une beauté immédiate et une simplicité naturelle. Ils nous rappellent qu’on est le plus vivant lorsqu’on est présent à la bordure de l’inconnu.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

Les vers inflexibles de Sunao, décédé en 1926, expriment la réalité parfois rude de la mort.

Cracher du sang

éclaircit la réalité

comme le rêve.

Ceux de Kozan Ichikyo, décédé en 1360, sont d’une élégante simplicité.

Les mains vides je suis venu au monde

Pieds nus je le quitte.

Ma venue, mon départ –

Deux simples faits

Qui se sont entremêlés.

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Poème mortuaire de Sono

Ne reste pas planté là alors que tes cheveux commencent à grisonner,

les océans auront tôt fait de submerger ton îlot.

Ainsi, tant qu’existe encore l’illusion du temps,

Pars pour une autre rive.

Inutile de prévoir un sac.

Tu ne pourras pas le hisser dans ton esquif.

Fais don de toutes tes collections.

Munis-toi seulement de graines nouvelles et d’un vieux bâton.

Confie des prières au vent avant de hisser les voiles.

N’aie pas peur.

Quelqu’un sait que tu viens.

Un poisson de plus a été salé à ton attention.

MONA (SONO) SANTACROCE (1928-1995)

QUATRIÈME INVITATION - Trouvez un lieu de repos au cœur des choses

Adèle, une juive russe de quatre-vingts ans, était une femme tenace et pragmatique. J’eus l’honneur d’être présent à ses côtés au Zen Hospice la nuit où elle mourut.

Assise au bord du lit, elle respirait avec beaucoup de difficulté : chaque souffle était une lutte.

Je restai en retrait dans un coin de la chambre tandis qu’une aide-soignante bien intentionnée, assise à côté d’Adèle, tentait de la rassurer. « N’ayez pas peur, lui répétait-elle. Je suis là, avec vous.

— Croyez-moi, mon chou, rétorqua sèchement Adèle, si vous étiez à ma place, je peux vous assurer que vous auriez une peur bleue. »

L’aide-soignante se mit à caresser le dos d’Adèle. « Vous êtes un peu froide. Vous voulez une couverture ? lui demanda-t-elle.

— Évidemment que je suis froide, répliqua Adèle. Je suis presque morte ! »

Je restai discrètement dans mon coin.

Comme je m’amusais de sa sincérité abrupte, deux choses me parurent claires. La première, c’est qu’Adèle réclamait une relation franche et authentique. Elle ne voulait pas qu’on lui parle de gérer sa mort ou d’entrer dans la lumière. Le sentimentalisme ne l’intéressait pas. Deuxièmement, bien qu’elle eût reçu tous les traitements appropriés, Adèle luttait toujours. Comme la naissance, la mort est précédée d’un travail.

Je rapprochai une chaise d’Adèle et je la regardai droit dans les yeux. « Adèle, lui demandai-je, aimeriez-vous lutter un peu moins ?

— Oui, me répondit-elle en hochant la tête.

— J’ai noté qu’il y avait une petite pause à la fin de votre expiration. Pouvez-vous porter momentanément votre attention sur cette pause ? » suggérai-je. Soyons francs, Adèle n’avait jamais médité de sa vie et se fichait pas mal du bouddhisme. Mais, à cet instant, la perspective de se libérer de la souffrance la motivait. Elle voulut donc bien essayer. « Je vais respirer avec vous », lui précisai-je.

Au bout d’un moment, Adèle parvint à focaliser son attention sur le petit espace qui sépare l’expiration de l’inspiration. Et, petit à petit, la peur se retira de son visage. Nous avons continué à respirer ensemble pendant un certain temps.

Puis Adèle finit par reposer sa tête sur l’oreiller. Elle mourut paisiblement un peu plus tard.

QUATRIÈME INVITATION - Trouvez un lieu de repos au cœur des choses

La quatrième invitation nous apprend qu’il est possible, comme l’a fait Adèle, de trouver un lieu de repos en soi, sans avoir à modifier les circonstances de sa vie. Après tout, la situation d’Adèle était la même – sa respiration n’avait pas changé et elle était toujours aux portes de la mort. Pourtant, elle est parvenue à accéder à un lieu de repos.

Ce lieu de repos est toujours disponible. Il suffit de se tourner dans sa direction. On l’expérimente lorsqu’on porte toute son attention, sans se laisser distraire, sur tel instant ou telle activité. Grâce à une pratique sincère, cet espace peut finir par devenir une part intégrante de notre vie. Il apparaît comme un aspect de nous-mêmes qui n’est jamais malade, qui ne naît pas et ne meurt pas.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Je ne savais pas comment Jennifer devait mourir. La mort est inconnue et intemporelle. On la découvre moment après moment. Je fis donc de mon mieux pour ne pas interférer. Je m’en remis à la sagesse de la compassion, à la guidance fiable de nos cœurs aimants. De la même manière que deux sages-femmes avaient aidé mon fils Gabe à pousser son premier cri, Laurie et moi avons aidé Jennifer à pousser son dernier soupir.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Lâcher prise, c’est entrer en territoire inconnu. La peine est le prix pour y accéder. Les larmes sont les fluides qui facilitent le relâchement.

17 - S’ABANDONNER AU SACRÉ

Lorsqu’on meurt, un éveil graduel se produit. De manière presque imperceptible, on entame un long et lent processus de lâcher-prise, renonçant à ce qu’on sait ne plus pouvoir retenir ou contrôler.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

Au fond, la mort est peut-être la plus grande inconnue. Et notre relation à cette inconnue mérite notre attention. Un jour, j’ai demandé à une Chinoise prénommée Shu-Li, qui était en phase terminale d’une forme étrange de cancer, si elle avait une idée de ce qui pouvait se passer après la mort.

« Quand j’étais jeune et que j’envisageais d’émigrer seule en Amérique, m’a répondu Shu-Li, je pouvais contempler des photos de villes, de campagne ou d’immeubles. Je pouvais lire des livres et regarder des films sur les habitants de l’Amérique, leur alimentation et leurs styles de vie. J’avais une idée de ce qu’était la vie ici. Mais la réalité s’est révélée différente de ce que j’imaginais. » « Je n’ai plus d’images, a-t-elle ajouté. Vivre avec l’incertitude de ma maladie m’a préparée à la mort.

ÉPILOGUE - La mort qui donne la vie

Ces cinq invitations sont un appel à cette transformation. Elles peuvent vous conduire jusqu’au seuil, mais c’est à vous de faire le reste du chemin

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