Livre de Michaeleen Doucleff sur l’Éducation.

Chasseur, cueilleur, parent: les cultures ancestrales excellent dans l’art d’élever des humains heureux: qu’ont-elles à nous apprendre?

Mon résumé

Mon résumé de chasseur, cueilleur, parent

Ce livre est une petite pépite sur la parentalité.

Michaeleen Doucleff avait de nombreux problèmes avec sa petite fille Rosy de 3 ans, qui la frappait, ne participait pas aux tâches, faisait des scandales à plusieurs moments de la journée dont l’heure du coucher, et j’en passe.

il y a des chances que vous ayez déjà ressenti la même chose que mon mari et moi: un besoin désespéré de conseils et d’outils plus pertinents.

Après toutes ces tentatives, elle décide d’abandonner sa carrière de biochimie pour se consacrer uniquement à trouver la solution à ses problèmes de parents. Voyage au bout du monde pour découvrir les Inuits, les Mayas, les Hadzas afin de voir comment les peuples premiers éduquent leurs enfants

Les mères mayas sont maîtresses dans l’art d’élever des enfants serviables. Elles ont développé une forme sophistiquée de collaboration qui enseigne aux membres d’une fratrie non seulement la bonne entente, mais aussi l’art de travailler ensemble. Les parents hadza sont les experts mondiaux pour élever des enfants confiants et autonomes; l’anxiété et la dépression qu’on observe dans nos sociétés occidentales n’existent pas dans les communautés hadza. Et les Inuits ont développé une approche remarquablement efficace pour apprendre aux enfants l’intelligence émotionnelle, notamment en matière de maîtrise de la colère et de respect mutuel.

Elle décide d’aller vivre avec ces parents chasseur-cueilleurs pour apprendre leurs méthodes d’éducation, puis elle va les tester sur sa propre fille.

Sa découverte ? Les parents occidentaux ont tendance à exercer un contrôle excessif, ou au contraire à laisser trop de libertés aux enfants, ce qui rend leurs enfants plus anxieux et moins préparés à l’autonomie : les enfants pénibles deviennent ensuite des ados anxieux1

Ce que l’auteur propose

Exit donc l’autoritarisme, Exit aussi la “liberté” façon enfant-roi.

Bienvenue la méthode TEAM, où la famille est au centre des activités des enfants comme des parents. TEAM veut dire : Tendre camaraderie, Encouragements, Autonomie, Minimum d’ingerence.

Voici un exemple de la méthode TEAM utilisée pour aider son enfant à trouver le sommeil :

  • Tendre camaraderie: nous nous couchions ensemble.
  • Encouragements: j’encourageais Rosy à aller dormir plutôt que de la forcer à une heure imposée. (en commençant par elle-même, en disant devant Rosy “Je suis fatiguée, je vais donc me coucher“)
  • Autonomie: Rosy décidait seule du moment de monter se coucher.
  • Minimum d’ingérence: plutôt que de contrôler le comportement de Rosy, je faisais le minimum nécessaire pour l’aider à acquérir une compétence précieuse dans la vie.

TEAM c’est aussi :

  • Beaucoup d’activités centrées sur la famille
  • Les parents vaquent à leurs occupations naturelles et l’enfant est toujours bienvenue pour se joindre à eux
    • Donc les enfants apprennent à devenir des adultes, petit à petit
    • Les centres d’intérêt des enfants ne sont plus en contradiction avec ceux de la famille
    • Les enfants aident les parents à réaliser leurs tâches
      • Si la tâche est trop difficile pour l’enfant, le parent propose une tâche plus adaptée à ses compétences actuelles

Qu’est-ce que ça implique ?

  • Plus besoin de devoir pousser ou tirer l’enfant, c’est lui qui est maître
  • Les parents attendent de l’enfant qu’il aide aux activités de la famille, car ils en montrent l’exemple et encouragent en ce sens.
  • Le parent se met en retrait et observe l’enfant, plutôt que de dire quoi faire ou faire à sa place, il est “à l’écoute” de son enfant et utilise uniquement la parole quand nécessaire pour avancer.
    • Le parent donne le minimum d’instructions, et n’en donne que quelques unes par heure maximum, comme “Amène ce pot sur le balcon”
    • On ne s’embête pas avec trop de politesses, les ordres simples sont les mieux compris de tous (dits avec amour)
  • Plus besoin de trouver des activités centrées sur l’enfant, car le parent a confiance dans la capacité de l’enfant à s’occuper tout seul et se distraire
  • En accueillant les enfants dans le monde des adultes sans restriction (y compris le travail), vous leur confirmez qu’ils font partie de l’équipe familiale «Les parents n’ont pas besoin de savoir jouer avec leurs enfants. Si on implique les enfants dans les activités des adultes, ils considèrent ces activités comme du jeu.»
  • On remplace les punitions et les récompenses par une autre source de motivation : l’ardeur que met l’enfant à faire partie intégrante de la famille et à travailler en équipe
    • On évite les punitions et les récompenses/compliments, car elles détruisent le sentiment d’autonomie (voir les études d’Edwad Deci sur la motivation intrinsèque) et aussi car elles engendrent un climat de compétition stérile dans la famille
    • Le besoin d’appartenance de l’enfant est suffisant pour le motiver
    • Le besoin de compétence (de grandir) est aussi une grande source de motivation
    • Le besoin de comprendre le sens de ses actions est aussi une grande source de motivation. Il faut expliquer aux enfants en quoi leur participation est d’une grande aide pour toute la famille.
    • Le respect de l’autonomie est l’objectif de l’éducation, donc les punitions et les récompenses ne sont pas adaptées.

En pratique

Comment éduquer sans punition ni récompenses ?

Reconnaissance directe du travail

Remplacez vos compliments par la reconnaissance de son travail

je me montre reconnaissante de sa contribution, non par des mots mais par des actions. Une fois qu’elle a terminé sa brochette, je la prends et la pose dans le plat avec les autres. Et cette reconnaissance porte ses fruits. Rosy me sourit et se lance dans une nouvelle brochette.

Si ce n’est pas possible d’accepter telle quelle la proposition de l’enfant, on peut montrer de la gratitude (“Merci de m’avoir aidé” ou “C’est une bonne idée” ou “Oui, on peut, on peut”) et puis laisser l’idée murir plutôt que de l’exclure immédiatement

Un simple «c’est une bonne idée» suffit parfois pour que l’enfant se sente inclus et motivé, même si vous ne comptez pas du tout appliquer son idée. Un parent maya dira «uts xan», ce qui signifie littéralement «c’est bien aussi». Un adulte interpréterait cette réponse comme un «je ne suis pas d’accord». Mais aux yeux d’un enfant, c’est comme une approbation.

Célébrer la progression de l’enfant et son appartenance à la famille

On peut célébrer les avancées de l’enfant avec ce qui ressemble à des récompenses, mais elles célébrent simplement la progression de l’enfant, elles ne sont pas agitées comme une source de motivation :

on accord à l’enfant de petits plaisirs, par exemple «en préparant un repas qui sort de l’ordinaire ou en achetant à l’enfant quelque chose d’utile, comme des sous-vêtements».

Les félicitations sont toujours possibles, mais elles sont là pour exprimer la reconnaissance et célébrer la progression de l’enfant. Elles ne sont pas agitées comme une source de motivation (on ne propose jamais un deal du genre “si tu fais XXX alors tu auras YYY”) :

Dans de nombreuses cultures, les parents expriment leur reconnaissance en reliant la participation des enfants à une certaine maturité, au fait de «devenir grand» et aux prémices d’un apprentissage. Par exemple, une mère raconte à Lucia et ses collègues comment elle se montre reconnaissante de l’aide de son fils à la maison: «Quand il fait correctement ce qu’il a à faire, je lui dis simplement “Oh, mon fils, tu sais déjà faire [la tâche]” et ça le rend très heureux.» D’autres mères disent «féliciter» un enfant d’avoir «grandi» à mesure que sa contribution augmente à la maison.

Célébrer la maturité de l’enfant et sa participation dans la famille le motive énormément car ça répond à son besoin d’appartenance et de grandir. Quelques exemples de célébrations :

  • «Tu commences vraiment à bien nous aider»
  • «Tu es en train de devenir une grande fille et tu participes aux tâches familiales».
  • Faire un câlin à son enfant tout en lui faisant remarquer la «maturité de son rôle au sein de la famille».

Le besoin de grandir de l’enfant est une source de motivation sans fin qu’on peut exploiter :

En Arctique, une mère inuite relie le fait de taper son petit frère à l’idée d’être «un bébé», tandis que se montrer gentil et généreux est associé au fait de «ne pas être un bébé». Cet outil est d’une telle efficacité

Si un enfant prend l’initiative de s’occuper volontairement d’une tâche domestique, reconnaissez à quel point il a grandi et progressé en disant quelque chose comme: «Oh, tu commences à savoir comment participer» ou «Tu as rangé tes jouets parce que tu es une grande fille».

Donner du sens aux actions de l’enfant

Il faut toujours expliquer le sens des actions de l’enfant, et la valeur ajoutée que ça a pour toute la famille.

Si l’enfant ne participe pas assez, on peut responsabiliser l’enfant en lui disant “Tu dois faire plus d’efforts” :

Cette approche fonctionne bien avec Rosy, en particulier quand elle voit que je suis fatiguée et débordée. Je lui dis: «Rosy, ton père et moi travaillons dur pour rendre cette maison agréable pour tout le monde. Nous faisons de notre mieux. En tant que membre de la famille, tu dois toi aussi travailler dur et faire de ton mieux.»

Menacer des conséquences naturelles

Si vous devez avoir recours à la menace, faites en sorte que la punition se rapproche le plus possible d’une conséquence naturelle plausible. Par exemple, il m’arrive de dire à Rosy: «Si on ne nettoie pas la cuisine, des fourmis vont venir envahir le plan de travail. Veux-tu avoir des fourmis dans ta nourriture?» Ou bien: «Si on ne lave pas ta boîte à goûter, tu devras manger dans une boîte sale et puante demain. C’est ce que tu veux?»

Laisser l’enfant accomplir la tâche

Laissez-le faire à sa façon, c’est très motivant :

Si l’enfant se met à l’œuvre, ne l’arrêtez pas. Au contraire, soyez attentif et observez comment il essaie de participer. Puis réfléchissez à une manière de vous inspirer de sa contribution ou d’améliorer légèrement son travail. Quoi que vous fassiez, résistez à l’envie de vous y opposer. Réfrénez votre désir d’ingérence ou la tentation de modifier la solution qu’il propose. Si vous vous mettez en retrait et laissez l’enfant «prendre le contrôle» de cette tâche, il sera beaucoup plus motivé

S’il trouve des moyens de le faire en s’amusant c’est encore plus motivant :

Je ne suis pas une grande adepte de l’idée de rendre les tâches «marrantes» ou d’en faire un jeu. Je n’ai pas l’énergie pour tenir très longtemps et je n’aime pas me comporter comme un enfant de 3 ans. Mais si Rosy invente une manière de rendre une tâche plus ludique, je ne l’en empêche pas. Au contraire, je suis attentive à son idée ou à sa participation et j’essaie de m’en inspirer. Un après-midi, par exemple, alors que nous étendions du linge, elle se mit à lancer les vêtements à travers la véranda. Je décidai donc d’intégrer son «jeu» à la tâche. Je lui dis: «Mets-toi près de la corde à linge et je vais te lancer les vêtements à étendre.» Elle a adoré! Elle voulait qu’on continue de se lancer les vêtements. Le linge a fini par être étendu. Cela a pris un peu plus de temps, mais sa motivation pour la lessive a monté en flèche. Maintenant, il lui arrive de venir en courant quand je l’appelle et nous avons intégré l’idée du «lancer» à d’autres tâches, comme le rangement de Lego ou de livres. Je lui dis: «Rosy, tiens-toi près de la bibliothèque, je vais te lancer les livres.» Ça lui donne vraiment envie d’aider!

Comment apprendre quelque chose à l’enfant sans le contrôler ?

Lui donner des occasions de PRATIQUER

Donnez aux enfants, en particulier aux plus jeunes, des tas d’occasions d’aider et de coopérer à la maison. Assignez-leur des tâches, invitez-les à observer et encouragez leur désir de participer

“Viens, mon petit. Aide-moi à faire la vaisselle.” C’est toujours une invitation à faire les choses ensemble, à effectuer ensemble telle ou telle tâche.

MONTRER L’EXEMPLE

Donnez aux enfants leur carte de membre. Immergez-les dans votre vie quotidienne afin qu’ils apprennent progressivement les tâches à effectuer en vous observant et qu’ils se sentent faire partie intégrante de la famille

assurez-vous que les jeunes enfants aient un accès régulier et prévisible aux tâches quotidiennes. Évitez de les envoyer jouer dehors ou dans une autre pièce. Invitez-les plutôt à vous rejoindre et à rester près de vous pendant que vous vous activez.

ENCOURAGER (un peu, si nécessaire, comme au début par exemple)

Quand un enfant essaie d’aider, acceptez sa contribution et valorisez ses idées. Respectez son point de vue. Lorsqu’un enfant est en train d’apprendre une valeur, dites-le-lui. Mettez le doigt sur la présence (ou l’absence) de cette valeur dans les actions des autres. Associez son apprentissage au fait de devenir «plus grand» et plus mature.

Si un enfant demande à vous aider, laissez-le faire! Si la tâche est simple, mettez-vous en retrait et laissez-le tenter le coup. Ne lui donnez pas de consignes; vos paroles sont comme des cours magistraux, qui les embrouillent par-dessus le marché. Observez ce que fait l’enfant et inspirez-vous de ses efforts. S’il commence à faire des dégâts ou à faire n’importe quoi, guidez-le gentiment pour l’aider à être productif. Par exemple, dans la communauté maya de Chiapas, le petit Beto de 2 ans veut aider sa grand-mère à écosser les haricots, mais il est maladroit. Le garçonnet attrape une poignée de haricots et les jette à la poubelle. Sa grand-mère le reprend et lui montre la bonne méthode. Elle prend les haricots de la main de l’enfant avant qu’il ait le temps de les jeter et lui explique qu’on ne jette pas le haricot entier. Si Beto l’ignore, elle répète ses conseils. Si une tâche est d’un niveau trop avancé – ou trop dangereuse – pour le degré de compétences d’un enfant, détendez-vous. Restez calme. Inutile de l’effrayer. Dites à l’enfant de vous regarder pendant que vous effectuez cette tâche. Par exemple, pendant qu’une mère maya fait frire les tortillas, elle dit à son enfant: «Regarde et tu apprendras.» Ou trouvez une façon de le faire participer en toute sécurité. Par exemple, Rosy me tient le plat pendant que je sors le poulet du four ou ajoute le sel et l’huile dans la casserole de pâtes.

Comment cesser de se mettre en colère ou d’enquiquiner

La règle d’or de l’éducation chez les Inuits: «Ne jamais crier contre un enfant». Il vaut mieux partir dehors pour respirer et faire une pause plutôt que de se mettre en colère

Quand on crie après un enfant, il cesse d’écouter.

Pour ça, on peut développer la petite voix dans notre tête qui nous pousse à marquer un temps d’arrêt avant de réagir, à nous demander: Quelles vont être les répercussions de mon action? Existe-t-il une meilleure approche?

Le café chaud s’étale en flaque sur la table ancienne. Mon cœur chavire. J’ai envie de hurler. Bon sang, Rosy! On est des invitées dans cette maison. Pourquoi ne peux-tu pas faire un peu plus attention? Mais je regarde autour de moi et personne ne réagit. Rien. Zéro. Nada. Gordon et Tusi n’ont pas levé les yeux de leur lecture. Les enfants sont toujours en train de danser. Personne ne semble remarquer que du café brûlant vient de voler à travers la pièce, causant une pagaille monstrueuse. Sally sort de la cuisine, un torchon à la main, et l’étale lentement sur le tapis, avec précaution. Elle ne crie pas, elle ne réprimande pas Rosy, mais se tourne vers Tusi et lui dit calmement: «Ton café était au mauvais endroit.»

La méditation permet de marquer ce temps plus efficacement car on a mieux conscience de ce qu’il se passe dans notre tête si on a une pratique autonome de méditation. Elle permet aussi de générer moins de colère et plus de calme.

Vos enfants aussi apprendront à gérer leur colère si vous leur montrez cet exemple.

je vois pour la première fois de ma vie une approche éducative n’impliquant pas la colère… ni les cris. Elle est transformative. Je remarque tout d’abord à quel point les adultes sont calmes et détendus. Je constate aussi le pouvoir immense de ce calme sur les enfants de la maison, y compris sur Rosy. Le résultat est presque immédiat. Sous les ailes paisibles de Sally et Maria, la boule de feu dans le ventre de Rosy s’apaise. Son angoisse se dissipe

Selon l’autrice, c’est un processus en deux étapes:

  1. Se taire. Rester silencieux. Ne rien dire. (Ou s’éloigner quelques secondes ou minutes s’il le faut, en laissant les enfants seuls) (Cette distanciation peut aussi permettre de communiquer à l’enfant, dans le calme, que son comportement, à ce moment précis, est inacceptable. Ignorer un enfant est un outil puissant de discipline.)
  2. Apprendre à ressentir moins, voire pas du tout, de colère à l’égard des enfants. (Note: je ne parle pas de contenir sa colère quand elle survient, mais plutôt de générer moins de colère en premier lieu.)

Cela vaut aussi pour tous les comportements problématiques que vous pouvez avoir (pas seulement les grosses crises de colère)

La prochaine fois que vous vous surprenez à enquiquiner votre enfant, à négocier ou à tergiverser, arrêtez. Taisez-vous. Fermez les yeux si besoin. Attendez un peu. Touchez doucement l’épaule de votre enfant et éloignez-vous.

Les émotions des enfants – et leur niveau d’énergie – reflètent celles de leurs parents. «Les émotions sont contagieuses»

Comment interpréter les actes des enfants ?

Les parents occidentaux pensent qu’il y a un problème d’autorité avec les enfants, mais c’est une interprétation faussée. Voici l’exemple :

Rosy agit souvent de la sorte. Elle exige de faire mon travail. Elle me vole la fourchette quand je bats les œufs pour le petit déjeuner. Elle s’empare du couteau quand je coupe des oignons pour le dîner. Elle attrape la gamelle du chien quand je veux le nourrir, le balai quand je balaie et mon ordinateur quand je tente d’écrire (et elle se met à taper le plus vite possible sur toutes les touches du clavier). Sans surprise, je réagis à ses accaparements de la même manière que mes parents quand j’étais enfant. Je repousse ses petites mains potelées et je lui dis d’un ton accusateur quelque chose comme: «Ne m’arrache pas les choses des mains!» Puis j’interprète ses actes et son comportement: c’est une petite fille exigeante qui veut que je lui obéisse (j’entends même la voix de ma mère dans ma tête: «Elle veut te commander, Michaeleen»).

À l’inverse, les parents autochtones interprètent l’obstination de l’enfant comme un désir de contribuer à la vie de la famille. Le seul problème, au début, c’est que l’enfant est trop jeune pour savoir comment aider à proprement parler. Mais il a seulement besoin d’apprendre.

“Quand mon fils faisait la vaisselle, au début, il mettait de l’eau absolument partout, mais je le laissais faire, parce que c’est comme ça qu’on apprend.”»

Les parents considèrent cette pagaille comme un investissement. Si vous encouragez aujourd’hui le bambin maladroit qui a vraiment envie de faire la vaisselle, il deviendra avec le temps un enfant de 9 ans habile avec le même désir d’aider, et ça fait vraiment la différence.

dans de nombreuses cultures de chasseurs-cueilleurs, dès qu’un enfant se met à marcher, les parents sollicitent son aide pour de petites sous-tâches. Avec le temps, l’enfant apprend ce qui doit être fait dans la maison. Ainsi, le nombre de requêtes diminue (au lieu d’augmenter) à mesure que l’enfant grandit. Lorsqu’il atteint la préadolescence, les adultes n’ont plus besoin de lui demander quoi que ce soit, parce que l’enfant sait déjà ce qu’il a à faire.

Changer sa façon d’interpréter permet de ressentir moins de colère

Pour éprouver moins de colère à l’égard de mon enfant, je dois changer ma façon d’interpréter ses actions et son mauvais comportement. Voici des outils pour voir les choses différemment :

Chez les Inuits, les anciens me proposèrent maintes fois ces règles pour aider les parents à garder la tête froide quand les enfants perdent la leur: • Partez du principe que les enfants se comportent mal. Attendez-vous à ce qu’ils soient grossiers, violents et autoritaires. Attendez-vous à ce qu’ils mettent la pagaille, à ce qu’ils ne fassent pas les choses correctement, à ce qu’ils soient parfois de véritables plaies. • Ne vous sentez pas visé personnellement (et ne pensez pas que vous êtes un mauvais parent). C’est tout simplement comme cela que les enfants sont conçus. Et c’est votre travail, en tant que parent, de leur apprendre à se comporter convenablement et à contrôler leurs émotions.

Acceptez que l’enfant ne soit pas autant rationnel que vous :

Si un enfant n’écoute pas, c’est parce qu’il est trop jeune pour comprendre. Il n’est pas mûr pour apprendre la leçon. – DOLOROSA NARTOK

et donc, si votre enfant ne peut pas répondre à vos attentes pour l’instant, essayez de changer son environnement, et non l’enfant.

Quelles compétences doit-on apprendre aux enfants ?

Lucia me confie que les parents inculquent à leurs enfants une compétence beaucoup plus complexe que de simplement savoir faire la vaisselle ou la lessive: ils leur apprennent à prêter attention à leur environnement, à reconnaître quand une tâche précise doit être effectuée, puis à la faire. «Ils apprennent à leurs enfants à être des membres de la famille responsables, à détecter quand quelqu’un a besoin d’aide, à être vigilants à ce qui se passe, puis à aider», me raconte Lucia. Et cela implique aussi de savoir quand ne pas aider. «Ainsi, vous ne vous mêlez pas de la cohésion du groupe ou de la direction qu’il a choisi de prendre.» «C’est une compétence à vie que de savoir lire son environnement et de savoir que faire», ajoute-t-elle.

Cette compétence – être attentif, puis agir – est une valeur et un objectif si importants pour les enfants que de nombreuses familles mexicaines ont un terme pour la désigner: on appelle cela être “acomedido”.

Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques ?

Chez les Mayas, un enfant qui accomplit volontairement des tâches domestiques est dit “acomedido”.

«Dès le premier jour, quand ils sont tout petits, il faut commencer à leur montrer comment aider», me confie Maria.

Apprendre à un enfant à accomplir volontairement des tâches ménagères prend des années. «Il faut leur apprendre lentement, petit à petit, et ils finissent par l’intégrer.»

Il ne suffit pas de donner des instructions orales une fois et s’attendre à ce que ça fonctionne :

il faut instruire lentement l’enfant. Il faut l’entraîner. L’enfant ne doit pas seulement comprendre comment accomplir la tâche en question, mais aussi quand la réaliser et pourquoi son aide est si bénéfique pour la famille – et pour lui-même.

Il faut donc attirer l’attention de l’enfant sur la serviabilité (ou le manque de serviabilité).

Au lieu de chanter les louanges d’un enfant qui aide sur demande, exprimez votre reconnaissance à l’égard de la serviabilité dans son ensemble. Ne surjouez pas et ne le faites pas trop fréquemment. Déclarer simplement «ça m’aide bien» suffit lorsqu’un enfant se montre acomedido ou propose son aide

Quand l’enfant (ou une autre personne) n’est pas serviable, il ne faut pas hésiter à le noter :

Lucia relate que «les parents disent souvent d’un ton sarcastique “surtout, ne sois pas trop acomedido” ou “ne nous aide pas trop, hein”. Cela indique à l’enfant qu’il doit aider.» Vous pouvez aussi le faire remarquer lorsque quelqu’un d’autre ne se montre pas acomedido. Cela aidera l’enfant à apprendre ce qu’il ne faut pas faire. […]Par exemple, un après-midi, une amie de Rosy ne nous a pas aidées à ranger après avoir joué dans notre salon. J’ai donc dit: «Ce n’était pas très acomedido. Si elle nous avait aidées, nous aurions terminé plus vite.»

Il faut éviter de réduire les tâches à un tableau de corvée (“faire la vaisselle le mardi, passer le balai le mercredi et sortir les poubelles le vendredi“), car ça apprend à l’enfant à être l’inverse d’acomedido, en lui disant: «Ta responsabilité se limite à ce qui est sur ce tableau.»

C’est contre-intuitif, mais il faut absolument confier des tâches aux tout-petits,

Pour un parent occidental comme moi, la première étape défie toute logique. Il s’agit de faire exactement l’inverse de ce que vous dicte votre intuition: confier des tâches aux membres de la famille les moins habiles du foyer.

Et il faut les laisser accomplir leur tâche, même si c’est la pagaille :

«Quoi que je fasse, Alexa veut le faire aussi. Quand je prépare des tortillas, Alexa se met à pleurer si je ne la laisse pas faire des tortillas. Et après ça, elle veut toujours passer le balai. – Comment réagis-tu? demandé-je. – Je la laisse faire les tortillas et je lui donne le balai pour qu’elle nettoie. – Et elle balaie vraiment? Et ça t’aide? – Ça n’a pas d’importance. Elle veut aider d’une manière ou d’une autre, alors je la laisse faire, me dit Maria, assise dans un hamac les mains croisées sur les genoux. – Chaque fois qu’elle veut aider, tu la laisses faire? demandé-je incrédule. Même si elle met une pagaille épouvantable? – Oui, c’est comme ça que les enfants apprennent.»

Les parents occidentaux ne veulent pas que leur enfant participe à des activités comme la cuisine, car ils gagneraient du temps à le faire eux-mêmes (et ça engendrerait moins de chaos et de nettoyage).

Les mères autochtones au Mexique font souvent l’inverse: «Elles accueillent leur aide et la demandent même», raconte Rebeca, même si l’enfant se comporte de façon brutale. S’il arrache littéralement l’outil des mains du parent pour faire le travail à sa place (ça vous rappelle quelque chose?), le parent cédera et laissera l’enfant réaliser la tâche. 

Impliquer son enfant dans les tâches est la seule manière qu’il apprenne et expérimente sa place dans la famille.

Implicitement, le parent dit: «En aidant et en participant à ton niveau, tu es un membre actif de la famille.»

Pour solliciter l’envie naturelle d’aider, certains parents vont même jusqu’à rejeter intentionnellement les propositions d’aide des jeunes enfants, pour augmenter leur motivation à réaliser cette tâche par la suite !

Prenons l’exemple de Beto, un garçon de 2 ans qui veut aider son père à couler un sol en ciment, un travail trop difficile pour l’enfant. Au début, le père ignore les supplications de Beto. Puis il dit au garçon qu’il doit attendre une année de plus, il sera alors assez grand pour l’aider dans cette tâche. Le rejet implicite alimente d’autant plus le désir du garçon de participer. Il finit par attraper un outil et se met à lisser le ciment. Heureux de voir un tel enthousiasme chez son fils, le père sourit. Puis il regarde attentivement Beto et lui propose de simples rectifications: «Pas comme ça, mon bébé.» Lorsque Beto fait une grosse bêtise et pose le pied dans le ciment encore humide, le père relève l’erreur de Beto («Hé, bébé, tu as marché dedans… Tu as tout abîmé») et met un terme à la participation de Beto en lui disant que sa mère le cherche.

Quelles tâches donner aux enfants ?

La tâche doit être réelle et apporter une réelle contribution à la famille. Cette contribution n’a pas besoin d’être immense, mais elle ne doit pas être fabriquée. Par exemple, demander à un enfant de «balayer le sol» après que vous l’avez déjà fait n’est pas une tâche réelle. Un autre piège consiste à donner à l’enfant de «faux» instruments, comme de faux aliments, de faux ustensiles de cuisine ou de faux outils de jardin. Les enfants voient la différence. Ils savent qu’ils ne sont pas en train d’apprendre les «vraies» tâches.

Même un tout petit bonhomme titubant sur ses jambes peut accomplir des tâches: porter de l’eau, emprunter des allume-feu, aller chercher des feuilles, farcir le cochon…

  • Faire des courses «Monte chercher du papier toilette.» «Va chercher un oreiller dans la chambre.» «Va chercher de la menthe dans le jardin.»
  • Tenir ou porter des choses «Tiens la lampe pendant qu’on essaie de réparer le four.» •«Tiens l’assiette pendant qu’on retire les crêpes de la poêle.» •«Tiens la porte pendant qu’on sort les poubelles.»
  • Aider en cuisine •Remuer les sauces, les pâtes à gâteau et les vinaigrettes. •Casser les œufs. •Faire mariner les viandes et poissons. •Effeuiller les herbes. •Concasser des ingrédients avec un mortier et un pilon. •Couper ou peler des légumes.
  • Nettoyer rincer la vaisselle, mettre le produit dans le lave-vaisselle ou la machine à laver, nettoyer la table, passer l’aspirateur
  • Être «la maman», «le papa», «la grande sœur» ou «le grand frère». Exercez-les à être gentils avec leurs frères et sœurs en leur demandant de vous passer une couche propre, de jeter les sales, de ramasser les jouets du bébé, d’amuser bébé et de lui donner à manger et même de vous aider à préparer ses repas et biberons. Si le bébé pleure, prenez un instant pour voir si l’enfant veut vous aider avant de vous précipiter pour le prendre dans vos bras.

Quelles limites ?

Il y a quand même des limites à fixer

Les parents n’acceptent pas toutes les propositions d’aide de leur enfant et ne le laissent pas non plus faire tout ce qu’il veut, au hasard. Si la tâche est d’un niveau trop avancé pour l’enfant, l’adulte ignorera sa demande ou divisera la tâche en petites sous-tâches plus accessibles. Si l’enfant commence à gâcher de précieuses ressources, le parent le guidera pour qu’il soit plus productif ou lui demandera de partir, ou simplement d’observer et d’apprendre.

Et en cas de danger ?

Le parent intervient seulement en cas de danger, et il se limite au minimum : sécuriser l’environnement, donner des conseils de sécurité adaptés, et surveiller de près :

L’un des fils montra très tôt un intérêt pour cuisiner le porc. «La mère tenait l’enfant dans ses bras pendant qu’elle cuisinait.» Parfois, elle le laissait même piquer les morceaux pour les mettre dans une assiette. «Elle disait que c’était dangereux parce qu’il aurait pu se brûler. “Je le surveillais de près”, me racontait-elle.» Mais à l’âge de 9 ans, il contribuait déjà de manière significative à l’entreprise familiale. «Il était même capable d’abattre les animaux»

Si un enfant n’est pas prêt pour effectuer une tâche, comme cuisiner sur une cuisinière chaude ou coudre avec des aiguilles pointues, ne vous alarmez pas lorsqu’il propose son aide. Dites-lui de vous observer pendant que vous accomplissez la tâche. Ou donnez-lui un véritable ustensile pour qu’il s’exerce à côté de vous. Par exemple, donnez à un enfant motivé un morceau de tissu et du fil pendant que vous cousez ou une casserole et une cuillère pour qu’il s’entraîne à remuer.

Boîte à Idées (en vrac)

Mettre l’enfant dehors si il fait une crise

«Quand un enfant demande des choses qui dépassent l’entendement, les parents mayas l’envoient dehors.»

«Quand les jeunes enfants sont hors de contrôle, c’est qu’ils ont passé trop de temps dans la maison ou dans l’igloo. Faites-les sortir quelques minutes.»

«Les petits deviennent grincheux quand ils ont passé trop de temps à l’intérieur. Alors vous les empaquetez [c’est-à-dire que vous les mettez dans un porte-bébé], et vous sortez faire un tour.»

Si vous vivez en zone urbaine avec un espace extérieur restreint, comme c’est notre cas, vous pouvez prendre le petit dans vos bras, sortir avec lui sous le porche minuscule et rester silencieux. Si vous ne pouvez pas vous empêcher de lui parler, optez pour quelque chose comme: «Tu es en sécurité. Je t’aime.»

Ne pas faire la leçon à vif, attendre le calme.

je remarquai qu’une grande partie de l’éducation des enfants, chez les Inuits, se déroulait après qu’un enfant s’était mal conduit. Pas sur le moment, pas aussitôt après, mais plus tard, quand chacun avait retrouvé son calme. Dans ces moments paisibles, les enfants sont plus ouverts à l’apprentissage, observe Eenoapik Sageatook, 89 ans, qui vit à Iqaluit au Canada. Lorsqu’un enfant est contrarié ou qu’il désobéit au parent, il porte en lui une charge émotionnelle trop forte pour écouter. Il n’y a par conséquent aucune bonne raison de lui «faire la leçon» dans ces moments-là. «Il faut garder son sang-froid et attendre que l’enfant se calme. Ensuite seulement, il pourra apprendre», explique-t-elle.

Raconter des histoires pour modeler leur comportement

Une maison peut se trouver à quelques pas seulement du glacial océan Arctique. Au printemps, un bambin peut passer au travers de la glace qui commence à fondre; en été, les courants rapides peuvent balayer un enfant et l’emporter en mer. Alors, lorsqu’un petit de 3 ans s’enfuit en courant vers les eaux glaciales, ses parents doivent bien crier pour le garder en sécurité, pas vrai? Eh bien non

«À la place, nous utilisons les histoires pour que les enfants nous obéissent.» — Goota Jaw

les parents inuits racontent des histoires pour modeler le comportement des enfants.

«Il s’agit du Qalupalik, le monstre des mers. Si un enfant marche trop près de l’eau, le Qalupalik le mettra dans son amauti [sorte de parka], l’entraînera au fond de l’océan et le fera adopter par une autre famille.»

\ Les histoires comme celles-ci abondent dans l’éducation des Inuits. Pour s’assurer que les enfants gardent leur bonnet sur la tête en hiver et évitent les engelures, les parents se servent des aurores boréales, comme le raconte Myna Ishulutak :

«Nos parents nous disaient que si nous sortions sans bonnet, les aurores boréales allaient nous arracher la tête et s’en servir comme ballon de football. Nous étions terrifiés!» s’exclame-t-elle en éclatant de rire.

Les parents inuits ont aussi recours aux histoires pour transmettre des valeurs importantes, comme le respect

L’autrice a fait bon usage des histoires :

toutes sortes de monstres se sont installés chez nous. Pour Rosy, il n’y en a jamais assez. Les contes sont devenus un outil de base dans l’éducation de Rosy. Elle les appelle «histoires à emporter» parce que l’héroïne – une petite fille d’environ 3 ans – finit souvent par se faire emporter (exactement comme les enfants celtes et inuits aux mains des chevaux aquatiques et des monstres marins) […] Grâce à ces contes, j’ai enfin l’impression de parler la même langue que Rosy. Nous arrivons enfin à communiquer sans heurts.

Utiliser l’imaginaire c’est parler la langue des enfants. le but n’est pas de terrifier l’enfant au point qu’il fasse des cauchemars. Le but est de l’inviter à réfléchir, d’encourager un comportement et d’engager une discussion au sujet d’une valeur culturelle. Si le «facteur de la peur» vous rebute, songez que, dans la culture occidentale, nous avons aussi recours à la «peur» pour modeler le comportement. Les enfants peuvent craindre la colère de leurs parents ou les punitions. Sincèrement, je préfère que Rosy ait peur du «monstre du réfrigérateur» que de moi ou de son père.

Expliquez-leur les conséquences de leurs actes plutôt que de leur donner des ordres

Vous pouvez expliquer aux enfants les conséquences de leurs actes :

Rosy se précipite sur le pont en courant et je me mets à hurler: «Attends! Ne t’approche pas du bord!» Mais avant que les mots sortent de ma bouche, Elizabeth a déjà rejoint Rosy. Elle lui prend doucement la main et lui dit calmement: «Tu pourrais tomber et te blesser.» Et c’est à ce moment-là que ça me frappe: Elizabeth et moi avons des manières complètement différentes de parler à Rosy. Mes ordres commencent presque toujours par «ne… pas»: «Ne monte pas sur cette chaise», «Ne renverse pas ton lait», «N’arrache pas ce jouet des mains du bébé», «Ne fais pas ci, ne fais pas ça». Mais Elizabeth n’utilise jamais – ou rarement – la négation. Elle, comme de nombreux parents inuits que j’ai rencontrés, adopte une approche plus fructueuse dans les ordres qu’elle émet. Les parents disent aux enfants ce qui se passera s’ils continuent à mal se comporter. Ils disent aux enfants quelles sont les conséquences de leurs actes.

Une alternative est de poser une question qui oblige l’enfant à prendre conscience :

  • «Rosy, es-tu en train de faire mal au chien?» ou «Qui est méchante avec le chien?»

Si votre enfant donne une tape ou s’en prend à son frère ou sa sœur, par exemple –, le parent dit quelque chose du type «Aïe! Ça fait mal» ou «Aïe! Tu fais mal à ton frère» pour montrer à l’enfant les conséquences de son acte. Mais il ne crie pas ni ne le punit.

Utilisez le jeu théâtral pour que les enfants comprennent la portée de leurs actes

Si quelque chose a vraiment du mal à s’intégrer chez l’enfant, le jeu théâtral peut permettre à l’enfant de mieux comprendre la portée de ses actes :

Selon le récit de Jean Briggs, les parents ont recours au jeu théâtral pour faire face à tout comportement problématique ou toute transition traversée par le jeune enfant. Par exemple, si un tout-petit a du mal à partager avec ses frères et sœurs, son père mettra en scène une «pièce du partage» dans laquelle il incitera l’enfant à être cupide. «Ne partage pas ta nourriture avec ton frère», dira-t-il à son enfant pendant qu’il prend son goûter. Si l’enfant ne partage toujours pas, le père mimera les conséquences. «Tu n’aimes pas ton frère? Le pauvre, il a faim.» Le parent rejoue régulièrement la scène jusqu’à ce que l’enfant ne tombe plus dans le piège. Lorsque l’enfant se comporte correctement, le parent peut le féliciter d’un simple «regarde comme Chubby Maata est généreuse», relate Jean.

Voici un autre exemple de jeu théâtral pour évacuer les tensions au moment de se coucher :

Larry conseille d’attendre un moment calme et paisible dans la journée (pas au moment du coucher) et de dire à l’enfant quelque chose comme: «Hé, Rosy, j’ai remarqué qu’on se fâche beaucoup au moment d’aller au lit. On pourrait faire un jeu sur le coucher.» Ensuite, vous pouvez attendre de voir si l’enfant a déjà une idée de jeu en tête et la laisser l’expliquer. Si ce n’est pas le cas, demandez-lui tout simplement: «Qui veux-tu être dans le jeu? Tu veux jouer la maman et moi Rosy?» Puis, vous et l’enfant rejouez, sur un ton léger, ce qui se passe lorsqu’elle refuse d’aller se coucher et que vous vous impatientez ou vous mettez en colère. «N’ayez pas peur d’être délirant et d’exagérer à l’extrême les mauvais comportements et ses répercussions, souligne Larry. L’objectif, c’est de rire, de s’amuser et de relâcher les tensions accumulées autour de ce problème. Plus c’est délirant, mieux c’est.» Certains parents craignent de montrer le mauvais exemple. Mais, selon Larry, les enfants font très bien la différence entre le jeu et la vraie vie. «Dans ce type de jeux, l’enfant ne va pas se souvenir de l’“exemple”. Il se souviendra du lien humain, de la créativité et de la libération des tensions.»

Arrêtez de laisser le choix et agissez directement

Proposer des options génère souvent des négociations, des décisions inutiles et, au bout du compte, des larmes.

Dans la grande majorité des cultures, et depuis le début de l’histoire de l’humanité, les parents ne discutent pas avec les enfants de leur prochaine activité, ils ne débattent pas avec eux pour savoir s’ils préfèrent un sandwich au jambon ou des pâtes pour le dîner. Ils ne posent pas de questions commençant par «Veux-tu»: «Veux-tu du beurre ou de la sauce tomate dans tes pâtes?», «Veux-tu aller faire les courses avec moi?», «Veux-tu prendre un bain?». Les parents agissent. La mère prépare des haricots noirs pour le dîner; le père enfile sa veste et sort faire les courses; la grand-mère va à la salle de bains et fait couler l’eau dans la baignoire. Je pense que ce mode d’éducation est l’une des raisons majeures pour lesquelles les enfants sont si calmes dans ces cultures. Moins de paroles crée moins de résistance. Moins de paroles engendre moins de stress. Paroles et consignes sont stimulantes, elles véhiculent de l’énergie et entraînent souvent des disputes.

Le jour de la famille

Faites du samedi ou du dimanche votre jour d’adhésion familiale. Ce jour-là, tous les membres de la famille sont traités de la même manière et sont invités à pratiquer les mêmes activités. Remplacez les activités centrées sur les enfants et les divertissements réservés aux enfants (y compris les jeux et ce qu’ils regardent à la télévision et sur YouTube) par des activités centrées sur la famille et les adultes. Concentrez-vous sur l’immersion de l’enfant dans le monde des adultes. Occupez-vous de la maison, du jardin ou du bureau. Allez faire les courses ensemble.

Faire des trucs cool avec ses enfants

Faites un pique-nique dans un parc en famille ou entre amis. Allez à la pêche. Allez à la plage pour lire ou travailler pendant que les enfants jouent. Invitez des amis à dîner et impliquez les enfants dans les préparatifs: ils peuvent s’occuper des serviettes, des menus, des boissons et de tous les trucs sympas. Participez à une activité organisée par votre communauté convenant à tous les âges. Ou faites du bénévolat là où les enfants sont les bienvenus: banque alimentaire, soupe populaire, jardin partagé, groupe d’entretien des sentiers. Tout au long de la journée, essayez de vous dire: Ce n’est pas mon boulot de divertir les enfants. C’est leur boulot de faire partie de l’équipe.

Trouver un temps de pause

Prenez chaque jour un moment qui ne soit pas consacré à divertir ou à instruire vos enfants. Lancez-vous progressivement, disons cinq minutes à la fois. Puis augmentez la durée jusqu’à pouvoir le faire toute une journée, le samedi ou le dimanche.

Provient de : Chasseur, Cueilleur, Parent

Footnotes

  1. Plus de 60% des étudiants de premier cycle disent se sentir «submergés» par l’anxiété aux USA.

Lien vers l'original

En quelques images

Éducation TEAM centrée sur la famille et les besoins de tous :

Opposé à l’éducation trop libre centrée sur l’enfant, qui a le pouvoir :

Ou encore à celle trop centrée sur le parent qui décide de tout :

Car les conséquences sont graves :

Il vaut donc mieux montrer le bon exemple, comme montrer le partager :
En utilisant toujours le même modèle d’apprentissage, on peut inculquer de nombreuses choses à l’enfant :

  1. Donner des occasions de pratiquer à l’enfant
  2. Montrer l’exemple du bon comportement
  3. Montrer de la reconnaissance (un peu, si nécessaire)

Highlights

Prologue

Après l’arrivée de Rosy dans nos vies, ces voyages ont pris un tout autre sens. Je commençais à observer les pères et les mères autour du monde, avec l’œil non pas de la journaliste ou de la scientifique, mais plutôt du parent épuisé, en quête désespérée d’une bribe infime de sagesse parentale. Il existe forcément une meilleure manière de faire que la mienne, pensais-je. Il y en a forcément une. Et soudain, au cours d’un voyage dans le Yucatán, je l’ai vue: cette façon universelle d’éduquer un enfant, intime et personnelle. Cette expérience m’a profondément ébranlée. En rentrant chez moi après ce voyage, j’ai amorcé un changement radical d’orientation dans ma carrière. Plutôt que d’étudier les virus et la biochimie, je voulais en apprendre le plus possible sur cette manière d’entrer en relation avec les petits humains, cette façon infiniment douce et bienveillante d’élever des enfants serviables et autonomes.

Prologue

Si vous tenez ce livre entre les mains, tout d’abord, merci. Merci pour votre temps et votre attention. Je sais à quel point ils sont précieux pour un parent. Avec le soutien d’une équipe fantastique, j’ai travaillé dur pour que ce livre en vaille la peine, pour vous et votre famille. Ensuite, il y a des chances que vous ayez déjà ressenti la même chose que mon mari et moi: un besoin désespéré de conseils et d’outils plus pertinents. Vous avez peut-être déjà lu plusieurs livres et, tel un scientifique, expérimenté plusieurs méthodes avec vos enfants. Au début, peut-être étiez-vous enthousiaste, parce que l’expérience semblait prometteuse, tout ça pour vous sentir encore plus désemparé au bout de quelques jours quand, hélas, elle a échoué. J’ai expérimenté ce cycle frustrant pendant les deux premières années et demie de la vie de Rosy. Mes tentatives échouaient, les unes après les autres. L’un des objectifs majeurs de ce livre est de vous aider à sortir de ce cycle de frustrations. En vous familiarisant avec l’approche éducative universelle, vous aurez un aperçu de la façon dont on élève les enfants depuis des dizaines de milliers d’années, de la façon dont ils sont câblés pour être élevés. Vous commencerez à comprendre les raisons des comportements débordants et vous vous sentirez mieux armé pour les traiter à la racine. Vous apprendrez une façon d’entrer en relation avec les enfants éprouvée pendant des millénaires par des mères et des pères sur cinq continents, mais aujourd’hui absente des autres livres sur l’éducation des enfants.

Prologue

L’hymne de bataille de la mère Tigre d’Amy Chua nous offre un regard fascinant sur l’approche chinoise pour élever des enfants qui réussissent

Prologue

Aujourd’hui, comme l’ont montré des chercheurs de Harvard, environ un tiers des adolescents a éprouvé des symptômes qui répondent aux critères des troubles anxieux. Plus de 60% des étudiants de premier cycle disent se sentir «submergés» par l’anxiété, et la génération Z, comprenant des adultes nés entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000, est la plus solitaire depuis des décennies

Prologue

Pourtant, le mode d’éducation prédominant, aux États-Unis notamment, va dans une direction qui exacerbe ces problèmes au lieu de les freiner. «Les parents ont enclenché le mode contrôle», déclarait la psychothérapeute B. Janet Hibbs en 2019. «Avant, ils prônaient l’autonomie… Mais à présent, ils exercent de plus en plus de contrôle, ce qui rend leurs enfants plus anxieux et aussi moins préparés à l’imprévisible.»

Prologue

Si l’état «normal» pour un adolescent dans notre culture, c’est l’anxiété et la solitude, il est peut-être temps pour les parents de réexaminer ce qui est «normal» dans notre mode d’éducation.

Prologue

C’est un autre objectif de ce livre: commencer à combler les lacunes dans notre savoir éducatif. Et pour ce faire, nous allons nous concentrer sur des cultures qui disposent d’une quantité immense de connaissances utiles: les chasseurs-cueilleurs et d’autres cultures autochtones aux valeurs similaires. Ces cultures affûtent leurs stratégies éducatives depuis des milliers d’années. Les grands-mères et les grands-pères transmettent leurs savoirs de génération en génération, armant les jeunes parents de coffres immenses remplis d’outils aussi divers que puissants. Les parents savent donc comment obtenir de leurs enfants qu’ils accomplissent des tâches domestiques sans avoir à le leur demander, comment faire coopérer les frères et sœurs (au lieu de se battre), comment discipliner sans crier, sans gronder et sans mettre les enfants à l’écart. Ils excellent dans l’art de la motivation et sont experts dans le développement des fonctions exécutives des enfants, y compris d’aptitudes telles que la résilience, la patience et le contrôle de la colère.

Prologue

Le plus frappant, dans bien des cultures de chasseurs-cueilleurs, est que les parents construisent avec les jeunes enfants une relation sensiblement différente de celle qui est encouragée dans nos sociétés occidentales: une relation fondée sur la coopération plutôt que sur le conflit, sur la confiance plutôt que sur la peur et sur les besoins personnalisés plutôt que sur des jalons standardisés du développement.

Prologue

Les mères mayas sont maîtresses dans l’art d’élever des enfants serviables. Elles ont développé une forme sophistiquée de collaboration qui enseigne aux membres d’une fratrie non seulement la bonne entente, mais aussi l’art de travailler ensemble. Les parents hadza sont les experts mondiaux pour élever des enfants confiants et autonomes; l’anxiété et la dépression qu’on observe dans nos sociétés occidentales n’existent pas dans les communautés hadza. Et les Inuits ont développé une approche remarquablement efficace pour apprendre aux enfants l’intelligence émotionnelle, notamment en matière de maîtrise de la colère et de respect mutuel.

Prologue

Nous verrons que nous faisons souvent les choses à l’envers en matière d’éducation: nous interférons trop. Nous n’avons pas assez confiance en nos enfants. Nous n’avons pas confiance en leur capacité innée à savoir ce dont ils ont besoin pour grandir. Et, dans bien des cas, nous ne parlons pas leur langage.

Prologue

En particulier, notre culture se concentre presque entièrement sur un aspect de la relation parent-enfant: le contrôle. Le degré de contrôle exercé par le parent sur l’enfant et le degré de contrôle que l’enfant essaie d’exercer sur le parent. Les «modes» éducatifs les plus courants tournent tous autour du contrôle. Les parents hélicoptères exercent un contrôle maximal sur leurs enfants. Les parents privilégiant une éducation «en liberté» les soumettent quant à eux à un contrôle minimal. Dans notre culture, on part du principe que le contrôle est détenu soit par l’adulte, soit par l’enfant.

Prologue

Cette vision de l’éducation pose un problème majeur: elle dresse le décor des luttes de pouvoir, avec les conflits, les cris et les larmes qui les accompagnent. Personne n’aime être contrôlé. Les enfants comme les parents se rebellent contre cela. Aussi, lorsque nous nous fondons sur le contrôle pour interagir avec nos enfants – que ce soit le parent qui se fasse obéir par l’enfant ou l’inverse –, nous établissons une relation antagoniste. Des tensions se créent. Des disputes éclatent. Les bras de fer sont inévitables. Pour un petit âgé de 2 ou 3 ans, qui ne peut réguler ses émotions, ces tensions se muent en une éruption physique.

Prologue

Vous n’avez peut-être même pas conscience du nombre de vos difficultés parentales reposant sur la question du contrôle. Mais lorsqu’on supprime le contrôle de l’équation (ou du moins qu’on le réduit), la rapidité à laquelle les luttes et les résistances se dissipent est incroyable;

Prologue

Vous découvrirez à travers ce livre une autre dimension de l’éducation, largement négligée dans notre société au cours des cinquante dernières années, une façon d’entrer en relation avec les enfants qui n’a rien à voir avec le contrôle, qu’il s’agisse de s’en saisir ou de le céder.

Prologue

La dernière chose que je souhaite, c’est que ce livre, quel que soit le passage, vous donne l’impression de mal faire votre travail de parent. Nous sommes déjà tous, parents, tellement pétris de doutes et de complexes. Je ne veux pas en rajouter. Si cela se produisait, je vous en prie, envoyez-moi un courriel et faites-le-moi savoir aussitôt. Mon objectif est l’exact opposé: vous donner les moyens d’agir et vous hisser dans votre rôle, tout en vous fournissant un ensemble d’outils et de conseils qui font aujourd’hui défaut dans les discussions sur l’éducation

Prologue

En Occident, on se concentre souvent sur les difficultés et les problèmes de ces cultures. On a même tendance à réprimander les parents issus de cultures différentes lorsqu’ils ne suivent pas les mêmes règles que nous. Il arrive aussi qu’on s’égare un peu trop loin dans la direction opposée et qu’on adopte une vision romancée de ces cultures: on s’imagine qu’elles détiennent une «magie ancestrale» ou qu’elles vivent dans une sorte de «paradis perdu». Ces deux points de vue ne pourraient être plus faux. Indubitablement, la vie dans ces cultures peut être difficile, comme elle peut l’être dans toute culture. Les communautés et les familles ont connu et connaissent encore des tragédies, des maladies et des périodes difficiles (parfois du fait de la culture occidentale). Comme vous et moi, ces parents travaillent très dur et cumulent souvent plusieurs emplois. Ils commettent des erreurs avec leurs enfants et se retrouvent à regretter certaines décisions. Comme vous et moi, ils ne sont pas parfaits. En même temps, aucune de ces cultures n’est une relique ancienne figée dans le temps. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Les familles présentes dans ce livre sont aussi «contemporaines» (faute d’un meilleur terme) que vous et moi. Elles ont des cellulaires, elles vont sur Facebook (souvent), elles regardent Les Experts et adorent La Reine des Neiges et Coco. Les enfants mangent des Kellogg’s au petit déjeuner et regardent des films avant de se coucher. Les adultes sont pressés que les enfants se préparent pour aller à l’école le matin et se retrouvent entre amis le samedi soir autour d’une bière.

Prologue

Mais ces cultures ont bien quelque chose qui fait aujourd’hui défaut à la culture occidentale: des traditions éducatives profondément enracinées et la richesse des connaissances qui en découlent. Et il ne fait aucun doute que les parents présentés dans ce livre ont un don incroyable pour communiquer avec les enfants, les motiver et coopérer avec eux.. Une ou deux heures passées avec ces familles suffisent à vous en convaincre.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

Joe et Steve remarquèrent un motif qui se répétait: les Européens et les Américains avaient tendance à se comporter différemment des autres cultures. «Nous étions les données aberrantes des expériences, fit remarquer Joe. Steve et moi étions sidérés. Nous avons commencé à nous interroger: “Était-il possible que les Nord-Américains soient les personnes les plus bizarres du monde?”» À ce stade, cette idée n’était qu’une hypothèse qui avait surgi lors d’un déjeuner. Mais Joe et Steve étaient tellement intrigués qu’ils décidèrent de procéder à quelques tests. Le duo embrigada son collègue Ara Norenzayan, un psychologue spécialisé dans l’étude de la manière dont les religions se propagent et encouragent la coopération. Ensemble, le trio se mit à examiner méthodiquement des dizaines d’études en psychologie, en sciences cognitives, en économie et en sociologie. L’équipe remarqua immédiatement un problème majeur. La psychologie a un biais considérable. La vaste majorité des études – environ 96% – n’étudient que des personnes d’ascendance européenne. Pourtant, les personnes d’origine européenne ne représentent qu’environ 12% de la population mondiale. Selon Joe, «le champ de la psychologie tout entier n’étudie donc qu’une fine tranche de l’humanité». Un tel biais occidental ne constitue pas un problème si le but de la recherche est de comprendre les comportements et les manières de penser des Occidentaux. Mais cela devient un problème majeur si l’objectif est de comprendre comment les humains pensent et se comportent, en particulier lorsque la tranche d’humanité que vous étudiez est vraiment, vraiment étrange – comme s’avèrent être les Occidentaux.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

La conclusion de ces analyses était étonnante: les personnes issues des sociétés occidentales, «y compris les jeunes enfants, comptent parmi les populations les moins représentatives que l’on puisse trouver pour établir des généralités sur les êtres humains», écrivait l’équipe de chercheurs en 2010. Ils imaginèrent un acronyme accrocheur pour décrire le phénomène: ils qualifièrent notre culture de «WEIRD» – qui signifie «bizarre» en anglais – pour désigner les sociétés Western («occidentales»), Educated («instruites»), Industrialized («industrialisées»), Rich («riches») et Democratic («démocratiques»).

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

Les personnes «WEIRD» sont bizarres à plus de douze niveaux, concluait l’étude, y compris dans leur manière de coopérer entre elles, d’attribuer des sanctions, de concevoir l’équité, de penser le «soi», de valoriser le choix et de voir l’espace en trois dimensions. Prenons par exemple l’illusion d’optique dont nous parlions précédemment. Dans les années 1950 et 1960, les chercheurs testèrent l’illusion de Müller-Lyer dans au moins quatorze cultures, et notamment auprès de pêcheurs nigérians, de cueilleurs dans le désert du Kalahari et de chasseurs-cueilleurs des zones rurales de l’Australie. Ils la soumirent également à des Sud-Africains d’ascendance européenne, ainsi qu’à des adultes et à des enfants d’Evanston, dans l’Illinois. L’expérience était simple. Les chercheurs montraient l’illusion aux personnes et demandaient quelle différence leur apparaissait entre les deux lignes. Ce qu’ils découvrirent était tellement surprenant que certains psychologues eurent du mal à le croire et débattent encore aujourd’hui des causes sous-jacentes des résultats. Les Américains étaient assez sensibles à l’illusion. En moyenne, les volontaires dans l’Illinois pensaient que la ligne B était 20% plus longue que la ligne A. Ces conclusions correspondaient à celles des études précédentes. Rien de nouveau ici. Mais lorsque les chercheurs se penchèrent sur les résultats dans les autres cultures, les choses devinrent intéressantes. Dans certaines cultures autochtones, comme les chasseurs-cueilleurs d’Afrique australe et les fermiers en Côte d’Ivoire, les gens ne se laissaient pas du tout leurrer par l’illusion. Ils voyaient les deux lignes telles qu’elles étaient effectivement dessinées, de longueur égale.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

 procédant au test de Müller-Lyer au sein de diverses cultures, les chercheurs révélèrent une fissure considérable dans les fondements de la psychologie. Leurs conclusions montrèrent que la culture et l’environnement dans lequel on grandit peuvent façonner profondément les fonctions cérébrales élémentaires, comme la perception visuelle.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

si appartenir à une culture déforme une chose aussi simple que la perception de deux lignes noires sur une page, comment notre culture peut-elle influencer des processus psychologiques plus complexes? Quels peuvent être ses effets sur notre philosophie éducative ou sur notre manière de percevoir le comportement des enfants? Et si certaines des idées que nous considérons comme des «universaux» en matière d’éducation étaient en réalité des «illusions d’optique» créées par notre culture?

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

je pris conscience de l’ampleur du fossé qui existe aujourd’hui dans les conseils à la parentalité. Ces conseils et méthodes sont presque exclusivement inspirés de la vision occidentale

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

la culture occidentale est relativement novice pour ce qui est d’élever des enfants. Sur la scène mondiale de l’éducation, nous sommes les ingénus. Beaucoup de nos méthodes ne sont en circulation que depuis une centaine d’années – parfois seulement quelques décennies. Ces pratiques n’ont en aucun cas «résisté à l’épreuve du temps». Maintes fois, nos conseils font si rapidement volte-face d’une génération à l’autre que c’en est étourdissant. Prenez par exemple la position recommandée pour faire dormir un bébé. Quand ma mère a accouché, les médecins lui ont dit de faire dormir la petite Michaeleen sur le ventre. Aujourd’hui, on considère ce conseil comme extrêmement dangereux, proche de la négligence, depuis qu’on a montré que faire dormir les nouveau-nés sur le ventre augmentait les risques de mort subite du nourrisson (MSN).

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

les compliments sont-ils la meilleure manière de motiver un enfant? Est-ce le travail des parents de constamment stimuler et distraire les enfants? La parole est-elle le moyen de communication idéal avec un enfant en bas âge? Les consignes verbales sont-elles véritablement la meilleure manière d’apprendre des choses aux enfants? Selon David, beaucoup de ces idées occidentales compliquent en fait l’éducation des enfants et vont fréquemment à l’encontre des instincts naturels de l’enfant.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

Dans la culture occidentale, on considère généralement que la structure familiale idéale se compose d’une mère, d’un père et de leurs jeunes enfants, vivant ensemble sous le même toit. Et pour parfaire cette structure, certains diront que la mère doit rester à la maison et consacrer toute son attention au soin des enfants. C’est le plus «traditionnel», n’est-ce pas*? Pas le moins du monde. Quand on regarde autour du globe – et qu’on enquête dans l’histoire de l’humanité –, on découvre que la famille nucléaire (et la mère pour qui l’éducation des enfants serait le seul travail) est sans doute l’une des structures les moins traditionnelles qui soient. Pendant 99,9% du temps que l’être humain a passé sur Terre, la famille nucléaire n’existait tout simplement pas. «C’est une structure familiale qui n’existe que depuis une période infime de l’histoire de l’humanité», explique John Gillis, historien à l’Université Rutgers, qui étudie depuis plus de trente ans l’évolution des familles occidentales. «Elle n’est pas ancienne. Elle n’est pas traditionnelle. Elle n’a pas de racines réelles dans le passé.» Et les enfants humains n’évoluèrent certainement pas pour être élevés ainsi. Au sein de la famille nucléaire, il manque des enseignants essentiels dans la vie d’un enfant. Pendant des centaines de milliers d’années, l’éducation des enfants était une affaire multigénérationnelle. Les enfants évoluaient au contact d’un tas de gens de tous les âges: arrière-grands-parents, grands-parents, oncles, tantes, amis de la famille, voisins, cousins et l’ensemble des enfants collés à leur train.

NOTE

La famille nucléaire en cause

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

Au fil des mille dernières années, la famille occidentale se réduisit lentement, passant d’un buffet scandinave multigénérationnel à un minuscule amuse-bouche, composé uniquement de Maman, Papa, deux enfants et éventuellement un chien ou un chat. Nous ne perdîmes pas seulement Grand-Mère, Grand-Père, Tante Claudine et Oncle Michel à la maison, mais aussi nounou Lena, chef Daniel et toute la flopée de voisins et de visiteurs qui traînaient sous le porche ou dormaient sur le canapé. Une fois ces personnes écartées du foyer, la majeure partie de la charge parentale retomba sur les épaules de la mère et du père. C’est ainsi que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les parents se retrouvent soudain à faire cette chose follement difficile qu’est l’éducation des enfants, tout seuls (parfois même en solo).

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

«L’idée de deux personnes s’occupant seules d’un enfant est tout simplement absurde. Complètement absurde, ajoute John. Deux personnes assument tout le travail qui incombe à plusieurs personnes.» David Lancy compare cette approche de la parentalité à ce qui se produit lorsque le blizzard piège une mère et son enfant, seuls, dans une maison. L’isolement oblige la mère à être la seule camarade de l’enfant, sa seule source d’amour, son seul lien social, son seul divertissement et sa seule stimulation. Ces conditions entraînent tension et épuisement. «Tout porte à croire que les conditions de la vie moderne dans lesquelles les nourrissons et les tout-petits sont isolés de leurs pairs dans des foyers monoparentaux ou nucléaires produisent un effet parallèle», écrit David dans son livre.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

Cet isolement – le fait de piéger nos familles dans des blizzards virtuels – ne fut probablement pas très bénéfique pour la santé mentale des parents et des enfants. Beaucoup de psychologues avec lesquels je me suis entretenue pensent que l’érosion de la famille élargie est l’une des causes profondes du nombre élevé de dépressions post-partum et de l’épidémie croissante d’anxiété et de dépression chez les enfants et les adolescents. Les mères, les pères et les enfants sont tout simplement isolés.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

Cet isolement a une autre répercussion néfaste: les parents ont perdu leurs conseillers. Et nous avons sans doute oublié l’importance de ces conseillers.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

Dans la culture occidentale, on a tendance à considérer la maternité comme «un instinct qui survient aussi naturellement chez les femmes que les pulsions sexuelles chez les hommes», comme l’écrit John Gillis dans son ouvrage A World of Their Own Making. Mais en réalité, élever un enfant est une compétence acquise. Et les sources de savoir traditionnelles sont les femmes et les hommes ayant déjà s élevé quelques jeunes effrontés: les grands-mères, grands-pères, tantes, oncles et voisins serviables qui fourrent leur nez partout. Une fois les anciennes générations éliminées du foyer, leurs savoirs et compétences éducatives disparurent avec elles. Les nouveaux pères et mères furent livrés à eux-mêmes pour comprendre les bases de l’éducation: comment aider un bébé à faire ses nuits, apaiser un tout-petit qui pique une colère et apprendre à une grande sœur à aimer son petit frère, et pas à le taper.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

En d’autres termes, la création de la famille nucléaire remodela notre façon d’élever nos enfants, mais aussi notre façon d’apprendre à élever nos enfants. Adieu, Grand-Mère. Adieu, Tante Carole. Adieu connaissances éducatives, compétences, bras supplémentaires pour porter, cuisiner et caresser de petits dos à l’heure du coucher. Bonjour isolement, épuisement et stress.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

je me demandais tout de même si un événement clé n’avait pas déclenché une avalanche de changements dans la culture occidentale, pour finir, au bout de quelques centaines d’années, par plonger les parents dans un état de stress et d’épuisement qu’on appelle aujourd’hui maternité et paternité. C’est pourquoi, pendant des mois, j’appelai des historiens et des psychologues pour leur poser la même question: pourquoi notre approche de la parentalité est-elle aussi bizarre? Chacun me fit une réponse différente: le siècle des Lumières, le capitalisme, la révolution industrielle, la chute de la mortalité infantile, la baisse du nombre d’enfants par famille, notre amour de l’intimité. La réponse a clairement de multiples facettes. Mais j’appelai alors Joe Henrich, l’un des trois psychologues à l’origine du terme «WEIRD». Et diantre, que sa réponse me surprit! «Eh bien, figurez-vous que je suis en train d’écrire un livre intitulé WEIRD, dans lequel je tente d’expliquer comment les Occidentaux sont devenus aussi bizarres sur le plan de la psychologie. La clé réside en fait dans l’Église catholique. – Hein? Comment ça?» Pendant les vingt minutes qui suivirent, Joe me détailla les résultats fascinants de sa nouvelle étude. Il y a quelques milliers d’années, les familles européennes étaient très semblables à celles de bien d’autres cultures aujourd’hui: élargies, multigénérationnelles et soudées. Leurs maisons étaient des structures poreuses où les proches, les domestiques, les employés, les vieux voisins fidèles et les amis allaient et venaient sans trop d’histoires. De leur côté, les enfants jouissaient d’une très grande autonomie. Cette gigantesque structure familiale formait une carapace protectrice autour des enfants et des tout-petits. Les pères et les mères n’avaient pas besoin de planer au-dessus d’eux, puisqu’il y avait toujours un autre adulte – ou un enfant plus âgé dégourdi et attentionné – dans les parages pour aider. Par conséquent, les enfants au Moyen Âge (et tout au long de la majeure partie de l’histoire de l’Occident) vivaient en grande partie sans recevoir de consignes et directives de la part des adultes, dès l’âge de 6 ans environ. Ils pouvaient avoir des obligations et des responsabilités à la maison, mais dans l’ensemble, ils instauraient leurs propres règles et décidaient eux-mêmes ce qu’ils faisaient de leurs journées. Les parents gardaient toutefois la main sur un aspect essentiel de la vie de leurs enfants: le mariage. Cette idée peut vous faire frémir, mais je vous demande un peu de patience, car il existait une raison impérieuse à cette participation des parents. Dans bien des cas, les parents encourageaient fortement leurs enfants à se marier avec un proche de la famille (ou réussissaient à les amadouer); par exemple un cousin éloigné, un membre de la famille par alliance ou les enfants d’un parrain ou d’une marraine, m’expliqua Joe. Les gens considéraient que ces mariages restaient «au sein de la famille», mais dans la majorité des cas il n’existait pas de raison «biologique» d’interdire ces unions. Les mariés n’étaient pas unis par le sang ni assez proches pour entraîner des problèmes de santé dus à la consanguinité. Ces unions servaient un but fondamental. Elles formaient comme un fil qui maintenait unies les familles élargies. Grâce à ces fils, les familles tissaient des tapisseries solides et colorées. Les mariages permettaient de conserver la terre et la propriété au sein du clan. Avec le temps, le clan acquérait argent, prestige et pouvoir. Et, ce qui nous importe sans doute le plus ici, le clan fournissait aux parents une aide abondante. Les familles restaient nombreuses et les enfants pouvaient être autonomes tout en étant (relativement) en sécurité.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

si on y réfléchit, on peut assurément voir comment le rétrécissement de la famille élargie a pu jouer un rôle dans le développement de l’individualisme extrême que l’on observe dans les sociétés «WEIRD» et modifier radicalement notre façon de traiter les enfants

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

Quand on grandit dans une grande famille élargie, on a tout un tas d’obligations et de responsabilités les uns à l’égard des autres. On doit s’occuper d’un petit frère, aider une grand-mère souffrante ou préparer les repas pour ses cousins. Il faut tenir compte des besoins d’autrui et prendre les choses comme elles viennent. Vos besoins individuels passent après la socialisation et la coopération. Vous êtes un petit poisson nageant dans un étang bondé où chacun est relié aux autres. Lorsque la famille passe à table, tout le monde mange le même plat, issu de la même casserole. Il n’y a pas d’autre choix. De nos jours, avec la famille réduite à deux adultes mariés et deux enfants, beaucoup de ces obligations s’envolent. La coopération n’est pas nécessaire. Le cercle est de plus en plus privé. Nous perdons les aptitudes nécessaires pour composer avec les autres et tenir compte d’autrui. Nous disposons du temps et de l’espace pour les besoins et préférences de chacun. En une centaine d’années, on finit par aboutir à une situation comme celle qu’on observe chez moi certains soirs: à table, chacun mange un plat différent, accommodé d’une sauce différente, et chacun y va de son propre avis sur la manière dont ce plat devrait être préparé et mangé. L’individualisme règne en maître. Et les enfants – la vache! – peuvent devenir vraiment autoritaires.

Chapitre 1. Les parents les plus bizarres du monde

Selon votre éducation, l’idée de la mère au foyer vous semble peut-être désuète. Mais il y a à peine plus de quatorze ans, 41% des personnes interrogées pensaient qu’il était dangereux pour la société que les femmes travaillent en dehors de leur foyer, selon une étude rapportée par le Pew Research Center en 2007.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Lorsque je suis devenue mère, j’avais le sentiment que notre manière d’élever nos enfants aujourd’hui était celle qui avait toujours existé. Que les mères et les pères s’étaient toujours adressés de la même façon aux bébés et aux jeunes enfants. Que nous avions toujours instruit et stimulé les enfants comme nous le faisons. Nous les avions toujours noyés sous les jouets, les babioles et les compliments. Depuis toujours, lorsqu’un enfant de 3 ans met son assiette dans l’évier après le dîner, tous les parents s’exclament d’une voix aiguë: «Oh, c’est fantastique! Tu nous aides beaucoup.»

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Puis, un an environ après avoir accroché le tableau du médecin sur notre réfrigérateur, je tombai par hasard sur l’un des livres les plus remarquables que j’avais jamais lus. Je ne me rappelle pas où je l’avais trouvé. Ce n’est pas un best-seller. Je pense qu’il se classe au 4 000e rang des ventes Amazon dans la rubrique Éducation et soin des enfants. Et il est relativement dense – le lire en entier me prit des mois. Mais chaque minute en valait la peine. Ce livre changea à lui seul ma façon de considérer les «conseils éducatifs» et notre approche culturelle à l’égard des enfants. Au début des années 1980, l’autrice britannique Christina Hardyment se retrouva dans une situation délicate: elle avait quatre enfants de moins de 6 ans.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Elle était submergée par tous les conseils prodigués par les médecins, journalistes et auteurs. Si bien qu’elle finit par se méfier desdits conseils. Hum, pensa-t-elle exactement comme moi. Je me demande quand même d’où viennent ces connaissances. Christina entreprit donc un projet considérable. Elle lut et analysa plus de 650 livres et manuels de puériculture, datant parfois du milieu du XVIIIe siècle; autour de cette époque, les «experts» se mirent à écrire des manuels pour «parents intelligents» et le domaine de la pédiatrie émergea comme une discipline à part entière. Le livre résultant de ses recherches, intitulé Dream Babies, retrace l’histoire de l’éducation des enfants, de John Locke au xviie siècle à l’émergence de William et Martha Sears dans les années 1990.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

La conclusion du livre révèle un énorme mensonge: la plupart des conseils éducatifs aujourd’hui en circulation ne se fondent ni sur des «études scientifiques ou médicales» ni sur des savoirs traditionnels transmis de mère en mère au fil des siècles. Au lieu de cela, une grande partie de ces informations proviennent de brochures vieilles de plusieurs siècles – souvent écrites par des médecins hommes – destinées aux hôpitaux pour enfants abandonnés, où des infirmières s’occupaient en même temps de dizaines, voire de centaines de bébés. À travers ces brochures, les médecins essayaient essentiellement d’industrialiser les soins apportés aux nourrissons. Mais leurs publications trouvèrent un autre public avide de conseils: les mères et les pères épuisés. Au fil du temps, la longueur et la portée de ces brochures médicales augmentèrent. Elles finirent par se transformer en livres de conseils tels que nous les connaissons aujourd’hui

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Prenons par exemple l’idée que les bébés doivent s’alimenter suivant un planning précis, toutes les deux heures, comme me l’avait dit la pédiatre. Ce conseil remonte à l’année 1748, lorsque le Dr William Cadogan rédigea un essai à l’intention des infirmières du Foundling Hospital de Londres, une institution qui accueillait près de cent bébés chaque jour. Il est évident que le personnel ne pouvait nourrir (ni câliner) un tel nombre de bébés chaque fois qu’ils pleuraient (ou «à la demande», comme on dit). Le médecin recommanda ainsi qu’on les nourrisse quatre fois par jour, puis deux à trois fois par jour à partir du troisième mois. William, qui avait commencé sa carrière en tant que médecin militaire, s’était dirigé vers la pédiatrie après la naissance de sa fille en 1746. Et il entra dans ce domaine avec une conception misogyne de la parentalité: «C’est avec grand plaisir que je vois enfin la Préservation des Enfants devenir la Préoccupation des Hommes de Raison. À mon avis, cette Affaire a été trop longtemps, et fatalement, laissée à la charge des Femmes, dont on ne peut supposer qu’elles aient les Connaissances appropriés pour s’acquitter de cette Tâche.» (Que des femmes aient été aptes à cette tâche pendant des millénaires en Europe et deux cent mille ans ailleurs importait peu.)

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Quelques décennies après la publication des recommandations de William sur l’alimentation, des médecins commencèrent à prodiguer des conseils sur le sommeil des bébés – et leur prédilection à prendre «de mauvaises habitudes». En 1848, au mépris de dizaines de milliers d’années d’histoire, le Dr John Ticker Conquest mit en garde les mères contre l’habitude de bercer les bébés pour les endormir de peur qu’ils en deviennent dépendants. Un fauteuil à bascule était, écrivit-il, un appareil «inventé et utilisé à une époque pour maîtriser les fous furieux». Les spécialistes se mirent aussi à conseiller de séparer physiquement les bébés de leur mère pendant la nuit, et même de cesser de s’en occuper. «Bien qu’on reconnaisse le besoin instinctif du bébé pour la présence de sa mère, il était plus important de lui inculquer l’habitude bien commode de dormir seul dans un lit d’enfant», écrit Christina.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Et l’apprentissage au sommeil? Devinez qui proposa cette technique géniale. Un chirurgien, devenu journaliste sportif, bien sûr, qui écrivait sous le pseudonyme de Stonehenge. Si on laisse les bébés «s’endormir dans leur berceau et qu’on leur permet de se rendre compte qu’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent en pleurant, ils s’y font immédiatement et, au bout de quelque temps, ils s’endorment encore plus facilement dans leur lit que sur les genoux», écrivait le Dr John Henry Walsh dans son manuel d’économie domestique (Manual of Domestic Economy) en 1857

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Au bout du compte, les livres de conseils prodigués par ces médecins modifièrent le point de vue des parents sur le sommeil des enfants. Pour la première fois, les bébés et les enfants ne se couchaient plus quand ils étaient fatigués pour se réveiller une fois reposés. Les parents devaient à présent contrôler, réguler et chronométrer le sommeil des enfants, comme on le ferait pour le rôtissage d’une dinde au four. Il y avait soudain toute une série de règles et prérequis concernant le sommeil, qui n’existaient pas auparavant. Les parents devinrent une police du sommeil. «Le moment du coucher était devenu une occasion de montrer qui était le chef», écrit Christina. Les règles concernant le sommeil finirent par devenir une question morale: si vos enfants ne dorment pas aux heures optimales, pour une durée chaque jour optimale, attention, vous n’êtes pas seulement un mauvais parent! Vos enfants auront des problèmes plus tard dans leur vie – des problèmes à l’école, des problèmes pour trouver un travail, des problèmes… Bref, des problèmes, beaucoup de problèmes.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

dans bien des cas, nous nous contentons de publier le premier conseil venu, quelle que soit son efficacité. «Routine du coucher, routine du coucher, routine du coucher!» Je l’entends à tout bout de champ, chez mes amies comme chez ma pédiatre. Mais si les routines du coucher fonctionnent si bien, pourquoi ma maison ressemble-t-elle à un champ de bataille tous les soirs à 20 heures? Et pourquoi un livre intitulé Dors et fais pas ch**r s’est-il vendu à des millions d’exemplaires au cours des dix dernières années?

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

si on examine de près de nombreux piliers de l’éducation occidentale moderne, on lui découvre des origines étonnamment fragiles. Ces habitudes ne se sont pas enracinées en raison de leur efficacité ou de leurs bienfaits pour les enfants, mais plutôt à cause du timing et d’une question de placement de produit. 

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

. Il y a les choses qu’on pense devoir faire, mais aussi celles qu’on fait sans y penser

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Au début du xixe siècle, aux États-Unis, tous les enfants jouaient à peu près de la même manière – peu importe qu’ils soient riches, pauvres ou quelque part entre les deux, ils n’avaient pas de jouets à la maison. Ils faisaient comme les enfants depuis plus de deux cent mille ans: ils créaient leurs propres jouets à partir d’objets qu’ils trouvaient dans la maison ou à l’extérieur. «Le manque de jouets achetés en magasin n’était pas le signe d’un désavantage», explique l’historien Howard Chudacoff dans son ouvrage, particulièrement éclairant sur ce sujet, Children at Play: An American History. «Même dans les familles riches, les jouets informels semblaient plus importants que les jouets officiels. Caroline Stickney, née dans le Connecticut et fille du propriétaire d’une usine de papier, découpait des robes de poupées dans de vieux draps… [tandis que] d’innombrables garçons sculptaient des bateaux et des armes à partir de bâtons et de morceaux de bois qui avaient été jetés, et ils fabriquaient des cerfs-volants avec du papier, du tissu et de la ficelle qu’ils avaient ramassés.»

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Au milieu du xixe siècle, une nouvelle idée émergea dans le domaine de la psychologie et entra en collision avec la révolution industrielle. Et les petits Occidentaux ne jouèrent plus jamais de la même manière. Les experts en éducation commencèrent à préconiser «l’utilisation de blocs, à la maison et à l’école, pour inculquer des valeurs comme l’ordre et des compétences en construction» et l’usage de «jeux de société pour améliorer les facultés de planification et de commandement», écrit Howard.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Quelques décennies plus tard, la révolution industrielle allait introduire un nombre incroyable de nouvelles techniques permettant de produire en masse jouets, poupées, puzzles et livres. Jamais auparavant les babioles enfantines n’avaient été meilleur marché à fabriquer ni plus attrayantes pour les enfants. Les jouets étaient plus colorés, les poupées plus réalistes et ils faisaient l’objet de vastes campagnes de publicité auprès de parents enthousiastes disposant de meilleurs revenus. À la même époque, les psychologues commencèrent à penser que le jeu était important pour le développement de l’enfant. Ils conseillaient aux parents d’encourager les enfants à jouer plutôt qu’à contribuer aux tâches domestiques et à l’entreprise familiale.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Il en résulta une explosion de jouets au sein des foyers des classes moyennes. Les «bons parents» ne laissaient plus leurs enfants se construire des jouets à partir de draps et de morceaux de bois, mais les inondaient assidûment de la dernière version manufacturée de cerfs-volants, armes, poupées et nourriture factices. Les jouets, autrefois considérés comme tout à fait inutiles, étaient désormais essentiels. Et le jeu, jadis perçu comme la «mère de tous les vices», était devenu sain et bénéfique.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Il est intéressant de noter que ce schéma ne cesse de se répéter dans bien des aspects clés de l’éducation occidentale. Une pratique se présente à point nommé dans l’histoire, elle fait l’objet d’un battage publicitaire dans les médias, par les psychologues, les pédiatres, les experts en santé publique ou une combinaison des quatre, son importance est amplifiée par un produit que vous devez à tout prix acheter ou un livre de développement personnel à lire absolument. Cette pratique s’insinue dans nos maisons, écoles, églises et établissements de santé, et finit par être tellement ancrée dans le tissu éducatif qu’on ne se rend même plus compte de sa présence.

NOTE

Conséquence de cette société consumériste

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Le 4 octobre 1957, l’Union soviétique bouleversait le monde entier en lançant avec succès Spoutnik 1, le premier satellite artificiel, en orbite autour de la Terre. Cette prouesse fit «l’effet d’une bombe aux yeux des spécialistes américains de l’éducation des enfants, des éducateurs et des propagandistes de la guerre froide», écrivent les journalistes Barbara Ehrenreich et Deirdre English dans leur livre For Her Own Good: Two Centuries of the Experts’ Advice to Women. Des sommités reprochèrent en chœur aux parents américains de faire preuve de moins de jugeote que les parents soviétiques, qui avaient clairement élevé leurs enfants pour surpasser les petits Américains en matière d’innovation et d’études universitaires – «certains d’entre eux au moins [les enfants russes] étaient plus audacieux, plus créatifs et plus imaginatifs que leurs homologues américains». Spoutnik 1 entraîna presque aussitôt un vent de panique et d’alerte national. Les enfants américains étaient en retard sur les enfants russes et, si on voulait que la démocratie et le libre arbitre survivent, nom de Dieu, il fallait que la jeunesse américaine – des bébés aux adolescents – se mette à apprendre vite, à apprendre plus et à apprendre plus tôt. «Johnny ferait mieux d’apprendre à lire… ou nous risquons de nous retrouver dans un monde où plus personne n’écrit en anglais», pouvait-on lire sur une annonce du service public dans Newsweek et Reader’s Digest peu après le lancement du satellite. Et devinez sur qui retomba soudain le fardeau d’apprendre à lire à notre petit Johnny de 3 ans. Sa mère, bien sûr. «C’était son rôle de faire travailler à temps plein l’appareil sensoriel de son enfant», écrivent Barbara et Deirdre. Les mères «étaient [désormais] censées entretenir un environnement stimulant, bruyant, coloré et en constante évolution». En tant que parent, préparer des biscuits avec votre enfant de 4 ans ne suffisait plus, il fallait aussi lui enseigner les mathématiques et les fractions. La moindre promenade en forêt se transformait en un exercice scientifique. Chaque histoire du soir devenait une chance de soumettre son enfant à un test de vocabulaire. Chaque instant était une occasion pour la mère ou le père de stimuler l’enfant; on n’en faisait jamais assez. Et si vous ne suiviez pas cette injonction, non seulement les communistes allaient contrôler le monde, mais votre petit Johnny n’entrerait jamais à l’université. Dans les années 1960, les spécialistes de l’éducation des enfants eurent recours à la culpabilité, l’humiliation et la peur pour faire peser une nouvelle mission sur les parents: stimuler, instruire et éduquer les enfants, à tout moment. Cette approche bavarde et énergivore prit comme de la Super Glue dans la culture américaine. De nos jours, cette pratique va de soi. Évidemment que ce père profite de cette sortie au parc pour donner à ce bambin un cours de physique complet. Évidemment que j’ai commencé à lire des histoires à Rosy lorsqu’elle avait 2 mois et que je continue, maintenant qu’elle a 3 ans. Évidemment que nous avons 143 livres pour enfants à la maison. Ce n’est pas seulement normal. C’est bénéfique. C’est optimal. C’est aussi épuisant (tant pour les mères, pour les pères que pour les enfants). Et pourtant, ça ne suffit pas. Parce qu’en plus de la stimulation permanente et des cours magistraux, nous devons sans cesse proposer de nouvelles choses.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Complimenter les enfants est une pratique tellement répandue de nos jours qu’on ne la remarque quasiment plus. Mais si vous y prêtez un peu attention (voire que vous commencez à les compter), le nombre de louanges qui pleuvent sur les enfants est à peine croyable. Si je vais au bureau de poste avec Rosy et qu’elle colle un timbre sur une lettre, le type derrière le comptoir réagit de la même manière que si elle venait de négocier un accord de paix au Moyen-Orient. «Incroyable! Tu as mis le timbre sur la lettre? Tu aides drôlement bien ta maman!» La vérité, c’est que je complimente Rosy sans même y penser. «Oh, waouh, tu as dessiné un R, magnifique!» «Bravo, tu as mis une fourchette sur la table.» «Tu as mis tes chaussures, on fait la danse de la joie!» «Tu as dessiné un cœur! Quelle grande artiste tu fais!» Et la liste est infinie. Pourquoi j’agis de la sorte? Parce que dans les années 1980 et 1990, les livres, les articles de magazine, les psychologues et les pédiatres se mirent à expliquer aux parents que s’ils ne complimentaient pas leurs enfants, ad nauseam, quelque chose de terrible allait se produire: nous blesserions leur estime de soi naissante.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

disons les choses ainsi: l’estime de soi est une création culturelle, et non un universel humain. Le concept s’est infiltré dans la culture populaire américaine au cours des années 1960, jusqu’à envahir nos esprits, nos écoles et nos maisons, avec un retour en force fulgurant une vingtaine d’années plus tard (lorsqu’il devint la clé de voûte de l’industrie multimilliardaire du développement personnel). La culture occidentale est sans doute la seule à exiger des parents qu’ils l’entretiennent et la cultivent chez leurs enfants. Aux États-Unis, on fait croire aux parents qu’ils doivent nourrir un sentiment «sain» d’estime de soi chez leurs enfants, sans quoi ces derniers pourraient être sujets à toutes sortes de problèmes sociaux et émotionnels, parmi lesquels l’échec scolaire, l’alcoolisme et la toxicomanie, la criminalité, la violence et même les grossesses précoces.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

. «On a conseillé aux parents de saisir chaque occasion de complimenter leurs jeunes enfants, de les critiquer avec parcimonie, de manier la discipline avec précaution afin de ne pas porter atteinte à leur estime de soi, d’encourager l’expression de soi et d’inciter les enfants à essayer de nouvelles choses», expliquent les psychologues Peggy Miller et Grace Cho dans leur livre renversant, Self-Esteem in Time and Place, publié aux États-Unis en 2017. D’après les deux chercheuses, personne ne connaît les effets de cette avalanche de compliments – et de l’effacement des critiques – sur les enfants. Les données scientifiques sur le sujet sont très diverses. Dans certaines situations, les compliments peuvent motiver les enfants à apprendre et à bien se comporter. Mais dans d’autres cas, ces louanges sont démotivantes. Le résultat dépend d’une flopée de circonstances – quels actes sont valorisés, à quel point l’enfant a l’impression de mériter les compliments, votre manière de critiquer les autres, l’âge et la personnalité de l’enfant, la relation que vous entretenez ensemble, et cetera. Et lorsque les compliments l’emportent largement sur les critiques, lorsque les parents ferment les yeux sur les méfaits et les défauts, Miller et Cho craignent que ces derniers se compliquent la vie à long terme. Ils pourraient bien être en train d’inculquer l’égocentrisme à leurs enfants et de leur apprendre à entrer en compétition avec leurs frères et sœurs pour obtenir l’attention et les louanges des adultes. Les enfants deviendraient ainsi davantage sujets à la dépression et à l’anxiété en entrant dans l’âge adulte.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

D’après mon expérience, féliciter Rosy ne la rend que plus pénible, un peu plus insupportable. Elle me suit partout, littéralement en quête d’attention et d’une réaction («Regarde-moi, maman!»). En outre, m’atteler en permanence à gonfler l’estime de Rosy est tout simplement épuisant

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Dans de nombreuses cultures, les parents félicitent très peu, voire pas du tout, les enfants. Pourtant, ces derniers grandissent en montrant tous les signes d’une solide santé mentale et d’une grande empathie. De plus, dans les cultures que nous rencontrerons dans ce livre, les enfants recevant peu de compliments montrent une plus grande confiance en soi et une force mentale plus solide que les petits Américains, qui macèrent dans les louanges.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Je pouvais lâcher prise et me contenter de passer du temps avec elle. Je pouvais simplement m’asseoir à côté d’elle dans le bus sans ressentir le besoin de lui dire «bravo» (ou de lui donner un cours de physique sur les roues du bus). Les moments passés ensemble commençaient à ressembler davantage à ceux que je passais avec mon grand-père quand j’étais enfant: calmes, silencieux, sans pression de la performance.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Et il se produisit une chose amusante. Au bout d’environ une semaine sans la moindre félicitation de ma part, je remarquai que mes paroles avaient acquis une efficacité nouvelle. Lorsque je lui faisais une remarque, elle écoutait davantage. Le flot perpétuel de compliments et de réactions noyait ce qui comptait réellement pour moi. Sans les remarques superflues, Rosy comprenait plus facilement à quels moments j’avais vraiment besoin qu’elle m’écoute et coopère. Même le brossage de dents avant de se coucher devint plus facile.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

superparents du monde entier

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Deux mois après être devenue mère, je rencontrai les premiers obstacles. De sérieux obstacles. L’allaitement s’était révélé quasiment impossible. Survivre aux six premières semaines de vie de Rosy nous avait demandé, à Rosy et moi, des efforts herculéens. Une fois cette question réglée, un problème encore plus important surgit: le sommeil. Je ne parvenais pas à garder mon poussin endormi. Bien sûr, elle s’assoupissait sur ma poitrine, mes genoux et même mon dos. Mais dès que je la posais dans son berceau, attention les oreilles! Même notre berger allemand se cachait la tête sous le lit pour échapper au vacarme. Les stratégies scientifiquement prouvées ne furent jamais d’une grande aide. C’est choquant, je sais. Parfois, elles fonctionnaient une semaine, voire un mois, mais les effets s’estompaient toujours et nous revenions au point de départ.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

J’interrogeai à ce sujet Brian Nosek, psychologue à l’Université de Virginie. Il rit un peu avant de m’apporter cette réponse que je n’oublierai jamais: «Les questions éducatives comptent parmi les problèmes les plus complexes pour la science. Il est plus facile d’envoyer une fusée sur Mars que de répondre à ces questions.»

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Dans bien des cas, les chercheurs ne mènent pas les expériences sur un nombre suffisant d’enfants ou de familles pour savoir si l’approche en question fonctionne réellement. Les études n’impliquent souvent que quelques dizaines d’enfants et même les études «importantes» ne se basent que sur quelques centaines de sujets, et non sur les milliers ou les dizaines de milliers d’enfants nécessaires pour tirer de véritables conclusions sur une stratégie éducative. Si une étude se fonde sur un nombre trop réduit d’enfants, on ne peut affirmer avec certitude si oui ou non un outil fonctionne ni comment il pourrait fonctionner avec d’autres enfants*. Les études de faible puissance rendent les données imprécises. Comme le dit Brian, «c’est un peu comme étudier la galaxie avec un télescope de faible puissance». Les objets dans le ciel deviennent troubles. Les anneaux de Saturne se confondent avec la planète. Certaines des lunes de Jupiter disparaissent. Et la ceinture d’astéroïdes devient une bande solide. Un chercheur peut certes rédiger et publier ces descriptions. Mais que se passe-t-il lorsque quelqu’un arrive avec un télescope de plus forte puissance? Oups. On dirait bien que Jupiter a des lunes et que la ceinture d’astéroïdes n’est pas du tout une ceinture, mais plutôt un ensemble de roches en suspension. L’étude initiale devient totalement fausse. Et les scientifiques reviennent complètement sur leurs premières conclusions.

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

C’est ce qui se produit avec maintes et maintes études sur l’éducation des enfants. Les données sur lesquelles se fondent les recommandations sont souvent si vagues que lorsqu’une autre étude – à plus forte puissance – est publiée, les scientifiques non seulement rétractent leur position initiale, mais préconisent même le comportement opposé. Ces revirements sont frustrants pour les parents et entraînent de graves répercussions sur les enfants. C’est exactement ce qui s’est passé avec l’allergie aux cacahuètes. En 2000, l’Académie américaine de pédiatrie conseillait aux parents de ne pas donner de beurre de cacahuète aux bébés parce que plusieurs petites études indiquaient qu’une exposition précoce pouvait accroître le risque de développer une allergie aux cacahuètes. Mais des études de plus grande ampleur et de plus forte puissance suivirent et démontrèrent l’exact opposé: l’exposition précoce aux cacahuètes diminuait les risques pour les enfants de développer une allergie

Chapitre 2. Pourquoi éduquons-nous nos enfants comme nous le faisons?

Même lorsque ces études ont la puissance suffisante et se fondent sur des preuves solides, il arrive bien souvent qu’elles ne répondent pas à la véritable question des parents: l’outil ou la stratégie en question marchera-t-elle avec leur enfant? Qu’un outil fonctionne dans un laboratoire ou avec un petit groupe d’enfants ne signifie pas qu’il sera utile chez vous, avec votre enfant. Au mieux, les études nous disent ce qui pourrait fonctionner, pour la moyenne. Un outil peut faire des merveilles auprès d’un quart des familles et ne pas fonctionner du tout pour les autres, voire venir encore compliquer la vie de certaines. C’est pourquoi Brian recommande aux parents de se méfier des nouvelles idées qui émergent des études, en particulier lorsque les indices ne sont pas très probants et que l’échantillon est petit

Chapitre 3. Les enfants les plus serviables du monde

Ici, les parents ont compris quelque chose que les parents occidentaux (notamment celle qui vous parle) seraient prêts à payer très cher: comment inciter les enfants à participer volontairement aux tâches domestiques

Chapitre 3. Les enfants les plus serviables du monde

Généralement, ces enfants avaient déjà appris à réaliser des tâches complexes, comme préparer les repas et s’occuper de leurs frères et sœurs sans la surveillance d’un adulte. Et près des trois quarts des mères affirmaient que leurs enfants prenaient systématiquement «des initiatives» en matière de ménage. Un enfant constate tout simplement ce qui doit être fait, se motive et se met à la tâche. Il voit de la vaisselle sale dans l’évier et prend l’initiative de la laver. Il voit que le salon est en désordre et se lance dans le rangement. Et si un petit frère commence à pleurer, il va le voir, le prend dans ses bras et l’emmène jouer dehors, le tout sans recevoir de consigne de sa mère.

Chapitre 3. Les enfants les plus serviables du monde

Lucia me confie que les parents inculquent à leurs enfants une compétence beaucoup plus complexe que de simplement savoir faire la vaisselle ou la lessive: ils leur apprennent à prêter attention à leur environnement, à reconnaître quand une tâche précise doit être effectuée, puis à la faire. «Ils apprennent à leurs enfants à être des membres de la famille responsables, à détecter quand quelqu’un a besoin d’aide, à être vigilants à ce qui se passe, puis à aider», me raconte Lucia. Et cela implique aussi de savoir quand ne pas aider. «Ainsi, vous ne vous mêlez pas de la cohésion du groupe ou de la direction qu’il a choisi de prendre.»

Chapitre 3. Les enfants les plus serviables du monde

«C’est une compétence à vie que de savoir lire son environnement et de savoir que faire», ajoute-t-elle.

Chapitre 3. Les enfants les plus serviables du monde

Cette compétence – être attentif, puis agir – est une valeur et un objectif si importants pour les enfants que de nombreuses familles mexicaines ont un terme pour le désigner: on appelle cela être acomedido.

Chapitre 3. Les enfants les plus serviables du monde

L’idée est complexe: il ne s’agit pas seulement d’accomplir une tâche ou une corvée parce qu’on vous a dit de la faire, mais de savoir quelle est l’aide appropriée à un moment donné, parce que vous êtes attentif.

Chapitre 3. Les enfants les plus serviables du monde

Dans la même étude, Lucia et son équipe interrogèrent aussi quatorze mères de Guadalajara plus occidentalisées, c’est-à-dire des mères installées dans la ville depuis plusieurs générations et ayant peu d’attaches avec les communautés autochtones. Parmi ces mères, devinez combien ont déclaré que leurs enfants prenaient régulièrement des «initiatives» à la maison. Zéro. Ces enfants cosmopolites accomplissent moins de tâches domestiques et des tâches moins complexes, mais on doit aussi bien souvent leur demander de les faire. Certaines mères ont raconté se donner beaucoup de mal pour convaincre un enfant de les aider, devoir négocier ou établir des tableaux de corvées. Ces mères ont aussi rapporté que leurs enfants ont plus souvent besoin d’être motivés par des récompenses, de l’argent de poche ou des cadeaux. (Les parents des deux groupes ont confié devoir parfois faire pression sur les enfants pour obtenir de l’aide, en les privant de certains privilèges, comme du temps passé devant la télévision.)

Chapitre 3. Les enfants les plus serviables du monde

Mais voici ce qui m’a vraiment bluffée: bien souvent, les enfants d’ascendance maya ou nahua prennent vraiment plaisir à accomplir des tâches domestiques! Leurs parents ne leur ont pas seulement appris à être acomedidos, ils leur ont aussi inculqué la valeur de leur travail et la fierté de contribuer à la vie du foyer. Aider aux tâches ménagères est un privilège.

Chapitre 3. Les enfants les plus serviables du monde

Avec le temps, je me rendis compte que leur méthode pour motiver les enfants n’était pas propre aux communautés mayas et nahuas, loin de là. C’est au contraire une méthode élémentaire que des parents partout dans le monde utilisent pour inculquer les valeurs fondamentales de leur culture à leurs enfants. Savoir quand aider aux tâches domestiques est une valeur essentielle pour la communauté maya, que les pères et les mères transmettent délibérément à leurs enfants. Il s’agit d’une valeur que nous retrouvons dans la culture occidentale, mais, à bien des égards, les parents ont oublié comment l’inculquer à leurs enfants. Et cette perte a rendu nos vies beaucoup plus compliquées.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

«Dès le premier jour, quand ils sont tout petits, il faut commencer à leur montrer comment aider», me confie Maria.

NOTE

Tout est dit ici important

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Maria me confie une chose au sujet de cet apprentissage: apprendre à un enfant à accomplir volontairement des tâches ménagères prend des années. «Il faut leur apprendre lentement, petit à petit, et ils finissent par l’intégrer.»

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apprendre à un enfant à être serviable est comparable à l’apprentissage de la lecture ou du calcul. On ne peut pas se contenter de donner des instructions orales à un enfant de 4 ans, d’accrocher les tables de multiplication sur le réfrigérateur et s’attendre à ce qu’il sache aussitôt que 3 × 3 = 9 et 8 × 4 = 32.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

il faut instruire lentement l’enfant. Il faut l’entraîner. L’enfant ne doit pas seulement comprendre comment accomplir la tâche en question, mais aussi quand la réaliser et pourquoi son aide est si bénéfique pour la famille – et pour lui-même.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

un tableau de corvées peut même avoir l’effet inverse et empêcher un enfant de devenir acomedido. Pourquoi? Parce que l’objectif est que l’enfant prête attention au monde qui l’entoure et apprenne à quel moment il est nécessaire d’accomplir telle ou telle tâche. Si un tableau lui indique qu’il doit faire la vaisselle le mardi, passer le balai le mercredi et sortir les poubelles le vendredi, il en conclura que ce sont les seules corvées qu’il a besoin de faire. Il n’a alors pas besoin d’être attentif en dehors de ces moments, il peut même apprendre à ignorer les tâches qui ne figurent pas sur le tableau.

NOTE

Comme au travail avec la liste des tâches

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Au bout du compte, le tableau apprend à l’enfant à être l’inverse d’acomedido, en lui disant: «Ta responsabilité se limite à ce qui est sur ce tableau.»

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Pour un parent occidental comme moi, la première étape défie toute logique. Il s’agit de faire exactement l’inverse de ce que vous dicte votre intuition: confier des tâches aux membres de la famille les moins habiles du foyer.

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«Quoi que je fasse, Alexa veut le faire aussi. Quand je prépare des tortillas, Alexa se met à pleurer si je ne la laisse pas faire des tortillas. Et après ça, elle veut toujours passer le balai. – Comment réagis-tu? demandé-je. – Je la laisse faire les tortillas et je lui donne le balai pour qu’elle nettoie. – Et elle balaie vraiment? Et ça t’aide? – Ça n’a pas d’importance. Elle veut aider d’une manière ou d’une autre, alors je la laisse faire, me dit Maria, assise dans un hamac les mains croisées sur les genoux. – Chaque fois qu’elle veut aider, tu la laisses faire? demandé-je incrédule. Même si elle met une pagaille épouvantable? – Oui, c’est comme ça que les enfants apprennent.»

NOTE

Laisse les faire, même si c’est le bordel

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Si vous observez les familles à travers le monde, qu’elles cultivent du maïs dans le Yucatán, chassent le zèbre en Tanzanie ou écrivent des livres dans la Silicon Valley, leurs tout-petits ont deux traits de caractère en commun. Le premier, ce sont les colères. Oui, les colères sont quasiment inévitables où que vous viviez, comme le montrent les archives ethnographiques. Mais le second est un peu plus surprenant. C’est la serviabilité. Les bambins, partout dans le monde, ont envie d’aider. Terriblement envie.

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Ce sont des assistants-nés. Et ils ont soif de mettre les mains dans le cambouis et de faire le boulot «tout seuls». Besoin d’un coup de balai dans la cuisine? De rincer un plat? De casser un œuf? Pas de problème.

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Une étude a décrit un enfant de 20 mois arrêtant littéralement de s’amuser avec un nouveau jouet pour traverser la pièce et ramasser quelque chose qu’un adulte avait laissé tomber par terre. On ne lui avait pas demandé son aide et il n’avait besoin d’aucune récompense pour son geste. À vrai dire, d’après cette étude, les enfants étaient moins enclins à aider de nouveau si on leur offrait un jouet après leur geste. C’est ça, être acomedido!

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Personne ne saurait expliquer les raisons exactes pour lesquelles les tout-petits ont une telle envie d’aider (ni pourquoi les récompenses semblent diminuer leur élan). Mais cela pourrait découler d’un désir fort d’être entourés de leur famille et reliés à leurs parents, à leurs frères et sœurs et aux autres personnes qui s’occupent d’eux.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

«Quand les enfants sont petits, ils aiment faire les mêmes choses que leur mère. Alexa aime jouer à la maman avec ses jouets et ses poupées.» Autrement dit, les bambins naissent dotés de tous les ingrédients nécessaires pour devenir acomedidos, partout, même dans le monde occidental. Ce qui diffère, c’est la manière dont les parents abordent ce désir spontané d’aider. Et cette différence est cruciale. Selon Rebeca, c’est probablement ce qui détermine si l’enfant continue d’aider volontairement en grandissant ou si «ça lui passe».

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

De nombreux parents d’origine occidentale, y compris la mère californienne qui vous parle, rabrouent les petits lorsqu’ils veulent aider. Enfin, soyons honnêtes: ils ont envie d’aider, certes, mais ils ne sont pas d’une grande aide. Pas Rosy, en tout cas. C’est une machine de destruction. Son implication dans les tâches domestiques me ralentit et engendre une pagaille gigantesque que je dois ensuite nettoyer. Alors j’aime autant qu’elle joue dans le salon ou fasse du coloriage près de moi dans la cuisine pendant que je fais le ménage. Et je ne suis pas la seule.

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Les mères autochtones au Mexique font souvent l’inverse: «Elles accueillent leur aide et la demandent même», raconte Rebeca, même si l’enfant se comporte de façon brutale. S’il arrache littéralement l’outil des mains du parent pour faire le travail à sa place (ça vous rappelle quelque chose?), le parent cédera et laissera l’enfant réaliser la tâche. 

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Prenons l’exemple d’une enfant de 2 ans qui a envie d’aider sa mère à bêcher un champ de maïs dans une communauté mazahua au nord-est du Mexique. La mère commence à désherber. Aussitôt, sa fille se met à imiter ses gestes. Puis elle exige de faire le travail toute seule. Sa mère la laisse faire et attend. Très vite, la fillette prend complètement le relais de la mère. Quand la mère tente de s’y remettre, la petite proteste et exige qu’on la laisse faire. Toute seule! Là encore, la mère cède devant ce petit être autoritaire. Rosy agit souvent de la sorte. Elle exige de faire mon travail. Elle me vole la fourchette quand je bats les œufs pour le petit déjeuner. Elle s’empare du couteau quand je coupe des oignons pour le dîner. Elle attrape la gamelle du chien quand je veux le nourrir, le balai quand je balaie et mon ordinateur quand je tente d’écrire (et elle se met à taper le plus vite possible sur toutes les touches du clavier). Sans surprise, je réagis à ses accaparements de la même manière que mes parents quand j’étais enfant. Je repousse ses petites mains potelées et je lui dis d’un ton accusateur quelque chose comme: «Ne m’arrache pas les choses des mains!» Puis j’interprète ses actes et son comportement: c’est une petite fille exigeante qui veut que je lui obéisse (j’entends même la voix de ma mère dans ma tête: «Elle veut te commander, Michaeleen»).

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À l’inverse, beaucoup de parents autochtones sont heureux lorsqu’un bambin avide accourt pour offrir son aide. Ils sont heureux de le voir prendre cette initiative. Ils interprètent l’obstination de l’enfant comme un désir de contribuer à la vie de la famille. Le seul problème, au début, c’est que l’enfant est trop jeune pour savoir comment aider à proprement parler. Mais il a seulement besoin d’apprendre. Rebeca me parle de ses entretiens avec les mères nahuas à Guadalajara. «Une mère nous a dit: “Quand mon fils faisait la vaisselle, au début, il mettait de l’eau absolument partout, mais je le laissais faire, parce que c’est comme ça qu’on apprend.”»

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Les parents considèrent cette pagaille comme un investissement. Si vous encouragez aujourd’hui le bambin maladroit qui a vraiment envie de faire la vaisselle, il deviendra avec le temps un enfant de 9 ans habile avec le même désir d’aider, et ça fait vraiment la différence.

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Rebeca a par exemple échangé avec une famille possédant une entreprise qui vendait de la viande. L’un des fils montra très tôt un intérêt pour cuisiner le porc. «La mère tenait l’enfant dans ses bras pendant qu’elle cuisinait.» Parfois, elle le laissait même piquer les morceaux pour les mettre dans une assiette. «Elle disait que c’était dangereux parce qu’il aurait pu se brûler. “Je le surveillais de près”, me racontait-elle.» Mais à l’âge de 9 ans, il contribuait déjà de manière significative à l’entreprise familiale. «Il était même capable d’abattre les animaux», ajoute Rebeca.

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Bon, il y a tout de même quelques réserves. Les parents n’acceptent pas toutes les propositions d’aide de leur enfant et ne le laissent pas non plus faire tout ce qu’il veut, au hasard. Si la tâche est d’un niveau trop avancé pour l’enfant, l’adulte ignorera sa demande ou divisera la tâche en petites sous-tâches plus accessibles. Si l’enfant commence à gâcher de précieuses ressources, le parent le guidera pour qu’il soit plus productif ou lui demandera de partir

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Dans une communauté maya de Chiapas, au Mexique, les parents rejettent intentionnellement les propositions d’aide des jeunes enfants pour accroître leur motivation à réaliser cette tâche.

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Prenons l’exemple de Beto, un garçon de 2 ans qui veut aider son père à couler un sol en ciment, un travail trop difficile pour l’enfant. Au début, le père ignore les supplications de Beto. Puis il dit au garçon qu’il doit attendre une année de plus, il sera alors assez grand pour l’aider dans cette tâche. Le rejet implicite alimente d’autant plus le désir du garçon de participer. Il finit par attraper un outil et se met à lisser le ciment. Heureux de voir un tel enthousiasme chez son fils, le père sourit. Puis il regarde attentivement Beto et lui propose de simples rectifications: «Pas comme ça, mon bébé.» Lorsque Beto fait une grosse bêtise et pose le pied dans le ciment encore humide, le père relève l’erreur de Beto («Hé, bébé, tu as marché dedans… Tu as tout abîmé») et met un terme à la participation de Beto en lui disant que sa mère le cherche.

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En commençant dès le plus jeune âge, les enfants apprennent – et expérimentent – quelle est leur place au sein de la famille. En incluant un tout-petit dans une tâche, le parent dit, de fait, à son enfant: «En aidant et en participant à ton niveau, tu es un membre actif de la famille.»

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

D’après les psychologues, plus un jeune enfant s’exerce à aider sa famille, même quand il est tout petit, plus il est susceptible de devenir un adolescent serviable pour qui faire des tâches ménagères est naturel. Une implication précoce dans les corvées domestiques place l’enfant sur une trajectoire qui l’amènera à aider volontairement dans sa vie future. Cela transforme son rôle au sein de sa famille comme de sa communauté. Il en devient un membre responsable et actif. À l’inverse, si vous découragez constamment un enfant d’aider, il finit par croire qu’il occupe un rôle différent au sein de la famille. Son rôle est de jouer et de ne pas rester sur votre passage. En d’autres termes, si vous répétez suffisamment à un enfant «non, tu ne participes pas à cette tâche», il finira par vous croire et cessera de vouloir aider. Au bout d’un moment, les enfants apprennent qu’aider ne relève pas de leur responsabilité.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Heureusement, tout n’est pas perdu. Loin de là. Les enfants de tous les âges (et même certains adultes de mon entourage) sont incroyablement malléables et leur désir d’aider est si fort que ce schéma peut facilement s’inverser. La clé, c’est que vous, parent, changiez votre façon de considérer votre enfant. Quel que soit son âge, encouragez-le à s’impliquer, suivez les idées proposées dans le chapitre suivant et, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, vous ferez de votre préado égocentrique une dynamo de l’essuyage de vaisselle.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

La première étape pour élever des enfants serviables peut donc se résumer en une seule phrase: laissez-les s’entraîner. S’entraîner à ranger. S’entraîner à cuisiner. S’entraîner à nettoyer. Laissez-les vous arracher la cuillère des mains pour remuer la casserole. Laissez-les prendre l’aspirateur pour nettoyer le tapis. Laissez-les mettre un peu de pagaille quand ils sont petits, un peu moins de pagaille quand ils grandissent et, une fois préados, ce sont eux qui vous aideront à nettoyer vos bêtises sans que vous ayez à le demander. Peut-être même qu’ils s’occuperont de toute la maison.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Il n’est jamais trop tôt (ni trop tard) pour inciter les enfants à aider. Comme le dit Rebeca: «Les enfants peuvent être impliqués bien plus tôt dans les tâches domestiques et ils sont capables de faire bien plus qu’on s’imagine.» Les parents occidentaux sous-estiment souvent ce qu’un enfant est capable de faire pour aider sa famille, quel que soit son âge. Placez la barre haut et laissez l’enfant vous montrer ce dont il est capable, en fonction de ses demandes et de ses intérêts. (Rosy me répète chaque jour: «Mais, maman, je sais le faire!») Au passage, vous apprendrez des choses sur vous et sur vos enfants. Vous saurez comment travailler ensemble, main dans la main, vers un objectif commun.

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RECETTE N°1 FORMER À LA SERVIABILITÉ Même un tout petit bonhomme titubant sur ses jambes peut accomplir des tâches: porter de l’eau, emprunter des allume-feu, aller chercher des feuilles, farcir le cochon… Apprendre à faire une course avec tact est l’une des premières leçons de l’enfance. Pour ce qui est de demander de l’aide pour les tâches domestiques, dans la culture occidentale, on a tout faux. On a tendance à considérer les tout-petits et les jeunes enfants comme exempts de tâches et de toute participation. On les croit souvent incapables d’aider vraiment. C’est assurément ainsi que je voyais Rosy. Je prévoyais de lui confier des tâches lorsqu’elle serait plus grande, mais tant qu’elle était petite, je ne lui demandais pas de m’aider. Pourtant, dans de nombreuses cultures de chasseurs-cueilleurs, les parents adoptent la méthode inverse: dès qu’un enfant se met à marcher, ils sollicitent son aide pour de petites sous-tâches. Avec le temps, l’enfant apprend ce qui doit être fait dans la maison. Ainsi, le nombre de requêtes diminue (au lieu d’augmenter) à mesure que l’enfant grandit. Lorsqu’il atteint la préadolescence, les adultes n’ont plus besoin de lui demander quoi que ce soit, parce que l’enfant sait déjà ce qu’il a à faire. À vrai dire, demander à un préado de donner un coup de main pourrait presque passer pour un manque de respect. Cela sous-entendrait qu’il manque de maturité ou qu’il n’a pas appris. Autrement dit qu’il est puéril.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

documenté cette stratégie auprès des chasseurs-cueilleurs bayaka en République démocratique du Congo. Sheina commença par apprendre à parler et à comprendre la langue du groupe. Puis elle suivit partout des enfants et leurs parents pendant des heures, chaque jour, et compta combien de fois un parent ou un autre adulte de la communauté demandait de l’aide à un enfant pour des tâches telles que «tiens ce récipient d’eau», «viens chercher du miel avec moi», «porte ces pieux pour la chasse» ou «aide ta sœur à s’habiller». Sheina fit une découverte saisissante: les jeunes enfants, âgés de 3 à 4 ans, étaient ceux qui recevaient le plus de demandes, tandis que les plus âgés, les adolescents, étaient ceux qui en recevaient le moins. À mesure qu’ils grandissaient, il était attendu que les enfants sachent ce qu’ils avaient à faire. Les petites requêtes faciles adressées au plus jeune âge avaient appris aux enfants ce qu’on attendait d’eux. Les parents avaient transmis avec succès la valeur de la serviabilité. Sheina en conclut que «les enfants développent des comportements coopératifs en grandissant. Ils apprennent à accomplir les tâches qui leur sont demandées et anticipent le fait qu’elles doivent être effectuées».

NOTE

Apprendre tôt

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Alors comment introduire chez vous ce concept d’être acomedido? En réalité, ce n’est pas très difficile. Lorsque vous effectuez des tâches domestiques et que vous avez besoin d’aide, demandez. Ou veillez à ce que les enfants soient dans les parages et vous voient faire

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Commencez par leur confier de petites sous-tâches (par exemple, «coupe cet oignon» ou «mets cette chemise au linge sale») et avancez progressivement à partir de cette base. 

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Observez les envies et réactions de l’enfant. Laissez-vous guider par ses intérêts et ses envies.

NOTE

Ils te guident si tu les écoute

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Avec les bébés (de la naissance à la marche)PENSEZ À OBSERVER ET À INCLURE «Dès lors que l’enfant se tient assis, asseyez-le près de vous pendant que vous travaillez, ainsi il peut voir ce que vous êtes en train de faire», conseille une mère maya du Yucatán à Lucia Alcalá et ses collègues. La principale manière de s’«entraîner» à aider pour un bébé fraîchement sorti du four est d’être près du parent et de le regarder travailler. Oubliez l’idée que vous devez «divertir» un bébé avec des jouets et autres gadgets «enrichissants». Vos tâches quotidiennes sont plus que divertissantes. Gardez votre enfant près de vous pour faire ce que vous avez à faire. Lorsque c’est possible, laissez-le voir ce que vous faites. Calez-le dans un siège pour qu’il vous regarde faire la vaisselle, couper des légumes ou plier le linge. Prenez-le en porte-bébé quand vous balayez, passez l’aspirateur ou faites des courses à l’épicerie. Incluez les bébés dans toutes les tâches qui vous aident et aident les autres membres de la famille.

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Avec les jeunes enfants (de 1 à 6 ans environ)PENSEZ À MONTRER, À ENCOURAGER, À DEMANDER DE L’AIDE «Une fois que l’enfant commence à marcher, vous pouvez lui demander de vous aider… Il peut [par exemple] m’apporter mes chaussures qui sont à l’autre bout de la pièce», raconte une mère d’héritage nahua à Rebeca Mejía-Arauz.«Au réveil, je commence toujours par faire le ménage et le petit déjeuner, et les enfants me regardent faire. Si vous leur montrez chaque jour comment faire, ils finiront par le faire eux-mêmes», me confie une mère maya. À cet âge, le but est d’attiser la flamme de l’enthousiasme qui donnera à l’enfant l’envie d’aider, pas de l’éteindre. Voici comment s’y prendre.

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MONTRER Exactement comme avec les bébés, assurez-vous que les jeunes enfants aient un accès régulier et prévisible aux tâches quotidiennes. Évitez de les envoyer jouer dehors ou dans une autre pièce. Invitez-les plutôt à vous rejoindre et à rester près de vous pendant que vous vous activez. Ainsi, ils apprendront en regardant et participeront de temps à autre. Lorsque Rebeca me parle de ses entretiens avec les mères d’héritage nahua, elle me raconte que «beaucoup de mères vont dire quelque chose comme: “Viens, mon petit. Aide-moi à faire la vaisselle.” C’est toujours une invitation à faire les choses ensemble, à effectuer ensemble telle ou telle tâche.»

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ENCOURAGER Si un enfant demande à vous aider, laissez-le faire! Si la tâche est simple, mettez-vous en retrait et laissez-le tenter le coup. Ne lui donnez pas de consignes; vos paroles sont comme des cours magistraux, qui les embrouillent par-dessus le marché. Observez ce que fait l’enfant et inspirez-vous de ses efforts. S’il commence à faire des dégâts ou à faire n’importe quoi, guidez-le gentiment pour l’aider à être productif. Par exemple, dans la communauté maya de Chiapas, le petit Beto de 2 ans veut aider sa grand-mère à écosser les haricots, mais il est maladroit. Le garçonnet attrape une poignée de haricots et les jette à la poubelle. Sa grand-mère le reprend et lui montre la bonne méthode. Elle prend les haricots de la main de l’enfant avant qu’il ait le temps de les jeter et lui explique qu’on ne jette pas le haricot entier. Si Beto l’ignore, elle répète ses conseils. Si une tâche est d’un niveau trop avancé – ou trop dangereuse – pour le degré de compétences d’un enfant, détendez-vous. Restez calme. Inutile de l’effrayer. Dites à l’enfant de vous regarder pendant que vous effectuez cette tâche. Par exemple, pendant qu’une mère maya fait frire les tortillas, elle dit à son enfant: «Regarde et tu apprendras.» Ou trouvez une façon de le faire participer en toute sécurité. Par exemple, Rosy me tient le plat pendant que je sors le poulet du four ou ajoute le sel et l’huile dans la casserole de pâtes. «En fonction de l’activité, parfois les enfants observent et parfois ils aident, me rapporte Lucia. Chaque mère sait si un enfant est ou non capable d’effectuer une tâche.» (Et comment le savent-elles? Devinez ce que faisait la mère pendant que son enfant l’aidait. Oui, elle était en train d’observer. Observer.

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DEMANDER DE L’AIDE «Le soir, quand la famille est réunie, un jeune enfant à peine mobile peut être invité à porter une tasse de sa mère à son père»

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tout au long de la journée, les parents demandent aux tout-petits et aux jeunes enfants de les aider dans des tâches variées.

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on devrait peut-être l’appeler «programme de coopération», parce que ces tâches inculquent aux enfants comment travailler main dans la main avec leur famille. Je ne parle pas de ce que les enfants font peut-être déjà pour eux-mêmes, comme s’habiller ou se brosser les dents. Ce qui est en jeu ici, ce sont les petites tâches rapides et faciles qui aident autrui ou toute la famille. Ce sont des demandes exécutées aux côtés des parents pour atteindre un objectif commun. Ce sont souvent les sous-tâches d’une tâche plus importante (comme tenir la porte du garage ouverte le temps que vous sortiez les poubelles). Elles sont parfois minuscules – et par minuscule, je veux dire minuscule, comme ranger une casserole dans le placard de la cuisine ou sortir un bol – mais elles sont réelles. Elles aident vraiment. Il est inutile d’exagérer les demandes: trois ou quatre par jour, c’est probablement assez. Il suffit de voir quels besoins se présentent – par exemple lorsque vous avez les mains pleines ou que vous êtes fatigué – et ce qui éveille l’intérêt de l’enfant

NOTE

4 aides par jour c’est suffisant

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Voici quelques tâches susceptibles d’intéresser l’enfant: VA ME CHERCHER ÇA «Cours me chercher…» est l’une des expressions le plus couramment entendues pour s’adresser aux jeunes enfants à Tikopia [îles Salomon].

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Les jeunes enfants font de super coursiers. Ils peuvent aller chercher un objet dans la voiture, le garage ou le jardin. «Monte chercher du papier toilette.» «Va chercher un oreiller dans la chambre.» «Va chercher de la menthe dans le jardin.» Ne serait-ce que traverser la pièce pour vous apporter vos chaussures est une tâche immense pour un tout-petit. Va, va, va. Les jeunes enfants adorent aller. Exploitez cette énergie tout en leur apprenant comment être attentifs aux besoins des autres.

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TIENS ÇA Tenir des objets pendant que vous vous activez est un autre super boulot pour les enfants, quel que soit leur âge. Non seulement cela leur permet de rester près de vous et d’apprendre en regardant, mais cela vous libère les mains. Voici quelques exemples (notez l’usage du pronom; il s’agit d’accomplir une tâche ensemble): •«Tiens la lampe pendant qu’on essaie de réparer le four.» •«Tiens l’assiette pendant qu’on retire les crêpes de la poêle.» •«Tiens la porte pendant qu’on sort les poubelles.»

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REMUE ÇA Les jeunes enfants sont de parfaits commis de cuisine. Ils peuvent: •Remuer les sauces, les pâtes à gâteau et les vinaigrettes. •Casser les œufs. •Faire mariner les viandes et poissons. •Effeuiller les herbes. •Concasser des ingrédients avec un mortier et un pilon. •Couper ou peler des légumes. (Nous reparlerons des couteaux. Mais pour le moment, vous pouvez initier un tout-petit avec un couteau de table ou investir dans un petit économe.)

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PORTE ÇA Faites du portage un effort familial. Si vous avez les mains pleines, celles de vos enfants peuvent l’être aussi. Lorsque vous faites les courses, prévoyez un petit sac à dos ou en bandoulière que les enfants pourront porter jusqu’à la voiture ou la maison. Puis rangez les courses ensemble. Grâce à cette activité, les enfants apprendront à organiser les provisions dans la cuisine et à planifier les repas en famille. Lorsque vous voyagez, utilisez une petite valise afin que l’enfant puisse porter ses affaires – et les préparer. Chez nous, quand on part en voyage, quand on fait les courses ou quand on va à l’école, tout le monde porte quelque chose.

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LES TÂCHES QUI PROCURENT DE L’AMOUR Les jeunes enfants adorent être «la maman», «le papa», «la grande sœur» ou «le grand frère». Exercez-les à être gentils avec leurs frères et sœurs en leur demandant de vous passer une couche propre, de jeter les sales, de ramasser les jouets du bébé, d’amuser bébé et de lui donner à manger et même de vous aider à préparer ses repas et biberons. Si le bébé pleure, prenez un instant pour voir si l’enfant veut vous aider avant de vous précipiter pour le prendre dans vos bras.

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ENFIN… NETTOIE, NETTOIE, NETTOIE Les jeunes enfants sont des nettoyeurs accomplis. Ils peuvent rincer la vaisselle, mettre le produit dans le lave-vaisselle ou la machine à laver, nettoyer la table, passer l’aspirateur… Vous n’avez qu’un mot à dire et votre bambin nettoie. Ce qu’il leur manque en rigueur, ils le compensent par leur intérêt et leur enthousiasme. Ce ne sera peut-être pas super propre après coup, mais ils feront de leur mieux pour que ça le soit. Ne vous mêlez pas de ce qu’ils font. Donnez-leur les outils pour le ménage et laissez-les se lâcher.

NOTE

Le nombre d’interventions est minimum, seulement pour les dangers

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Voici quelques principes à garder à l’esprit: 1. La tâche doit être réelle et apporter une réelle contribution à la famille. Cette contribution n’a pas besoin d’être immense, mais elle ne doit pas être fabriquée. Par exemple, demander à un enfant de «balayer le sol» après que vous l’avez déjà fait n’est pas une tâche réelle. Pas plus que demander à un enfant de couper des légumes si c’est pour les jeter. Vous les retaillerez peut-être un peu ou aiderez l’enfant à finir de balayer, mais vous devez veiller à ce que son travail apporte une contribution réelle à la famille.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Un autre piège consiste à donner à l’enfant de «faux» instruments, comme de faux aliments, de faux ustensiles de cuisine ou de faux outils de jardin. Les enfants voient la différence. Ils savent qu’ils ne sont pas en train d’apprendre les «vraies» tâches. Et ils ne peuvent pas contribuer au but commun si leur intervention est «fausse».

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Si un enfant n’est pas prêt pour effectuer une tâche, comme cuisiner sur une cuisinière chaude ou coudre avec des aiguilles pointues, ne vous alarmez pas lorsqu’il propose son aide. Dites-lui de vous observer pendant que vous accomplissez la tâche. Ou donnez-lui un véritable ustensile pour qu’il s’exerce à côté de vous. Par exemple, donnez à un enfant motivé un morceau de tissu et du fil pendant que vous cousez ou une casserole et une cuillère pour qu’il s’entraîne à remuer. Pendant notre séjour au Yucatán, une mère avait donné à Rosy une petite boule de masa pour qu’elle s’entraîne à faire une tortilla à côté d’elle (ce qui n’est pas la même chose que de créer une tâche artificielle pour l’enfant).

NOTE

Laisse les s’entraîner

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

  1. Les tâches doivent être réalisables (ou presque). La clé est de confier aux jeunes enfants des tâches adaptées à leur propre niveau. Il est préférable de pencher vers la facilité plutôt que tomber dans l’excès de difficulté. Si c’est trop difficile, l’enfant sera frustré et perdra vite son intérêt (ou exigera trop de consignes et de supervision). Mais même la plus simple des tâches (comme porter le pain en rentrant de la boulangerie) peut être enthousiasmante pour un jeune enfant. Par exemple, si je demande à Rosy de couper une pomme de terre avec un couteau de table, elle s’agace et s’en va parce que la pomme de terre est trop difficile à couper avec ce couteau (et si je lui donne un couteau plus tranchant, j’ai tellement peur qu’elle se coupe que nous sommes toutes les deux tendues). Mais si je lui donne une banane à couper, elle met le paquet et réclame d’autres missions.

NOTE

Adapter le niveau de difficulté

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

  1. Ne forcez jamais l’enfant. Nous y reviendrons plus tard.Pour le moment, retenez uniquement que forcer un enfant peut sérieusement miner sa motivation. Nous apprendrons plus tard de nombreuses astuces pour faire face à un enfant têtu et peu coopérant, mais imposer une tâche ne fait qu’entraver son parcours pour devenir acomedido et crée des tensions. Si un enfant dit non ou vous ignore, laissez-le tranquille. Réessayez plus tard. L’idée est de former un enfant à coopérer, pas à obéir au parent. Travailler main dans la main implique en partie d’accepter le choix de l’enfant lorsqu’il préfère ne pas aider.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Avec les enfants de 6 à 12 ansPENSEZ À ENCOURAGER, ACTIVER, LES LAISSER PRENDRE DES INITIATIVES «C’est là que vous leur apprenez vraiment ce qu’il y a à faire, explique Maria au sujet de Gelmy, sa fille de 9 ans. On ne leur donne pas le travail d’une mère, mais plutôt quelque chose de léger. La première fois, ils ne feront peut-être pas attention. Peut-être même ni la deuxième et la troisième. Mais ils finiront par comprendre.»

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Quand les enfants sont un peu plus grands, gardez les mêmes lignes directrices qu’avec les plus jeunes, en encourageant leur envie d’aider et en sollicitant leur aide pour les sous-tâches. À mesure que ses savoir-faire se développent, les sous-tâches peuvent devenir plus complexes et suivre le rythme de l’évolution de son niveau de compétence. Soyez attentif à ce qu’il essaie de faire ou semble vouloir essayer. Chaque fois qu’il prend une initiative, mettez-vous en retrait et laissez-le se lâcher. En acceptant les contributions d’un enfant, sans vous en mêler, vous jetez les bases qui lui apprendront à proposer son aide.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

  1. Continuez de mettre l’accent sur la collaboration. Sollicitez les enfants pour qu’ils participent avec vous aux tâches ménagères. Au lieu de dire «débarrasse ton assiette après le dîner» ou «plie ton linge», présentez les corvées domestiques comme une activité commune, en disant par exemple «rangeons la cuisine tous ensemble après le dîner» ou «plions le linge en famille».

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Pour Rebeca, «c’est une invitation à faire les choses ensemble. Dans la culture occidentale, les enfants font souvent les choses indépendamment les uns des autres. Un enfant le fait le jeudi, un autre le vendredi. Mais ici, c’est “faisons-le tous ensemble et nous aurons fini plus vite”.»

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Tous les samedis, avant de sortir faire une activité sympa, je convoque tout le monde pour une fête du ménage. J’appelle Rosy et mon mari, je mets de la musique et on fait le ménage au rez-de-chaussée tous ensemble. Puis je fais remarquer qu’«on nettoie vraiment plus vite quand on le fait ensemble».

NOTE

Fête du ménage

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

J’adopte une stratégie similaire le dimanche pour la lessive. Une fois que le linge a séché dehors, j’appelle Rosy et Matt et chacun plie ensemble les vêtements des autres. Là encore, j’observe que travailler ensemble est plus rapide que quand on le fait seul. Ou bien je fais remarquer à quel point il est agréable – et important – d’avoir des vêtements propres à porter pour la semaine à venir.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

  1. Déléguez les sous-tâches. À mesure qu’ils grandissent et deviennent plus habiles, on peut confier aux enfants une partie plus importante de la tâche. Par exemple, «pour le moment, Gelmy [9 ans] ne fait que rincer la vaisselle tandis qu’Angela [12 ans] la lave, me fit remarquer Maria quand j’étais chez elle. C’est de cette manière que je leur apprends, en leur confiant seulement une portion de la tâche. Gelmy finira par apprendre la tâche complète.»

NOTE

Trouver le bon niveau de tâche pour les compétences de l’enfant

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

  1. Essayez l’activation. Au lieu de demander explicitement à l’enfant de faire une tâche, «activez» son aide en lui disant ce que vous allez faire ou en lui donnant un indice qui lui permet de comprendre que cette tâche est nécessaire

NOTE

On ne donne pas des ordres, on dit ce qu’on fait et pourquoi on le fait

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Dans l’une des études de Lucia, 50% des mères d’héritage nahua déclaraient avoir parfois recours à cette tactique pour inciter un enfant à aider. «Une mère raconte par exemple qu’elle prévient sa fille quand elle commence à préparer le repas», lit-on dans l’étude. La fille sait alors qu’il est temps de donner un coup de main. «Maman, tu as besoin d’aide?» demande la fille. «Oui, apporte-moi une tomate, sors tout ce qu’il faut, les oignons et les haricots», répond la mère. «Elle sait déjà ce qu’elle doit faire pour que je puisse cuisiner.»

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Il m’arrive de dire à Rosy «Mango a faim» ou «la gamelle de Mango est vide» pour lui apprendre à être attentive aux moments où il faut nourrir la chienne. Ou bien «il est l’heure de sortir les poubelles» pour lui indiquer que j’ai besoin qu’elle me tienne la porte ouverte. Ou encore «c’est l’heure de faire les courses» et elle sait qu’elle doit aller chercher les sacs réutilisables. Bien sûr, elle ne fait pas toujours ce que j’attends ou voudrais qu’elle fasse. Mais elle apprend, petit à petit, sans que je lui casse les pieds ou qu’on se dispute.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

O.K., soyons honnêtes. À ce stade, vous vous dites peut-être Mince alors! (voire Merde alors), ce processus d’entraînement aux tâches domestiques m’a tout l’air de demander beaucoup plus de travail que si je me contente de faire déguerpir les enfants pour me débarrasser de cette fichue vaisselle en cinq minutes chrono. Et c’est vrai, ce processus nécessite un peu de patience avec les plus petits, bien plus de patience que ce que j’avais prévu. Quand Rosy met ses petites mains dans le linge ou la vaisselle, l’ensemble de l’opération s’en trouve largement ralenti. Il lui faut parfois une minute entière pour décider où placer une assiette dans le lave-vaisselle. Ou bien, après qu’on a plié et rangé ses vêtements, elle se met à tout sortir des tiroirs et à jeter les vêtements par terre en criant: «On le refait, maman!» «Mais… mais… mais… on vient juste…», dis-je en grimaçant.

NOTE

Avec les enfants il faut être patient

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Une partie de moi voudrait lui hurler de quitter cette pièce. Une autre a envie de lever les mains au ciel et de laisser le chaos régner autour de moi. Mais aucune de ces deux attitudes n’apprendrait à Rosy à devenir un membre utile de la famille. Alors je prends une profonde inspiration, je déniche un petit reste de patience au fond de moi et je repense à la grand-mère maya de Chiapas apprenant au petit garçon à ne pas jeter des haricots entiers. Que ferait-elle dans cette situation? Elle remettrait Rosy sur les rails. Je prends doucement les vêtements des mains de Rosy, je les remets dans le tiroir et je lui dis, calmement: «Les vêtements pliés restent dans le tiroir. Nous en replierons la semaine prochaine.» Puis je sors de la chambre.

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Cela étant dit, une autre raison me motive à rester fidèle à cette approche (et à renforcer ma patience): elle me permet vraiment de gagner énormément de temps. Et je ne parle pas uniquement du temps que je gagnerai plus tard quand (si) Rosy deviendra plus serviable. Je parle du temps gagné maintenant, alors qu’elle n’est encore qu’une toute petite patate maladroite. J’expliquerai comment fonctionne ce principe dans le chapitre suivant, lorsque nous aborderons la deuxième étape de la formation d’enfants serviables

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

RÉSUMÉ DU CHAPITRE 4: COMMENT ÉLEVER DES ENFANTS SERVIABLES MÉMO Pour les enfants de tout âge: •Les enfants ont le désir inné d’aider leurs parents. Ils naissent ainsi. Ce n’est peut-être pas flagrant, mais ils ont une volonté intrinsèque réelle d’appartenir à la famille, et aider leur permet de gagner leur place au sein du groupe. •Bien souvent, un enfant ne connaît pas la meilleure façon d’aider. Il peut donc sembler inapte ou empoté. C’est à ses parents de le former. •La première fois qu’un enfant aidera dans une tâche, il sera probablement maladroit et fera n’importe quoi. Mais à force de pratique, il apprendra bien vite tout en gardant vive son envie d’aider. •Ne découragez jamais un enfant, quel que soit son âge, d’aider un parent ou un membre de sa famille. Lui demander de déguerpir peut annihiler sa motivation à mettre la main à la pâte et à coopérer. Si une tâche est trop difficile ou trop dangereuse pour lui, dites-lui d’observer. Ou divisez la tâche en sous-tâches plus réalisables. ACTIONS À ENTREPRENDRE Pour les jeunes enfants (de 1 à 6 ou 7 ans): •Tout au long de la journée, sollicitez l’aide de l’enfant, pour vous et pour le reste de la famille. N’abusez pas des demandes. Une par heure suffit. Quelques exemples de choses à demander: –Aller chercher quelque chose dont vous avez besoin, porter un petit sac de courses, remuer une préparation dans une casserole; couper un légume; tenir la porte; ouvrir le robinet du tuyau d’arrosage. •Veillez à ce que vos demandes concernent: –Des tâches réelles qui contribuent vraiment à la vie de la famille, pas des missions fausses ou simulées. –Des tâches à effectuer ensemble, en équipe, pas des missions que l’enfant fera seul. –Des tâches simples, que l’enfant peut comprendre et accomplir sans votre aide (par exemple, demandez à l’enfant de remettre un livre dans la bibliothèque plutôt que de ranger tout le salon). Une tâche n’est jamais trop facile. Pour les enfants plus grands (à partir de 7 ans): •Si l’enfant n’a pas l’habitude d’aider, mettez-le à l’aise. Essayez les astuces ci-dessus. Et soyez patient. Il ne mettra peut-être pas tout de suite la main à la pâte, mais il finira par apprendre. •Si l’enfant est déjà en train d’apprendre à être acomedido, augmentez la complexité des tâches à mesure que ses compétences évoluent. Laissez-vous guider par ce qui l’intéresse et par ce qu’il sait faire. •Plutôt que de dire frontalement à l’enfant ce qu’il doit faire, essayez de déclencher son action en faisant une allusion indirecte à la tâche (en disant, par exemple, «la gamelle du chien est vide» pour lui rappeler de le nourrir ou «il est l’heure de préparer le dîner» pour l’inciter à venir à la cuisine et à sortir les ingrédients du réfrigérateur). 

Chapitre 4. Comment apprendre aux enfants à accomplir volontairement des tâches domestiques

Les techniques présentées dans le chapitre suivant fonctionnent aussi sur les adultes. Grâce à ces outils et avec un peu de patience, j’ai entraîné plusieurs adultes de mon entourage à être beaucoup plus serviables.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

«Dans la culture maya, il existe une croyance qui dit que tout le monde a un objectif dans la vie», me confie la psychologue Barbara Rogoff. «Même les tout-petits ont un objectif?» demandé-je. Quel est l’objectif de Rosy dans notre famille? «Eh bien, oui. Tout le monde. Et le rôle des interactions sociales est en partie d’aider chacun à remplir son objectif.»

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Chaque fois que je parle des supermamans mayas à mes amis et à ma famille – et du fait que leurs relations avec leurs enfants soient si peu conflictuelles –, beaucoup ont la même réaction: «Ouais, mais tu ne les as pas vues préparer leurs enfants pour aller à l’école le matin. Retourne voir un parent dans ce genre de situation. Je suis sûre que tu en verras, des disputes.»

NOTE

Projeter ses problèmes sur les autres

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Rodolfo et moi nous arrêtons devant la maison de Teresa et Benito. Les lumières sont éteintes. Il règne un silence de mort. Tout le monde dort encore, sauf Teresa. Elle nous attend, debout sous le porche. Sa tenue est impeccable. Vêtue d’une jupe droite mauve et d’un chemisier en dentelle rose, elle semble se rendre à un déjeuner d’affaires à Manhattan. Ses longs cheveux sont noués en un chignon souple. «Días», dit-elle doucement en hochant la tête, tandis que nous pénétrons dans son salon. «Días», murmurons-nous en retour. Ses trois filles dorment encore, dans des hamacs accrochés dans le salon. Teresa se met aussitôt à l’œuvre et entreprend de les réveiller. Elle tire d’un coup sec sur le bord d’un hamac. «Réveille-toi. Réveille-toi, Claudia. Il faut se préparer pour aller à l’école», dit-elle doucement à la plus jeune de ses filles, âgée de 6 ans, encore profondément endormie. «Réveille-toi. Réveille-toi. Ay-yai.» Sa voix reste calme, mais on perçoit une très légère pointe d’agacement. Ha! Ha! me dis-je. Le voilà: le bras de fer mère-fille. Je serre mon micro, prête à enregistrer comment Teresa réagira à la désobéissance qui s’annonce. Mais à ce moment-là, Teresa pivote, littéralement. Au lieu de forcer la petite Claudia à se réveiller, elle tourne les talons et se dirige vers l’autre bout de la pièce. Là, elle s’arrête un instant et se lance dans une manœuvre que je n’ai jamais vue chez une mère occidentale. Teresa se transforme en chef d’orchestre ou, mieux encore, en un entraîneur de base-ball qui dirige son équipe en silence depuis le banc de touche. Au lieu de déverser une avalanche de consignes, de menaces et d’explications, elle communique par expressions faciales et mouvements des mains. Froncer le nez signifie «habille-toi»; se tirer l’oreille, «brosse-toi les cheveux»; hocher rapidement la tête, «c’est très bien». Si vous n’êtes pas extrêmement attentif, vous ratez toutes les consignes.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Teresa commence par le joueur de première base: son fils de 11 ans, Ernesto. Il adore l’école et est déjà levé, habillé et prêt à franchir la porte. «Reviens et va chercher tes chaussures, Ernesto», dit Teresa d’un air détaché. Ernesto ne réagit pas et sort en courant. Vient-il d’ignorer sa mère? Ce n’est pas très clair. Mais Teresa ne semble pas s’en soucier. Imperturbable, elle se tourne vers sa meilleure lanceuse: Laura. Elle a 16 ans et connaît bien les règles du jeu. «Il faut brosser les cheveux des petites», lui dit Teresa. Une fois encore, son ton est très professionnel. Bien qu’elle ne communique ni stress ni urgence, elle n’édulcore pas pour autant sa demande. Elle n’adoucit pas son intonation ni n’enveloppe sa requête de mots superflus du type «ça t’embêterait de brosser les cheveux des petites?» ou «veux-tu bien brosser les cheveux des petites?» ni même «pourrais-tu brosser les cheveux des filles, s’il te plaît?». Au lieu de cela, sa demande est directe: «Il faut brosser les cheveux des petites.» Et ça fonctionne.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

À demi endormie, Laura se dirige comme une zombie vers sa plus jeune sœur, la réveille doucement et commence à lui brosser les cheveux. Teresa tend à Claudia son uniforme et la fillette se dirige vers l’autre pièce pour s’habiller. Lorsque Claudia revient, Laura accomplit le plus bel acte de bonté auquel j’ai pu assister entre deux sœurs. Sans qu’on le lui demande, la jeune fille de 16 ans apporte une bassine d’eau et lave les pieds de sa petite sœur. Pleine d’amour et de douceur, Laura retire la saleté des talons et des orteils de Claudia, puis les sèche. Enfin, elle aide sa sœur à enfiler ses chaussures avec une tendresse infinie.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

L’idée que les enfants soient aussi calmes et bienveillants les uns envers les autres parce que Rodolfo et moi les observons me traverse l’esprit. Je demande donc à Teresa si notre présence change leur comportement. Elle glousse doucement: «Eh bien, Laura aurait lavé plus vite les pieds de Claudia si vous n’étiez pas là. Elle aurait dit à sa sœur de ne pas bouger pour pouvoir finir plus vite.» Ernesto surgit par la porte de derrière, il n’a toujours pas ses chaussures aux pieds. Teresa lui demande: «As-tu trouvé tes chaussures? Où les as-tu mises hier?» Là encore, Ernesto ne dit rien et sort par la porte d’entrée. Ensuite, Teresa fait signe aux filles de venir prendre leur petit déjeuner. Elles s’installent aussitôt pour manger. Debout, mon micro à la main, je suis frappée par le calme incroyable de chacune. Pendant tout ce temps, Teresa n’a prononcé que quelques mots. Elle a maintenu son niveau d’énergie au plus bas. Et les enfants ont suivi son exemple. Pendant que les filles mangent, il règne un tel silence dans la pièce qu’on entend chanter les oiseaux à l’extérieur.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Mais ce silence est rompu par l’irruption d’Ernesto qui déboule en courant de la porte d’entrée, et il n’a toujours pas ses chaussures! Argh, me dis-je, ça fait maintenant deux fois que Teresa lui demande de trouver ses chaussures. Mais elle ne ressent pas le besoin d’intensifier sa réaction. Elle ne transforme pas la désobéissance de son fils en conflit. Elle ne lui fait même pas remarquer qu’elle lui a déjà demandé deux fois. Elle garde son sang-froid et réitère simplement sa demande sur le même ton factuel: «Va chercher tes chaussures.» (Je remarque également qu’elle attend cinq bonnes minutes avant de répéter une demande à un enfant. En comparaison, j’attends environ dix secondes, sinon moins.) Et la patience de Teresa porte ses fruits. Ernesto ressort et revient bien vite avec ses chaussures!

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Puis Teresa fait un nouveau signe de la main et les quatre enfants se dirigent vers la porte. Laura s’installe sur la selle du vélo cargo, ses petits frère et sœurs sautent sur la plateforme à l’avant et elle les emmène à l’école. Et voilà. La routine du matin prend une vingtaine de minutes, entre le moment où Teresa secoue les hamacs et celui où les enfants franchissent la porte. C’est fluide, facile et hyper-calme. Il n’y a pas de cinéma. Pas d’insolence. Pas de cris. Pas de larmes. Pas de résistance. La folie du matin ressemble à tout sauf à de la folie. Les enfants de Teresa suivent largement le mouvement. Ils écoutent et savent ce qu’ils ont à faire. Et s’ils ne réagissent pas immédiatement à un ordre, Teresa ne les presse jamais pour les faire accélérer. Elle se contente d’attendre quelques minutes, puis redemande, sur le même ton. Elle ne va jamais au conflit. «Les matins sont faciles parce que les enfants s’entraident», m’explique Teresa. Et en effet, ce ne saurait être plus vrai. Les enfants étaient extrêmement coopérants. Ils n’avaient pas seulement envie d’aider leur mère, ils voulaient aussi s’aider les uns les autres.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Au-delà de la seule volonté de s’entraider, Teresa et ses enfants semblent bien mieux se comprendre que Rosy et moi. Teresa savait que presser davantage Ernesto ne lui ferait pas trouver ses chaussures plus rapidement. Elle savait que Laura arriverait mieux qu’elle à réveiller Claudia. Et Laura savait exactement comment brosser les cheveux de sa sœur pour ne pas les tirer ni lui faire mal. Chaque membre de la famille comprenait le fonctionnement des autres. Il règne ainsi dans leur foyer un merveilleux sentiment de cohésion et de coordination – un merveilleux sentiment de «nous», qui veut dire «nous sommes tous dans le même bateau». Et puis cela m’apparut comme une évidence: Teresa avait entraîné sa famille à travailler main dans la main

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

ÉTAPE2: DONNER AUX ENFANTS LEUR CARTE DE MEMBRE Avant de rencontrer Teresa et Maria, j’organisais l’emploi du temps de Rosy comme je pensais que tout bon parent le faisait: quand elle n’était pas à la garderie, je prévoyais toujours une «activité» pour elle. Pendant qu’elle dormait, la nuit ou à la sieste, je m’occupais de toutes les tâches domestiques. Je rangeais le salon et la cuisine, je faisais les lessives et je préparais le petit déjeuner et le déjeuner du lendemain pour ne pas avoir à nous presser le matin. Le week-end, nous allions au zoo, au musée ou dans des centres d’amusement intérieurs. Nous retrouvions ses amis pour jouer au parc et nous faisions du bricolage pour Pâques ou Halloween. Les jours de pluie, notre salon se remplissait de jouets, jeux, puzzles et autres «outils éducatifs». Toutes ces activités me donnaient bonne conscience, car je pensais qu’il était enrichissant pour Rosy d’être exposée à des expériences variées. Dans la pratique, ces activités me permettaient aussi de l’occuper, de ne pas l’avoir dans les pattes et de la distraire sans qu’elle me rende dingue.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Mais pour être honnête avec vous, au risque de vous choquer, je n’ai jamais vraiment aimé ces activités. J’ai l’impression d’être une mauvaise mère rien qu’à le dire, mais c’est la vérité. Dans les endroits «conçus pour les enfants», soit je m’ennuyais carrément, soit j’étais absolument submergée par le bruit, les lumières et le chaos. Je sortais du musée des sciences pour enfants éreintée, complètement sur les nerfs et c’était comme si une petite partie de mon âme était morte au snack au moment où j’avais dépensé dix dollars pour une part de pizza au pepperoni. (Une part de pizza que, soit dit en passant, je finissais par manger après que Rosy m’avait crié au visage: «Beurk! J’aime pas ce fromage!»)

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Rester jouer au salon avec Rosy n’était guère mieux. Certains après-midis, j’aurais préféré me crever les yeux plutôt que de jouer une fois de plus à Elsa et Anna. Mais je me disais: C’est ce que fait une bonne mère. C’est de ça que Rosy a besoin et envie. C’est bon pour elle. Ça l’aide. Ça vous rappelle quelque chose?

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Mais le temps passé avec Maria et Teresa à Chan Kajaal me fait réfléchir: et si toutes les idées préconçues que je trimballe sur «ce que fait une bonne mère» n’étaient que balivernes? Et si cette avalanche d’activités avait le résultat inverse de celui escompté et, plutôt que de rendre Rosy plus heureuse et de nous faciliter la vie, ne faisait que dégrader le comportement de Rosy et me compliquer la vie? Était-il possible que ces activités érodent la motivation interne de Rosy à être un membre coopérant de la famille, à faire partie de l’équipe? Était-il possible qu’elles sapent sa confiance en elle et sa perception d’elle-même? Existe-t-il des manières plus simples, plus efficaces et plus agréables de passer du temps avec un enfant?

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Les parents mayas ne ressentent pas le besoin constant de divertir leurs enfants ou de jouer avec eux. Ils ne mettent pas à leur disposition un flot ininterrompu de vidéos, de jouets et de chasses au trésor pour les stimuler et les occuper. Autrement dit, les parents mayas ne s’assoient pas par terre pour jouer à la princesse et ne passent pas leurs week-ends dans des musées pour enfants à manger des parts de pizza à dix dollars. C’est ce que Suzanne appelle des activités «centrées sur l’enfant». Cela signifie que ce sont des activités qui s’adressent uniquement à des enfants, que les parents ne feraient pas s’ils n’avaient pas d’enfants. D’après ses observations, les parents mayas n’éprouvent pas autant, sinon jamais, le besoin de planifier ce type d’activités.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Au lieu de cela, ils offrent à leurs enfants une expérience encore plus enrichissante, une chose à laquelle bien peu d’enfants occidentaux peuvent goûter: la vraie vie. Les parents mayas accueillent les enfants dans le monde des adultes et leur donnent accès sans restriction à la vie des adultes, y compris à leur travail.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Les adultes vaquent à leurs occupations quotidiennes – nettoyer, cuisiner, nourrir le bétail, coudre, construire des maisons, réparer vélos et voitures, s’occuper de leurs frères et sœurs – tandis que les enfants jouent à leurs côtés et observent leurs activités d’adultes. Ces événements de la vie réelle sont des «activités d’enrichissement». Elles font office à la fois de divertissement pour les enfants et d’outils pour apprendre et grandir, physiquement et émotionnellement. On invite les enfants à observer et à mettre la main à la pâte quand c’est nécessaire. Au fil du temps, un enfant apprend progressivement à tisser un hamac, à élever une dinde, à faire cuire le tamal dans un four souterrain ou à réparer un vélo.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

les parents mayas – comme la plupart des parents à travers le monde, je le répète – organisent l’emploi du temps des enfants afin de leur offrir l’occasion d’être auprès des adultes lorsque ces derniers vaquent à leurs tâches quotidiennes. Quand les adultes s’occupent de la maison, gèrent l’entreprise familiale ou entretiennent le jardin, les enfants sont toujours dans les parages, ils sont toujours les bienvenus. Et les jeunes enfants adorent ce type d’activités. Ils meurent d’envie d’y participer. D’après la psychologue Rebeca Mejía-Arauz, les enfants ne font pas la différence entre le travail des adultes et le jeu. «Les parents n’ont pas besoin de savoir jouer avec leurs enfants. Si on implique les enfants dans les activités des adultes, ils considèrent ces activités comme du jeu.» Et ils associent alors les tâches ménagères à des activités positives, amusantes et ludiques.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

«Les parents ne forcent pas les enfants à participer à leur travail ou aux tâches domestiques, mais la maison et l’environnement des enfants sont organisés de sorte que ces derniers puissent développer ces aptitudes, explique la psychologue Lucia Alacalá. C’est une vision très sophistiquée du développement de l’enfant.»

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Si les enfants sont près de vous lorsque vous préparez le petit déjeuner ou faites une lessive, ils saisiront vite comment brouiller un œuf ou séparer le blanc des couleurs. Mais cette approche présente plusieurs autres avantages. D’abord, elle permet au parent de faire une pause. Au lieu de devoir planifier, financer et participer à d’innombrables activités centrées sur l’enfant, les parents peuvent poursuivre leur vie normale – travailler ou se détendre – pendant que les enfants suivent et apprennent au fil de l’eau. Plutôt que de planifier votre vie autour de votre enfant, vous pouvez tout simplement inclure votre enfant dans votre emploi du temps.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

quelle merveilleuse manière d’apprendre! Aucune pression pour acquérir une compétence plus vite qu’on ne le peut, pas de cours magistral, pas d’examen de fin de semestre. Les enfants apprennent à leur rythme par leur seule proximité avec des adultes, en observant et en mettant la main à la pâte. Enfin – et c’est peut-être le plus important –, cette approche donne aussi aux enfants quelque chose qui manque dans bien des foyers occidentaux: leur carte de membre.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Ici, en Occident, on a souvent recours à deux leviers de motivation: la récompense (félicitations, cadeaux, autocollants, argent de poche…) et la punition (cris, mises à l’écart, punitions, menaces…). Mais dans bien d’autres cultures, les mères et les pères exploitent une autre source de motivation: l’ardeur que met l’enfant à faire partie intégrante de la famille et à travailler en équipe. Son besoin d’appartenance

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

C’est une source puissante de motivation. Très puissante. Sans elle, c’est comme si les parents élevaient leurs enfants les deux mains attachées dans le dos. Non seulement ce besoin d’appartenance pousse les enfants à s’impliquer avec enthousiasme dans les tâches domestiques, mais il les aide aussi à devenir plus coopérants et plus souples de façon générale. Il les motive à se préparer pour aller à l’école le matin, à manger la nourriture qu’on met dans leur assiette et à ne pas repousser le moment de venir mettre la table quand on le leur demande!

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

D’après Lucia, dès l’âge de 8 ou 9 ans, les enfants ont pleinement conscience de cette source de motivation. «Nous avons demandé à des enfants mayas ce qui les pousse à aider à la maison. Plusieurs ont dit que c’était parce qu’ils faisaient partie de la famille et que c’était une responsabilité partagée. Tout le monde met la main à la pâte.» Un enfant a répondu: «Eh bien, je vis ici. Et donc je dois aider.» Un autre: «Parce que moi aussi je mange à la maison, il faut aussi que j’aide mon papa.» Mais il y a une condition essentielle pour que les mères et pères soient en mesure de puiser dans cette motivation naturelle: les enfants doivent avoir le sentiment d’être des membres contributeurs à part entière de la famille. Ils doivent sentir que leur participation compte et fait vraiment la différence. Par exemple, si un enfant s’occupe d’un petit frère ou d’une petite sœur, il est réellement responsable du bien-être du petit. Les enfants ont une conscience aiguë de leur relation avec les autres. Ils savent qui fait ou non partie de leur équipe. Ils sont conscients dès le plus jeune âge de leur interdépendance et de leurs liens à autrui; ils savent qui les a aidés et qui ils ont aidé.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

En accueillant les enfants dans le monde des adultes, vous leur confirmez qu’ils font partie de l’équipe familiale

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Chaque fois qu’on implique un enfant dans une tâche d’adulte, qu’il s’agisse de choses simples comme sortir les poubelles ou plus complexes comme partir au Yucatán pour écrire un livre, on dit à cet enfant qu’il appartient à quelque chose qui le dépasse. Il fait partie d’un «nous». Et il est relié aux autres membres de la famille. Ses actions peuvent aider ou blesser autrui. À l’inverse, chaque fois qu’on choisit une activité dédiée à l’enfant ou centrée sur lui, on lui retire un peu cette carte de membre. On dit à l’enfant qu’il est différent du reste de la famille, qu’il est un peu comme un VIP, exempt du travail familial, des activités d’adulte. Cela érode sa motivation à travailler en équipe.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

C’est exactement ce qui se passait entre Rosy et moi. Je lui enseignais que son rôle à la maison était de jouer aux Lego, de regarder des vidéos pédagogiques et de se faire servir des repas (plus précisément des pâtes sans sauce avec une tartine de beurre). Mon rôle était de ranger, cuisiner, faire sa lessive et la trimballer d’une activité à une autre. Alors pourquoi diable mettrait-elle ses chaussures quand je lui demande le matin? Pourquoi mangerait-elle le brocoli que j’ai cuisiné? Ou irait-elle se coucher quand nous sommes tous épuisés? Sous bien des aspects, elle était comme la PDG d’une entreprise high-tech; j’étais sa responsable de l’événementiel. J’étais là pour planifier ses journées et m’assurer qu’elle s’amusait.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Je pris la décision de ne plus être sa responsable de l’événementiel et de l’accueillir dans mon univers, de cesser de la divertir et d’apprendre à simplement passer du temps avec elle. À mon retour du village de Chan Kajaal, j’entrepris trois énormes transformations chez les Doucleff: 1. Réorganiser totalement l’emploi du temps de Rosy. Les weekends et les après-midis après l’école furent des moments précieux pour permettre à Rosy d’obtenir sa carte de membre de la famille, d’accéder aux rouages de notre foyer et d’être immergée dans le monde des adultes. J’ai renoncé à presque toutes les activités centrées sur l’enfant. Plus de musée pour enfants, de zoo et d’aire de jeu. J’ai même supprimé les fêtes d’anniversaire, à l’exception de celles organisées par des amis de la famille avec qui Matt et moi avons envie de passer du temps. Idem pour les goûters avec les copains: si je n’ai pas envie de passer l’après-midi avec les parents, on ne le fait pas. Ou bien je me contente de la déposer chez sa copine et je la laisse passer du temps seule avec l’autre famille. Grâce à cela, j’ai découvert que Rosy aimait vraiment passer du temps sans ses parents. Vers l’âge de 2 ans et demi, ça lui était déjà égal de rester sans moi chez ses copines. Tant qu’elle se sentait liée à un autre adulte, elle était contente.

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Pour nos temps libres, nous choisissons une activité qui plaît à toute la famille, quelque chose que nous avions l’habitude de faire avant la naissance de Rosy. Parfois, nous adaptons un peu l’activité pour qu’elle puisse y participer (raccourcir une randonnée, modifier un parcours à vélo, faire l’impasse sur un verre après le dîner). Mais les activités ne tournent pas autour d’elle, elles ne lui sont pas destinées et ne sont pas «réservées aux enfants». Ce sont des activités du monde des adultes et elle y participe pleinement.

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Mais le vrai grand changement, le voici: plutôt que d’attendre que Rosy dorme ou fasse la sieste pour s’occuper des corvées domestiques, on les fait avec elle. Le samedi matin, on cuisine un truc sympa pour le petit déjeuner, puis on fait le ménage tous ensemble, et ni Matt ni moi n’y échappons. Le dimanche matin, on fait la lessive – là encore, tous ensemble – et l’après-midi on s’occupe des courses. Le dimanche soir, on jardine, on promène la chienne ou on rend visite à des amis.

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Et quand elle dort? Bon sang, mais je me détends! Je lis, je vais me promener, je regarde Netflix ou j’ai de longues conversations magnifiquement ininterrompues avec mon mari. Et parfois je prends un long, un très long bain ou j’en profite pour faire moi-même une sieste.

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  1. Modifier radicalement ma façon d’accueillir son envie de participer aux tâches domestiques. Même si elle faisait n’importe quoi, qu’elle cassait quelque chose ou m’arrachait un ustensile des mains, je me rappelai: Elle essaie d’aider mais ne sait pas comment faire. Je dois lui apprendre. Et ça peut être long. Je me mettais en retrait, la laissais réaliser la tâche et m’efforçais de limiter les consignes et les commentaires au strict minimum. Et je venais alimenter le moindre de ses intérêts pour les tâches domestiques, même si elle semblait seulement le prendre au jeu ou à la rigolade.

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  1. Lui donner autant d’autonomie que possible. Nous en reparlerons plus loin, lorsque nous irons à la rencontre des Hadza. Pour le moment, je voudrais insister sur le fait qu’il est nécessaire de respecter l’autonomie de l’enfant – c’est-à-dire d’arrêter de faire le gendarme – si on veut que ce système fonctionne.

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RECETTE No 2: FORMER À LA COOPÉRATION Dans la culture occidentale, on déploie une énergie folle à tracer une frontière entre le monde des enfants et celui des adultes. Les enfants vont à l’école; les parents vont au travail. Les enfants se couchent tôt; les parents se couchent tard. Les enfants mangent de la nourriture pour enfants; les adultes mangent de la «nourriture pour adultes» (comme me le disait ma nièce de 7 ans l’été dernier). La séparation est nette. Mais il n’y a pas de raison qu’il en soit ainsi. Votre mission, c’est de trouver des occasions de fusionner les deux mondes. Et ces occasions sont très, très nombreuses. Il faut seulement apprendre à les repérer.

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Gardez à l’esprit que certains enfants ont besoin de temps pour s’adapter à un nouvel environnement, en particulier un enfant plus âgé qui a peu d’expérience dans le monde des adultes. Au début, il ne saura pas forcément comment se comporter. Et vous devrez peut-être l’initier lentement à de nouvelles pratiques, sur plusieurs semaines ou plusieurs mois. «Le problème, selon moi, c’est que les enfants n’ont été élevés que dans des espaces sécurisés pour les enfants, explique Barbara Rogoff. Ensuite, lorsqu’ils pénètrent dans un endroit répondant à des règles différentes – dans un cadre conçu pour les adultes de classe moyenne –, ils ont parfois un comportement perturbateur. D’autres adultes se fâchent. Et les parents renoncent.» Mais ne renoncez pas! Faites preuve d’un peu de patience. Rappelez-vous que vous êtes en train de former l’enfant à acquérir un nouveau savoir-faire. D’après Barbara, à force de temps et de pratique, les enfants peuvent apprendre à adopter un comportement approprié dans un environnement adulte. «Un enfant est capable d’apprendre si vous commencez suffisamment tôt ou si vous immergez un enfant plus âgé dans cet environnement. Les enfants sont très forts pour distinguer le monde des adultes du monde des enfants.» Ils sont aussi très forts pour comprendre quelles règles s’appliquent en différents lieux. Si on y réfléchit un peu, comment peut-on espérer que les enfants apprennent à agir avec une certaine maturité s’ils ne sont pas régulièrement exposés à la maturité des adultes? Si Rosy passe tout son temps à jouer avec des enfants de 3 ans, comment peut-on s’attendre à ce qu’elle agisse avec plus de maturité qu’une enfant de 3 ans? Exposer les enfants à l’univers des adultes est aussi un excellent entraînement pour l’école. Ils apprennent à être patients, calmes et respectueux, mais aussi à observer et à écouter.

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TREMPEZ UN ORTEIL • Faites du samedi ou du dimanche votre jour d’adhésion familiale. Ce jour-là, tous les membres de la famille sont traités de la même manière et sont invités à pratiquer les mêmes activités. Remplacez les activités centrées sur les enfants et les divertissements réservés aux enfants (y compris les jeux et ce qu’ils regardent à la télévision et sur YouTube) par des activités centrées sur la famille et les adultes. Concentrez-vous sur l’immersion de l’enfant dans le monde des adultes. Occupez-vous de la maison, du jardin ou du bureau. Allez faire les courses ensemble.

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Faites un pique-nique dans un parc en famille ou entre amis. Allez à la pêche. Allez à la plage pour lire ou travailler pendant que les enfants jouent. Invitez des amis à dîner et impliquez les enfants dans les préparatifs: ils peuvent s’occuper des serviettes, des menus, des boissons et de tous les trucs sympas. Participez à une activité organisée par votre communauté convenant à tous les âges. Ou faites du bénévolat là où les enfants sont les bienvenus: banque alimentaire, soupe populaire, jardin partagé, groupe d’entretien des sentiers. Tout au long de la journée, essayez de vous dire: Ce n’est pas mon boulot de divertir les enfants. C’est leur boulot de faire partie de l’équipe.

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Prenez chaque jour un moment qui ne soit pas consacré à divertir ou à instruire vos enfants. Lancez-vous progressivement, disons cinq minutes à la fois. Puis augmentez la durée jusqu’à pouvoir le faire toute une journée, le samedi ou le dimanche.

NOTE

Progression exponentielle quand tu te sens prêt

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Pendant ces moments de pause, laissez les enfants tranquilles. Ne leur donnez aucune consigne, n’essayez pas de leur expliquer tout un tas de choses, ne leur donnez pas de jouets (ou d’écran) pour s’amuser. Laissez-les se débrouiller seuls. Vaquez à vos occupations et laissez-les traîner dans les parages. Occupez-vous de la maison. Travaillez. Ne faites rien. Allongez-vous sur le canapé et lisez un magazine. Au début, il peut être plus facile de le faire en dehors de la maison. Emmenez les enfants au parc et prenez un livre ou du travail à faire. Asseyez-vous sur un banc et ne dites rien. Si les enfants pleurnichent ou se plaignent de s’ennuyer, ignorez-les. Ils trouveront la motivation pour se divertir tout seuls, sans vous et sans écran. À mesure qu’ils développent cette aptitude, la vie devient plus simple, plus tranquille, plus paisible.

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PLONGEZ • Réduisez (voire éliminez?) toutes les activités centrées sur l’enfant. Ne vous en faites pas, votre enfant participe à plusieurs de ces activités à l’école, avec ses amis et avec la famille. Mais mettez un point d’honneur à refuser autant de fêtes d’anniversaire, de sorties au zoo, de goûters et de «sorties éducatives» que possible. Les jeunes enfants n’ont pas vraiment besoin de ces activités.

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Quant aux enfants plus âgés, aidez-les à devenir responsables de ce type d’activités. Apprenez-leur à les planifier, les organiser et les mettre à exécution. Laissez-les gérer eux-mêmes leurs invitations et les après-midis chez leurs copains. Montrez-leur comment s’inscrire à des sports, des cours de musique et autres activités extrascolaires. Apprenez-leur à s’y rendre à vélo, à pied ou en bus. Et, si c’est impossible, aidez l’enfant à mettre en place du covoiturage avec d’autres familles. L’objectif ici est de limiter votre implication dans ces activités et de développer son autonomie.

NOTE

Ils apprennent à s’organiser

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Souvenez-vous, les activités centrées sur l’enfant sont celles que les parents font uniquement pour l’enfant; sans lui, vous n’y participeriez pas et l’activité en question ne vous procure pas vraiment de plaisir. Le détail exact de ce qui entre dans cette catégorie varie d’un parent à l’autre et d’une activité à une autre. Les sports en équipe, par exemple, sont généralement réservés aux enfants, mais ils impliquent souvent de nombreux membres de la famille et des amis proches. De nombreuses familles se réunissent pour s’encourager et se soutenir. Vous seul pouvez décider ce que vous considérez comme «centré sur l’enfant».

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Autre test décisif: la manière dont votre enfant se comporte après une activité. Est-il plus calme et coopérant ou plus tendu et dans l’opposition? Dans le second cas, laissez tomber cette activité. Elle sape son esprit d’équipe. Et si l’activité déclenche, d’une manière ou d’une autre, conflits, disputes ou résistance, oubliez-la. Une activité qui génère des bras de fer n’en vaut pas la peine. Les enfants ont besoin de moins de conflit, pas l’inverse.

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Personnellement, je constate que Rosy a une sorte de «gueule de bois» désagréable après une activité tournant particulièrement autour de l’enfant. Elle se comporte très mal pendant l’heure qui suit, le temps de se réadapter à la vie de famille, où elle doit se plier à la routine et se montrer coopérative. Je crois aussi que ces activités sont stressantes pour elle, parce qu’elles la déconnectent de la famille et, par-dessus le marché, la surexcitent. Elles tournent souvent autour du «je» et Rosy a vraiment besoin – et envie – de se concentrer sur le «nous».

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Pour ma part, je me pose la question suivante: assisterais-je ou non à cette activité si Rosy était malade? Par exemple, des soupers avec les autres familles de sa classe, à l’école maternelle, sont organisés chaque semaine. J’apprécie vraiment ces soirées. Les autres parents sont devenus des amis et font maintenant partie de notre réseau d’entraide. Je tiens à ces relations et j’ai envie de renforcer ces liens. Aussi, même si ces soupers sont liés à son école, je les considère comme des activités «centrées sur la famille» et nous continuons d’y participer. Aussi incroyable que cela puisse paraître, j’aime aussi beaucoup aller au parc. J’adore regarder les oiseaux, lire ou noter des choses dans un carnet. J’aime l’idée que les parcs réunissent des enfants de tous les âges. Mais je n’aime pas jouer au parc. Pour moi, c’est ce qui transforme cette activité centrée sur la famille en une activité centrée sur l’enfant. Alors Rosy et moi y allons régulièrement, mais elle joue pendant que je travaille. Point barre.

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Augmentez son exposition au monde des adultes. Emmenez votre enfant dans des endroits qui ne sont pas naturellement considérés comme «adaptés aux enfants», mais qui lui montreront comment fonctionne le monde des adultes: au supermarché, chez le médecin, chez le dentiste, à la banque, à la poste, au magasin de bricolage, au centre de reprographie. En gros, n’importe quel endroit où vous avez besoin de vous rendre pour le travail ou les affaires familiales. N’espérez pas qu’il adopte un comportement parfait dès le début. Il faut lui apprendre, lentement, progressivement. Commencez par de petites sessions, d’une quinzaine de minutes par exemple, et augmentez leur durée au fil du temps. Ou laissez-vous guider par l’enfant. Observez-le et voyez combien de temps il tient dans un environnement adulte. Lorsque Rosy a atteint les limites du supportable, elle est très douée pour me le faire comprendre. À l’inverse, il arrive qu’elle me surprenne par son calme et sa patience. Pas plus tard que la semaine dernière, elle a passé trois heures (!) avec moi chez l’ophtalmo, sans faire trop d’histoire ni de bazar.

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Mais quand elle se conduit de façon inappropriée, je lui rappelle: «Ce n’est pas un endroit pour jouer. C’est un privilège d’être ici et si tu n’es pas assez grande, tu vas devoir partir.» Quand elle touche un appareil ou se met à jouer avec celui-ci, je lui répète: «Ce ne sont pas des jouets. C’est un endroit pour les grandes filles, pas un endroit pour jouer.»

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• Jetez les jouets et tout autre objet centré sur l’enfant. D’accord, vous n’êtes pas obligé de tous les jeter. Mais vous pouvez tout à fait élaguer votre stock pour ne garder que quelques livres, feutres, crayons et peut-être une boîte de Lego (ou un jouet avec lequel l’enfant joue régulièrement). Et vous pouvez assurément cesser d’acheter de nouveaux jouets. Souvenez-vous que les enfants ont vécu deux cent mille ans sans ces objets. Ils n’en ont absolument pas besoin. Par ailleurs, vos proches se chargeront de fournir plus de cadeaux qu’il n’en faut pour maintenir chez vous un bon niveau d’objets en plastique rose et d’ours bleus en peluche.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Posséder moins de jouets – et moins s’en préoccuper de façon générale – présente des tas d’avantages. Tout ce temps gagné à ne pas les ranger et les réparer! C’est aussi plus d’espace et moins de bazar. Votre décoration sera moins puérile (si vous avez une salle de jeux, vous pouvez par exemple en faire une pièce dédiée à une activité d’adulte, comme la couture ou l’ébénisterie). Et une fois que vous commencez à considérer les jouets comme des choses inutiles et superflues, ils peuvent vous servir à former votre enfant à d’autres aptitudes, comme l’entraide et le partage.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Utilisez les jouets pour lui apprendre à être acomedido. Si les jeux et les jouets ne sont plus essentiels chez vous (mais plutôt un privilège pour l’enfant), alors ce n’est plus au parent de les ranger – en tout cas, pas tout seul. Vous pouvez désormais mettre en place quelques règles utiles dans ce domaine. Montrez à l’enfant comment ranger ses jouets et faites-le ensemble. S’il ne participe pas ou ne les range pas de façon régulière, jetez-les tout simplement à la poubelle ou donnez-les à une association caritative. Je tiens cette idée d’une mère d’héritage nahua citée dans l’une des études de Lucia. Lorsque son fils ne range pas ses jouets, la mère menace de les «bazarder». L’enfant les ramasse immédiatement.

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Si je dois demander plus de trois fois à Rosy de ranger un jouet (ou que je me retrouve sans cesse à le faire à sa place), je le jette. Ou je le mets dans une boîte qu’on emporte à Emmaüs à la fin de la semaine. Il m’arrive de la mettre en garde: «C’est ta dernière chance de le ranger avant qu’il finisse dans la poubelle!» D’autres fois, je le jette, sans préavis. Pas une fois elle n’a réclamé un jouet dont je m’étais débarrassée. Nous avons rapidement réduit son stock aux jouets auxquels elle tient vraiment et elle est devenue meilleure en rangement.

NOTE

Ce n’est pas une punition on ne fait que la prévenir

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

Utilisez les jouets pour lui apprendre le partage. Lorsque vous rendez visite à des amis, demandez à votre enfant de choisir un jouet ou un livre à offrir à l’autre famille. Ou passez chaque mois les jouets en revue ensemble et mettez-en la moitié de côté pour une association caritative. Je mettrais ma main à couper que votre enfant sera ravi de partager avec ses amis ou des œuvres de charité et le fera de lui-même au bout de quelques semaines.

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Reconsidérez votre rôle en tant que parent et le rôle de votre enfant au sein de la famille. Votre rôle consiste-t-il à occuper et divertir votre enfant? Ou est-ce de lui inculquer des savoir-faire essentiels et de lui enseigner comment agir main dans la main avec les autres?

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Pensez maintenant au rôle de votre enfant au sein de la famille. Le considérez-vous comme l’ayant droit d’un divertissement illimité ou a-t-il une raison d’être plus importante, comme l’aide et la coopération? Le travail ensemble, en équipe? Comment contribue-t-il ou a-t-il envie de contribuer? Un enfant peut tout à fait participer aux tâches quotidiennes, comme préparer les repas, ranger, aider à faire la lessive, s’occuper des animaux domestiques. Demandez-lui de mettre la main à la pâte ou veillez au moins à ce qu’il soit dans les parages quand vous effectuez une tâche ménagère. S’il est récalcitrant, rappelez-lui qu’il fait partie de la famille et que, dans une famille, on travaille main dans la main.

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Lorsque vous sollicitez son aide, n’oubliez pas qu’il s’agit toujours de travailler ensemble. Vous ne demandez pas à l’enfant d’accomplir une tâche seul. Vous pouvez par exemple lui dire: «Plions le linge ensemble et nous aurons fini plus vite.» Toute tâche devient une occasion d’œuvrer ensemble et de renforcer l’adhésion de l’enfant au sein de la famille. (Rappelez-vous également que votre invitation à aider n’est pas un ordre. L’enfant peut dire non s’il le souhaite.)

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 Formez un collègue de travail. Si vous voulez que votre enfant se sente comme un membre de la famille à part entière, impliquez-le dans votre carrière ou votre travail. – Amenez-le régulièrement au bureau ou sur votre lieu de travail (selon ce que votre direction vous permet, mais idéalement quelques heures par semaine). Pendant que vous travaillez, il peut traîner près de vous, faire du coloriage, dessiner ou lire. S’il exprime un intérêt pour votre travail, proposez-lui de petites tâches faciles et réalisables pour un enfant. Par exemple, Rosy adore réaliser de belles cartes de remerciements que je donne aux personnes que nous interviewons. Elle agrafe aussi les contrats, scanne des documents et met des timbres sur mes courriers. – Le week-end, si vous devez travailler de chez vous, proposez à votre enfant de rester près de vous. Inutile de lui expliquer ce que vous faites. Il suffit par exemple de lui dire: «Maintenant, on travaille et on a besoin de calme.» Rosy adore s’asseoir à côté de moi pendant que j’écris, même si je ne fais que fixer l’écran. Elle s’allonge près de moi et se repose. Ou bien elle fait du coloriage et «lit».

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Soyez créatif. Cherchez des façons d’inclure vos enfants dans votre travail qui sont peu encouragées dans notre culture. Par exemple, emmenez votre enfant avec vous lors d’un déplacement professionnel, d’un dîner ou d’une fête d’entreprise. Demandez conseil à votre enfant au sujet d’une tâche ou d’un problème professionnel. Parlez de votre travail à table ou en voiture et demandez-lui son avis. Vous pouvez aussi tout simplement lui montrer ce que vous faites: montrez-lui vos présentations PowerPoint, vos examens de projets, vos tableaux comptables. Sur une carte, montrez-lui où vous travaillez et où travaillent vos clients. Montrez-lui tout ce que vous pouvez. Faites-le entrer dans votre monde. J’interviewe souvent Rosy pour des articles pour la radio, même lorsque le sujet ne porte pas sur l’éducation des enfants. Pourquoi? Parce qu’elle aime être enregistrée et entendre sa voix sur la bande. Mais aussi parce qu’elle a souvent un point de vue intéressant sur les sujets. Elle est très douée pour résumer des idées. Et à terme, je veux qu’elle m’aide à transcrire les entretiens et à monter les reportages, j’ai donc besoin qu’elle s’implique le plus tôt possible.

Chapitre 5. Comment élever des enfants souples et coopérants

à mon retour de Chan Kajaal, lorsque j’ai mis en place tous ces changements, tout s’est-il soudain transformé comme par magie? Eh bien, non. Il m’a fallu des mois de pratique pour cesser de divertir Rosy et de jouer à sa responsable de l’événementiel. Je me surprends encore à organiser des «activités» pour elle de temps à autre ou à transformer notre balade au parc en leçon de biologie. Mais dans l’ensemble, cette approche nouvelle a rendu nos vies beaucoup moins stressantes. Mon mari et moi ne courons plus tous les week-ends d’une activité pour enfants à une autre. Nous avons davantage de temps pour nos propres passions et loisirs, comme la randonnée, le jardinage, la lecture et le plaisir de ne rien faire d’autre que paresser trois heures sur la plage un samedi après-midi. Et Rosy adore apprendre des choses sur nos centres d’intérêt. Tout ce qui nous enthousiasme l’enthousiasme aussi! Tout cela crée des occasions de renforcer nos capacités de collaboration.

TEAM 1. Introduction à la méthode TEAM: nourrir une tendre camaraderie

Le cœur de cette approche repose sur quatre piliers de la relation parent-enfant: la tendre camaraderie, les encouragements, l’autonomie et un minimum d’ingérence. J’ai imaginé un acronyme très simple, TEAM*. Ainsi, lorsque je rencontre des difficultés avec Rosy (ou que c’est la pagaille chez les Doucleff), je reviens bien vite à ces quatre éléments fondamentaux qui me permettent de limiter les dégâts.

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L’éducation dans les sociétés occidentales se concentre énormément sur l’apprentissage de l’autonomie: les enfants doivent apprendre à s’habiller le matin, ranger leur chambre, faire leurs devoirs tout seuls. La liste est longue. Mais cette approche va à l’encontre de centaines de milliers d’années d’évolution. Nous, humains, sommes animés par un désir inouï d’être entourés et d’aider autrui; c’est l’une des caractéristiques essentielles qui nous séparent des autres primates. Et c’est probablement l’une des raisons pour lesquelles Homo sapiens a survécu ces deux cent mille dernières années, contrairement à (au moins) sept autres espèces du genre Homo.

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De plus, ce désir d’aider semble présent très tôt chez l’enfant. Au cours d’une étude, on a observé des tout-petits offrant volontairement leur aide à un adulte pour effectuer quatre tâches bien différentes: aller chercher un objet hors de portée de l’adulte, ouvrir un placard quand l’adulte a les mains prises, corriger une erreur de l’adulte et retirer un obstacle se trouvant sur son chemin. Pour apporter leur aide de tant de manières différentes, les tout-petits doivent déjà être dotés d’un sens aigu de l’empathie, d’une incroyable aptitude à lire dans les pensées et d’un très grand désir de coopérer.

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Ainsi, quand nous, parents, insistons pour que les jeunes enfants agissent seuls, nous allons à l’encontre de leur désir – et même de leur besoin – inné d’être ensemble et de collaborer. Cela ne fait qu’augmenter la tension et le stress entre nous et nos enfants, ce qui pose les jalons des bras de fer et du conflit.

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Examinons quels sont les éléments déclencheurs des crises de colère ou des angoisses. Beaucoup sont liés à des moments de la journée où l’enfant doit se séparer de la personne qui s’occupe de lui. On peut citer les moments où on le dépose à la garderie, les siestes, le coucher du soir ou le départ d’un parent en déplacement professionnel.

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À bien des égards, on élève les jeunes enfants de sorte qu’ils soient entourés et coopèrent avec leurs proches. C’est leur mode par défaut, c’est aussi leur manière de nous aimer. Non seulement ça leur permet de nouer des liens profonds aves les adultes qu’ils aiment, mais ça les aide à grandir sur les plans cognitif et émotionnel. Ils ont besoin de coopérer pour être en bonne santé

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plutôt que de lutter contre cet instinct, des supermamans et des superpapas l’exploitent. Ils savent que réaliser des tâches dans un esprit de «tendre camaraderie» a autant de valeur, sinon plus, que de les faire seul. Si un enfant a besoin d’aide ou la sollicite, son père ou sa mère accourra pour l’aider. Si un enfant de 5 ans réclame de l’aide pour s’habiller le matin, ses parents le feront de bon gré, même si l’enfant est parfaitement capable de s’habiller tout seul. Les parents ne passent pas leur temps à obliger l’enfant à être autonome ou à essayer d’accélérer ce processus d’autonomie. Ils préfèrent donner à l’enfant l’espace et le temps nécessaires pour grandir à son rythme.

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quand ils en ont besoin, les supermamans et superpapas n’hésitent pas à solliciter l’aide de leurs enfants, même quand ils sont tout petits. À la maison, ça peut prendre la forme de demandes telles que «va me chercher un verre d’eau», «va demander un allume-feu au voisin», «viens ouvrir l’eau du tuyau pour qu’on arrose le jardin», «viens nous aider à éplucher le maïs» ou même «va te renseigner pour savoir si Tante Marie a une aventure avec le voisin»… Oui, chez les Ese’Eja, une communauté de chasseurs-cueilleurs de l’Amazonie bolivienne, les enfants endossent le rôle de chroniqueurs mondains, car les petits peuvent traîner parmi les adultes pendant que ces derniers discutent sans se faire remarquer.

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Bon, je dois tout de même vous faire un aveu: lorsque j’ai entendu parler pour la première fois de l’importance de cette tendre camaraderie, je me suis figuré une nouvelle forme d’enfer. Être avec Rosy m’épuisait. Certains soirs, après le souper, il m’arrivait de traverser la cuisine le plus doucement possible pour aller m’enfermer dans la salle de bains, juste pour avoir quelques minutes de calme et de silence. S’il y avait bien une chose que je ne voulais pas, c’était de nous retrouver collées l’une à l’autre comme deux morceaux de scratch tous les jours pendant des heures

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Mais mon séjour à Chan Kajaal me donne l’occasion d’observer Maria et Teresa pratiquer cette tendre camaraderie et je me rends compte que je fais tout de travers. Pour commencer, je complique trop les choses. Beaucoup trop. C’est pour ça que je ne tiens pas plus d’une heure ou deux. Et ça tourne beaucoup trop autour de moi. J’ai tout faux, sur le qui comme sur le quoi de cette tendre camaraderie. • Qui: La tendre camaraderie n’est en aucun cas la chasse gardée de la mère et du père. Dans bien des situations, les parents ne sont pas du tout impliqués. Elle peut provenir de toute personne qui aime l’enfant. Dans des communautés ancestrales, comme à Chan Kajaal ou à Kugaaruk, partout où se pose le regard on voit d’autres personnes que les parents offrir à l’enfant cette forme de complicité; grand-mère, grand-père, oncle, frère, sœur, voisin, baby-sitter, ami, et j’en passe. La tendre camaraderie, c’est Laura, la grande sœur, qui aide la petite Claudia à s’habiller. C’est Sally qui emmène Tessa, sa petite-fille de 3 ans, cueillir des fruits rouges dans la toundra. C’est Lena, la nounou de Rosy, qui l’emmène se promener au Golden Gate Park. C’est un grand frère qui dort avec son petit frère. C’est un voisin qui prend un bébé dans ses bras. Un ami qui vous tient la main. La tendre camaraderie est un cercle d’amour qui se forme autour de l’enfant, où qu’il aille. Comme nous aurons l’occasion de le voir, la présence de ces autres personnes qui se soucient de l’enfant est un élément essentiel de la méthode TEAM. Et elle facilite grandement l’éducation des enfants (en plus d’offrir du répit aux parents).

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• Quoi: Lorsqu’ils sont avec les enfants, les parents et autres membres de l’entourage ne sont pas sans arrêt en train de donner des consignes, des ordres ou des avertissements. Ils ne passent pas non plus leur temps à stimuler les enfants par le jeu ou par des discours pédagogiques. La tendre camaraderie répond à la dynamique opposée. Et, je pense que vous en conviendrez, c’est une manière beaucoup moins exigeante (et épuisante) d’élever ses enfants. La tendre camaraderie, c’est laisser l’enfant traîner dans vos pattes et vous coller aux basques, quoi que vous ayez besoin ou envie de faire. C’est accepter que l’enfant vous accompagne pour faire une course, reste près de vous pendant une tâche domestique, puis le laisser tout simplement vaquer à ses occupations. S’il veut vous aider ou vous regarder, il le peut. Mais s’il ne veut pas, pas de problème. L’enfant s’adonne à ses propres activités à l’intérieur de votre univers. Deux individus, l’enfant et celui qui prend soin de lui, coexistent en un même espace, mais sans réclamer l’attention l’un de l’autre. Nous verrons plus tard comment inculquer cette aptitude à un enfant très demandeur. Pour le moment, prenez seulement conscience que moins on sollicite un enfant – par des ordres, des consignes et des remarques –, moins l’enfant nous sollicite.

TEAM 1. Introduction à la méthode TEAM: nourrir une tendre camaraderie

Rosy et moi sommes les témoins de cette forme de camaraderie simple, détendue partout où nous allons pour écrire ce livre. À Chan Kajaal, les mères mayas nourrissent les poulets et tissent des hamacs pendant que les enfants grimpent dans les arbres à proximité. Dans la ville arctique de Kugaaruk, quand les parents inuits vont vérifier les filets de pêche à la rivière, les enfants les suivent pour jouer sur les rochers. Un autre jour, deux mères découpent un narval devant une maison pendant que Rosy et quelques gamins font du vélo et jouent dans le ruisseau tout proche. De temps à autre, un enfant s’arrête pour jeter un œil au muktuk (la chair du cétacé). Mais les parents ne leur donnent jamais de consignes, à moins que l’enfant ne montre de l’intérêt ou que le parent n’ait réellement besoin d’aide. Parents et enfants coexistent, tout simplement. En même temps, on constate que les enfants absorbent tout ce qu’ils voient. «C’est comme ça qu’il faut faire. C’est comme ça qu’on fait.» Ils apprennent.

TEAM 1. Introduction à la méthode TEAM: nourrir une tendre camaraderie

Son père était un homme de peu de mots et, comme Teresa, il les choisissait avec soin. Au lieu de prodiguer de longs discours sur la façon de préparer telle ou telle recette, il indiquait de petites rectifications au fil de l’eau: «Il y a trop de sucre sur le cinnamon bread», «Tu as trop travaillé le levain» ou «Tu as pensé à faire pousser le pain?». Mais il laissait généralement Mickey et son frère faire des erreurs… des viennoiseries imparfaites et des tartes difformes. Et il laissait tout simplement ses fils traîner dans ses pattes. «Il ne nous a jamais mis de pression pour qu’on travaille. Pas de pression. Personne n’a jamais crié ni ne s’est senti dérangé si on était juste là à regarder», me raconte Mickey.

TEAM 1. Introduction à la méthode TEAM: nourrir une tendre camaraderie

Nous pouvons maintenant entrevoir une nouvelle dimension de la parentalité, une dimension où il n’est pas question de contrôle. Une forme de collaboration qui consiste à croiser notre programme et celui de l’enfant afin de poursuivre un objectif commun. C’est ce que Lucia appelle la collaboration «fluide» 

TEAM 1. Introduction à la méthode TEAM: nourrir une tendre camaraderie

RÉSUMÉ DU CHAPITRE 5 COMMENT ÉLEVER DES ENFANTS COOPÉRANTS MÉMO •Les enfants sont animés d’une motivation naturelle très forte pour le travail en équipe et la coopération. Voyez cela comme une forme de pression sociale par les pairs, ces derniers étant remplacés par les membres de la famille. •Les activités centrées sur les enfants, conçues uniquement pour les enfants, sapent cette motivation pour le travail en équipe et donnent à l’enfant l’impression d’être dispensé de toute responsabilité familiale. •À l’inverse, en incluant les enfants dans les activités d’adulte, on accroît leur motivation à coopérer et à faire comme les autres membres de la famille. L’enfant se sent comme un membre de l’équipe à part entière, avec ce que cela comporte d’avantages et de responsabilités. •Les enfants ont tendance à mal se comporter lorsqu’ils doivent passer du monde des enfants (y compris des divertissements qui leur sont destinés) au monde des adultes. •Dans la plupart des cultures, les parents ne passent pas leur temps à stimuler et à divertir les enfants. Ce mode d’éducation peut être épuisant et stressant, pour les parents comme pour les enfants. •Les enfants n’ont pas besoin qu’on les stimule ou qu’on les amuse. Ils sont parfaitement équipés pour se distraire et s’occuper par eux-mêmes. Ils y parviennent tout seuls avec très peu d’intervention extérieure, qu’elle vienne d’un parent ou d’un appareil.

TEAM 1. Introduction à la méthode TEAM: nourrir une tendre camaraderie

ACTIONS À ENTREPRENDRE Pour tous les enfants: •Limitez les activités centrées sur les enfants. Veillez à ce que votre enfant ait accès à votre vie et à votre travail. Veillez à ce qu’il soit dans les parages lorsque vous vous adonnez à des tâches domestiques ou à d’autres activités d’adulte. Vos occupations suffisent largement à le distraire et à le stimuler. •Réduisez les distractions telles que les écrans et les jouets. Moins l’enfant disposera d’objets de «divertissement», plus il sera attiré par votre univers et plus il sera susceptible de vouloir vous aider et de passer du temps avec vous. •Augmentez au maximum son exposition au monde des adultes. Vaquez à vos occupations avec votre enfant près de vous. Emmenez-le autant que possible faire les courses, à vos rendezvous, chez vos amis et même sur votre lieu de travail. •Le week-end, choisissez des activités qui vous font envie, celles que vous feriez même si vous n’aviez pas d’enfant. Allez pêcher, marcher, faire du vélo. Jardinez. Allez au parc ou à la plage. Passez voir des amis. Pour les enfants à partir de 7 ans: •Laissez-le prévoir et organiser ses activités (les cours de sport, de musique, d’arts plastiques, toute autre activité extrascolaire, les goûters avec les copains…). Encouragez-le à gérer lui-même la logistique, les inscriptions, les déplacements, etc. •Augmentez progressivement les responsabilités de l’enfant dans la maison, y compris le fait de s’occuper de ses petits frères et sœurs, et sa participation à la préparation des repas et au ménage. Pensez à la manière dont il pourrait vous aider dans votre travail. •Si un enfant plus âgé a été peu exposé au monde des adultes, allez-y par paliers. Vaquez à vos occupations en emmenant votre enfant avec vous. S’il se conduit mal, expliquez-lui comment il doit se comporter dans le monde des adultes. •Si l’enfant a toujours un comportement perturbateur, soyez patient. Ne renoncez pas. Réessayez plus tard. Il apprendra.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Dans les années 1970, un psychologue américain prénommé Edward Deci jeta son dévolu sur un objectif ambitieux: comprendre ce qui motive une personne à agir de son plein gré. Jusque-là, les psychologues s’étaient concentrés sur une autre forme de motivation, modelée et animée par des forces extérieures, telles que les récompenses (l’argent, par exemple), les punitions (comme une mise à l’écart) et la reconnaissance. Mais Edward voulait savoir ce qui pousse les individus à agir sans l’impulsion de telles forces extérieures. Qu’est-ce qui motive naturellement une personne à chercher de nouveaux défis ou à proposer son aide à autrui quand il n’y a aucune récompense évidente en vue? Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à agir alors que personne ne regarde? Qu’est-ce qui alimente ce feu intérieur?

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Par exemple, lorsque j’ai commencé à écrire ce livre, tous les efforts que je fournissais semblaient stupides. Je doublais grosso modo ma quantité de travail hebdomadaire et toutes mes économies passaient dans les voyages. En parallèle, je ne savais absolument pas si quelqu’un s’intéresserait un jour à cette histoire ni si je récupérerais l’argent dépensé. Malgré tout, je passais mon temps libre à faire des recherches et à écrire. Pourquoi? Parce que j’y prenais beaucoup de plaisir. J’adorais aller à la rencontre des personnes présentes dans ce livre et apprendre d’elles. J’avais l’impression d’évoluer en tant qu’autrice et journaliste à mesure que j’avançais. J’étais animée par ce qu’Edward appelle la motivation «intrinsèque»: l’envie d’écrire venait de l’intérieur, pas d’une quelconque récompense externe. La motivation intrinsèque permet d’apprécier l’activité pour elle-même, avec une forme de «gratification interne».

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

La motivation intrinsèque pousse une personne à danser dans son salon le soir, quand personne ne regarde. Elle pousse Rosy à faire du coloriage le matin au saut du lit. Elle pousse Gelmy à cesser de jouer avec ses amis pour aider Maria à préparer les tortillas. La motivation intrinsèque est magique à bien des égards. Elle nous permet de grandir, d’apprendre et de travailler sans (trop) devoir lutter ou se forcer

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Les influences externes, comme les récompenses et les punitions, peuvent en réalité affaiblir la motivation intrinsèque. Les tableaux d’autocollants, les promesses de glace, les menaces d’être mis à l’écart, d’être puni ou autres conséquences «ébranlent cette forme de motivation».

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

La psychologie occidentale distingue trois ingrédients déclencheurs de la motivation intrinsèque. 

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Ingrédient n° 1: le sentiment de lien. C’est se sentir relié à autrui, se sentir appartenir à une équipe ou à une famille. Les études montrent qu’un enfant qui se sent relié à son professeur a envie de travailler plus dur en classe. Il en va de même avec ses parents. Plus l’enfant se sent relié à sa famille, plus il est désireux de contribuer aux tâches domestiques et aux objectifs communs. Donner à nos enfants leur carte de membre est une excellente façon d’établir ce lien: c’est une manière de les accueillir dans notre univers et d’atteindre ensemble, en tant que famille, des objectifs communs, comme préparer des tortillas pour le déjeuner. Il est plus agréable et souvent plus rapide de travailler main dans la main.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Ingrédient n° 2: le sentiment d’autonomie. Je l’ai déjà évoqué. C’est un point tellement important (et même primordial) que nous lui consacrerons bientôt un chapitre entier. Mais dans la situation décrite précédemment, on peut observer cet ingrédient à l’œuvre dans les interactions entre Maria et ses filles. En n’obligeant pas Alexa et Gelmy à l’aider à faire les tortillas, et en ne les obligeant pas à rester quand elles se lassent, Maria respecte l’autonomie de ses enfants.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Ingrédient n° 3: le sentiment de compétence. Pour rester motivé par une tâche, un enfant doit se sentir suffisamment compétent pour la mener à bien. Personne n’a envie de s’escrimer à faire quelque chose qui le frustre en permanence ou qui lui donne l’impression de ne pas progresser. D’un autre côté, une tâche trop facile peut devenir barbante. Il existe donc un point d’équilibre: la tâche doit être suffisamment stimulante pour être intéressante, mais suffisamment facile pour ne pas faire douter de sa compétence à la réaliser. C’est à ce point d’équilibre que la motivation intrinsèque est susceptible de naître.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

un mot d’abord sur un outil qu’ils n’utilisent pas: les compliments. Pendant tout mon séjour à Chan Kajaal, jamais je n’ai entendu un parent féliciter un enfant, et encore moins chanter ses louanges – pas de «Oh, Angela, c’est incroyable la manière dont tu as fait la vaisselle sans que je te le demande. Tu es une enfant merveilleuse»! Pourtant, leur comportement me ferait bien souvent pousser des cris de joie.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Si, pour chaque action positive, l’enfant récolte un «bravo» ou «joli», cela peut saper sa motivation intrinsèque et remettre en cause son envie d’accomplir cette tâche à l’avenir. Mais cela présente un autre danger, et pas des moindres. Féliciter les enfants peut entraîner des querelles entre frères et sœurs, car les louanges engendrent l’esprit de compétition. Des psychologues ont découvert qu’un jeune enfant qu’on félicite souvent apprend très tôt à entrer en compétition avec ses frères et sœurs pour obtenir l’approbation et l’attention de ses parents. Cette absence de compliments chez les Mayas pourrait expliquer en partie la bonne coopération entre frères et sœurs (et les disputes moins fréquentes que dans les fratries occidentales). Ils n’ont pas besoin d’entrer en compétition pour récolter des lauriers.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

si les Mayas n’ont pas recours aux compliments, à quel outil ont-ils recours? Figurez-vous qu’ils ont pas mal d’options. La première est si belle que dès que j’ai eu compris comment l’utiliser, ma relation avec Rosy s’est épanouie comme les fleurs d’un magnolia au printemps. Cet outil, c’est la «reconnaissance».

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Lorsque les enfants émettent une idée ou apportent leur contribution, plutôt que de les féliciter, les parents mayas manifestent leur approbation ou leur reconnaissance, même si cette participation (ou cette tortilla) est absurde, anodine ou difforme.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Comme l’explique la psychologue Lucia Alcalá, l’intérêt de l’enfant pour une tâche est alimenté par la reconnaissance de ses parents. «Je pense que ça motive l’enfant à aider davantage. Il voit qu’il aide sa famille, que sa participation compte. Et c’est bien plus puissant que toutes les félicitations du monde.»

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Lorsque Alexa fait une tortilla difforme, par exemple, Maria l’arrangera peut-être un peu avant de la mettre dans la poêle. Mais elle ne force pas sa fille à en faire une plus ronde. Elle ne lui fait pas tout un discours sur la façon d’y parvenir. Et elle ne prend pas la main de la fillette pour l’aider. Au lieu de cela, Maria reconnaît et valorise la contribution d’Alexa au déjeuner du jour en acceptant ses tortillas comme elles sont. Maria est confiante: elle est convaincue qu’à force de pratique et d’observation, Alexa finira par maîtriser le façonnage des tortillas. Pourquoi accélérer le processus? (Cela ne causerait que stress et disputes.) En attendant qu’Alexa acquière plus d’expérience, Maria renforce en silence son sentiment de compétence, ce qui stimule en retour la motivation de la fillette à s’entraîner de nouveau le lendemain.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

L’inverse est aussi vrai. Si un parent exprime une résistance face à une idée ou à une contribution de l’enfant, cela peut éroder le sentiment de compétence de ce dernier et le démotiver. La résistance parentale peut prendre bien des formes: ignorer une idée, la rejeter purement et simplement («Non, non, on ne peut pas faire ça» ou «Non, ce n’est pas comme ça qu’on fait. C’est comme ça») ou faire la leçon sur la «bonne» manière de faire quelque chose. Les parents peuvent aussi exprimer leur résistance en n’utilisant pas ce que l’enfant a réalisé, en le refaisant entièrement ou en arrachant un ustensile des mains de l’enfant pour faire les choses à sa place. Les Mayas et les autres parents issus de communautés autochtones opposent très peu ce type de résistance, ils ne se mettent pas en travers du chemin d’un enfant qui est en train d’aider. «Les mères n’arrêtent pas un enfant en pleine action, même s’il fait les choses de travers», rapporte Rebeca au sujet des mères d’héritage nahua. Au contraire – et c’est la clé! –, le parent est attentif à ce que l’enfant est en train de faire, puis s’inspire de son idée. L’adulte met ainsi en place un cycle de collaboration magnifique, au sein duquel l’enfant ou le parent apporte une idée et l’autre la saisit pour la développer. C’est ce que Lucia appelle la «collaboration fluide»: deux personnes travaillant sans heurts, main dans la main, comme un seul organisme doté de quatre bras. Dans ces moments-là, paroles, résistance et conflit sont rares. D’une certaine manière, les Mayas traitent les enfants comme leurs coassociés dans leurs activités. Les parents sont convaincus que la connaissance ne circule pas à sens unique, uniquement du parent vers l’enfant. Ils estiment au contraire que la connaissance est bidirectionnelle. Les informations et les idées peuvent aussi venir des enfants.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Un dimanche après-midi, Rosy est en train de faire du coloriage dans le salon pendant que je prépare des brochettes pour un souper entre amis. C’est la mission parfaite pour une enfant de 3 ans: il suffit d’enfoncer de gros morceaux de poulet et de légumes (courgettes, champignons et poivrons) sur des brochettes. Je propose donc à Rosy de venir m’aider: «Viens, ma chérie. Viens m’aider à faire les brochettes pour le souper.» Elle accourt et s’installe sur le marchepied à côté de moi. Je continue à faire des brochettes. Elle dévie immédiatement de l’idée de départ. Elle insiste pour faire une brochette «100% poulet». Mon premier réflexe est de la stopper. De la forcer à changer de direction. D’obliger ses créations à se conformer à ce que j’attends de ces brochettes. «Mais ce n’est pas comme ça qu’on fait. On n’aura plus assez de poulet pour les autres brochettes.» Une dispute éclate. Au bout du compte, Rosy se met à pleurer, part fâchée et retourne au salon faire du coloriage. Eh bien… quel échec retentissant, me dis-je. Et je termine seule les brochettes. Je décide de passer à autre chose et d’oublier cette dispute. Ce n’est pas la première fois que mes tentatives de collaboration avec elle se terminent par des larmes. Au moins, cette fois, je ne pleure pas avec elle. Quelques semaines plus tard, je m’installe pour écrire ce chapitre et je réécoute mes entretiens avec Maria, Teresa, Rebeca et Lucia. Et je commence à entrevoir les erreurs dans mes façons de faire. Je pensais que Rosy avait du mal à collaborer avec moi. Mais en réalité, c’est moi, le problème. Je ne collabore pas avec elle. Je m’oppose à ses idées et je ne leur accorde aucune valeur. Bien souvent, je n’écoute pas ce qu’elle essaie de me dire. Je décide alors de me donner une seconde chance de collaborer avec Rosy. Je retourne acheter des ingrédients pour faire des brochettes et je répète le scénario à l’identique: dimanche après-midi, moi faisant des brochettes, Rosy faisant du coloriage dans le salon. De nouveau, je l’appelle: «Rosy, ma chérie, viens m’aider à faire des brochettes.» Mais cette fois-ci, elle ne vient pas. À vrai dire, elle ne lève même pas les yeux de son coloriage. Hum, pas très motivée. Alors, je reconnais mon erreur de la dernière fois: «Tu peux les composer comme tu en as envie, même en faire rien qu’au poulet.»

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Elle arrive en courant. «C’est vrai?» «Oui.» Elle saute sur son marchepied et se met à l’œuvre. Elle fait une brochette géante poulet-poivron, avec huit morceaux de poulet écrasés les uns contre les autres. Je ne l’arrête pas et je me montre reconnaissante de sa contribution, non par des mots mais par des actions. Une fois qu’elle a terminé sa brochette, je la prends et la pose dans le plat avec les autres. Et cette reconnaissance porte ses fruits. Rosy me sourit et se lance dans une nouvelle brochette. Oh non, on va être à court de poulet! Mais ça n’arrive pas. À ma grande surprise, elle change de direction pour coopérer. Elle est attentive à ce que je fais et se met à m’imiter. Elle fait des brochettes qui ressemblent davantage aux miennes, en utilisant aussi les courgettes et les champignons. Nous commençons à travailler de manière fluide et naturelle

NOTE

Exemple frappant

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

RECETTE No 3: APPRENDRE À MOTIVER LES ENFANTS En tant que parent, il existe de nombreuses façons de montrer à un enfant qu’on tient compte de ses idées sans les suivre réellement. Un simple «c’est une bonne idée» suffit parfois pour que l’enfant se sente inclus et motivé, même si vous ne comptez pas du tout appliquer son idée. Un parent maya dira «uts xan», ce qui signifie littéralement «c’est bien aussi». Un adulte interpréterait cette réponse comme un «je ne suis pas d’accord». Mais aux yeux d’un enfant, c’est comme une approbation.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Il arrive que les parents d’héritage nahua expriment leur reconnaissance pour le travail des enfants grâce à de petits cadeaux occasionnels (mais, comme l’observèrent Lucia et ses collègues, ils n’offrent pas de récompenses pour des tâches spécifiques). Néanmoins, ces cadeaux ne sont pas rattachés à une tâche particulière du type «si tu m’aides à faire la vaisselle, je t’achèterai une glace». Le parent récompense plutôt l’enfant pour sa serviabilité en général, «pour être un membre contributeur de la famille»,

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Comme je l’évoquais, l’interprète Rodolfo Puch usait de cette stratégie avec moi lorsqu’il m’organisait des entretiens à Chan Kajaal. Je lui proposais des idées folles – «Rosy et moi pourrions emménager chez Teresa pour le reste de l’été» – et il ne les rejetait jamais catégoriquement. Jamais il ne levait les yeux au ciel en me disant: «Y a pas moyen, espèce de gringa timbrée! C’est intrusif, ça ne se fait pas» (ce qui aurait été une réponse tout à fait légitime). Au lieu de quoi il accordait du crédit à mon idée. Il hochait la tête en disant: «Oui, on peut. On peut.» Puis il laissait l’idée faire son chemin un moment, jusqu’à ce que je la remette sur le tapis. Là, il avait généralement trouvé une manière raisonnable et respectueuse de répondre à ma demande.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Et il le fait typiquement en lui accordant de petits plaisirs, par exemple «en préparant un repas qui sort de l’ordinaire ou en achetant à l’enfant quelque chose d’utile, comme des sous-vêtements».

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Dans de nombreuses cultures, les parents expriment leur reconnaissance en reliant la participation des enfants à une certaine maturité, au fait de «devenir grand» et aux prémices d’un apprentissage. Par exemple, une mère raconte à Lucia et ses collègues comment elle se montre reconnaissante de l’aide de son fils à la maison: «Quand il fait correctement ce qu’il a à faire, je lui dis simplement “Oh, mon fils, tu sais déjà faire [la tâche]” et ça le rend très heureux.» D’autres mères disent «féliciter» un enfant d’avoir «grandi» à mesure que sa contribution augmente à la maison.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Une mère dit faire un câlin à son enfant en lui faisant remarquer la «maturité de son rôle au sein de la famille».

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Exprimer sa reconnaissance pour l’attitude serviable d’un enfant dans son ensemble lui en apprend plus que de le féliciter pour une tâche spécifique. Au lieu de vous concentrer sur une réalisation ponctuelle, vous aidez l’enfant à acquérir une valeur plus globale.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

certains parents inuits ont recours à une forme similaire de reconnaissance. Elle relata la manière dont des parents accordent du crédit à la générosité d’une fillette de 5 ans qui partage ses bonbons avec sa sœur: «À 5 ans, on est déjà futé, elle sait qu’elle est censée donner une bonne partie [des bonbons], sinon tous, à sa sœur de 3 ans. C’est ce qu’elle fait et [les adultes] disent: “Regarde, elle en a donné. Elle est tellement généreuse!”»

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

En Arctique, une mère inuite relie le fait de taper son petit frère à l’idée d’être «un bébé», tandis que se montrer gentil et généreux est associé au fait de «ne pas être un bébé». Cet outil est d’une telle efficacité chez nous que nous en reparlerons dans la prochaine partie.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Attirez l’attention sur la serviabilité (ou le manque de serviabilité). Au lieu de chanter les louanges d’un enfant qui aide sur demande, exprimez votre reconnaissance à l’égard de la serviabilité dans son ensemble. Ne surjouez pas et ne le faites pas trop fréquemment. Déclarer simplement «ça m’aide bien» suffit lorsqu’un enfant se montre acomedido ou propose son aide. Vous pouvez même attendre la fin de la semaine pour exprimer votre reconnaissance face à l’effort global de l’enfant. Concentrez-vous sur son processus d’apprentissage ou sur sa contribution à la vie de la famille: «Tu commences vraiment à bien nous aider» ou «Tu es en train de devenir une grande fille et tu participes aux tâches familiales».

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Pour aider votre enfant à mieux comprendre ce que la «serviabilité» signifie, attirez l’attention sur celle des autres. Cela permet aussi de faire savoir à votre enfant que c’est un trait de caractère auquel vous accordez de la valeur et de l’importance

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

• Pointez aussi du doigt l’inserviabilité. Lorsqu’un enfant n’est pas serviable, n’ayez pas peur de le noter. Lucia relate que «les parents disent souvent d’un ton sarcastique “surtout, ne sois pas trop acomedido” ou “ne nous aide pas trop, hein”. Cela indique à l’enfant qu’il doit aider.» Vous pouvez aussi le faire remarquer lorsque quelqu’un d’autre ne se montre pas acomedido. Cela aidera l’enfant à apprendre ce qu’il ne faut pas faire. Et mettez l’accent sur les raisons pour lesquelles vous ne valorisez pas ce comportement. Là encore, affirmez simplement et clairement les choses. Par exemple, un après-midi, une amie de Rosy ne nous a pas aidées à ranger après avoir joué dans notre salon. J’ai donc dit: «Ce n’était pas très acomedido. Si elle nous avait aidées, nous aurions terminé plus vite.»

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Cessez les récompenses ou les punitions pour des tâches spécifiques. Ces outils sont tout bonnement inefficaces pour apprendre aux enfants à participer volontairement aux tâches domestiques (ou à quoi que ce soit). Dans bien des situations, cela ne fait que saper activement le désir d’aider de l’enfant.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Au lieu des punitions et des récompenses, essayez ces outils, sources de motivation:

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Expliquez la valeur ajoutée de la tâche en question pour toute la famille. Essayez d’expliquer à l’enfant pourquoi il est si important – ou essentiel – d’aider à la maison. Une mère d’héritage nahua raconta à Lucia qu’elle ne punit jamais sa fille: «Mais je me fâche et je la sermonne.» Lorsque sa fille ne range pas ses jouets, elle lui dit: «Tu dois faire plus d’efforts.» La mère expliqua à Lucia: «Je lui dis ça pour qu’elle voie que nous faisons aussi des efforts avec le peu que nous pouvons lui donner, alors elle devrait elle aussi faire des efforts.» Cette approche fonctionne bien avec Rosy, en particulier quand elle voit que je suis fatiguée et débordée. Je lui dis: «Rosy, ton père et moi travaillons dur pour rendre cette maison agréable pour tout le monde. Nous faisons de notre mieux. En tant que membre de la famille, tu dois toi aussi travailler dur et faire de ton mieux.»

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

– Associez la serviabilité à la maturité. Si un enfant prend l’initiative de s’occuper volontairement d’une tâche domestique, reconnaissez à quel point il a grandi et progressé en disant quelque chose comme: «Oh, tu commences à savoir comment participer» ou «Tu as rangé tes jouets parce que tu es une grande fille». Je fais aussi remarquer à Rosy quand elle se comporte comme un bébé. Par exemple, si elle ne range pas ses jouets ou n’aide pas à débarrasser, je lui dis: «Oh, si tu ne l’as pas fait, c’est parce que tu es un bébé?» Et cette remarque aboutit généralement à toute une discussion sur ce que font les grandes filles par opposition à ce que peuvent faire les bébés. Par exemple, «Est-ce que les bébés peuvent faire du vélo?», «Est-ce que les bébés mangent de la glace?». Rosy finit toujours par préférer être une grande fille et par aller ranger.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

– Laissez l’enfant accomplir la tâche en s’amusant. Je ne suis pas une grande adepte de l’idée de rendre les tâches «marrantes» ou d’en faire un jeu. Je n’ai pas l’énergie pour tenir très longtemps et je n’aime pas me comporter comme un enfant de 3 ans. Mais si Rosy invente une manière de rendre une tâche plus ludique, je ne l’en empêche pas. Au contraire, je suis attentive à son idée ou à sa participation et j’essaie de m’en inspirer. Un après-midi, par exemple, alors que nous étendions du linge, elle se mit à lancer les vêtements à travers la véranda. Je décidai donc d’intégrer son «jeu» à la tâche. Je lui dis: «Mets-toi près de la corde à linge et je vais te lancer les vêtements à étendre.» Elle a adoré! Elle voulait qu’on continue de se lancer les vêtements. Le linge a fini par être étendu. Cela a pris un peu plus de temps, mais sa motivation pour la lessive a monté en flèche. Maintenant, il lui arrive de venir en courant quand je l’appelle et nous avons intégré l’idée du «lancer» à d’autres tâches, comme le rangement de Lego ou de livres. Je lui dis: «Rosy, tiens-toi près de la bibliothèque, je vais te lancer les livres.» Ça lui donne vraiment envie d’aider!

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

– Menacez de conséquences naturelles. Si vous devez avoir recours à la menace, essayez que la punition se rapproche le plus possible d’une conséquence naturelle plausible. Par exemple, il m’arrive de dire à Rosy: «Si on ne nettoie pas la cuisine, des fourmis vont venir envahir le plan de travail. Veux-tu avoir des fourmis dans ta nourriture?» Ou bien: «Si on ne lave pas ta boîte à goûter, tu devras manger dans une boîte sale et puante demain. C’est ce que tu veux?»

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

– Attirez l’attention sur les moments où vous l’aidez. Avec Rosy, je trouve que pointer du doigt la responsabilité réciproque fonctionne bien pour stimuler sa motivation. Par exemple, un soir, elle n’aide pas à débarrasser. Quand je lui demande de venir m’aider, elle me répond «je suis fatiguée» avant de filer. Dix minutes plus tard, elle me demande de l’aider à trouver son doudou. Je lui réponds alors quelque chose du genre: «Attends, tu m’as aidée à débarrasser tout à l’heure?»

NOTE

Attention à ne pas en faire un reproche

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Apprenez à valoriser la contribution de l’enfant. Lorsqu’un enfant propose son aide, écoutez ses idées. Répondez-y d’une manière ou d’une autre, en les essayant, en les intégrant à votre activité, en hochant la tête ou en disant «on peut». Si l’enfant se met à l’œuvre, ne l’arrêtez pas. Au contraire, soyez attentif et observez comment il essaie de participer. Puis réfléchissez à une manière de vous inspirer de sa contribution ou d’améliorer légèrement son travail. Quoi que vous fassiez, résistez à l’envie de vous y opposer. Réfrénez votre désir d’ingérence ou la tentation de modifier la solution qu’il propose. Si vous vous mettez en retrait et laissez l’enfant «prendre le contrôle» de cette tâche, il sera beaucoup plus motivé pour vous offrir de nouveau son aide à l’avenir que si vous rejetez, minimisez ou ignorez ses idées et ses contributions.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Mesurez dans quelles proportions vous félicitez votre enfant (ou opposez une résistance). Votre cellulaire est l’outil parfait pour analyser vos habitudes parentales et voir les choses sous un jour différent. Un soir, posez votre téléphone sur le plan de travail de la cuisine ou sur la table de la salle à manger et enregistrez vos interactions avec vos enfants pendant trente à soixante minutes. Plus tard dans la soirée, écoutez attentivement cet enregistrement. Combien de fois félicitez-vous votre enfant pour une tâche anodine ou pour quelque chose qu’il devrait faire sans que vous ayez besoin de le féliciter? Combien de fois opposez-vous une résistance à ses idées? Ou l’ignorez-vous purement et simplement quand il essaie de participer? Combien de fois vous mêlez-vous de ce qu’il fait ou essayez-vous d’en modifier le cours? J’ai mené cette expérience par accident un soir où mon micro était resté allumé pendant deux heures sur le plan de travail de la cuisine alors que Rosy et moi préparions le souper. Écouter l’enregistrement fut extrêmement difficile. J’en pleurais même. En repassant notre conversation, je me rendis compte que non seulement je m’opposais aux idées et aux contributions de Rosy, mais je n’écoutais même pas ce qu’elle nous disait. Bien souvent, elle essayait de me dire X, mais j’étais tellement certaine que Y était correct que je ne l’entendais même pas. J’étais convaincue de connaître la réponse et de ne pas avoir besoin de l’écouter. Elle essayait si fort de me communiquer ses idées qu’elle se mettait à pleurer. Et il y avait tant de peine dans sa voix implorante que j’en eus le cœur brisé. Je pris conscience que je devais moins parler (même pour la féliciter) et fournir un réel effort pour accorder de l’attention à ses paroles et à ses actions

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

«Les parents américains doivent cesser de parler autant et écouter davantage leurs enfants.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Comme nous le verrons dans les deux parties suivantes, les parents peuvent avoir recours à ces trois étapes pour inculquer n’importe quelle valeur à un enfant. Partout dans le monde, des cultures utilisent cette «formule» pour transmettre toutes sortes de valeurs, telles que la générosité, le respect et la patience.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

Les étapes sont: la pratique, l’exemple, la reconnaissance. 1. La pratique. Donnez aux enfants, en particulier aux plus jeunes, des tas d’occasions d’aider et de coopérer à la maison. Assignez-leur des tâches, invitez-les à observer et encouragez leur désir de participer. 2. L’exemple. Donnez aux enfants leur carte de membre. Immergez-les dans votre vie quotidienne afin qu’ils apprennent progressivement les tâches à effectuer en vous observant et qu’ils se sentent faire partie intégrante de la famille. 3. La reconnaissance. Quand un enfant essaie d’aider, acceptez sa contribution et valorisez ses idées. Respectez son point de vue. Lorsqu’un enfant est en train d’apprendre une valeur, dites-le-lui. Mettez le doigt sur la présence (ou l’absence) de cette valeur dans les actions des autres. Associez son apprentissage au fait de devenir «plus grand» et plus mature.

Chapitre 6. Les clés de la motivation: quoi de mieux que les compliments?

RÉSUMÉ DU CHAPITRE 6 COMMENT MOTIVER LES ENFANTS MÉMO •Si vous voulez motiver un enfant sans le soudoyer ou l’amadouer, il doit avoir l’impression: –D’être relié à vous ou à une autre personne proche. –De choisir d’accomplir la tâche sans que personne l’y oblige. –D’être compétent, en sorte que sa participation sera valorisée. •Les compliments peuvent saper la motivation et générer de la compétition (et des querelles) entre frères et sœurs. •Les parents ont beaucoup à apprendre d’un enfant. Les connaissances peuvent circuler dans un sens comme dans l’autre. Ne partez pas du principe que votre approche ou votre vision est la meilleure. Lorsqu’on accorde de l’attention aux idées et aux points de vue d’un enfant, on en tire souvent des informations précieuses et utiles. •Accepter les connaissances, les idées et les contributions d’un enfant est un excellent moyen de le motiver. ACTIONS À ENTREPRENDRE Pour les enfants de tous les âges: •Résistez à l’envie de corriger un enfant, surtout quand il est en train de mettre la main à la pâte ou d’aider la famille. Mettez-vous en retrait et laissez-le accomplir la tâche sans vous en mêler, même s’il ne l’exécute pas comme vous le souhaiteriez ou ne s’y prend pas très bien. •Si un enfant refuse d’obéir à une demande (par exemple aider à débarrasser), vous êtes probablement trop insistant. L’enfant sait ce que vous voulez. Arrêtez de le demander. Attendez et laissez l’enfant prendre les rênes. •Soyez très attentif à la participation de l’enfant, puis inspirez-vous de ses idées plutôt que de vous y opposer. •Aidez un enfant à apprendre une tâche en le laissant pratiquer plutôt qu’en lui faisant un cours complet sur la manière de l’accomplir. Proposez de simples ajustements, avec parcimonie, pendant que l’enfant est à l’œuvre. •Acceptez la contribution de l’enfant, même si elle ne répond pas à vos attentes ou à vos désirs. •Usez des compliments avec modération. Associez vos félicitations à l’apprentissage d’une valeur globale («tu commences réellement à nous aider») ou à une certaine maturité («tu es en train de devenir une grande fille»)

Chapitre 16. Le sommeil

les trois ingrédients pour former un enfant à faire ce que vous voulez: 1 verre de pratique + 1 verre d’exemple + 1 cuillerée à café de reconnaissance = compétence acquise.

Chapitre 16. Le sommeil

avec nos enfants. Dans la culture occidentale, nous avons une vision extrêmement étroite de ce qu’est un sommeil «normal» et, selon lui, si vous variez de la «normale», vous vous exposez à des problèmes. «Nous avons des règles inflexibles que les gens prennent comme si elles étaient dictées par Dieu ou imposées par notre biologie.» Nous pensons que pour être en bonne santé, nous devons dormir environ huit heures par nuit, de façon ininterrompue. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la grande majorité des gens dans la culture occidentale ne suivaient pas du tout ce schéma de sommeil. Jusqu’au xixe siècle, le sommeil «normal» était segmenté. La plupart répartissaient leur sommeil en deux grosses tranches de quatre heures. Un segment avant minuit et l’autre après. Entre les deux, les gens s’adonnaient à toutes sortes de tâches. Comme l’écrit l’historien A. Roger Ekirch: «Ils se levaient pour accomplir des tâches ménagères, s’occuper d’un enfant malade, ratisser le verger d’un voisin. D’autres, qui restaient au lit, récitaient des prières et méditaient sur leurs rêves.» Il existe même des preuves que le sommeil segmenté remonte à des milliers d’années dans la culture occidentale. Au ier siècle avant notre ère, le poète latin Virgile écrivait au sujet du moment où «la nuit, parvenue au milieu de sa carrière, a chassé le premier sommeil des yeux des mortels» dans son poème épique, l’Énéide. Alors si vous avez tendance à vous réveiller au milieu de la nuit et que vous avez du mal à vous rendormir, vous ne souffrez pas forcément d’insomnie. Vous dormez simplement comme le faisaient nos ancêtres pendant des milliers d’années. Ils jugeraient que vous êtes normal. Globalement, les «règles de sommeil» telles que nous les connaissons aujourd’hui devinrent à la mode au xixe siècle. Pendant la révolution industrielle, les ouvriers devaient arriver à l’usine à une heure précise de la matinée, peu importe l’heure à laquelle se levait et se couchait le soleil. Par conséquent, «on dut soumettre le sommeil à des niveaux de contrôle croissants», comme l’écrit Benjamin dans son ouvrage Wild Nights: How Taming Sleep Created Our Restless World.

Chapitre 16. Le sommeil

Le sommeil humain est en réalité plutôt flexible, adaptable et personnalisé. Les schémas de sommeil varient énormément d’une culture à l’autre, d’un lieu à l’autre et même d’une saison à l’autre. Il n’existe pas de «bonne façon» de dormir. Les scientifiques peuvent mesurer un régime de sommeil «moyen», mais il ne s’agit en aucun cas d’un régime «normal».

Chapitre 16. Le sommeil

à l’heure du coucher, Benjamin observe que nous faisons finalement l’inverse de ce que nous voulons. Au lieu de créer un environnement calme et relaxant pour l’esprit, nous générons lutte et conflit. Nous fabriquons le chaos. Et, année après année, nous apprenons à nos enfants à être stressés et anxieux à l’heure du coucher.

Chapitre 16. Le sommeil

Alors en regardant Rosy sauter sur son lit et scander «Non non non, pas dormir!», je vois exactement ce que je lui ai appris à faire tous les soirs à 20 h 30. Je l’ai entraînée à se déshabiller, à crier et à sauter sur le lit. En gros, je lui ai appris qu’heure du coucher égale fête! Repensez à la formule: pratique, exemple, reconnaissance. Au moment du coucher, j’ai donné à Rosy des occasions de pratiquer la dispute, les cris et les ordres («j’ai faim», «je veux du lait», «je veux un autre livre»). J’ai montré l’exemple de l’impatience et de l’autoritarisme, voire d’un comportement exigeant, diront certains («Tu dois te brosser les dents immédiatement, Rosemary Jane»). Enfin, j’ai accordé tellement d’importance à ses mauvais comportements que j’ai montré ma reconnaissance (de façon négative mais intense) envers toutes ses facéties. J’ai répondu avec énergie à l’énergie de Rosy. Et ainsi, jour après jour, mois après mois, année après année, le coucher est devenu de plus en plus difficile.

Chapitre 16. Le sommeil

Oh mon Dieu, je me sens tellement idiote, me dis-je au moment où Rosy saute du lit et se met à courir toute nue dans la chambre. J’ai l’impression de m’être fait berner par tous les livres de puériculture qui me sermonnaient de «respecter strictement l’heure du coucher», de «garder une routine» et de structurer toujours plus notre vie. Avec Rosy, cette structure et ce contrôle permanents se sont retournés contre nous. Ça a engendré de l’anxiété, des conflits et du chaos! Et ça l’a déconnectée de son horloge biologique. Si vous vous reconnaissez dans cette histoire, reprenez courage, parent fatigué. Ce qui est génial avec les enfants, c’est la rapidité avec laquelle ils sont capables de changer. Peu importe la profondeur du trou dans lequel vous êtes enfoncé, vous pouvez toujours en sortir. Il est toujours possible de rééduquer un enfant, et ce, assez facilement. Comment? En utilisant la formule pour de bon.

Chapitre 16. Le sommeil

Repensez à la petite Tessa à Kugaaruk. À seulement 3 ans, elle maîtrisait déjà une compétence que je n’ai pas acquise avant la trentaine. Elle connaissait les sensations de son corps quand elle était fatiguée et ce qu’elle devait faire pour y remédier. Elle allait se coucher. Je peux former Rosy pour lui faire acquérir la même compétence: détecter les signaux de fatigue et se mettre au lit quand elle les ressent. Mais pour cela, je dois «la laisser», comme me le disait David Mark Makia en Tanzanie. Je dois abandonner (presque tout) le contrôle que j’exerce sur le sommeil de Rosy. Je dois jeter la routine du coucher par la fenêtre et donner à Rosy l’espace nécessaire pour qu’elle parvienne à écouter les signaux biologiques envoyés par son corps. Je peux l’aider à acquérir cette compétence, mais je dois m’en mêler le moins possible. Au bout du compte, c’est elle qui décidera du moment où elle va se coucher.

Chapitre 16. Le sommeil

Chaque soir, vers 20 heures, je me suis mise à épier Rosy tel un faucon. Aux premiers signes de fatigue (quand elle se frottait les yeux, suçait son pouce, pleurnichait davantage), je baissais les lumières. En Tanzanie, j’avais remarqué que l’obscurité l’apaisait beaucoup. Puis j’appliquais le plan suivant: 1. Montrer l’exemple. Je disais d’une voix très calme: «Je suis fatiguée. Mon corps me dit que je suis fatiguée. Je vais aller me coucher.» Je montais et me préparais pour aller au lit (même si je n’allais pas m’endormir). Je me brossais les dents, me passais du fil dentaire, me mettais en pyjama. Puis je m’allongeais dans son lit et commençais à lire. Et j’attendais. 2. Exprimer sa reconnaissance. Quand elle montait et s’allongeait près de moi, je lui accordais une attention positive. Je lui faisais un câlin et je lui souriais. Puis je reliais le comportement recherché à une certaine maturité en lui posant une question: «Rosy, que ferait une grande fille?» Je restais au lit pour lui montrer ce que je voulais qu’elle fasse. Je ne l’ai jamais forcée à se préparer pour aller se coucher, mais je l’encourageais avec les outils que nous avons abordés. 3. Lui permettre de pratiquer. Une fois qu’elle s’était mise en pyjama et brossé les dents, je l’aidais à s’endormir en lui caressant le dos. Tout du long, je restais calme et ne la forçais jamais. Si elle parlait ou pleurnichait, je lui disais simplement: «Restons tranquilles pour que notre corps et notre esprit puissent se calmer et s’endormir. Je suis fatiguée.» Soir après soir, nous nous sommes entraînées à être calmes et à sentir la fatigue envahir notre corps. Il est arrivé quelquefois que je m’endorme aussi. En l’espace de trois semaines, l’un de nos plus gros problèmes parentaux était devenu du pipi de chat.

Chapitre 16. Le sommeil

Et j’ai pu affûter en cours de route mes compétences en matière d’éducation TEAM: Tendre camaraderie: nous nous couchions ensemble. Encouragements: j’encourageais Rosy à aller dormir plutôt que de la forcer à une heure imposée. Autonomie: Rosy décidait seule du moment de monter se coucher. Minimum d’ingérence: plutôt que de contrôler le comportement de Rosy, je faisais le minimum nécessaire pour l’aider à acquérir une compétence précieuse dans la vie.

Épilogue

Un jour, il y a quelques mois, elle se mit en colère et me tapa la jambe. Elle ne tapa pas fort. Et je ne me fâchai pas. Mais elle partit en courant se réfugier dans une autre pièce. Je jetai un œil par l’embrasure de la porte et elle était là, ses petites mains sur le visage, à secouer la tête. Elle était manifestement contrariée de n’avoir pas su contrôler ses émotions. Et elle réfléchissait très fort à ce qu’elle devait faire ensuite. Je voyais à quel point elle avait envie de devenir une «grande fille». Son chagrin me fendit le cœur. Alors je la rejoignis pour la consoler. Mais à ma grande surprise, c’est elle qui me consola. Elle me regarda et me dit: «Je suis désolée, maman. On peut effacer? Je veux effacer.» Parce que je contrôlais mes propres émotions, j’étais en mesure de répondre par le calme au calme de Rosy. Je pouvais oublier le fait qu’elle m’avait tapée et, en effet, effacer ce qui s’était passé. À ce moment-là, je réalisai à quel point j’avais moi aussi changé en écrivant ce livre.

Épilogue

Rosy a tellement changé au fil de la rédaction de ce livre. Elle a grandi à pas de géant, tant sur les plans physique qu’émotionnel. Bien plus que je ne l’aurais imaginé. De mon «ennemie», elle est devenue l’une de mes personnes préférées au monde. Pour commencer, elle s’est révélée une compagne de voyage formidable. Vraiment. Qui passerait quarante heures dans un avion, puis dix dans une voiture, pour arriver dans un endroit sans douche ni électricité et se tournerait vers vous en s’exclamant: «J’adore cet endroit, maman. C’est tellement beau!» Deuxièmement, elle a adopté une attitude acomedida avec enthousiasme. Elle se porte volontaire pour aider à préparer les repas (qui aurait cru qu’une enfant de 3 ans pouvait brouiller des œufs dans une poêle brûlante?), pour faire les lits et même, parfois, une lessive. Un jour, elle m’a dit: «Maman, qu’est-ce que je dois faire maintenant?» Et sans hésiter, j’ai répondu: «Une machine.» Et voilà ma petite poulette partie faire une lessive. Waouh, j’avais beaucoup trop intellectualisé cette histoire de parentalité. Mais par-dessus tout, Rosy essaie.

Épilogue

avec les enfants, des actes simples et la douceur du contact ont bien plus de force que les ordres

Épilogue

Ils m’ont appris que si je répondais aux débordements émotionnels de Rosy par un autre débordement émotionnel, je ne faisais qu’aggraver la situation.

Épilogue

Mais si je répondais à ses emportements avec calme, elle pouvait se calmer et la crise cessait

NOTE

Corégulation

Épilogue

Plus important encore, Maria, Sally et Thaa m’ont montré ce que je ne voyais pas jusque-là: que tous les enfants, même Rosy, sont par nature gentils et serviables. Notre espèce se serait sans doute éteinte si ce n’était pas le cas.

Épilogue

Je suis sincèrement convaincue que Rosy ne cherche jamais à «me pousser à bout», à «tester les limites» ou à me «manipuler». Je crois qu’elle fait seulement de son mieux pour comprendre les règles de cette culture occidentale folle et bizarroïde dans laquelle elle est née. Et dans bien des situations, c’est exactement ce que j’essaie moi aussi de faire.

Épilogue

Dans son merveilleux ouvrage How to Do Nothing, Jenny Odell décrit ce qui se passe quand les gens se mettent à l’observation des oiseaux. Le fait d’essayer de voir et d’entendre les oiseaux modifie leurs sens. Ils deviennent plus sensibles à tous les sons qui les entourent. Et ils finissent par se rendre compte que, bon sang! le chant des oiseaux est une symphonie omniprésente dehors. «Bien sûr, elle était là depuis le début, écrit Jenny, mais maintenant que j’y prêtais attention, je prenais conscience qu’elle était presque omniprésente, toute la journée, tout le temps.»

NOTE

Contemplation

Épilogue

La gentillesse de Rosy était «là depuis le début… mais maintenant que j’y prêtais attention, je prenais conscience qu’elle était presque omniprésente, toute la journée, tout le temps».

Chapitre 7. Jamais en colère

Dans les années 1960, de nombreuses familles inuites vivaient comme leurs ancêtres des siècles auparavant, en chasseurs-cueilleurs nomades. La mer était leur épicerie; la toundra, leur jardin. Les familles se déplaçaient de campement en campement en quête d’animaux. Elles harponnaient des phoques à travers la glace en hiver, transperçaient des ombles chevaliers remontant les cours d’eau au printemps et traquaient les caribous en pleine migration en été. Les peaux et les cuirs d’animaux leur fournissaient des bottes, des parkas, de la literie et des tentes. La graisse de phoque et de baleine alimentait les réchauds pour se nourrir et chauffer les maisons. En août 1963, un avion de service déposa Jean au sommet d’une falaise de granit surplombant les rapides d’une rivière arctique. Plusieurs familles avaient établi leur campement pour l’été le long de la rivière. Au début, la vie de Jean sembla plutôt facile. Les myrtilles abondaient dans la toundra couleur rouille et les truites argentées se pressaient dans la rivière en aval du campement. «Souvent, en une journée de pêche à la dandinette, un pêcheur pouvait rapporter trente truites, parfois jusqu’à quarante, pesant chacune entre cinq et vingt kilos», écrivit-elle. Mais dès le début du mois d’octobre, la rivière commença à geler. La neige tombait chaque jour. L’hiver était tout proche. Jean prit conscience que, pour survivre, elle aurait besoin de l’aide d’une famille inuite. Elle convainquit l’un des couples du campement, Allaq et Inuttiaq, de «l’adopter» et d’«essayer de la garder en vie». Allaq et Inuttiaq furent remarquablement gentils et généreux à son égard. Ils lui apprirent à parler un dialecte inuit, l’inuktitut. Ils lui montrèrent comment attraper le poisson et partagèrent avec elle leur réserve de nourriture pour l’hiver. Ils lui permirent aussi de dormir dans l’igloo familial, blottie sous les chaudes couvertures en peau de caribou à côté de leurs deux plus jeunes filles, Raigili, 6 ans, et Saarak, 3 ans. (Leur adolescente vivait en internat.) Au début, Jean avait l’intention d’étudier le chamanisme. Mais après quelques semaines passées auprès d’Allaq et Inuttiaq, elle prit conscience de quelque chose de plus remarquable encore dans cette famille et dans toute la communauté. «Ils ne se sont jamais mis en colère contre moi, bien qu’ils en aient souvent éprouvé», rapporta-t-elle plus tard. Elle observa chez Allaq et Inuttiaq une capacité étonnante à contrôler leurs émotions. Jamais ils ne perdaient leur sang-froid, ne s’emportaient ni n’exprimaient ne serait-ce qu’un léger agacement, malgré leur vie dans un igloo minuscule par – 30 °C avec deux jeunes enfants, et depuis peu une étudiante américaine (qui admit plus tard être parfois «difficile»).

Chapitre 7. Jamais en colère

«Maintenir l’équanimité dans des circonstances éprouvantes est le signe essentiel de la maturité, de l’âge adulte», écrivit Jean dans Never in Anger, son livre sur sa vie dans la famille d’Allaq et Inuttiaq

Chapitre 7. Jamais en colère

Au sein de leur foyer, les petites erreurs étaient ignorées. Les plaintes et les petits griefs n’existaient pas. Même les revers majeurs suscitaient peu de réaction. Une fois, par exemple, le frère d’Allaq trébucha sur le poêle et fit tomber une théière bouillante qui se répandit sur le sol de l’igloo. Personne ne broncha. Personne ne leva même les yeux de ce qu’il était en train de faire, malgré l’eau brûlante qui faisait fondre le sol de l’igloo. Au lieu de cela, le jeune homme fit remarquer à voix basse «dommage», puis entreprit de nettoyer les dégâts et de réparer le sol. «Je ne ressentis aucune véhémence inhabituelle, même dans le murmure général des rires», écrivit Jean.

Chapitre 7. Jamais en colère

Une autre fois, Allaq, épouse et mère de cette famille, avait passé plusieurs jours à tresser du fil de pêche avec du tendon de caribou. Lorsque son mari utilisa le fil, le tendon se rompit aussitôt. Personne ne montra une once de contrariété face à cet incident. Plutôt que d’agir sous le coup de l’émotion, Allaq et Inuttiaq s’attachèrent à être productifs. Dans le portrait dépeint par Jean, Allaq rit un peu, son mari lui tend la ligne «sans aucun signe de reproche» et se contente de lui dire: «Recouds-la.»

Chapitre 7. Jamais en colère

Lorsqu’un adulte faisait un petit écart et ne parvenait pas à contenir ses émotions, les autres se moquaient gentiment de son comportement. Prenons, par exemple, la fois où Inuttiaq «tira impulsivement sur un oiseau» qui passait par là. Regardant de loin, Allaq commenta: «Comme un enfant.» Autrement dit: le manque de patience est l’apanage des enfants, pas des adultes. Malgré les efforts déployés pour atténuer ses propres émotions, Jean ressemblait à une enfant sauvage, comparée à Allaq et Inuttiaq.

Chapitre 7. Jamais en colère

«Mes manières étaient tellement plus frustes, moins délicates et plus impétueuses, déclara-t-elle plus tard. [J’étais] souvent impulsive et asociale. Je boudais, je parlais sèchement ou je faisais quelque chose qu’ils ne faisaient jamais.»

Chapitre 7. Jamais en colère

Allaq donna naissance à son quatrième enfant pendant que Jean vivait avec la famille. Et sa description en est presque comique tant la naissance semble être un non-événement: Allaq avait passé la soirée à faire frire du bannock [pain] pour toute la famille… [Elle] a participé au festin, elle a plaisanté comme d’habitude avec ses sœurs lorsqu’elles sont venues partager le bannock, a allaité Saarak tendrement pour l’endormir au sein, comme toujours, a éteint la lampe, puis elle est visiblement allée se coucher. Il était 23 h 30. À 1 h 30, je me suis réveillée en entendant les pleurs tremblotants d’un nouveau-né. Allaq était restée tellement silencieuse pendant l’accouchement que Jean ne s’en était même pas rendu compte. Puis, après la naissance, un problème grave survint. Le placenta ne descendait pas, ce qui exposait Allaq à un risque d’hémorragie. Inuttiaq, le seul autre adulte présent, fit quelques «exhortations» laconiques au placenta, mais à aucun moment il ne cria ni ne pleura. Il n’y eut pas tout le foin des urgences médicales. Au lieu de cela, il alluma une pipe, dit une prière et le placenta finit par sortir.

Chapitre 7. Jamais en colère

La vie de Tracy n’est facile à aucun égard. En plus d’élever ses trois enfants, elle fait le ménage à plein temps à l’hôtel et aide son mari et son beau-père à se préparer pour la chasse. Je lui demande si travailler et être la mère de jeunes enfants est stressant, et elle me répond: «Non, j’adore être mère. Ils m’occupent beaucoup, mais j’adore ça.» Oh mon Dieu. Je dois passer pour une mère complètement déséquilibrée aux yeux de cette jeune femme – et de tous les parents à Kugaaruk. J’ai des cheveux gris, un doctorat en chimie, mais j’arrive à peine à gérer une enfant. J’ai honte et je suis embarrassée. Pourtant, je n’ai pas l’impression que Tracy me juge le moins du monde. À vrai dire, j’ai plutôt l’impression d’avoir trouvé une amie, quelqu’un que Rosy et moi pouvons appeler si nous avons besoin d’aide.

Chapitre 7. Jamais en colère

Quand on crie après un enfant, il cesse d’écouter.

NOTE

Rule of thumb

Chapitre 7. Jamais en colère

Plusieurs femmes, me voyant me promener en ville avec Rosy, n’en croient pas leurs yeux: «Vous êtes seule? Vous vous occupez toute seule de votre fille? Sans aucune aide?» À l’épicerie, une autre m’interpelle devant les pommes. «Les enfants ne sont pas censés être accompagnés d’une seule personne, à toute heure du jour», me dit-elle, une note de compassion dans la voix. Ils ne sont pas censés? pensé-je. Intéressant.

Chapitre 7. Jamais en colère

Ce schéma se répète sans cesse à Kugaaruk. Les autres mères et pères ne jugent pas mes médiocres compétences parentales, du moins pas en face ni par des regards en coin et des commentaires comme à San Francisco. Ils cherchent plutôt à m’aider. Et ils ne se dérobent pas quand il s’agit de me tendre la main

Chapitre 7. Jamais en colère

Une autre femme, qui nous épie depuis la fenêtre de son salon, sort de chez elle en courant. Elle porte une veste de camouflage rose et me propose de prendre Rosy quelques heures pour que je puisse souffler. «Je vous vois tous les jours passer avec votre petite fille, toujours toutes seules, et j’ai vraiment envie de vous aider», me dit-elle.

Chapitre 7. Jamais en colère

notre troisième jour à Kugaaruk, Rosy et moi rencontrons Maria Kukkuvak et sa fille Sally, et je découvre une manière fort intéressante de considérer les petits humains. «Ta fille doit en avoir marre de toi. C’est pour ça qu’elle se comporte mal», me dit Sally tandis que nous buvons un thé dans la cuisine de sa mère. «Rosy a besoin d’être avec d’autres enfants. Tu as besoin de souffler.» Bon, je sais que j’ai besoin de faire une pause avec Rosy. J’en ai marre d’elle. Mais il ne m’était jamais venu à l’esprit que Rosy puisse elle aussi en avoir marre de moi et que ce puisse être la raison pour laquelle on se dispute autant.

Chapitre 7. Jamais en colère

«Si tu pars quelques jours avec ton mari, vous finissez par en avoir marre l’un de l’autre, pas vrai? me dit Sally. Ça ne veut pas dire que vous ne vous aimez pas. Vous avez juste besoin de respirer.»

Chapitre 7. Jamais en colère

Sally a déjà élevé trois enfants, aidé ses frères et sœurs à en élever sept ou huit autres et s’occupe à présent régulièrement de quatre petits-enfants en bas âge. Sally est une experte mondiale en matière d’éducation. Elle a tout vu. Bien qu’elle ne fasse jamais étalage de son expertise devant moi, elle voit bien que j’ai des difficultés avec Rosy et me fait une proposition généreuse. «Ma mère va bientôt partir camper. Elle dit que tu peux prendre sa chambre pendant son absence. Comme ça, notre famille peut t’aider avec Rosy. Tu en as besoin.» Jamais paroles plus vraies n’avaient été prononcées. Le lendemain soir, Rosy et moi quittons l’hôtel pour nous installer chez Maria. Et je peux vous dire qu’on est veinardes! Sa famille déborde tellement d’amour qu’il m’arrive, même maintenant que nous sommes de retour à San Francisco, de me retrouver à pleurer la nuit tant j’ai envie d’y retourner pour être auprès d’eux. Je voudrais encore être dans le salon de Maria, à partager de la viande crue de caribou ou à jouer au bingo. Je voudrais retrouver la tranquillité qui règne dans leur foyer.

Chapitre 7. Jamais en colère

Sally remue une grande casserole de spaghettis à la sauce tomate. «Entrez, venez souper», dit-elle. Il y a une bonne demi-douzaine d’enfants qui traînent dans le salon, à jouer aux cartes et aux jeux vidéo. Au moment où Rosy et moi traversons la pièce avec nos valises, Sally fait passer aux enfants des bols remplis de pâtes.

Chapitre 7. Jamais en colère

«J’en fais toujours beaucoup. Mangez autant que vous voulez», nous dit Sally en nous tendant à chacune un bol de pâtes. «Ça ne nous pose aucun problème de vous avoir toutes les deux. Il y a tellement d’enfants en permanence dans cette maison qu’un de plus ne fait aucune différence.» Et c’est vrai. Ce salon est le cœur social de la famille Kukkuvak. Seuls deux enfants vivent techniquement dans la maison, mais ça n’a aucune importance.

Chapitre 7. Jamais en colère

Pendant que nous mangeons des pâtes, je compte dix personnes dans la pièce, et parmi elles un bébé de 5 mois, un petit de 18 mois, une fillette de 3 ans, un garçon de 6 ans, deux filles de 13 ans et deux garçons de 15 ans. Ces enfants font tout leur possible pour faire de la place à Rosy. Ils la ramassent (littéralement) et la prennent sous leurs ailes. L’une des filles de 13 ans, Susan, commence spontanément à brosser et à tresser ses cheveux (qui n’ont pas été coiffés depuis trois ou quatre jours, car elle ne me laisse pas les toucher). Puis Rebecca, 9 ans, entre dans le salon, prend gentiment Rosy par la main et lui dit: «Allons jouer dehors.» Deux autres petits les suivent et voilà: Rosy fait officiellement partie de la bande. Je sens mon corps se détendre, comme si je portais sur mon dos le fardeau de l’éducation de ma fille en solo depuis des jours, des mois, voire des années.

Chapitre 7. Jamais en colère

Les livres sur l’éducation des enfants mentionnent souvent un concept issu de la psychologie et des neurosciences appelé «fonctions exécutives». En gros, il s’agit d’un ensemble de processus cognitifs qui nous aident à agir de manière réfléchie, plutôt que de façon impulsive

NOTE

Définition

Chapitre 7. Jamais en colère

C’est la petite voix dans notre tête qui nous pousse à marquer un temps d’arrêt avant de réagir, à nous demander: Quelles vont être les répercussions de mon action? Existe-t-il une meilleure approche? Les fonctions exécutives nous aident à contrôler nos émotions et notre comportement, et à changer de direction si nécessaire. 

NOTE

Image parlante

Chapitre 7. Jamais en colère

Des études indiquent que des fonctions exécutives bien développées pendant l’enfance prédisent de meilleurs résultats dans un certain nombre de domaines plus tard dans la vie: de meilleurs résultats scolaires, une meilleure santé mentale, de meilleures chances de trouver et garder un emploi, etc.

NOTE

Sciences. Je suppose que la méditation améliore les fonctions exécutives

Chapitre 7. Jamais en colère

À Kugaaruk, les enfants débordent de fonctions exécutives: ils tiennent compte du point de vue d’un autre enfant, restent flexibles lorsqu’une situation évolue et s’adaptent aux besoins des autres. Ils font preuve de beaucoup plus de maturité émotionnelle que bien des enfants plus âgés qu’eux dans nos sociétés. À bien des égards, ils ont une plus grande maturité émotionnelle que moi. Même les tout-petits agissent souvent avec patience, empathie et générosité. Ils excellent dans le partage: jouets, nourriture, vêtements, tout ce que vous voulez. Les objets leur apparaissent comme autant d’occasions de coopérer et de jouer ensemble plutôt que de se disputer et de rivaliser.

Chapitre 7. Jamais en colère

Pendant tout le reste de notre séjour dans le cercle arctique, Rosy joue avec ces enfants pendant des heures et des heures chaque jour, sans avoir besoin d’être sous ma surveillance ou celle d’autres mères. Les problèmes sont rares. Les enfants les plus âgés connaissent déjà les règles et aident les plus petits à les intégrer. Les adolescentes ont envie de materner Rosy et les plus jeunes veulent jouer avec elle. Si Rosy se fâche, les plus âgés analysent le problème et le règlent, ou cèdent tout simplement. Ils empruntent la voie de la sagesse. Le premier soir, dans le salon de Sally, je regarde les enfants jouer ensemble pendant près de deux heures. Et je n’assiste à aucune dispute, aucun moment de tension, aucun pleur de «C’est à moi!» (sauf de la part de Rosy). Et les adultes ne font pas les arbitres, ils ne passent pas leur temps à leur donner des ordres. Ils se détendent en envoyant des textos et en parlant de la prochaine chasse.

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

Le café chaud s’étale en flaque sur la table ancienne. Mon cœur chavire. J’ai envie de hurler. Bon sang, Rosy! On est des invitées dans cette maison. Pourquoi ne peux-tu pas faire un peu plus attention? Mais je regarde autour de moi et personne ne réagit. Rien. Zéro. Nada. Gordon et Tusi n’ont pas levé les yeux de leur lecture. Les enfants sont toujours en train de danser. Personne ne semble remarquer que du café brûlant vient de voler à travers la pièce, causant une pagaille monstrueuse. Sally sort de la cuisine, un torchon à la main, et l’étale lentement sur le tapis, avec précaution, comme si elle installait son matelas de yoga pour une séance de méditation. Grosso modo, Rosy a reproduit la scène du livre de Jean Briggs dans laquelle le jeune homme renverse une théière bouillante sur le sol de l’igloo et où personne ne réagit. Mais le plus surprenant, c’est la réaction de Sally. Elle ne crie pas, elle ne réprimande pas Rosy, mais se tourne vers Tusi et lui dit calmement: «Ton café était au mauvais endroit.»

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

 J’ai assisté à un cours sur l’éducation des enfants à destination des puéricultrices en garderies où on leur apprenait comment leurs ancêtres élevaient les jeunes enfants il y a des centaines (peut-être même des milliers) d’années. À tous les niveaux, toutes les mères et tous les pères mentionnent une règle d’or de l’éducation chez les Inuits: «Ne jamais crier contre un enfant», me confie Sidonie Nirlungayuk, 74 ans, née dans une maison en tourbe non loin de Kugaaruk. «Nos parents n’ont jamais crié contre nous. Jamais, jamais.»

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

Quand Sidonie devint mère à son tour, elle respecta cette règle de ne pas crier. «On n’avait pas le droit de crier après nos propres enfants, dit-elle. Tout ce que je leur disais, je leur disais d’une voix très calme.» Vraiment? Tout est dit d’une voix calme? Même si un enfant vous retourne une gifle en plein visage? Claque la porte d’entrée et vous enferme dehors? Ou s’escrime à faire exprès de vous «pousser à bout»? «Oui», répond Lisa Ipeelie avec un petit rire, comme pour souligner l’idiotie de ma question. «Quand les enfants sont petits, hausser la voix ou se mettre en colère n’aide pas. Ça ne fait qu’accélérer votre rythme cardiaque.»

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

Se fâcher contre un enfant n’aboutit à rien. Ça ne fait qu’interrompre la communication entre l’enfant et la mère.– MARTHA TIKIVIK

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

Quand on crie contre un enfant, il cesse d’écouter.– SIDONIE NIRLUNGAYUK

NOTE

Les adultes aussi

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

La méthode d’éducation traditionnelle des Inuits est empreinte d’une tendresse et d’une attention incroyables. Si on prenait toutes les approches éducatives à travers le monde et qu’on les classait par ordre de douceur, le style inuit se rangerait probablement parmi les meilleurs. Dans l’une des familles à qui nous rendîmes visite, les mères et les tantes ressentaient un tel amour pour les bébés et les jeunes enfants présents qu’elles s’écriaient à travers la pièce «je l’aime, je l’aime»! Les Inuits ont même un baiser spécial pour les enfants. Ça s’appelle un kunik, on pose son nez contre la joue de l’enfant et on renifle sa peau.

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

Même les punitions légères, comme mettre un enfant à l’écart, sont considérées comme inappropriées, explique Goota Jaw, qui enseigne l’éducation au Collège de l’Arctique du Nunavut, à Iqaluit. Les sanctions de ce type se révèlent peu efficaces et ne font qu’isoler l’enfant. «Crier “file dans ta chambre et réfléchis à ce que tu viens de faire!”, je ne suis pas d’accord avec ça. Ce n’est pas comme ça qu’on éduque nos enfants. Tout ce que vous faites, c’est lui apprendre à fuir.»

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

«On sait quand un parent crie contre son enfant, parce que c’est un enfant qui n’écoute plus.»

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

Il se trouve que de nombreux chercheurs occidentaux partagent l’avis de ces vieux sages inuits. À mon retour à San Francisco, j’appelle Laura Markham, une psychologue clinicienne autrice de l’ouvrage Peaceful Parent, Happy Kids. Je lui demande si crier après un enfant peut avoir des répercussions négatives et sa réponse fait étrangement écho à celle de Sidonie. «Lorsqu’on crie contre un enfant, on l’entraîne à ne pas écouter, me dit-elle. Bien souvent, les parents vont dire “mais il ne m’écoute pas tant que je ne hausse pas la voix”, et je leur réponds: “O.K., haussez la voix pour qu’il écoute et vous serez toujours obligé de hausser la voix.”»

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

au bout du compte, crier n’apprend pas aux enfants à bien se comporter. Au contraire, ça leur apprend à se mettre en colère.

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

Repensez à la formule. Pour inculquer un certain comportement à un enfant, on a besoin de deux ingrédients principaux et d’une pincée d’un troisième: la pratique, l’exemple et, si nécessaire, la reconnaissance. Quand on crie et qu’on se fâche après un enfant, on montre l’exemple de la colère. Comme un enfant va souvent crier en retour, on lui donne des tas d’occasions de pratiquer les cris et les fâcheries. Puis si on se remet à son tour à crier après qu’il a crié après nous, ainsi, on reconnaît et on accepte sa colère.

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

À l’inverse, les parents qui contiennent leur colère – devant les enfants et à leur encontre – leur permettent d’apprendre à faire de même. «C’est en nous observant que les enfants apprennent la régulation émotionnelle», explique Laura

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

Ainsi, pour aider un enfant à réguler ses émotions, la première chose que les parents peuvent faire est d’apprendre à réguler les leurs.

NOTE

Tout est dit

Chapitre 8. Comment apprendre à un enfant à maîtriser sa colère

Mais comment rester un parent positif quand à 18 h 30, un jour de semaine, alors que vous avez passé la journée à travailler et qu’il vous reste un dossier à boucler pour dans trois heures, votre gosse se vautre par terre en hurlant dans un magasin parce que vous n’achèterez qu’une seule boîte de glaces et pas deux? Sur ces questions, bien des ouvrages ne sont pas à la hauteur. J’ai l’impression qu’ils passent à côté de deux éléments clés: comment limiter sa propre colère à l’égard de son enfant et comment se faire obéir ou modifier le comportement de son enfant sans se fâcher. Après tout, une fois que vous n’êtes plus en colère, il reste encore à apprendre à votre enfant à être reconnaissant que vous achetiez une foutue boîte de glaces ou, mieux, à partager les glaces avec toute la famille.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

à mon arrivée en Arctique, l’éducation sans colère me semblait un peu comme un mirage. Ou, à bien y réfléchir, comme le régime paléo. Je sais que je ne devrais pas manger autant de sucre et de féculents, mais dès que les autres ont le dos tourné, je descends un bol de pâtes. Comme tout le monde, pas vrai? Tout le monde crie après ses enfants dès que les autres ont le dos tourné, non? Non. Pas Sally, ni sa mère Maria, ni sa sœur Nellie, pas plus que la kyrielle d’autres parents de leur famille. Tous donnent l’impression que l’éducation sans colère, c’est facile

NOTE

Démonstration par l’exemple

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Un soir, par exemple, Sally garde trois de ses petits-enfants, âgés de 18 mois à 6 ans, pendant que je m’occupe de Rosy. La maison est dans une pagaille la plus totale. Le chaos est en train de prendre le dessus. L’un des enfants, un petit garçon nommé Caleb, est particulièrement pénible. À un moment donné, il va jusqu’à faire saigner Sally au visage. Mais à aucun moment elle ne perd son sang-froid. Pas une fois. La voir à l’œuvre m’impressionne beaucoup, pas seulement parce qu’elle garde son calme, mais aussi parce qu’elle ne laisse jamais les enfants lui marcher dessus. En observant les interactions parent-enfant à Kugaaruk, je vois pour la première fois de ma vie une approche éducative n’impliquant pas la colère… ni les cris. Elle est transformative. Je remarque tout d’abord à quel point les adultes sont calmes et détendus. Je constate aussi le pouvoir immense de ce calme sur les enfants de la maison, y compris sur Rosy. Le résultat est presque immédiat. Sous les ailes paisibles de Sally et Maria, la boule de feu dans le ventre de Rosy s’apaise. Son angoisse se dissipe. Un soir, elle se fâche parce qu’elle veut du lait, or nous n’en avons pas. Elle commence à piquer une crise, mais quand elle se rend compte que son attitude n’a aucun effet sur les adultes présents, elle tombe littéralement par terre comme la méchante sorcière de l’Ouest en criant «noooooon!».

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Assister à ce changement chez Rosy me fait prendre conscience de ma propre colère: lorsque je hausse la voix et que je la gronde, je ne fais qu’amorcer ses crises de colère et ses craquages. On se retrouve prises dans une boucle de rétroaction aussi terrible que prévisible. Je me mets à crier; Rosy hurle en retour. Je crie plus fort et lance des menaces peu convaincantes. Elle s’effondre par terre en hurlant et en donnant des coups de pied. Je la relève pour essayer de la calmer. Mais c’est trop tard. Elle est en colère. Et pour le montrer, elle s’en prend à moi en me giflant ou en me tirant les cheveux, ce qui ne fait qu’augmenter ma colère.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Sally et Maria ne tombent jamais dans ce piège émotionnel entre parents et enfants, ce do-si-do de la colère. Elles ne s’engagent jamais dans des bras de fer avec eux

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

De ce que je peux en dire, c’est un processus en deux étapes: 1. Se taire. Rester silencieux. Ne rien dire. 2. Apprendre à ressentir moins, voire pas du tout, de colère à l’égard des enfants. (Note: je ne parle pas de contenir sa colère quand elle survient, mais plutôt de générer moins de colère en premier lieu.)

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Il me fallut environ trois mois pour arrêter de crier contre Rosy, puis trois mois de plus pour me taire complètement quand je sentais monter la colère. Il m’arrive encore de déraper de temps en temps et de me mettre à lui donner des ordres, à exiger des choses et à lui faire des remontrances. Mais, de façon générale, je maîtrise l’art de garder le silence quand Rosy déclenche en moi une vague de colère et de frustration. Voici comment je m’y prends: • Je la boucle. Quand Rosy me met en colère, je suis tel un volcan crachant une logorrhée: «Rosemary, arrête ça, s’il te plaît.» «Pourquoi tu pleures, maintenant?» «Qu’est-ce qui ne va pas?» «Qu’est-ce qu’il te manque?» «Qu’est-ce que tu veux?» Toutes ces questions et affirmations ont l’effet inverse de celui recherché. Ils véhiculent un sentiment d’urgence et de stress. Et ils aggravent les crises de Rosy. Même quand j’essaie de garder mon calme, les mots trahissent toujours mon émotion.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Sally et Maria faisaient l’inverse. Chaque fois que je les vois dans une situation exaspérante avec un enfant, elles marquent un temps d’arrêt, se taisent et observent. Elles sont un peu comme un thérapeute impassible qui écoute son cinquième patient trop émotif de la journée. Si Sally et Maria ouvrent la bouche, leurs paroles sont calmes, presque silencieuses. Et je veux dire vraiment silencieuses. Tellement silencieuses que, si je ne suis pas tout près d’elles, je n’entends pas ce qu’elles disent

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

 Je m’éloigne. Pour quelques minutes ou même quelques secondes, je m’éloigne. Vous pouvez quitter la pièce. Sortir de la voiture. Avancer sur le trottoir. Traverser le parc. Ou simplement tourner le dos à votre enfant. Maria m’a immédiatement donné cette astuce le jour où je l’ai rencontrée, quand on discutait autour de la table de sa cuisine. «Quand je sens la colère monter, je laisse mes enfants ou mes petits-enfants seuls. Je les laisse seuls, c’est tout1.» L’espace ainsi gagné dissipe l’envie de parler et de hurler, et vous pouvez alors retourner aider l’enfant. Comme nous l’apprendrons dans le chapitre suivant, cette distanciation peut aussi permettre de communiquer à l’enfant, dans le calme, que son comportement, à ce moment précis, est inacceptable. Ignorer un enfant est un outil puissant de discipline.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

avant de séjourner chez elles, je croyais sincèrement que pour permettre à Rosy d’apprendre le respect et la gratitude, je devais être ferme et inflexible. Je devais la gronder et la réprimander. C’est ainsi que mes parents m’avaient élevée et je pensais que c’est ce que faisaient tous les bons parents. Je ne pensais pas qu’une approche tendre et délicate pouvait vraiment fonctionner. Mais Maria et Sally me convainquirent que non seulement ça marche, mais que c’est même plus efficace

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

ÉTAPE 2: APPRENDRE À ÊTRE MOINS EN COLÈRE, VOIRE PLUS DU TOUT À présent, avant d’approfondir, je me dois d’être claire: je ne parle pas de refouler la colère. Je ne parle pas non plus de laisser la colère passer ou s’adoucir avec le temps. C’est vrai, si vous vous éloignez et que vous attendez suffisamment longtemps, votre colère finira par passer, je vous le garantis. Le problème avec un jeune enfant dans un logement exigu, c’est que j’ai rarement le privilège de la durée et de la séparation. Quand Rosy se fâche, elle me suit dans toute la maison, me punaise dans un coin ou s’agrippe à ma jambe comme une pleurote géante accrochée à son arbre. Ce que les mères et les pères inuits m’enseignent, c’est comment ressentir dès le départ moins de colère, pas seulement contre Rosy, mais contre tous les petits êtres humains. Comment se prendre un coup dans l’estomac à 7 heures du matin par un enfant de 3 ans et ne pas ressentir une once de courroux. Comment y parvenir? Après avoir discuté avec des mères, des pères, des grands-mères et des grands-pères, je commence à percer leur secret: ces parents ne portent pas sur les actions des jeunes enfants le même regard que le nôtre, dans la culture occidentale. Les parents inuits interprètent différemment leurs motivations. Par exemple, dans nos sociétés, on a tendance à penser que les enfants «nous poussent à bout», «testent nos limites», voire nous manipulent. Quand Rosy n’était encore qu’un bébé, ma sœur aînée m’a dit au téléphone: «C’est incroyable comme les enfants apprennent très tôt à nous manipuler. Tu verras.» Et si cette idée était complètement fausse? Avons-nous vraiment la certitude que les tout-petits et les enfants nous «manipulent» comme le font les adultes? Que les enfants nous poussent à bout comme le font les adultes? Aucune preuve scientifique ne vient corroborer ces affirmations.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

La vérité, c’est que ces idées sur les enfants sont des constructions culturelles. D’une certaine manière, ce sont des contes que nous, parents occidentaux, nous racontons pour nous aider à naviguer au milieu de comportements que nous ne comprenons pas. Dans d’autres cultures, y compris chez les Inuits, les parents se racontent d’autres histoires: des histoires qui permettent de garder plus facilement la tête froide et d’éprouver moins de colère à l’encontre des petits. Des histoires qui renforcent la relation parent-enfant au lieu de l’abîmer. Des histoires qui facilitent la parentalité.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Alors que se passerait-il si on jetait par la fenêtre le mode de pensée occidental et qu’on inventait des récits plus justes pour comprendre les façons d’agir des enfants en bas âge? Si, plutôt que de les considérer comme des manipulateurs qui nous poussent à bout pour nous mettre en colère, on les voyait comme des citoyens novices et illogiques essayant de déterminer quel est le comportement adéquat? Que se passerait-il si on partait du principe que leurs motivations sont belles et positives, et que seule leur exécution a besoin d’être améliorée? En d’autres termes, si je veux éprouver moins de colère à l’égard de Rosy, je dois changer ma façon d’interpréter ses actions et son mauvais comportement. Chez les Inuits, les anciens me proposèrent maintes fois ces trois règles pour aider les parents à garder la tête froide quand les enfants perdent la leur: • Partez du principe que les enfants se comportent mal. Attendez-vous à ce qu’ils soient grossiers, violents et autoritaires. Attendez-vous à ce qu’ils mettent la pagaille, à ce qu’ils ne fassent pas les choses correctement, à ce qu’ils soient parfois de véritables plaies. Ne vous sentez pas visé personnellement (et ne pensez pas que vous êtes un mauvais parent). C’est tout simplement comme cela que les enfants sont conçus. Et c’est votre travail, en tant que parent, de leur apprendre à se comporter convenablement et à contrôler leurs émotions.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Si un enfant n’écoute pas, c’est parce qu’il est trop jeune pour comprendre. Il n’est pas mûr pour apprendre la leçon. – DOLOROSA NARTOK

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Si pour le moment votre enfant ne répond pas à vos attentes, essayez de changer son environnement, et non l’enfant.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

«Les jeunes enfants ne sont pas encore doués de compréhension, dit-elle. Ils ne comprennent pas ce qui est bien ou mal, ce qu’est le respect, comment écouter. C’est aux parents de leur apprendre.»

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Dans nos sociétés occidentales, on surestime les aptitudes émotionnelles des enfants. On attend des enfants en très bas âge – dès 18 mois ou 2 ans – que leurs fonctions exécutives soient déjà bien développées et qu’ils comprennent des concepts émotionnels complexes, comme le respect, la générosité et la maîtrise de soi. Et quand ils ne font pas preuve de ces qualités, cela nous contrarie et on perd patience.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Beaucoup de parents inuits posent le regard inverse sur les enfants. Ils attendent des enfants qu’ils aient de faibles fonctions exécutives et un mauvais contrôle de leurs émotions, et ils considèrent qu’il est de leur mission de leur apprendre ces compétences. En gros, quand un enfant se comporte mal ou n’écoute pas, la raison est simple: l’enfant n’a pas encore appris cette compétence. Et peut-être n’est-il pas encore tout à fait prêt à l’apprendre. Il n’y a donc aucune raison pour qu’un parent soit contrarié ou se fâche.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Les Utku [Inuits] s’attendent à ce que les petits enfants se mettent facilement en colère (urulu, qiquq, ningaq)… et qu’ils pleurent facilement quand on les dérange (huqu), parce qu’ils n’ont pas d’ihuma: pas d’esprit, pas de pensée, pas de raison, pas de compréhension. Les adultes disent qu’ils ne s’inquiètent pas (huqu, naklik) des peurs et des colères irrationnelles d’un enfant, parce qu’ils savent que ce n’est pas vraiment un problème… Parce que les enfants sont des êtres illogiques, incapables de comprendre que leur détresse est illusoire, les gens ne ménagent pas leur peine pour les rassurer… Pour les Utku, grandir est très largement un processus d’acquisition de l’ihuma, car c’est principalement l’usage de l’ihuma qui distingue le comportement mature d’un adulte de celui d’un enfant, d’un idiot, d’une personne très malade ou d’un fou.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Condon fit une observation similaire alors qu’il séjournait avec des Inuits sur la petite île d’Ulukhaktok, dans les Territoires du Nord-Ouest, au Canada: Les enfants sont considérés comme des personnes extrêmement autoritaires. Comme ils n’ont pas encore intégré certaines normes culturellement valorisées telles que la patience, la générosité et la retenue, les enfants réclament souvent des choses de manière excessive et sont très contrariés si ces exigences ne sont pas satisfaites. Ils sont aussi perçus comme des êtres trop agressifs, radins et exhibitionnistes, autant de comportements considérés comme contraires aux normes comportementales idéales.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

 «Même quand un enfant vous maltraite, vous ne répliquez pas. Laissez tomber. Quel que soit le problème… son comportement finira par s’améliorer.»

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Pour les Inuits, se disputer avec un enfant est stupide et c’est une perte de temps, me dit Elizabeth, parce que ce sont globalement des êtres illogiques. Quand un adulte se dispute avec un enfant, il s’abaisse au même niveau que lui.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

«Je me rappelle une fois où je me disputais avec mon oncle. Je lui ai répondu et il s’est mis en colère», se souvient-elle. Cette dispute était un événement si rare qu’il était toujours gravé dans sa mémoire quarante ans plus tard. «Mon père et mes tantes se sont moqués de lui parce qu’il était en train de se disputer avec une enfant.»

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

Les parents ne se disputent pas avec les enfants, tout simplement. Ils expriment leurs demandes et attendent, silencieusement, que l’enfant s’exécute. Si l’enfant refuse, le parent fait parfois un commentaire, s’éloigne ou dirige son attention ailleurs2. Et vous pouvez adopter la même réaction.

Chapitre 9. Comment cesser d’être en colère contre son enfant

La prochaine fois que vous vous surprenez à enquiquiner votre enfant, à négocier ou à tergiverser, arrêtez. Taisez-vous. Fermez les yeux si besoin. Attendez un peu. Touchez doucement l’épaule de votre enfant et éloignez-vous.

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

Forcer un enfant n’a jamais aidé. Parlez-lui de ses erreurs, avec honnêteté. Il finira par apprendre. — Theresa Sikkuark, de Kugaaruk, 71 ans

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

En théorie, ce conseil semble extrêmement simple. Mais bon sang, j’ai tellement de mal à le mettre en pratique. Il va à l’encontre de toutes les cellules parentales de mon organisme. L’idée prodigieuse? Ne jamais forcer un enfant à faire quelque chose. Au lieu de le forcer, vous l’encouragez

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

Dans les cultures de chasseurs-cueilleurs, il est rare que les parents grondent ou punissent un enfant. Ils n’insistent presque jamais pour qu’un enfant obtempère ou modifie son comportement. Ils considèrent qu’essayer de contrôler un enfant entrave son développement et crée une tension dans la relation parent-enfant.

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

Cette idée est si répandue au sein des cultures de chasseurs-cueilleurs à travers le monde que le doute sur l’ancienneté de cette approche est peu permis. Si nous pouvions remonter le temps cinquante mille ans en arrière et interroger des parents, ils nous donneraient (très) probablement le même conseil.

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

Forcer un enfant peut engendrer trois problèmes. Premièrement, cela sape sa motivation intrinsèque; cela érode son désir instinctif d’accomplir une tâche volontairement (voir chapitre 6). Deuxièmement, cela peut endommager votre relation avec l’enfant. Lorsque vous forcez un enfant à faire quelque chose, vous courez le risque de déclencher des disputes et de faire naître de la colère des deux côtés. Cela peut dresser des murs entre vous. Troisièmement, vous retirez à l’enfant l’occasion d’apprendre à décider par lui-même.

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

Les adultes n’aiment pas qu’on les oblige à faire des choses ou à se comporter d’une certaine manière. C’est la même chose pour les enfants. «Lorsque vous forcez un enfant à faire quelque chose, il grandit furieux, avec de la colère en lui. Il n’aura pas de respect pour ses parents et ses aînés.»

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

si vous le traitez comme un petit adulte et que vous lui parlez calmement et avec respect, il finira par faire de même avec vous.

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

Ne pas forcer les enfants ne signifie évidemment pas qu’il faille lever les bras au ciel et renoncer à modeler leur comportement. Loin de là! (J’ai tout de même besoin que Rosy fasse un certain nombre de choses, comme se brosser les dents, débarrasser après le dîner et nous respecter, son père et moi.) Mais cela signifie que vous arrivez à vos fins sans passer par le contrôle et la punition. Vous êtes plus habile et nuancé que cela.

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

Partout dans le monde, les parents manient de nombreux outils pour encourager les enfants à écouter, à apprendre et à se comporter correctement. 

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

Nous avons déjà évoqué un certain nombre de ces outils (motivation de groupe, occasions de pratiquer et reconnaissance de la contribution) et nous en aborderons bien d’autres dans les chapitres suivants, parmi lesquels le jeu théâtral, les histoires, les questions, les conséquences et le contact physique.

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

Notez bien que les encouragements et l’entraînement demandent parfois du temps. Ce ne sont pas des solutions rapides, mais des étapes vers des changement profonds qui perdureront à mesure que l’enfant grandira

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

RECETTE No 4: APPRENDRE À RESSENTIR MOINS DE COLÈRE À L’ÉGARD DE SON ENFANT La prochaine fois qu’un enfant vous mettra dans une rage folle ou fera naître en vous ne serait-ce qu’un sentiment d’irritation, appliquez la recette suivante: 1. Taisez-vous. Ne dites rien. Fermez les yeux si nécessaire. 2. Éloignez-vous quelques secondes ou quelques minutes, jusqu’à ce que la colère passe. 3. Voyez son mauvais comportement sous un autre angle ou placez-le dans un contexte différent. Dites-vous: «Elle ne cherche pas à me pousser à bout. Elle n’est pas en train de me manipuler. C’est un être illogique et irrationnel. Et elle ne sait pas encore comment se comporter correctement. C’est mon travail de lui apprendre à être logique et rationnelle.» (Si ces considérations ne vous parlent pas, vous pouvez essayer une autre voie en pensant à son ardeur irrépressible à vous aider. Dites-vous: «Il a envie d’aider. Il veut contribuer et coopérer. Mais il ne sait pas comment. Je dois lui montrer la meilleure manière de faire.») 4. Puis, d’une voix aussi calme que possible, expliquez-lui simplement l’erreur qu’il est en train de commettre et les conséquences de ses actes. Si par exemple il tape le chien, essayez un «Aïe, ça fait mal au chien». Ou s’il vous tape: «Aïe, ça me fait mal. Aïe. Tu n’as pas envie de me faire mal.» 5. Puis laissez cela de côté. Lâchez prise. Laissez passer ce mauvais comportement. 6. Et, si nécessaire, ayez recours à l’un des outils éducatifs décrits dans le chapitre suivant pour favoriser un comportement approprié.

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

RÉSUMÉ DES CHAPITRES 8 ET 9 COMMENT APPRENDRE AUX ENFANTS À MAÎTRISER LEUR COLÈRE

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MÉMO La colère •La colère contre un enfant est stérile. Elle génère du conflit, crée de la tension et coupe la communication. •Quand un parent a l’habitude de crier ou de hurler après son enfant, l’enfant finit par ne plus l’écouter. •Les parents et les enfants peuvent facilement tomber dans le cycle de la colère: la colère du parent génère de la colère chez l’enfant, ce qui provoque en retour plus de colère chez le parent. •Vous pouvez interrompre ce cycle en répondant à l’enfant avec calme et gentillesse.

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

La gestion de la colère •On surestime souvent l’intelligence émotionnelle des enfants. •La maîtrise de la colère est une aptitude que les enfants acquièrent avec le temps à force de pratique et d’exemple. •Pour aider un enfant à savoir maîtriser sa colère, le mieux est de maîtriser sa propre colère devant lui. •Chaque fois qu’on crie après un enfant, on lui apprend à hurler et à se mettre en colère au moindre problème ou à la moindre contrariété. L’enfant pratique la colère et les cris. •Chaque fois qu’on répond avec calme et sang-froid à un enfant contrarié, on lui donne la possibilité de trouver cette réponse en lui. On donne l’occasion à l’enfant de s’entraîner à s’apaiser. •Avec le temps et la pratique, l’enfant apprend à réguler ses émotions et à aborder les problèmes de façon calme et fructueuse.

TEAM 2. Encourager, ne jamais forcer

ASTUCES ET OUTILS •Lorsque vous ressentez de la colère à l’égard d’un enfant, restez silencieux et attendez que la colère passe. Si vous parlez, l’enfant ressentira votre colère. Mieux vaut donc se taire. •Si vous ne parvenez pas à maîtriser votre colère, sortez de la pièce ou éloignez-vous de l’enfant. Revenez une fois que vous êtes calmé. •Apprenez à ressentir moins (voire pas du tout) de colère à l’égard des enfants. –Modifiez votre point de vue sur leur comportement. Attendez-vous à ce que les jeunes enfants se comportent mal et causent des problèmes. Ils ne cherchent ni à vous pousser à bout ni à vous manipuler. Ce sont simplement des êtres irrationnels qui n’ont pas encore appris à bien se comporter. Vous devez le leur enseigner. (Leur mauvaise conduite ne signifie pas que vous êtes un mauvais parent.) –Ne vous disputez (et ne négociez) jamais avec un enfant. Les disputes permettent à l’enfant de s’entraîner à argumenter et vous lui en montrez l’exemple. Si vous commencez à vous disputer avec un enfant, taisez-vous et éloignez-vous. –Arrêtez de forcer les enfants à faire des choses. Cela engendre des conflits, érode la communication et fait monter la colère (des deux côtés). Utilisez les outils décrits dans le chapitre suivant pour favoriser un comportement approprié plutôt que de l’imposer.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Soyez créatif. Faites appel à votre imagination. Observez les réactions de votre enfant, écoutez les mots qu’il emploie, puis adaptez les outils à son comportement. Par exemple, pour apprendre aux enfants et aux tout-petits à partager avec un petit frère ou une petite sœur, certains parents mayas puisent dans le désir de l’enfant d’être la «grande sœur» ou le «grand frère» et de prendre soin des plus petits. «C’est ton petit frère, le pauvre. Donne-lui-en un peu», disent les parents, sous-entendant que l’enfant doit aider le bébé. Mais lorsque j’essayai cette méthode avec Rosy, il y eut peu d’effet. Elle me regarda comme si je parlais chinois. Bon, ça ne marche pas, pensai-je. Et puis, un jour, je l’observai pendant qu’elle jouait à la «maman» avec son ours en peluche, Einstein. «Einstein, chut, chut. Ne pleure pas, Einstein, maman est là», disait-elle en berçant son ours comme un bébé. À cet instant, je compris que Rosy me montrait comment lui apprendre à partager. Elle n’avait pas envie d’être la grande sœur (elle n’a pas vraiment de bon modèle pour ça). Elle voulait être la maman! Alors un jour, au parc, où je vis un tout-petit se dandiner en couche, lorgnant sur le biscuit de Rosy, je lui dis: «Le pauvre petit, il a besoin que sa maman partage un peu de sa nourriture avec lui. Tu es la maman, Rosy?» Je vis aussitôt une étincelle illuminer son esprit. Elle écarquilla les yeux, un petit sourire se dessina sur sa bouche et, quelques secondes plus tard, elle partageait sa nourriture.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Pendant que nous faisons la queue à la caisse, Rosy voit un sachet d’élastiques à cheveux pastel – roses, bleus et jaunes – avec de petites licornes dessus. Elle les veut désespérément. «Mais, maman, on ne peut pas en acheter juste un seul?» «Désolée, Rosy, on n’a pas besoin de nouveaux élastiques.» La colère commence à monter: «Mais j’en veux un! J’en veux un!» se met-elle à crier. Je me lance dans ma routine habituelle: un mélange de sévérité, de logique rationnelle et de supplications pour qu’elle arrête de pleurnicher. Je réponds aux cris de Rosy par une série de demandes très énergiques. La tension entre nous crépite comme la foudre. Des éclairs de colère jaillissent de ma bouche et de mes yeux. Rosy la ressent et commence à envoyer ses propres éclairs, en hurlant et en agitant les bras. Elle perd le contrôle de ses émotions. Dieu merci, Elizabeth est là. Elle s’approche de Rosy et fait exactement l’inverse de moi: elle fait redescendre l’énergie. Très bas. Au lieu d’adopter une posture ferme et sévère, elle l’approche avec calme et tendresse. Tellement de calme! L’expression de son visage est douce; son corps est détendu. Ses gestes sont légers, paisibles. Au début, elle reste silencieuse. Elle attend quelques secondes. Puis elle commence à parler à Rosy de la voix la plus basse et aimante de son répertoire. Ses mots sont lents et mûrement réfléchis. Elle ne dit pas grand-chose. Elle répond simplement au caractère orageux de Rosy avec tendresse, comme si elle offrait une couverture moelleuse à cette foudre. Rosy est envoûtée. Les cris cessent. Aussitôt. Puis elle se tourne vers Elizabeth et lui dit de sa petite voix toute douce «Iqutaq» («bourdon» en inuktitut).

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

OUTIL N° 1: CULTIVER SON CALME Si vous ne deviez maîtriser qu’un seul concept de ce livre, j’espère que vous essaierez celui-ci. C’est difficile, mais je vous promets que ça en vaut la peine. Dans de nombreuses cultures à travers le monde, les parents considèrent qu’aider les enfants à apprendre à se calmer et à réagir aux frustrations quotidiennes avec aplomb et sang-froid relève de leurs responsabilités fondamentales. Et ils placent cette responsabilité au même niveau que l’apprentissage d’autres compétences comme lire, compter ou manger des aliments sains.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

 Maria Kukkuvak m’explique qu’elle dit «à la nouvelle génération: “Ne laissez pas trop pleurer les enfants. Essayez de les calmer.” Les parents et les grands-parents doivent apaiser les enfants». Et le meilleur moyen, pour un adulte, d’y parvenir – qu’il soit face à des pleurs, des cris ou un flot ininterrompu de demandes – c’est d’interagir avec l’enfant depuis une zone de calme absolu

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Sérieusement, on parle ici d’un degré de calme rarement observé dans la culture occidentale. Pensez au calme que vous ressentez quand vous êtes allongé sur le ventre sur une table de massage. Ou à ce que vous éprouvez après un long bain chaud.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

À Kugaaruk, plus l’enfant insuffle d’énergie dans une situation, plus le parent descend en énergie. Si l’enfant se met à crier, à se débattre, à pleurer ou même à taper, le parent ne se précipite pas pour lui donner des ordres. Il ne lui dit pas non plus de se calmer. Il ne le menace pas («Si tu n’arrêtes pas de crier…») et n’essaie pas de l’amadouer («Qu’est-ce qui ne va pas? Tu veux boire quelque chose? Tu veux aller…?»).

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Au lieu de cela, le parent montre à l’enfant comment rester calme en le restant lui-même. Quand un enfant est contrarié – quand il crie et pleure –, les parents ne prononcent que très peu de mots (les paroles stimulent). Ils bougent très peu (le mouvement stimule). Et leur visage reste très peu expressif (l’émotion aussi stimule). Les parents ne sont ni craintifs ni timorés. Ils gardent toujours confiance en eux. Mais ils s’approchent de l’enfant comme on s’approcherait d’un papillon posé sur son épaule. Lentement. Avec douceur. À pas feutrés.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

«Il y avait aussi de la cohérence dans le calme et la rationalité des réponses apportées par les adultes aux mauvais comportements infantiles… Quand Saarak [une fillette de 3 ans] tapa sa mère au visage avec une cuillère, cette dernière détourna la tête et dit calmement: “Elle n’a pas de bon sens (ihuma).”» Plus tard, la petite de 3 ans dut faire face à l’arrivée d’un nouvel enfant dans la famille. Et quand sa mère ne la laissa plus téter, l’enfant se mua en véritable furie, cela déclencha chez elle une «tempête de gémissements et de claques». Sa mère ne la gronda pas. Elle lui répondit d’une «voix tendre», difficile à croire pour Jean. «Jamais je n’aurais imaginé que cette crise [être détrônée par un bébé], quand elle survenait, pouvait être traitée avec une telle douceur.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

les émotions des enfants – et leur niveau d’énergie – reflètent celles de leurs parents. «Les émotions sont contagieuses», explique Tina. Le cerveau humain contient des neurones et un circuit dont l’unique objet est de refléter les émotions des autres. «Nous avons dans le cerveau une sorte de circuit de résonance sociale qui s’active lorsqu’on interagit avec autrui.»

NOTE

Corégulation, neurones miroirs

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

avec le temps, l’enfant apprend à s’apaiser sans l’aide du parent. «Ce qui est super, c’est que si l’enfant pratique beaucoup le passage d’un état de stress, où il perd tous ses moyens, à un état où il parvient à contenir ses émotions grâce à l’aide d’un parent, son cerveau apprend comment le faire tout seul. Cela relève vraiment d’une acquisition de compétences.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

L’outil de la sérénité est une échappatoire qui vous permet de vous extraire d’un cercle vicieux. Il vous offre une porte de sortie pour échapper aux luttes de pouvoir. Lorsqu’on réagit aux explosions émotionnelles d’un enfant avec calme et sans débordements, on lui offre une occasion de trouver cette réponse en lui et de s’exercer à garder son calme.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Personnellement, pour garder mon calme, j’ai recours à l’imagerie sensorielle. J’imagine que je suis en train de me faire masser dans le spa d’un hôtel de luxe. Je ferme les yeux et je visualise l’endroit. Je suis dans une pièce aux murs mauves, la lumière est tamisée. Des carillons népalais émettent une paisible mélodie et une odeur de lavande flotte dans l’air. Aaaaah. Si l’imagerie ne fonctionne pas, je fredonne Edelweiss et je me concentre sur la Julie Andrews qui sommeille en moi. Trouvez ce qui marche pour vous, pour être le plus calme et le plus imperturbable possible. Cet état dans lequel vous vous contenterez d’émettre un petit gloussement si on vous crache du lait à la figure. Dégainez cet alter ego chaque fois que votre enfant se prépare à piquer une crise. Mon mari a son truc à lui: «Je fais semblant d’être un peu défoncé.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Comment devenir la personne la plus calme du monde quand ta fille de 3 ans t’envoie une gifle en travers du visage? Cela n’a assurément pas été facile. Et il m’aura fallu des mois d’entraînement. Mais plus je parviens, par miracle, à me contenir et à rester calme quand Rosy ne l’est pas, plus cela devient facile.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Quant à Tina, elle s’imagine que son enfant est comme une chaîne stéréo. «Considérez le système nerveux de votre enfant comme un bouton de volume. Mon boulot, c’est d’aider mon enfant à baisser le volume. Et pour y parvenir, je dois commencer par moi. Si je lui hurle dessus ou que je participe au chaos, j’augmente le volume. Je dois me concentrer sur mon propre bouton et m’assurer qu’il ne monte pas trop haut ni ne descende trop bas.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Après que j’ai appris à maîtriser cette stratégie, les explosions et crises de colère de Rosy commencent à disparaître. Les tempêtes émotionnelles se produisent moins souvent et se dissipent plus rapidement. Finalement, au bout de quelques mois, elles s’évanouissent presque totalement. Nous parlons là d’une baisse de plusieurs crises par jour pour arriver à une ou deux par mois. La différence est si frappante que même ma mère a dû admettre que oui, peut-être que cette approche fonctionne mieux.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Sally attrape Caleb. Le petit garçon saisit la joue de Sally si fort qu’il la griffe jusqu’au sang. Des gouttelettes rouges apparaissent sur sa joue. Je vois qu’elle a mal. Elle serre les dents et plisse les yeux. Je suis persuadée qu’elle va se mettre à crier. Mais elle garde son calme et retire doucement les petits doigts potelés de sa peau. Elle dit avec une bienveillance incroyable: «Tu ne te rends pas compte que ça fait mal, n’est-ce pas?» Puis elle a recours à l’outil du contact physique. Elle retourne lentement Caleb sur le ventre et lui tapote doucement les fesses plusieurs fois, comme on tapoterait un morceau de rumsteck avant de le faire cuire. «Oh, ça me fait mal, dit-elle de la même voix douce et calme. On ne fait pas de mal aux gens.» Puis elle le fait voler en cercle, comme un avion. Caleb glousse. Son envie de griffer a disparu. Sa colère s’est évaporée. Et Sally, grâce au contact physique, l’a apaisé, tout en lui montrant qui est forte et aimante (autrement dit qui est le chef).

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

le contact physique – toucher l’enfant, le serrer, le faire tourner – a aidé Caleb et Rosy à dépasser leur colère et à se calmer. Dans le cas de Caleb, Sally a fait appel à un contact physique très énergique, ce qui a réduit la tension croissante entre eux deux tout en distrayant le petit garçon de son attitude destructrice. Avec Rosy, j’ai fait preuve d’un contact physique plus doux, ce qui a apaisé son système nerveux et fait redescendre son énergie

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Ainsi, le contact physique est un peu comme un couteau suisse. Il offre plusieurs outils en un. Vous pouvez toucher doucement le bras d’un enfant ou lui frotter le dos pour freiner une crise de colère naissante, ou le prendre dans vos bras et le faire sauter sur vos genoux quand vous sentez que l’explosion est imminente. Le contact physique peut aussi se situer quelque part entre les deux extrémités du spectre. Vous pouvez faire à un enfant un tas de baisers inuits sur la joue, des kuniks (en le reniflant avec votre nez), un petit guili sur le bras ou une chatouille sur le ventre. Dans tous les cas, toucher l’enfant est une façon de lui montrer qu’il est aimé et en sécurité, et qu’une personne plus calme – et plus forte – prend soin de lui.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

le Dr Larry Cohen, psychologue et auteur de plusieurs livres sur l’éducation, notamment Playful Parenting. «Les enfants ont une envie naturelle de coopérer. Ils adorent vous faire plaisir. Et quand cela n’arrive pas, c’est parce qu’ils sont surchargés de tension.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Chaque fois que Rosy devenait un peu incontrôlable, elles la chatouillaient. Elles l’attrapaient et se mettaient tout simplement à lui faire des guilis-guilis, sous les bras et sur le ventre. Parfois, elle finissait par terre à hurler de rire, elles se réunissaient autour d’elle et lui faisaient des câlins et des bisous. Rosy s’échappait en courant en poussant de petits cris perçants et je n’étais pas certaine que ça lui plaisait. Mais quand je l’ai évoqué avec elle, son opinion était claire comme de l’eau de roche: «J’adore ça, maman. J’adore ça.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Faire les fous libère une protéine, appelée BDNF, ou facteur neurotrophique dérivé du cerveau, qui aide le cerveau à grandir et à mûrir. Les caresses tendres libèrent «l’hormone des câlins», l’ocytocine, qui signale à l’enfant qu’il est aimé et en sécurité.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Au même titre qu’une alimentation saine et une quantité adéquate de sommeil, «le toucher est bon pour la santé», écrit la neuroscientifique Lisa Feldman Barrett dans son livre How Emotions Are Made: The Secret Life of the Brain.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

lorsque vous serrez calmement dans vos bras un enfant de 2 ans en train de hurler ou que vous touchez doucement l’épaule d’un enfant de 8 ans qui pleure, vous parlez directement à la partie la plus accessible de son cerveau et, en procédant ainsi, vous communiquez plus efficacement avec l’enfant.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Les enfants sont à bien des égards programmés pour apprendre la régulation émotionnelle par le contact physique, pas par des consignes verbales. «Dans notre société, on est formés pour résoudre les problèmes par la parole et la logique. Mais quand un enfant de 4 ans est absolument hors de lui parce qu’il n’arrive pas à marcher au plafond comme Spider-Man (comme c’est arrivé au fils de Tina), ce n’est sans doute pas le meilleur moment pour lui faire une leçon introductive sur les lois de la physique», écrit le duo.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Avec Rosy, le contact physique est vraiment utile, pas seulement pour stopper les crises de colère, mais aussi pour les prévenir. Quand je sens que je vais me fâcher et que je ne veux pas hausser le ton, j’attrape Rosy d’une façon marrante. Je la retourne ou la berce dans mes bras comme un bébé. «Tu es mon tout petit bébé?» lui dis-je. Et sa colère fond comme du beurre dans une poêle chaude. Elle passe en un clin d’œil des pleurs aux rires, ou des cris aux gloussements. «Encore des guilis-guilis, maman! Encore des guilis-guilis!» s’exclame-t-elle.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Ce matin encore, alors qu’on tente de franchir la porte pour partir à l’école, je nous sens prêtes à plonger dans une spirale négative. On ne trouve pas ses chaussures. On ne trouve pas son casque de vélo. On ne trouve pas sa super gourde («J’en ai vraiment besoin, maman!»). La tension monte. Et Rosy voit bien que je vais me fâcher. Alors elle crie: «Maintenant, je suis en colère!» Je suis sur le point de crier, mais je sais que cela ne fera qu’empirer les choses. Alors je ferme les yeux et je visualise la salle de massage mauve. Je renifle la lavande, j’entends le carillon. Puis je pense à Sally et à ce qu’elle ferait avec Caleb dans un moment comme celui-ci. Je m’agenouille près de Rosy et je lui dis, le plus doucement possible: «Je n’ai pas envie qu’on se mette en colère.» Puis je fais semblant d’être le Cookie Monster et de lui dévorer le bras: «Miam miam miam!» Pouf! La tension redescend et Rosy se met à rigoler. On quitte l’appartement en riant toutes les deux.

NOTE

Exemple

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

On a travaillé toute la journée et la fatigue rend Rosy grognon. Elle s’assied sur la route et commence à pleurnicher. Je l’ignore. Alors elle se met à pleurer et à crier. Elizabeth s’approche d’elle, s’agenouille et lui dit d’une voix emplie d’émerveillement: «Regarde le beau coucher de soleil. Tu vois le rose? Le pourpre?» Rosy regarde Elizabeth d’un air suspicieux. Elle fronce les sourcils. Mais elle ne peut résister à sa douceur – ni au coucher du soleil. Elle se tourne et lève les yeux vers le ciel. Et son expression tout entière change. Ses yeux s’adoucissent. Les pleurs cessent. Elle se lève et se remet en marche. Quelque chose me traverse l’esprit. J’ai observé ce qu’Elizabeth vient de faire chez bien d’autres mères pendant mon séjour à Kugaaruk. Elles ont recours à un outil psychologique incroyablement sophistiqué avec les enfants âgés de 1 à 16 ans: elles leur apprennent à remplacer la colère par l’émerveillement.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

j’ai fait un reportage pour NPR sur les adultes qui ne parviennent pas à maîtriser leur colère. Au cours d’un entretien, la neuroscientifique Lisa Feldman Barrett me donne l’un des meilleurs conseils du monde: «Eh bien, vous pourriez essayer de cultiver l’émerveillement.» Cultiver quoi? «L’émerveillement.» «La prochaine fois que vous sortez vous promener, prenez un instant pour remarquer sur le trottoir une fissure où pousse une mauvaise herbe et essayez de laisser monter en vous un sentiment d’émerveillement devant la puissance de la nature. Exercez-vous à éprouver ce sentiment encore et encore. Entraînez-vous à vous émerveiller à la vue d’un papillon, d’une fleur particulièrement belle ou des nuages dans le ciel.» Elle me raconte comment elle utilise cette technique dans sa vie quotidienne. «Par exemple, quand je suis en appel vidéo avec quelqu’un en Chine, je peux facilement être agacée si la connexion est mauvaise. Ou bien je peux m’émerveiller de voir le visage et d’entendre la voix d’une personne qui se trouve à l’autre bout du monde, même si c’est imparfait, et me sentir reconnaissante que ce soit possible.» Pour Lisa, les émotions agissent un peu comme des muscles. Si vous ne les utilisez pas, elles fondent. Et plus vous en contractez certaines, plus elles deviennent fortes. Ainsi, plus vous vous émerveillez – plus vous contractez ce muscle neural dans votre cerveau –, plus il vous deviendra facile d’accéder à cette émotion. Lorsque vous commencez à ressentir une émotion stérile, par exemple la colère, vous pouvez plus facilement remplacer ce sentiment négatif par un sentiment positif, comme l’émerveillement. Lorsque vous éprouvez de la contrariété, vous pouvez la remplacer par de la gratitude.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

chaque fois que le petit garçon pleure ou chouine, Maria l’emmène près d’une fenêtre pour lui montrer la splendeur du golfe. En faisant cela, elle rappelle à l’enfant qu’il a dans sa vie une chose merveilleuse, une chose pour laquelle il peut éprouver de la gratitude, une chose qui le dépasse. Et ce détournement l’apaise systématiquement.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

«De façon abstraite, ça peut sembler bidon, mais je vous garantis que si vous pratiquez l’émerveillement, cette pratique vous aide avant tout à reconnecter le cerveau afin de pouvoir générer cette émotion [l’émerveillement ou la gratitude] bien plus facilement à l’avenir», m’explique Lisa.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Cette pratique est particulièrement importante pour les enfants, parce que leur cerveau est malléable. Selon Lisa, «le cerveau de l’enfant attend que le monde lui envoie ses instructions de câblage». Ainsi, cet outil qu’est l’émerveillement ne permet pas uniquement de faire cesser une crise sur le moment, il contribue aussi à les réduire dans le futur.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

OUTIL N° 4: EMMENER SON ENFANT À L’EXTÉRIEUR

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Suzanne Gaskins fut la première à m’en parler. «Quand un enfant demande des choses qui dépassent l’entendement, les parents mayas l’envoient dehors.» Cette réaction indique à l’enfant que son comportement ou sa demande n’est pas acceptable compte tenu de son âge ou de son niveau de maturité. «C’est une manière de pousser l’enfant du coude pour lui faire comprendre qu’il doit améliorer son jeu en matière de responsabilités sociales.» Dolorosa Nartok, à Kugaaruk, me parla d’une idée semblable. «Quand les jeunes enfants sont hors de contrôle, c’est qu’ils ont passé trop de temps dans la maison ou dans l’igloo. Faites-les sortir quelques minutes.» Dolorosa tient cette technique de sa belle-mère. «Les petits deviennent grincheux quand ils ont passé trop de temps à l’intérieur. Alors vous les empaquetez [c’est-à-dire que vous les mettez dans un porte-bébé], et vous sortez faire un tour.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Si vous vivez en zone urbaine avec un espace extérieur restreint, comme c’est notre cas, vous pouvez prendre le petit dans vos bras, sortir avec lui sous le porche minuscule et rester silencieux. Si vous ne pouvez pas vous empêcher de lui parler, optez pour quelque chose comme: «Tu es en sécurité. Je t’aime.» Lorsque l’enfant commence à s’apaiser, vous pouvez lui dire quelque chose comme: «Nous pourrons rentrer quand tu te seras un peu calmé.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

D’après mon expérience, Rosy ne veut plus venir dans mes bras quand elle est en colère. Alors je lui prends doucement la main pour la conduire dehors. Si je dois lui parler, je lui dis quelque chose comme: «Allons prendre un peu l’air. Tu te sentiras mieux dans un moment.» Mais généralement, vous n’avez pas besoin de parler. La douceur et le calme de votre geste suffisent.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

OUTIL N° 5: IGNORER LA CRISE 

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

beaucoup de parents inuits ont une approche plus nuancée. Parfois, ils attendent un peu avant de réagir à une crise, pour voir si l’émotion se dissipe. En général, cependant, les parents ne laissent pas pleurer longtemps les très jeunes enfants. Un adulte, un frère ou une sœur le consolera d’une manière ou d’une autre. Pour les enfants plus âgés, c’est différent. Une fois que le parent considère qu’un enfant est capable de se calmer, il peut ignorer ses crises émotionnelles, et c’est ce qu’il fait.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

À quel âge un enfant acquiert-il cette compétence si convoitée? Cela varie d’un enfant à un autre et d’une situation à une autre, mais il faut sans doute plus de temps que ce qu’on imagine. Comme je l’évoquais, les Occidentaux ont tendance à surestimer les facultés émotionnelles des enfants (et à sous-estimer leurs facultés physiques). Ma pédiatre m’a conseillé d’ignorer les caprices de Rosy quand elle était âgée de seulement 8 mois. Cette stratégie s’est retournée contre nous de manière abominable. Ses crises – et notre vie – se sont largement empirées. Rosy ne savait pas encore se calmer toute seule, et qu’on l’abandonne à ses larmes ne faisait que nourrir le feu qui brûlait dans son ventre. Elle avait besoin d’amour, de calme et de tendresse. Elle avait besoin d’un contact physique. Comme je dois sans cesse me le rappeler, acquérir une certaine maturité émotionnelle n’est pas une course (j’y travaille toujours à l’âge vénérable de 42 ans). Faire un câlin quand l’enfant est contrarié, lui montrer l’exemple de l’émerveillement et de la gratitude quand il se met à crier ou le sortir pour qu’il respire un peu d’air frais quand survient une crise de colère n’a jamais fait de mal à un enfant. Ce n’est pas céder à un caprice, c’est se servir de la crise comme d’un moment pour l’aider à activer un autre circuit neurologique. Considérez ces moments comme des occasions pour l’enfant de pratiquer, de s’entraîner à se calmer seul, et pour vous de montrer l’exemple du calme, et non comme des moments pour que vous, parent, prouviez que vous avez raison.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Comme les mères inuites ne cessent de me le dire par les mots comme par les actes: allez-y mollo avec les petits quand ils perdent le contrôle de leurs émotions. Débarrassez-vous de votre colère et de votre frustration (pensez au spa) et remplacez-les par de l’empathie et de l’amour. Rappelez-vous que les enfants n’ont pas les mêmes facultés émotionnelles que nous, adultes. C’est à nous de leur montrer, encore et encore, comment garder leur calme avant d’attendre d’eux qu’ils maîtrisent le concept.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

L’un des gros objectifs éducatifs chez les Inuits est d’amorcer la réflexion. «Il faut que les enfants réfléchissent à ce qu’ils font. Ils doivent toujours réfléchir», nous explique Theresa Sikkuark, 71 ans. En effet, comme le constata l’anthropologue Jean Briggs, le terme signifiant «éducation» dans l’un des dialectes inuktituts est isummaksaiyug, «ce qui signifie en gros rechercher la pensée, rechercher l’esprit… et autres choses de type cognitif. Cette pratique de la réflexion se poursuit tout au long de l’enfance».

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

En nous penchant plus en détail sur le prochain ensemble d’outils, nous commencerons à comprendre l’importance et le pouvoir de l’amorce de la réflexion. Grâce à ces outils, vous ne dites pas à l’enfant ce qu’il doit faire, mais vous lui donnez plutôt des indices grâce auxquels il devra déduire seul quel est le comportement approprié. En d’autres termes, vous avez recours à ces outils pour l’encourager et le guider, et non pour exiger des choses de lui et le forcer.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Vous pouvez les utiliser pour les mauvais comportements ordinaires du quotidien, avec des enfants de tout âge, bambins comme adolescents. (J’ai aussi vu certains de ces outils faire des merveilles auprès des adultes.) Peut-être votre enfant ne veut-il pas partir du parc ou aider à ranger le salon en bazar. Peut-être refuse-t-il de faire ses devoirs ou d’arrêter de taper sa petite sœur. Peut-être, peut-être seulement, ne veut-il pas aller au lit! Dans toutes ces situations, l’enfant refuse de bien se tenir, mais il garde le contrôle de ses émotions (au moins en partie), ce qui n’est pas le cas lors d’une crise de colère. Son moi logique et rationnel est en éveil et ouvert à de nouvelles idées.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

OUTIL DE TOUS LES JOURS N° 1: MAÎTRISER LE REGARD-QUI-DIT-TOUT Ah! Cet outil est tellement efficace que je suis tout excitée rien que d’y penser. Saviez-vous que les enfants lisent très bien le visage de leurs parents? Mais vraiment, vraiment bien? Même les bébés et les tout-petits savent le faire. Ainsi, la plupart du temps, les parents n’ont pas besoin de prononcer un seul mot pour modifier le comportement d’un enfant. Tout ce qu’il faut, c’est leur lancer «le regard-qui-dit-tout». Rassemblez tout ce que vous voulez dire, la moindre miette d’émotion que vous ressentez à l’égard de l’enfant et canalisez tout cela dans vos yeux, votre nez et vos sourcils froncés, ou n’importe quelle partie de votre visage. Dans le monde entier, les parents ont recours à toutes sortes de mimiques pour orienter le comportement de leurs enfants. Un regard bien exécuté peut faire des miracles. Il peut éloigner un enfant d’un présentoir à bonbons à l’épicerie. Il peut l’inciter à partager son goûter avec un copain au parc ou arrêter le bras de l’enfant qui tape son frère. «Il suffisait d’un regard de ma mère pour nous glacer le sang», me raconte un ami.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

D’après mon expérience, «le regard-qui-dit-tout» s’avère bien plus efficace que de dire à un enfant «non» ou même «ne fais pas ça». Le regard exprime tout ce que vous avez à dire en un coup d’œil calme et rapide. Il lui indique qui garde son calme et qui est aux commandes.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Un après-midi, à l’épicerie, Rosy attrape une barre de Snickers géante sur le comptoir devant la caisse. Comme les parents le font souvent, mon mari émet un ordre verbal: «Rosy, on ne va pas acheter ça, repose-le.» Rosy, qui décide d’en faire un jeu, se met à courir entre les rayons pendant que mon mari lui crie de revenir. Je décide donc de mettre un terme à ce bras de fer. Je me tourne vers Rosy, la regarde droit dans les yeux et lui jette «le regard-qui-dit-tout». Je plisse le nez comme si je sentais une odeur nauséabonde, je ferme un peu les yeux et je pense très fort «y a pas moyen, ma p’tite». Devinez ce que fait Rosy. Elle me regarde avec un petit sourire en coin, se dirige vers le comptoir et repose la barre chocolatée. Elle sait ce qu’elle a à faire. Le regard-qui-dit-tout le lui a simplement rappelé.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Rosy et moi passons la journée avec Elizabeth, qui ne se contente pas de me servir d’interprète pour mes entretiens, mais qui nous instruit aussi sur l’histoire des Inuits et leurs traditions. Elle nous emmène visiter un camp de pêcheurs, à une heure environ de Kugaaruk. Sur le chemin, on arrive à un haut pont qui traverse la kuuk. Ce pont me terrifie. Il se dresse à douze mètres au-dessus de la rivière et n’a pas de rambarde pour protéger les enfants de la chute. Rosy se précipite sur le pont en courant et je me mets à hurler: «Attends! Ne t’approche pas du bord!» Mais avant que les mots sortent de ma bouche, Elizabeth a déjà rejoint Rosy. Elle lui prend doucement la main et lui dit calmement: «Tu pourrais tomber et te blesser.» Et c’est à ce moment-là que ça me frappe: Elizabeth et moi avons des manières complètement différentes de parler à Rosy. Mes ordres commencent presque toujours par «ne… pas»: «Ne monte pas sur cette chaise», «Ne renverse pas ton lait», «N’arrache pas ce jouet des mains du bébé», «Ne fais pas ci, ne fais pas ça». Mais Elizabeth n’utilise jamais – ou rarement – la négation. Elle, comme de nombreux parents inuits que j’ai rencontrés, adopte une approche plus fructueuse dans les ordres qu’elle émet. Les parents disent aux enfants ce qui se passera s’ils continuent à mal se comporter. Ils disent aux enfants quelles sont les conséquences de leurs actes.

NOTE

Parler des conséquences réelles de nos actes nous responsabilise

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Quand on y pense, dire à un enfant de «ne pas» – ne pas lancer, ne pas prendre, ne pas grimper, ne pas crier – contient très peu d’informations. Rosy est déjà au courant qu’elle est en train de lancer, prendre, grimper ou crier. Mais ce qu’elle ignore (ou ce dont elle n’a pas conscience), ce sont les conséquences de ces actions. Et il se peut tout à fait, sur le moment, qu’elle ne se rende pas compte qu’elle ne devrait pas faire ces choses-là. Lorsqu’on dit à un enfant «ne fais pas ça» ou «arrête», on part du principe qu’il va obéir à un ordre comme un automate: sans une once de réflexion de sa part. Les parents inuits ont une plus haute opinion des enfants. Ils croient les jeunes enfants capables de penser par eux-mêmes ou en tout cas d’apprendre à le faire. Ils donnent donc à l’enfant des informations utiles sur son comportement. Ils lui donnent une raison d’y réfléchir à deux fois avant de poursuivre son action.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Lorsqu’une fillette de 7 ans monte sur le toit d’un cabanon, à quatre mètres au-dessus du sol, une fille plus âgée lui dit d’un ton impassible: «Tu vas tomber et te faire mal, Donna.» Donna s’immobilise sur le toit, attend un peu et redescend. Dans la maison de Maria, la petite Samantha, 6 ans, escalade le dossier du canapé près d’une étagère où sont posées des figurines en porcelaine. Sa mère, Jean, la met en garde d’un air détaché: «Tu vas faire tomber quelque chose de l’étagère.» Plus tard ce jour-là, Tessa, la petite sœur de 3 ans de Samantha, presse un chien en plastique très bruyant pendant que sa grand-mère fait la sieste à proximité. Jean lui dit calmement: «C’est trop fort, tu vas réveiller ta grand-mère.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Après cet avertissement, Jean n’ajoute pas un mot. Elle n’insiste pas pour que Tessa arrête de presser ce jouet. Elle ne la harcèle pas, elle ne crie pas. En tant qu’adulte, elle incite simplement l’enfant à réfléchir à son comportement et aux conséquences, puis elle laisse la petite extrapoler la réaction appropriée à cette information. Ce mode de communication est respectueux de l’autonomie des enfants et de leur faculté d’apprentissage.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

cette approche marche particulièrement bien avec les enfants «obstinés», qui aiment expérimenter et comprendre par eux-mêmes le fonctionnement du monde (ou, comme on dit dans la culture occidentale, les enfants qui aiment «repousser les limites»). Oui, je parle de Rosy. Maintenant, quand elle se met à sicler comme un ptérodactyle dès le réveil, je lui dis d’une voix douce et calme: «C’est trop fort. Tu vas me donner mal à la tête.» Quand elle ne veut pas prêter un jouet à son ami, je lui dis: «Kian ne voudra plus venir à la maison si tu ne prêtes pas.» Et ainsi de suite. (J’essaie toujours de le dire d’une voix aussi calme et impassible que possible. La moindre trace de fermeté ou d’accusation ne ferait que déclencher une dispute.) Bien souvent, ça fonctionne. Rosy ne fait pas toujours ce que je voudrais, mais la plupart du temps, si. Et elle est beaucoup moins réticente à l’idée de m’écouter. Quand elle continue de mal se comporter, je laisse couler (du moins, j’essaie) et j’arrive à me convaincre qu’elle m’entend et qu’elle est sur la voie de l’apprentissage. J’ai souvent l’impression que Rosy réfléchit à ce que je lui dis. Et il est très agréable de savoir que j’ai fait passer une information qui va l’aider à faire ses propres choix la prochaine fois2.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Si elle ou d’autres courent un réel danger – disons si on se dirige tout droit vers du sang, des traumatismes crâniens et des os cassés –, j’interviens pour l’aider physiquement. Mais je ne crie pas après elle ni ne lui donne l’impression de réagir avec empressement. Je lui explique les conséquences de son comportement et l’aide à se déplacer afin d’éviter que ces conséquences ne surviennent.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Voici une autre pépite éducative apprise à Kugaaruk (et de nouveau observée en Tanzanie chez les Hadza): transformer les ordres, les critiques et les remarques en questions.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Des papiers de bonbons jonchent la table. Mais Sally ne s’énerve pas. Elle se contente de regarder les coupables – Rosy et son amie Samantha – et de dire d’une voix douce: «Qui a mis ce bazar?» Hum, me dis-je. Intéressant. Après cet épisode, je remarque que cet outil fait ses preuves dans bien des situations. «Qui est en train de m’ignorer?» dit Marie, la belle-sœur de Sally, à sa fille de 4 ans qui ne réagit pas quand elle lui demande de sortir de la maison. «Que m’as-tu rapporté?» demande Sally à l’un de ses petits-enfants qui rentre de l’épicerie. Et lorsqu’un enfant lui tend un tas d’ordures à jeter, elle réplique par une question brillante: «Je suis quoi? Une poubelle?» En Tanzanie aussi, les questions abondent. Lorsqu’un petit de 2 ans tape un enfant plus jeune, sa mère lui demande: «Que fais-tu à ton copain?» Quand un enfant de 3 ans veut se faire porter par le père d’un autre au cours d’une longue marche, le père lui demande: «Tu me prends pour quoi? Ton mulet?» Les parents posent souvent ces questions d’un ton mi-sarcastique, mi-sérieux. Elles ne sont ni accusatrices ni dévalorisantes. Leur but n’est pas de mettre l’enfant sur la défensive. Ce sont plutôt comme des puzzles que l’enfant doit résoudre, une amorce pour l’inviter à réfléchir à ses actes et à leurs conséquences potentielles. Cette stratégie est géniale. Et elle est parfaite dans ces moments où vous trouvez que votre enfant «pousse le bouchon» et que vous n’avez pas envie de vous fâcher, mais où vous ne savez pas très bien que faire ou que dire. Ou bien quand votre enfant fait une bêtise et que vous voulez ignorer son comportement, mais que vous devez quand même dire quelque chose. La question vous permet de faire passer le message sans engager de bras de fer.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

J’applique cette stratégie dès notre retour à San Francisco. Je veux notamment que Rosy crie moins et cesse de réclamer des choses en permanence. Dans ces cas-là, je demande: «Qui est en train de crier après moi?» Quand Rosy se plaint du menu au dîner, je dis d’un ton très neutre: «Qui est ingrate?» Après ça, je reprends le cours de ma vie. Je ne cherche ni réponse ni débat. Je n’attends même pas qu’elle change aussitôt de comportement. Je veux juste qu’elle réfléchisse.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Un jour, je vais la chercher à l’école et lui demande poliment, en utilisant le puzzle des conséquences, de mettre de la crème solaire. «Il fait très beau. Tu vas avoir un coup de soleil si tu ne mets pas un peu de crème.» Elle crie «Non!» et jette le tube sur le trottoir. L’ancienne Michaeleen aurait réagi brusquement et probablement crié. Mais la nouvelle Michaeleen dégaine l’outil des questions et garde son calme. Je lui dis d’une voix impassible: «Qui se montre irrespectueuse?» Je ne regarde pas Rosy en disant cela, car je ne suis pas en train de l’accuser, j’essaie de la faire réfléchir. Puis je passe à autre chose. Je ramasse le tube de crème sans me fâcher et le range dans mon sac. Cette interaction semble close. Mais une minute plus tard, Rosy me dit: «D’accord. Donne-moi la crème.» Et elle se tartine sans se plaindre.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

À partir de là, j’utilisai la question «Qui se montre irrespectueuse?» pendant une bonne semaine. Chaque fois que Rosy me parlait mal, hurlait parce qu’elle voulait deux cookies au lieu d’un ou se comportait comme une sale gamine, je lui disais, toujours sur le même ton neutre: «Qui se montre irrespectueuse?» J’étais incapable de dire ce qu’elle assimilait vraiment. Mais dix jours après le début de cette expérience, elle me donna enfin un indice. Nous étions allongées toutes les deux sur son lit et nous parlions de sa journée d’école quand elle me demanda de but en blanc: «Maman, ça veut dire quoi irrespectueuse?» Ha! Ha! Donc, elle m’écoute! Et ça la travaille. Une amie à San Francisco a testé cette méthode avec sa fille de 3 ans. Quelques heures plus tard, elle m’a appelée, enthousiaste: «Ça a marché! Ça a marché!» Sa fille avait tapé son petit frère avec un animal en peluche et mon amie avait réagi en disant: «Qui est méchante avec Freddy?» La fillette avait arrêté de taper et, cinq minutes plus tard, était venue trouver sa mère en lui disant: «Je suis désolée d’avoir été méchante, maman.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

pour un enfant, mal se comporter est une manière pour lui de demander plus de responsabilités, une plus grande participation à la vie de la famille et davantage de liberté. Quand un enfant enfreint les règles, exige des choses ou semble «obstiné», il faut que ses parents le mettent à contribution. Ce que dit l’enfant, c’est: «Hé, maman, je suis sous-employé, là, et ce n’est pas très agréable.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Vous pouvez exploiter cet intérêt pour faire participer et contribuer l’enfant. Au lieu de lui demander d’arrêter de pleurnicher, donnez-lui du travail. Même les tâches les plus élémentaires peuvent faire abandonner cette attitude de diva à un jeune enfant. Par exemple, un matin, Rosy se réveille grincheuse et attaque la journée en se plaignant de la musique que diffuse notre enceinte Google Home (problème d’enfant du xxie siècle, je sais). «Mais je veux l’autre chanson de Vaiana, pas celle-là!» dit-elle en pleurant. Avant qu’elle ait le temps d’embrayer sur une spirale de pleurnicheries, je lui donne un travail à faire: «Regarde, Mango a faim. Tu sais, les petites filles ne peuvent pas exiger des choses si elles n’aident pas. Va nourrir la chienne et on verra ce qu’on peut faire pour la musique.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Mon mari me lance un regard noir, craignant que cette consigne déclenche une crise de colère. Mais Rosy acquiesce d’un hochement de tête et va chercher la gamelle. Cette mission l’a tirée de sa pleurnicherie. Elle a plus important à faire. Et le reste de la matinée se passe sans heurts. «Intéressant…», fait remarquer Matt. Il est très agréable de partager des choses apprises auprès de mères comme Maria. «Les enfants ont besoin qu’on leur donne du boulot, lui dis-je. Ils n’aiment pas être sous-employés. Ça les rend nerveux.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

  1. Ils font ce qu’ils veulent que l’enfant fasse. En Arctique, la belle-fille de Sally, Marie, est prête pour partir à la pêche. Elle enfile ses bottes et dit à sa fille: «O.K. Victoria, on part à la pêche.» Puis elle sort de la maison et monte sur son quatre-quatre. Victoria finit par lui emboîter le pas. Dans le Yucatán, au moment du dîner, une mère pose les assiettes pleines sur la table de la cuisine, puis attend que ses deux filles, occupées dehors à faire du coloriage, rentrent manger. «Elles viendront quand elles seront prêtes», me dit-elle. Et elle a raison. Quelques minutes plus tard, les fillettes rentrent et se mettent à table, sans avoir besoin qu’on les cajole.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Dans la grande majorité des cultures, les parents ne passent pas leur temps à parler aux enfants ou à leur donner des choix incessants. Au lieu de cela, ils agissent. Et ce passage à l’action est disponible en trois parfums:

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

  1. Ils aident en douceur l’enfant à faire ce qui est nécessaire. Dans le Yucatán, Rosy monte sur un vélo d’adulte bien trop haut pour elle. Il est évident qu’elle va tomber. Personne ne crie ni ne lui lance de consignes. Laura, 16 ans, s’approche, lui prend doucement la main et l’aide à descendre du vélo. Tout ce dont Rosy avait besoin, c’était qu’une main vigoureuse lui vienne en aide, suivie d’un gros câlin.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

  1. Ils modifient l’environnement afin que l’enfant n’ait pas à modifier son comportement. Un soir, dans le Yucatán, nous sommes tous réunis à table à l’heure du souper. Nous bavardons en partageant un ananas. Soudain, Rosy saisit un immense couteau de boucher posé sur la table. Personne ne s’étouffe ni ne tente de lui arracher le couteau. Au lieu de cela, Juanita, l’une des mères, s’approche calmement de Rosy, attend qu’elle repose le couteau, puis le place hors de sa portée. Il n’y a pas de fâcherie. Pas de pleurnicherie. Aucune rupture dans l’harmonie du moment

NOTE

Ça décrit une confiance totale en la situation, chose que les occidentaux devaient apprendre

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Dans la grande majorité des cultures, et depuis le début de l’histoire de l’humanité, les parents ne discutent pas avec les enfants de leur prochaine activité, ils ne débattent pas avec eux pour savoir s’ils préfèrent un sandwich au jambon ou des pâtes pour le dîner. Ils ne posent pas de questions commençant par «Veux-tu»: «Veux-tu du beurre ou de la sauce tomate dans tes pâtes?», «Veux-tu aller faire les courses avec moi?», «Veux-tu prendre un bain?». Les parents agissent. La mère prépare des haricots noirs pour le dîner; le père enfile sa veste et sort faire les courses; la grand-mère va à la salle de bains et fait couler l’eau dans la baignoire. Je pense que ce mode d’éducation est l’une des raisons majeures pour lesquelles les enfants sont si calmes dans ces cultures. Moins de paroles crée moins de résistance. Moins de paroles engendre moins de stress. Paroles et consignes sont stimulantes, elles véhiculent de l’énergie et entraînent souvent des disputes. Chaque fois qu’on demande à un enfant de faire quelque chose, on crée un terrain favorable au conflit et à la négociation. Mais quand on s’en tient aux paroles minimales, on maintient l’énergie à un faible niveau. Les possibilités de débat et de dispute dégringolent. Même la bête furieuse qui sommeille en Rosy finit par se dégonfler et par se détendre. Il en va de même pour les choix. Même pour un adulte, il est difficile de faire des choix. Ils sont facteurs de stress et d’anxiété, parce qu’on a peur de passer à côté de l’option écartée. Pourquoi cela serait-il différent pour les petits3?

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Après avoir observé, à plusieurs reprises, l’efficacité de ce mode d’éducation peu axé sur la parole, à la fois en Arctique et dans le Yucatán, je commence à m’interroger sur mon approche prolixe. Pourquoi suis-je tout le temps en train de parler à Rosy? D’expliquer? De demander? De fournir différentes options? Les actes me semblent bien plus convaincants.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

La parole sera toujours mon outil éducatif de prédilection. Mais je peux réduire considérablement le stress à la maison – et ajouter un peu de fluidité – en réduisant le verbiage que je mets dans toutes les tâches quotidiennes. Il suffirait que je dise une seule fois «On part dans cinq minutes», puis y aller, sans hurler un rappel toutes les trente secondes.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

je peux inciter Rosy à agir en agissant moi-même. Chaque matin, par exemple, quand on arrive à l’école, Rosy doit se laver les mains et mettre de la crème solaire. Avant, je lui demandais plusieurs fois de le faire, je la harcelais et je finissais par la menacer. Mais les mères inuites m’ont poussée à essayer une approche différente: aller moi-même me laver les mains. Ou demander à Rosy qu’on le fasse ensemble. «Allons nous laver les mains, Rosy», lui dis-je en me dirigeant vers le lavabo. Je me mets de la crème solaire et je demande à Rosy de le faire avec moi. Ou bien je lui demande de m’en mettre, puis on échange et c’est à mon tour de lui en mettre. Ces changements mineurs ont eu des résultats phénoménaux. Non seulement la frénésie et la résistance qui régnaient dans notre foyer ont diminué, mais Rosy est plus autonome. Après quelques mois passés à nous laver les mains ensemble, elle le fait maintenant sans que j’aie à le lui demander. Elle s’applique de la crème solaire. Et on quitte la maison sans encombre. Elle sait que je ne vais pas me lancer dans un débat ou dans des négociations. 

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Enfin, j’arrive à donner moins de choix à Rosy, à me passer complètement des questions commençant par «Veux-tu». Pourquoi diable suis-je constamment en train de demander ce qu’elle veut à une enfant de 3 ans? Pourquoi un enfant apprendrait-il à devenir souple et coopérant si on passe son temps à lui demander ce qu’il veut? Rosy n’a jamais répugné à me dire ce qu’elle voulait, sans qu’on ait besoin de l’encourager à faire des choix. Proposer des options génère souvent des négociations, des décisions inutiles et, au bout du compte, des larmes.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Et la plupart du temps, ses «besoins» ne sont pas pertinents dans notre vie. Les priorités familiales passent avant tout. Par exemple, pour les repas et les goûters, je ne me mets plus dans le rôle d’une serveuse déclinant la liste des plats du jour. Quand elle dit qu’elle a faim, nous préparons ensemble le repas et nous le mangeons. Point. Final

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Un jour, je suis en train de boire un café avec elle dans la cuisine de sa sœur et Rosy commence à réclamer son attention. «Miss Elizabeth, regarde-moi! Regarde ce que je fais. Miss Elizabeth, regarde, répète Rosy. Regarde-moi.» Miss Elizabeth ne va certainement pas regarder Rosy. En fait, Miss Elizabeth ne change absolument pas d’expression. Son visage reste impassible. Au lieu de la regarder, elle stabilise son regard puis tourne lentement la tête et fixe l’horizon au-dessus de Rosy, comme si elle était invisible. Ma première pensée est super négative. Bon sang, elle est très malpolie avec Rosy. Mais très vite, je me rends compte que le comportement de ma fille est inapproprié et qu’Elizabeth est en train de le lui faire savoir d’une manière extrêmement douce et pourtant très forte. Elizabeth poursuit notre conversation et Rosy cesse d’être pénible. Elizabeth excelle dans l’art d’ignorer Rosy. Parfois, il lui suffit de l’ignorer pendant dix secondes et pouf! Elle arrête de mal se comporter. Et le calme s’ensuit. Une fois que Rosy comprend que son comportement ne mérite aucune attention – qu’elle n’a peut-être pas besoin de notre attention –, elle en convient et se met à coopérer. Et Elizabeth accueille de nouveau Rosy dans notre cercle social d’un sourire ou d’un signe de la tête. En observant Elizabeth, je me rends compte que quand je pensais «ignorer» Rosy, je faisais en fait l’exact opposé. J’accordais beaucoup d’attention à son attitude. Je la regardais. Je lui faisais des grimaces et des commentaires. Et le plus ridicule, c’est que je lui disais que je l’ignorais. Mon jeu de l’«ignorance» lui plaisait beaucoup. Qu’est-ce que c’était drôle!

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

dans de nombreuses cultures, les parents ignorent totalement les mauvais comportements de leurs enfants, quel que soit leur âge. Ils ne regardent pas l’enfant, ne lui parlent pas et – et c’est peut-être le plus important – ne laissent absolument pas entrevoir qu’ils se soucient de son attitude (souvenez-vous, dans beaucoup de cultures, on part du principe que les enfants se comportent mal)4. En réagissant ainsi, les parents communiquent une somme considérable d’informations à l’enfant au sujet de son comportement, notamment sur son utilité et la valeur qu’on lui accorde. Que faire, par exemple, si un enfant se met à taper sa mère avec un micro? «Oui, beaucoup de mères dans le monde se contenteraient d’ignorer tout bonnement la chose, me dit Batja. Et la colère de l’enfant s’en trouve refroidie. Elle finit par disparaître. Ou bien vous pouvez la remplacer par une autre émotion. Les émotions des enfants évoluent en fonction de la réaction des gens à ces émotions.» Ainsi, en s’abstenant de réagir à certaines émotions, les parents inculquent aux enfants quelles sont celles qui ne sont pas appréciées à la maison. À l’inverse, réagir, même de façon négative, à un débordement émotionnel indique à l’enfant que cette émotion est utile et qu’elle compte.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

RECETTE No 5: SE FAIRE OBÉIR SANS DIRE UN MOT TREMPEZ UN ORTEIL • En cas de doute, détournez le regard. La prochaine fois que votre enfant se comporte mal, contentez-vous de tourner les talons. Ne réagissez pas. Ne changez pas d’expression. Faites simplement un demi-tour sur vous-même et partez. Et que se passe-t-il? Faites la même expérience si vous sentez poindre le bras de fer ou la dispute. Tournez les talons et partez. • Entraînez-vous à garder le silence. Mettez-vous au défi de respecter des moments de silence. Dites à vos enfants: «Maintenant, on va être silencieux pendant cinq minutes.» S’ils continuent de parler, taisez-vous. Le lendemain, essayez dix minutes, puis vingt minutes. Montez progressivement jusqu’à une heure ou plus et vous finirez par savourer l’incroyable tranquillité qui régnera chez vous. C’est ce que nous faisons à la maison quand l’énergie est un peu trop intense, au point de devenir frénétique, quand Rosy ne semble pas se calmer toute seule, arrêter de poser des questions ou réclamer des choses. Au bout de cinq à dix minutes de silence (au moins de ma part), elle s’apaise et la suite de la journée se passe mieux. • Transformez la mauvaise humeur en contributions. La prochaine fois que votre petit se met à ronchonner ou à réclamer, dégainez l’outil de la responsabilité en lui confiant du travail. Demandez-lui de vous aider à préparer le repas. Il peut remuer une casserole, casser un œuf, hacher des herbes, laver des légumes. Ou montrez-lui comment nourrir votre animal, passer le balai ou sortir la poubelle. Faites-le plier du linge, ratisser les feuilles ou arroser les plantes avec vous. «Regardez autour de vous et voyez ce qui doit être fait dans la maison, me dit une mère à Kugaaruk. On trouve toujours quelque chose pour lequel un enfant peut apporter son aide.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Servez-vous des responsabilités comme de récompenses. Gardez à l’esprit qu’aux yeux d’un enfant travailler main dans la main avec un adulte est un privilège. Si un enfant a vraiment envie de se joindre à vous pour une course ou une activité d’adulte, exploitez ce désir pour lui apprendre à se comporter comme un adulte. Par exemple, Rosy adore aller faire les courses. Et elle aime aller dans un supermarché en particulier, Trader Joe’s. Mais m’accompagner est un privilège de «grande fille» (ou du moins c’est comme ça que je lui vends). J’utilise donc sa passion pour les courses pour l’entraîner à avoir une attitude plus mature. Si elle pleurniche ou réclame des choses pendant que nous faisons les courses, je lui demande: «Les bébés qui pleurnichent ont-ils le droit d’aller chez Trader Joe’s?» Et il ne s’écoule que quelques secondes avant que j’entende: «J’ai arrêté, maman. J’ai arrêté.»

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Cessez de dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire 

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

La prochaine fois que vous avez envie d’influer sur le comportement de votre enfant, marquez une pause. Attendez avant de parler. Réfléchissez à la raison pour laquelle vous voulez émettre cette consigne. Quelle est la conséquence de son comportement? Essayez-vous de le modifier? Ou même, que craignez-vous qu’il se passe si l’enfant conserve cette attitude? Puis demandez à l’enfant de répondre à l’une de ces questions et laissez-le tranquille. C’est tout! Inutile d’ajouter quoi que ce soit. Prenons l’exemple de Rosy qui entreprend de monter sur le dos du chien. Au lieu de lui dire «ne monte pas sur le dos du chien», je prends le temps de réfléchir. Que va-t-il se passer si Rosy monte sur le dos du chien? Ensuite, je lui dis: «Si tu montes sur son dos, tu vas lui faire mal» ou même «Aïe, Rosy, tu fais mal au chien».

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Plutôt que de formuler une conséquence, vous pouvez poser une question («Rosy, es-tu en train de faire mal au chien?» ou «Qui est méchante avec le chien?»). Vous pouvez regarder votre enfant dans les yeux et lui lancer un regard noir pour communiquer votre mécontentement face à son comportement. Ou simplement tourner les talons et l’ignorer.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Si vous avez réellement envie de changer votre façon de communiquer avec vos enfants, faites cette expérience. Un matin ou un soir ordinaire, utilisez votre cellulaire pour vous enregistrer avec vos enfants. Posez-le sur le plan de travail pendant que vous préparez le repas ou sur la table pendant le dîner. Enregistrez suffisamment longtemps pour que la présence du téléphone se fasse oublier par tous. Le lendemain, écoutez l’enregistrement. Quelles sont les premières impressions qui vous viennent à l’esprit? Avez-vous tendance à parler en permanence? Y a-t-il des moments de calme et de silence? Donnez-vous beaucoup d’ordres? Combien de fois proposez-vous des possibilités à votre enfant ou lui demandez-vous ce qu’il veut? Combien de fois dites-vous «fais ci» ou «ne fais pas ça»? Ces ordres sont-ils vraiment nécessaires? Les enfants écoutent-ils? Et vous, écoutez-vous?

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Maîtrisez l’art de l’ignorance.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Testez cette méthode pendant une semaine ou deux et je suis convaincue que le comportement en question va changer, sinon disparaître complètement. Chaque fois que l’enfant se comporte de façon inappropriée, faites ce qui suit: – Gardez une expression faciale neutre. Ne bronchez pas, n’ayez absolument aucune réaction. Faites comme si vous ne pouviez ni voir ni entendre l’enfant. Le visage neutre, fixez l’horizon au-dessus de la tête de l’enfant ou à côté de lui. – Puis éloignez-vous. Tournez les talons et sortez du champ de vision de l’enfant. Inutile d’être mesquin ou de blesser ses sentiments. Vous continuez de satisfaire ses besoins et vous n’exprimez aucune colère à son égard. Seulement, vous n’apportez pas de réponse émotionnelle à son comportement. En restant neutre, vous lui montrez que cette attitude ne vous intéresse nullement.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Par exemple, un mercredi après-midi, j’arrive à l’école maternelle pour récupérer Rosy et elle me dit «Maman, j’ai faim» d’une voix geignarde de bébé. Je lui réponds gentiment: «Moi aussi, j’ai faim. Je n’ai rien à manger sur moi. Alors on va s’arrêter dans un magasin et acheter un goûter sur le chemin du retour.»Quelle gentille proposition, n’est-ce pas?Peu convaincue, Rosy se met à pleurnicher et à réclamer: «Mais j’ai faim, maman. J’ai faim», répète-t-elle jusqu’à en pleurer.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Elle n’a d’autre choix que de s’asseoir sur sa faim et d’attendre. Je garde donc une expression totalement neutre, je regarde au loin (comme l’avait fait Elizabeth) et je fais comme si Rosy n’existait pas. Je saute sur mon vélo et nous nous éloignons de l’école tandis qu’elle continue de pleurer. Et devinez quoi. Au bout de quinze secondes, elle s’arrête. Complètement. Elle a accepté sa gêne. Elle a appris à gérer ses émotions et elle a fait ça toute seule.

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

RÉSUMÉ DU CHAPITRE 10 OUTILS POUR MODIFIER LE COMPORTEMENT MÉMO •En Occident, les parents ont tendance à se reposer sur les consignes et les explications verbales pour modifier le comportement des enfants. Mais la parole est souvent le moyen de communication le moins efficace avec les enfants, en particulier les plus jeunes. •Les émotions de l’enfant sont le miroir de nos émotions. –Si vous souhaitez que votre enfant soit calme, doux et silencieux, parlez peu ou pas du tout (les mots stimulent). –Si vous souhaitez que votre enfant soit bruyant et très agité, soyez-le. Parlez beaucoup. •Les ordres et les leçons entraînent souvent des bras de fer, des négociations et des spirales de colère. •On peut rompre le cycle de la colère et des bras de fer grâce à des outils non verbaux ou en amenant l’enfant à réfléchir plutôt que de lui dire ce qu’il doit faire. ASTUCES ET OUTILS •Dompter les crises. Les crises de colère se dissipent si vous réagissez avec calme. La prochaine fois qu’un enfant est sujet à un débordement émotionnel, restez silencieux et essayez l’un de ces outils: –L’énergie. En restant aussi calme et paisible que possible, tenez-vous près de l’enfant, en silence, et montrez-lui que vous êtes là pour lui et que vous le soutenez. –Le contact physique. Touchez doucement l’épaule de l’enfant ou tendez-lui la main. Parfois, tout ce dont un enfant a besoin, c’est d’un contact tendre et serein. –L’émerveillement. Aidez l’enfant à remplacer la colère par cette émotion qu’est l’émerveillement. Regardez autour de vous et trouvez quelque chose de beau. Dites à l’enfant, de la voix la plus calme et la plus douce possible: «Oh, waouh, regarde comme la lune est belle ce soir. Tu la vois?» –L’extérieur. Si l’enfant ne se calme toujours pas, sortez-le prendre l’air. Conduisez-le dehors en douceur ou emmenez-le dans vos bras. •Changer de comportement et transmettre des valeurs. Au lieu d’ordonner à l’enfant de «ne pas faire ça», poussez-le à réfléchir et à comprendre quel est le comportement approprié grâce aux outils suivants: –Le regard-qui-dit-tout. Prenez tout ce que vous avez envie de dire à un enfant qui se comporte mal et dirigez-le dans votre expression faciale. Ouvrez grand les yeux, plissez le nez ou secouez la tête. Puis jetez ce regard à l’enfant. –Le puzzle des conséquences. Énoncez calmement quelles sont les conséquences de ses actes, puis partez (par exemple: «Tu vas tomber et te faire mal»). –Les questions. Au lieu d’émettre des ordres et des consignes, posez une question à l’enfant (par exemple: «Qui est méchant avec Freddy?» quand il est en train de taper son frère, ou «Qui est irrespectueuse?» quand l’enfant ignore une demande). –La responsabilité. Si un enfant se comporte mal, donnez-lui une tâche à réaliser (par exemple, dites à un enfant qui pleurniche le matin: «Viens m’aider à préparer ta boîte à goûter»). –Les actes. Au lieu de demander à un enfant de faire quelque chose (par exemple sortir de la maison), faites-le. L’enfant suivra. 

Chapitre 10. Introduction aux outils éducatifs

Kristi m’a aussi raconté une technique intéressante de sa mère pour faire cesser les chamailleries entre cousins: «Elle nous demandait de nous mettre debout devant elle les bras en l’air au-dessus de la tête et elle nous interdisait de rigoler. Bien évidemment, nous étions pliés de rire en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.»

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Pendant mon séjour en Arctique, je remarquai qu’une grande partie de l’éducation des enfants, chez les Inuits, se déroulait après qu’un enfant s’était mal conduit. Pas sur le moment, pas aussitôt après, mais plus tard, quand chacun avait retrouvé son calme. Dans ces moments paisibles, les enfants sont plus ouverts à l’apprentissage, observe Eenoapik Sageatook, 89 ans, qui vit à Iqaluit au Canada. Lorsqu’un enfant est contrarié ou qu’il désobéit au parent, il porte en lui une charge émotionnelle trop forte pour écouter. Il n’y a par conséquent aucune bonne raison de lui «faire la leçon» dans ces moments-là. «Il faut garder son sang-froid et attendre que l’enfant se calme. Ensuite seulement, il pourra apprendre», explique-t-elle.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Il faut garder son sang-froid et attendre que l’enfant se calme. Ensuite seulement, il pourra apprendre.– Eenoapik sageatook

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Une maison peut se trouver à quelques pas seulement du glacial océan Arctique. Au printemps, un bambin peut passer au travers de la glace qui commence à fondre; en été, les courants rapides peuvent balayer un enfant et l’emporter en mer. Alors, lorsqu’un petit de 3 ans s’enfuit en courant vers les eaux glaciales, ses parents doivent bien crier pour le garder en sécurité, pas vrai? Eh bien non, d’après Goota Jaw, une professeure d’université qui enseigne l’éducation traditionnelle inuite au Collège de l’Arctique du Nunavut. «À la place, nous utilisons les histoires pour que les enfants nous obéissent.» L’histoire orale est un universel de l’être humain. Dans toutes les cultures, de nos jours et tout au long de l’histoire de l’humanité, on se raconte des histoires. Les contes furent probablement essentiels pour l’évolution d’Homo sapiens. Sans eux, notre espèce n’aurait sans doute pas développé certaines facultés cruciales pour notre réussite: concevoir des outils, chasser en groupe ou maîtriser le pouvoir du feu. Pourquoi? Parce que pour acquérir un savoir-faire, une personne doit mémoriser un ensemble d’étapes, d’événements passés et d’actes semblables à un scénario ou à une intrigue.

NOTE

Énorme perspective sur le storytelling: ce sont des histoires inventées pour modifier le comportement des enfants. Et ça marche sur les adultes

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Le conte est l’une des seules caractéristiques propres à l’espèce humaine. Il nous relie à notre environnement, à nos familles, à nos maisons. Il fait de nous des êtres puissants et coopératifs. Et c’est un instrument clé pour former les enfants.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

En plus de permettre la transmission d’importants savoir-faire, les histoires inculquent aussi des valeurs culturelles aux enfants. Depuis des dizaines de milliers d’années, peut-être plus, les parents utilisent l’histoire orale pour apprendre aux enfants à se comporter correctement au sein de la communauté. Aujourd’hui, les groupes de chasseurs-cueilleurs contemporains ont recours aux histoires pour apprendre le partage, le respect des différents genres, la gestion de la colère et la sécurité aux abords de chez soi.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

«Les cultures celtes sont imprégnées d’être surnaturels.» Des fées peuplaient les bois, des fantômes erraient sur les routes et des monstres rôdaient dans les lacs et marais. Certaines créatures étaient utiles, d’autres dangereuses. Et l’une des grandes fonctions de ces créatures fabuleuses était de garder les enfants en sécurité. «Les marécages et les zones humides pouvaient être dangereux. Il arrive qu’un marécage ait l’apparence d’une bande de terre, alors que c’est de l’eau. Avant que les enfants acquièrent des compétences dans ce domaine, les histoires les tenaient éloignés des zones humides.» Citons une légende celtique centrée sur un cheval vivant dans l’eau, qui a l’habitude d’enlever des enfants. «Si les enfants s’approchaient trop près de l’eau, le cheval les prenait sur son dos et les emportait au fond de l’eau, raconte Sharon. Peu importe le nombre d’enfants qui montaient, le dos du cheval s’allongeait.» Ainsi, les parents n’avaient pas besoin de planer au-dessus des jeunes enfants ou de crier quand ces derniers allaient jouer sur la plage ou près d’une rivière, parce qu’ils avaient opté pour une approche préventive. Ils leur avaient déjà raconté la légende du cheval aquatique. Imprégnés de ces histoires, même les tout-petits comprennent que, pour qu’il ne leur arrive rien, ils doivent rester loin de l’eau.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Fait étonnant, selon Goota Jaw, les parents inuits racontent une histoire semblable avec un but identique. «Il s’agit du Qalupalik, le monstre des mers. Si un enfant marche trop près de l’eau, le Qalupalik le mettra dans son amauti [sorte de parka], l’entraînera au fond de l’océan et le fera adopter par une autre famille.» Les histoires comme celles-ci abondent dans l’éducation des Inuits. Pour s’assurer que les enfants gardent leur bonnet sur la tête en hiver et évitent les engelures, les parents se servent des aurores boréales, comme le raconte Myna Ishulutak, réalisatrice et professeure de langue à Iqaluit. «Nos parents nous disaient que si nous sortions sans bonnet, les aurores boréales allaient nous arracher la tête et s’en servir comme ballon de football. Nous étions terrifiés!» s’exclame-t-elle en éclatant de rire.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Les parents inuits ont aussi recours aux histoires pour transmettre des valeurs importantes, comme le respect. Les parents de Myna lui racontaient une histoire de cérumen pour lui apprendre à les écouter. «Ils inspectaient l’intérieur de nos oreilles. S’il y avait trop de cérumen, ça voulait dire qu’on n’écoutait pas.» Autre exemple: pour lui apprendre à demander avant de prendre de la nourriture, ses parents lui disaient que de longs doigts allaient sortir du récipient et l’attraper.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Une grande partie de l’enfance, dans les cultures traditionnelles celtes et inuites, consiste à apprendre comment faire face à ces créatures mystérieuses: comment les éviter, leur montrer du respect et les rendre heureuses. Les parents et les grands-parents lèguent leur savoir à travers ces histoires captivantes et parfois effrayantes. Ce faisant, les enfants apprennent à respecter leurs parents et à rester en sécurité.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Un mois environ après notre voyage en Arctique, Rosy et moi sommes dans la cuisine et nous préparons le souper. Elle veut quelque chose dans le frigo. Alors elle prend son marchepied, l’approche du réfrigérateur et grimpe dessus. Puis elle reste là, la porte du réfrigérateur grande ouverte, pendant cinq minutes. Je lui demande de fermer la porte et elle m’ignore. Je lui explique à plusieurs reprises qu’elle gaspille de l’énergie. C’est comme si je parlais à un mur. Je l’implore d’une petite voix douce. Elle m’ignore toujours. Je sens la colère monter en moi. Le bras de fer est imminent. Mais je n’ai pas envie de me fâcher, encore une fois. Je m’apprête à dégainer une menace quelconque, lorsque Goota Jaw et le monstre des mers me reviennent à l’esprit. Un monstre dans la maison, ça ne peut pas faire de mal. Qu’est-ce qui t’en empêche, bon sang, Michaeleen? Alors d’une voix mi-sérieuse mi-espiègle, je dis: «Tu sais, il y a un monstre dans le réfrigérateur, et s’il se réchauffe, il va grossir, grossir et venir te chercher.» Puis je pointe l’intérieur du réfrigérateur, j’ouvre grand les yeux et je m’écrie: «Oh mon Dieu, le voilà!» Nom d’un chien! Vous auriez dû voir la tête de Rosy. Elle a fermé la porte plus vite que son ombre. Puis elle s’est tournée vers moi avec un immense sourire et m’a dit: «Maman, raconte-moi le monstre du frigo.»

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Depuis ce jour, toutes sortes de monstres se sont installés chez nous. Pour Rosy, il n’y en a jamais assez. Les contes sont devenus un outil de base dans l’éducation de Rosy. Elle les appelle «histoires à emporter» parce que l’héroïne – une petite fille d’environ 3 ans – finit souvent par se faire emporter (exactement comme les enfants celtes et inuits aux mains des chevaux aquatiques et des monstres marins). «Maman, raconte-moi une histoire à emporter», réclame-t-elle chaque soir avant de s’endormir. Parfois, elle me demande même d’en inventer de plus terrifiantes, je ne plaisante pas. Nos vies sont maintenant tellement imprégnées de ces contes que je ne m’imagine pas revenir à une vie dénuée de toutes ces créatures surnaturelles qui volent partout dans la maison, traversent les murs et se balancent sur l’arbre dans le parc près chez nous. C’est grâce à ces créatures qu’on arrive à sortir de la maison le matin. Et c’est grâce à elles que, soir après soir, le moment du coucher ne ressemble plus à une vaste débandade.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Grâce à ces contes, j’ai enfin l’impression de parler la même langue que Rosy. Nous arrivons enfin à communiquer sans heurts.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Rien à faire, je n’arrive pas à convaincre Rosy d’enlever cette robe. Je tente mes tactiques habituelles, impliquant de longues explications et ma logique d’adulte. «Rosy, si je la lave ce soir, elle sera propre demain pour l’école.» Elle me regarde comme si je lui parlais chinois. Finalement, un soir, je m’agenouille à sa hauteur, je m’approche de son oreille et lui chuchote d’une voix théâtrale: «Si ta robe est trop sale, des araignées vont s’y installer.» Rosy ne dit pas un mot. Son visage se fige. Elle s’écarte de moi, lentement, et se déshabille. Je lui arrache la robe des mains et la jette dans la machine à laver. Victoire! Plus tard dans la soirée, en sortant la robe du sèche-linge, je la brandis et m’exclame: «Tu vois, Rosy? Toute belle et toute propre!» Elle me répond, sans se démonter: «Et sans araignées.»

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

RECETTE No 6: SE FAIRE OBÉIR GRÂCE AUX HISTOIRES Certains parents occidentaux expriment un peu d’inquiétude à l’idée de «faire peur» à un enfant pour le faire obéir ou coopérer. J’étais de ceux-là, mais le but n’est pas de terrifier l’enfant au point qu’il fasse des cauchemars. Le but est de l’inviter à réfléchir, d’encourager un comportement et d’engager une discussion au sujet d’une valeur culturelle. Si le «facteur de la peur» vous rebute comme c’était mon cas, songez que, dans la culture occidentale, nous avons aussi recours à la «peur» pour modeler le comportement. Les enfants peuvent craindre la colère de leurs parents ou les punitions. C’était mon cas quand j’étais petite. Je me tenais à carreau parce que je craignais la colère de mon père. Sincèrement, je préfère que Rosy ait peur du «monstre du réfrigérateur» que de moi ou de son père.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Et, comme le souligne l’historienne Emily Katz Anhalt, ce n’est pas parce que les parents ne racontent pas d’histoires à leurs enfants que ces derniers n’apprennent pas à travers des histoires. Beaucoup de familles, y compris la nôtre, sous-traitent l’histoire orale à Disney, Netflix et YouTube. Selon elle, «les gens apprennent de toutes les histoires qu’on leur raconte. C’est ainsi que la culture se transmet. Et je crains que nous ayons perdu de vue nos créations culturelles. La volonté de générer du profit à partir des histoires fait qu’elles sont souvent empreintes de violence», et elles ne transmettent probablement pas le meilleur ensemble de valeurs aux enfants.

NOTE

Le storytelling industriel véhicule des valeurs de merde

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

En revanche, lorsque vous racontez une histoire à votre enfant, vous pouvez la personnaliser rien que pour lui. Vous voyez sa réaction en temps réel et pouvez alors adapter le récit. Si l’enfant a peur, vous pouvez y allez plus doucement. Et lorsque vous trouvez un récit qui vient chatouiller un point sensible et qui le touche, vous pouvez approfondir. Chaque fois que j’intègre à mes histoires des expériences vécues par Rosy, je sais que c’est gagné.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Au bout du compte, on juge l’arbre à ses fruits. Depuis que les histoires guident son comportement, Rosy est plus coopérative, plus souple et plus facile à vivre. Nous communiquons mieux ensemble, avec humour plutôt qu’à coups de leçons et de remontrances. Et je vois bien que les histoires la poussent vraiment à penser et à réfléchir aux conséquences de son comportement sur autrui.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Si vous demeurez sceptique à l’idée de raconter des histoires, commencez par de la non-fiction. L’histoire n’a pas besoin de faire peur pour ouvrir un canal de communication ou aider l’enfant à se plier à une demande. Vous pouvez aussi raconter des trucs drôles ou des histoires vraies. Voici deux approches à essayer:

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Raconter des anecdotes tirées de votre histoire familiale. Essayez de raconter des histoires sur votre enfance ou sur l’origine de votre famille. Selon Corina Kramer, de Kotzebue en Alaska, «les Inuits valorisent beaucoup la connaissance de l’arbre généalogique et les liens entre les vies des membres d’une même famille. Quand on se présente, on commence traditionnellement par décliner son nom, puis ceux de ses parents et grands-parents et le village d’origine de sa famille». À tout âge, les enfants adorent qu’on leur raconte ce que faisaient leurs parents et leurs grands-parents quand ils étaient petits. Ces histoires les attirent comme des aimants.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Vous pouvez tout simplement commencer ainsi: «Je vais te raconter quelque chose qui m’est arrivé quand j’avais à peu près ton âge…» Puis relatez un incident ou un événement de votre enfance dont vous vous souvenez particulièrement. Aux plus petits, vous pouvez raconter des histoires d’une grande banalité: l’endroit où vous aimiez jouer, comment vous aidiez votre mère à jardiner, votre père à faire la lessive ou ce que vous aimiez faire avec vos frères et sœurs. Parsemez le récit de détails que votre enfant utilisera pour visualiser l’histoire, tels que des couleurs, des odeurs et des objets familiers.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Racontez-lui où vous êtes né, l’endroit où vous avez grandi, celui où vous vous êtes marié. Partagez les leçons que vous avez tirées des erreurs que vous avez commises ou des petits boulots que vous avez occupés quand vous étiez adolescent ou jeune adulte. Enrichissez les histoires familiales en ajoutant des «personnages»: grands-parents, oncles, tantes, cousins, amis proches, animaux. Pour une petite citadine comme Rosy, les histoires de mon enfance dans la campagne de Virginie sont un régal. Elle adore que je lui parle de l’immense jardin où nous cultivions du maïs, des concombres et des pastèques, et des haricots verts que nous cueillions chaque été avant de les équeuter sous le porche pour le dîner.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Pour inculquer à Rosy les valeurs familiales fondamentales et lui apprendre à adopter un comportement adéquat, je lui raconte souvent des anecdotes sur les ennuis que nous courions, ma sœur et moi, si nous ne partagions pas la nourriture ou si nous sortions de table sans aider à débarrasser. Elle adore aussi l’histoire de la petite Michaeleen qui avait été punie pour avoir manqué de respect à sa maman en lui criant après et qui n’avait pas eu le droit de rendre visite à une amie après l’école.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Au fil de l’écriture de ce livre, j’observe une tendance notable chez Rosy: elle est plus susceptible de se plier à une demande si je commence par lui raconter que ma mère me faisait faire la même chose épouvantable quand j’étais petite. Par exemple, quand Rosy refuse de manger ses asperges au dîner, je lui dis quelque chose du style: «Quand j’avais 4 ans, mamie m’avait fait manger des asperges à moi aussi. Bon sang, j’aimais vraiment pas ça. Mais je les mangeais parce que c’était elle, la cheffe.» Et voilà! Rosy s’enfourne les asperges dans la bouche.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Donner vie à la science. Bien des concepts en biologie, en chimie et en physique paraissent plus étranges que la fiction et tout aussi intéressants pour les petits. Alors pourquoi ne pas s’appuyer sur les connaissances scientifiques pour créer des récits documentaires? Pensez simplement à utiliser des mots simples et compréhensibles, en particulier des termes évocateurs ou qui viendront titiller l’imagination de l’enfant. Par exemple, pour aider Rosy à se brosser les dents, nous lui racontons des histoires sur les «petites bêtes» qui vivent dans sa bouche. Elles sont si petites qu’on ne peut pas les voir (oui, ce sont des bactéries). Mais elles vivent sur ses dents et il faut les retirer en les brossant, sinon elles y feront des trous pendant la nuit et ses dents deviendront toutes noires. Nous prenons, en substance, la science réelle et nous l’égayons un peu à coups d’images, d’anthropomorphisme et d’hyperboles.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Pour aider Rosy à prendre de bonnes habitudes alimentaires, nous lui parlons des créatures qui vivent dans son estomac. Des millions et des millions de gentilles petites bêtes travaillent non seulement à ce qu’elle se sente bien physiquement, mais aident en plus son cerveau à fonctionner et son corps à combattre les méchantes petites bêtes. Le microbiome! Ces petites bêtes tombent malades quand Rosy mange trop de sucre. Mais elles adorent les fruits, les légumineuses, les haricots et les fruits à coque. Je me retrouve parfois à dire à Rosy: «Les petites bêtes réclament des pois chiches à cor et à cri, Rosy. Elles disent: “S’il te plaît, Rosy, s’il te plaît. Redonne-nous des pois chiches. Encore des pois chiches.”»

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Pratiquez l’anthropomorphisme. La prochaine fois que vous êtes en difficulté avec un enfant ou que vous avez du mal à «encourager» un certain comportement, essayez cette astuce simple. Regardez autour de vous, trouvez le premier objet inanimé qui se présente (même une chaussure fera l’affaire) et donnez vie à cet objet. Faites-le parler. Faites-lui dire ce que vous souhaitez que votre enfant fasse. Avec les tout-petits, je vous parie que ce truc marchera neuf fois sur dix.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Quels sont les objets avec lesquels ça fonctionne le mieux? Pour Rosy, ce sont les peluches. Mais il m’est aussi arrivé d’utiliser les parties de mon corps (y compris mon nombril) et ses amis imaginaires (notamment Maria de La mélodie du bonheur).

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

L’auditrice Kathryn Burnham dégaine Woofie: «Si on est en retard et que ma fille de 3 ans doit encore mettre ses chaussures, je sais que lui crier “Mets tes chaussures” ne fera qu’empirer les choses. Alors, avec mes mains, je fais un chien, Woofie, en pressant mes majeurs sur mes pouces pour faire la bouche. Puis je dis un truc du style “Est-ce que Woofie peut essayer de t’enfiler tes chaussures?», en faisant des bruits stupides, des gémissements, des halètements et des aboiements pendant que Woofie l’aide à mettre ses chaussures. Plus Woofie semble vivant, plus elle rigole et se détend. La situation de tension se transforme en un moment drôle qui renforce nos liens.»

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Chez une autre auditrice, Penny Kronz, c’est une peluche qui ouvre la marche: «Lorsque mon fils refuse de venir à table ou d’aller au lit, je lui dis qu’il est temps pour sa peluche préférée d’aller dormir ou de venir manger. Puis je fais l’activité en question avec la peluche et il nous rejoint vite.»

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Quant à Adele Karoly, elle laisse parler les vêtements de son fils: «Lorsque mon fils ne veut pas se mettre en pyjama, le pyjama se met à me parler. Il va dire un truc du genre: “Elliot a envie de m’enfiler?” Et je réponds: “Je ne crois pas. Mais je vais lui demander.” Et s’il dit non, je le dis au pyjama et je poursuis ma conversation avec le vêtement. Au bout d’un moment, mon fils se laisse attirer par le jeu et il finit par se mettre en pyjama. Et ce dernier est tellement excité qu’il lui fait un gros câlin.»

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

• Laissez les monstres emménager chez vous. Pour exploiter tout le potentiel du conte, laissez les monstres s’installer dans votre maison. Ce peut être des monstres rigolos avec une pointe de danger ou effrayants avec une pointe d’humour. La «peur» englobe un large spectre. Le juste degré de peur dans votre foyer dépendra de votre enfant, de son âge, de son tempérament et de ses expériences. Soyez attentif à ses réactions et adaptez en conséquence. Mais, comme le dit la chercheuse celte Sharon P. MacLeod, «les enfants adorent avoir peur».

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Généralement, d’après la psychologue Deena Weisberg, de l’Université Villanova, qui étudie la manière dont les petits enfants interprètent la fiction, les histoires imaginaires destinées à modifier le comportement de l’enfant fonctionnent mieux avec les tout-petits et les enfants de moins de 6 ans. Les tout-petits, jusqu’à l’âge de 2 ans, font difficilement la différence entre la fiction et la non-fiction. Ils commencent à développer cette aptitude un ou deux ans plus tard. «J’hésite à mettre un âge sur cette compétence, parce que chaque enfant est différent. Mais vers l’âge de 3 ou 4 ans, un enfant pourrait bien ne plus croire à 100% l’histoire qu’on lui raconte.» Néanmoins, selon elle, l’histoire pourra tout de même les intéresser, leur faire peur et les faire réfléchir. «Je doute, par exemple, que votre fille de 3 ans croie réellement que des araignées puissent s’installer dans sa robe.» Pourtant, elle l’a quand même enlevée.

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Vers l’âge de 7 ans, d’après Deena, presque tous les enfants distinguent la réalité de la fiction. Mais ils aiment toujours s’amuser à jouer avec le fantastique. «Il se disent: “Je sais qu’il n’y a aucun monstre ici. Mais je comprends ce que tu essaies de me dire.”» Et même s’ils ne mordent pas à l’hameçon, l’histoire peut ouvrir une nouvelle manière d’aborder un comportement problématique. J’ai remarqué que beaucoup d’enfants plus âgés, vers 7 ou 8 ans, ne croient pas aux histoires de monstres, mais ont un désir fort de parler de ces histoires et veulent que je leur «confirme» qu’elles ne sont effectivement «pas réelles».

Chapitre 11. Outils pour modeler le comportement: les histoires

Voici quelques histoires appréciées chez les Doucleff: • Le Monstre du Partage. Le Monstre du Partage vit dans un arbre devant la fenêtre de notre cuisine. Quand les petits enfants ne partagent pas, il grossit de plus en plus. À force de grossir, il pourrait bien sortir de l’arbre, vous enlever et vous garder dans l’arbre pendant sept nuits complètes. Et savez-vous ce qu’il donne à manger aux petits enfants? Uniquement du chou-fleur et des choux de Bruxelles. • Le Monstre Hurleur. Il vit dans le plafond et écoute à travers les luminaires. Si les petits enfants crient trop ou réclament trop de choses, il descend par les ampoules et les emporte avec lui. Et qu’on soit bien clair: le Monstre Hurleur est une affaire très sérieuse le matin. • La Monstresse des Chaussures. Elle vit dans le conduit du chauffage et veille à ce que les enfants mettent leurs chaussures le matin, et vite, sinon, elle vous emporte par les tuyaux. Pour donner vie à la Monstresse des Chaussures, il arrive que mon mari allume le chauffage au moment où on doit quitter l’appartement. Le bruit dans le conduit motive Rosy à enfiler ses chaussures aussi vite que l’éclair. • Le Pyjamonstre. C’est Matt qui a inventé celui-ci. Il est super utile pour limiter les conflits à l’heure du coucher. L’autre soir, vers 21 h 30, Rosy n’était pas du tout prête pour aller se coucher. Elle faisait la foire, sautait sur son lit en piaillant et en agitant les bras et les jambes. Je lui répétais: «Allez, Rosy, calme-toi maintenant.» Mais elle me riait au nez! Soudain, Matt est venu me sauver la mise. Il a bondi de sa chaise, a montré la fenêtre et s’est écrié, les yeux écarquillés: «Voilà le Pyjamonstre. Je l’ai vu par la fenêtre.» Rosy s’est précipitée sur Matt, s’est agrippée à sa jambe et a dit: «Où? Il est où?» Je lui ai murmuré d’une voix très calme: «Il est de l’autre côté de la fenêtre, et si on s’agite trop ou qu’on parle trop fort, il va venir et nous emporter avec lui. Je n’ai pas envie de ça.» Puis je lui ai pris la main et je l’ai mise au lit. Nous nous sommes allongées toutes les deux et avons eu une discussion très calme au sujet du Pyjamonstre: à quoi il ressemble, où il vit et où il emmène les enfants qui chahutent à l’heure du coucher. Elle s’est endormie aussitôt. Depuis, chaque soir, je lui rappelle l’existence du Pyjamonstre. Je parle à voix basse, je me déplace lentement et je lui dis que je n’ai vraiment pas envie qu’il vienne. Aussi étonnant que cela puisse paraître, des mois après l’apparition du Pyjamonstre dans notre foyer, il est toujours aussi efficace pour calmer Rosy.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

OUTILS POUR MODELER LE COMPORTEMENT: LE JEU THÉÂTRAL Ce dernier outil va nous permettre d’adoucir notre approche de la discipline. Il nous donnera aussi un aperçu étonnant des raisons pour lesquelles les enfants font souvent tout l’inverse de ce qu’on leur demande ou de ce qu’on voudrait qu’ils fassent.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Les parents et les grands-parents de Myna avaient inlassablement recours à un outil éducatif clé, visant à développer les fonctions exécutives de l’enfant. Jean appelait cet outil le «jeu théâtral». Voici comment il fonctionne. Lorsqu’un enfant agit sous le coup de la colère – quand il donne une tape ou s’en prend à son frère ou sa sœur, par exemple –, le parent dit quelque chose du type «Aïe! Ça fait mal» ou «Aïe! Tu fais mal à ton frère» pour montrer à l’enfant les conséquences de son acte. Mais il ne crie pas ni ne le punit.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Au lieu de cela, le parent attend. Puis il profite d’un moment calme et paisible pour mettre en scène une reconstitution de ce qui s’est passé quand l’enfant s’est mal comporté. La représentation commence généralement par une question incitant l’enfant à faire quelque chose qu’il sait ne pas devoir faire. Par exemple, si l’enfant a tapé, la mère peut ouvrir le jeu en demandant: «Et si tu me tapais?» L’enfant doit alors réfléchir: «Que dois-je faire?» S’il mord à l’hameçon et tape sa mère, elle ne le gronde pas, elle ne crie pas, mais elle rejoue ce qui s’est passé en prenant une voix drôle et enjouée. Elle mime les conséquences. «Aïe! Ça fait mal!» s’exclame-t-elle. Elle insiste sur les conséquences en posant une série de questions à l’enfant. Par exemple: «Tu ne m’aimes pas?» ou «Es-tu un bébé?». Ces questions continuent d’alimenter la réflexion. Elles relient aussi le comportement souhaité à une certaine maturité et le comportement indésirable à la petite enfance. Les questions véhiculent l’idée que taper blesse les sentiments d’autrui et que les «grands» ne tapent pas. Et la mère pose toutes les questions avec une touche d’espièglerie dans la voix.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Selon le récit de Jean Briggs, les parents ont recours au jeu théâtral pour faire face à tout comportement problématique ou toute transition traversée par le jeune enfant. Par exemple, si un tout-petit a du mal à partager avec ses frères et sœurs, son père mettra en scène une «pièce du partage» dans laquelle il incitera l’enfant à être cupide. «Ne partage pas ta nourriture avec ton frère», dira-t-il à son enfant pendant qu’il prend son goûter. Si l’enfant ne partage toujours pas, le père mimera les conséquences. «Tu n’aimes pas ton frère? Le pauvre, il a faim.» Le parent rejoue régulièrement la scène jusqu’à ce que l’enfant ne tombe plus dans le piège. Lorsque l’enfant se comporte correctement, le parent peut le féliciter d’un simple «regarde comme Chubby Maata est généreuse», relate Jean.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

le jeu théâtral est un outil puissant pour aider les enfants à réguler leurs émotions. Il apprend à l’enfant à garder son calme et à ne pas être agacé aussi facilement. «Cela vous apprend à devenir plus solide sur le plan émotionnel, à ne pas tout prendre au sérieux et à ne pas craindre les taquineries.»

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Le jeu théâtral offre aux enfants la possibilité de faire ce qu’ils ont rarement l’occasion de faire dans la culture occidentale: s’entraîner à réparer leurs erreurs. En étant acteur de ce jeu, l’enfant s’exerce à contrôler sa colère. À être bienveillant avec ses frères et sœurs. À partager avec un copain. À ne pas taper sa maman. La pratique. La pratique. (Rappelez-vous le premier ingrédient pour inculquer une compétence ou une valeur: la pratique.)

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Dans ces jeux théâtraux, l’enfant est amené à tester différentes réactions face à une situation électrique. Comme le parent est détendu et un peu taquin, l’enfant n’a pas peur de commettre une erreur. Il peut mimer les conséquences d’un mauvais comportement à un moment où il est paisible, pas contrarié. Il est donc plus réceptif à l’apprentissage et à la réflexion.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

D’après la neuroscientifique Lisa Feldman Barrett, la pratique est tout particulièrement importante au moment où les enfants apprennent à maîtriser la colère. Car une fois que la colère a déjà explosé, elle est difficile à réprimer, pour les enfants comme pour les adultes.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

En ce qui concerne les enfants, le jeu théâtral leur donne l’occasion d’assouplir et de renforcer leurs circuits cérébraux de la maîtrise de soi. Au lieu de se mettre en colère, l’enfant apprend à réfléchir. Au lieu de réagir, il apprend à maintenir son équilibre.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Le jeu est un outil éducatif puissant pour modifier le comportement, un outil que bien des parents ont tendance à négliger, comme l’explique la psychologue Laura Markham. «C’est par le jeu que les enfants apprennent à connaître le monde. Leur travail, c’est le jeu.»

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Selon le psychologue Larry Cohen, les enfants utilisent le jeu pour se remettre d’expériences difficiles au quotidien et de «bouleversements émotionnels». Après une dispute avec un parent, le jeu l’aide à relâcher la tension et à avancer

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Je voudrais hurler: «Attends, Rosy! Attends-nous.» Mais avant que j’aie le temps d’ouvrir la bouche, Rosy et son tricycle descendent du trottoir, directement sur la chaussée. Dieu merci, elle s’arrête rapidement et se retrouve au bord de la route. Les voitures passent à toute vitesse à quelques dizaines de centimètres de Rosy. Ouf, elle est en sécurité. Mais quand même, que diable était-elle en train de faire? J’ai vraiment envie de la gronder. De l’arracher de son tricycle et de la porter jusqu’à la maison. C’est mon devoir en tant que parent, pas vrai? Mais je ne le fais pas. Je pense à Chubby Maata et à ce que la mère de Myna ferait dans cette situation. Je pense à la manière dont les enfants veulent – et même ils en ont besoin – s’exercer pour bien se comporter. Peut-être qu’elle s’entraîne à s’arrêter à ce carrefour dangereux. Alors, je reste calme et je lui explique les conséquences, d’une voix nonchalante. (Outil de tous les jours n° 2): «Tu vas te faire renverser par une voiture si tu vas sur la route.» Puis j’agis plutôt que de parler (outil de tous les jours n° 5). Je m’avance entre elle et les voitures, afin de pouvoir l’arrêter si elle tente d’avancer. C’est alors que Rosy fait une chose très intéressante. Elle prend son tricycle et réitère la transgression. Elle remonte un peu la pente, saute sur son tricycle et fonce sur la chaussée. Une fois encore, elle s’arrête à quelques centimètres de la route. Elle répète la manœuvre à trois ou quatre reprises. Puis, enfin, au dernier essai, victoire! Elle arrête son vélo avant le bord du trottoir. Elle a intégré le comportement approprié. «C’est bon, maman, on rentre», me dit-elle en remontant la colline en direction de la maison. Hum, les enfants sont fous, me dis-je.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

gardez ces deux règles à l’esprit: 1. Veillez à ce que ni vous ni votre enfant ne soyez contrariés, en proie à la colère ou à une autre émotion au moment d’utiliser ces outils. Le jeu se passe quand chacun est paisible et détendu. 2. Adoptez un ton léger et enjoué. Essayez de toujours garder le sourire ou l’œil pétillant. Ce n’est pas le moment pour les leçons de morale et les réprimandes. C’est un moment où l’enfant doit se sentir en sécurité pour mal se comporter et tester de nouvelles compétences, sans craindre de fâcher ses parents.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

RECETTE N° 7: SE FAIRE OBÉIR GRÂCE AU JEU THÉÂTRAL

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

• Faites un spectacle de marionnettes. La prochaine fois que votre enfant rencontre des difficultés avec une tâche ou une facette de la maîtrise de ses émotions, rejouez la situation avec des marionnettes. Prenez deux animaux en peluche – ou même une paire de chaussettes – et faites-en des personnages qui ne soient ni vous ni votre enfant. Avec Rosy, par exemple, je prends souvent pour personnages Mango (notre chienne) et Louis (le chien des voisins). Cette approche permet à l’enfant de se détendre et de lui assurer qu’on ne va pas le gronder ou lui faire la morale. Puis plantez le décor, mettez en scène l’activité problématique et jouez les conséquences de ce comportement.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Parfois, Rosy et moi rejouons des scènes avec des Lego ou des friandises d’Halloween dans le rôle des personnages. L’idée est d’aider l’enfant à revenir sur un problème passé sans stress, voire en s’amusant. Cela lui permet de réfléchir à cette expérience avec un regard neuf et rationnel tout en renforçant sa maîtrise de soi. Vous pouvez impliquer l’enfant dans le spectacle en lui posant des questions («Est-ce que c’est bébé quand Mango tape Louis?», «Est-ce que ça rend Louis triste?»), en lui faisant jouer un des personnages ou en lui confiant les rênes de tout le spectacle. Voyez ce que l’enfant fait naturellement et inspirez-vous-en. Si l’enfant a des grands frères ou sœurs, vous pouvez aussi leur demander d’incarner un personnage.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

• Déplacez le problème sur le terrain du jeu. J’ai évoqué plus haut ce concept du jeu pour dénouer les problèmes, une technique que le psychologue Larry Cohen recommande avec les enfants de tout âge, même les adolescents. Pour voir comment cela fonctionne, prenons un problème courant: amener un enfant à se calmer avant d’aller au lit. Pour rompre le cycle de tension autour de l’heure du coucher, Larry conseille d’attendre un moment calme et paisible dans la journée (pas au moment du coucher) et de dire à l’enfant quelque chose comme: «Hé, Rosy, j’ai remarqué qu’on se fâche beaucoup au moment d’aller au lit. On pourrait faire un jeu sur le coucher.» Ensuite, vous pouvez attendre de voir si l’enfant a déjà une idée de jeu en tête et la laisser l’expliquer. Si ce n’est pas le cas, demandez-lui tout simplement: «Qui veux-tu être dans le jeu? Tu veux jouer la maman et moi Rosy?» Puis, vous et l’enfant rejouez, sur un ton léger, ce qui se passe lorsqu’elle refuse d’aller se coucher et que vous vous impatientez ou vous mettez en colère. «N’ayez pas peur d’être délirant et d’exagérer à l’extrême les mauvais comportements et ses répercussions, souligne Larry. L’objectif, c’est de rire, de s’amuser et de relâcher les tensions accumulées autour de ce problème. Plus c’est délirant, mieux c’est.» Certains parents craignent de montrer le mauvais exemple. Mais, selon Larry, les enfants font très bien la différence entre le jeu et la vraie vie. «Dans ce type de jeux, l’enfant ne va pas se souvenir de l’“exemple”. Il se souviendra du lien humain, de la créativité et de la libération des tensions.»

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

• Mettez en scène de petites scènes de théâtre. Pour voir comment fonctionne le jeu théâtral, penchons-nous sur un problème chronique chez nous: les tapes. Maintenant, quand Rosy me tape, quelle que soit la force de son geste, je ne me mets plus en colère. J’essaie de tout mon cœur de l’ignorer. De l’ignorer complètement. Et si je n’y arrive pas, je dis seulement «Aïe, ça me fait mal» sur le ton le plus calme possible (exactement comme Sally quand Caleb lui a griffé le visage). Plus tard, à un moment où nous sommes toutes les deux calmes et détendues, je théâtralise cette question. Je vais voir Rosy et lui demande de me taper. Si elle mord à l’hameçon, je mime de nouveau les conséquences. Je lui dis de façon théâtrale «Oh, ça fait mal! Bon sang, que j’ai mal!» pour lui montrer que taper provoque de la douleur, physique et émotionnelle.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Je peux voir les petits engrenages en train de tourner dans son cerveau. Comme si elle pensait: «Attends! Je fais de la peine à maman?» (Et je vois bien que Rosy ne cherche pas à me pousser à bout. Elle se soucie de mes sentiments. Elle ne se rend simplement pas compte de la douleur causée par le fait de taper!) Ensuite, je lui pose cette question unique, en exagérant la sensation de douleur et de souffrance: «Tu ne m’aimes pas?» Souvent, elle répond quelque chose de merveilleux et super doux comme «si, maman, je t’aime». Pour l’aider à mieux comprendre les conséquences de son geste quand elle tape, je relie ce comportement à une certaine immaturité. La discussion se déroule généralement comme cela: Moi: «Tu es un bébé?» Rosy: «Non, maman, je suis une grande fille.» Moi: «Est-ce que les grandes filles tapent?» Rosy: «Non, maman.»2 Bien souvent, Rosy demande ensuite à inverser les rôles pour jouer la maman. Elle dit par exemple: «Tape-moi, maman!» Je lui donne une légère tape sur les fesses ou je pousse un peu son épaule. Puis elle simule de façon extrêmement théâtrale les conséquences de mon geste. Elle hurle, part en courant ou me dit d’un ton larmoyant: «Tu ne m’aimes pas?» À la fin de ce deuxième acte, on en rigole toutes les deux. Au bout d’un mois environ à jouer ces petites scènes, Rosy tapait nettement moins, à la fois moins fort et moins souvent. Il lui arrivait même de s’interrompre en plein geste ou de rater intentionnellement mon bras ou ma jambe. Mais je dois reconnaître que cela n’a vraiment cessé que lorsque j’ai arrêté d’y accorder autant d’importance. Une fois que j’ai eu appris à faire abstraction d’un pincement sur le bras, ou même d’une gifle, considérant cela comme rien de plus que le geste d’un «petit bébé» perdant le contrôle de ses émotions, Rosy n’a plus ressenti le besoin de «pratiquer» ce comportement. Et vous savez quoi? Je n’avais plus (autant) besoin de m’exercer à contrôler ma colère.

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

RESUME DES CHAPITRES 11 ET 12 MODELER LE COMPORTEMENT GRÂCE AUX HISTOIRES ET AU JEU THÉÂTRAL MÉMO •Quand un enfant est contrarié, il lui est difficile d’écouter et d’apprendre. •Quand un enfant est détendu et se sent protégé de toute punition, il est ouvert pour apprendre de nouvelles règles et réparer ses erreurs. •Si un enfant ne se montre pas coopérant dans une situation donnée (par exemple, faire ses devoirs), il est probable qu’il existe une tension sur cette question entre l’enfant et le parent. Une fois cette tension dissipée grâce au jeu théâtral ou à une histoire, l’enfant adoptera un meilleur comportement et sera plus coopérant. •Les enfants adorent apprendre à travers des récits oraux, surtout quand ces histoires parlent de personnages, d’expériences et d’objets de leur propre vie. Ils ont une tendance naturelle à apprendre de cette manière. Ils adorent par exemple: –Qu’on leur parle de leur histoire familiale et de l’enfance de leurs parents. –Imaginer des objets prendre vie et faire des erreurs. –S’imaginer vivre entourés de fantômes, de monstres, de fées et d’autres créatures surnaturelles qui les aident à apprendre à se comporter correctement. •Les enfants adorent apprendre par le jeu. Cela leur permet de relâcher la tension et de s’entraîner à bien se comporter. Ils aiment rejouer une erreur ou un comportement problématique et observer les conséquences dans un environnement ludique et sans stress (sans craindre d’être punis).

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

•Racontez une anecdote de votre enfance. Expliquez comment vous et vos parents aviez géré une bêtise, un problème, un mauvais comportement. Aviez-vous été puni? Comment aviez-vous réagi? •Faites un spectacle de marionnettes. Prenez un animal en peluche ou une paire de chaussettes pour mettre en scène les conséquences du comportement de l’enfant et lui montrer comment vous aimeriez qu’il se conduise. Demandez-lui de jouer l’un des personnages. •Déplacez le problème sur le terrain du jeu. Dites à l’enfant: «J’ai remarqué qu’on se dispute beaucoup à propos de tes devoirs [ou du problème en question]. Si on jouait à un jeu? Qui as-tu envie de jouer? Toi ou moi?» Puis rejouez sur un ton humoristique ce qui se passe pendant les disputes. N’ayez pas peur de partir dans le délire et l’exagération. L’objectif, c’est d’en rire et de relâcher la tension qui s’est créée autour de cette question. •Ayez recours à un monstre. Créez un monstre tapi près de la maison. Dites à l’enfant qu’un monstre le regarde et que, s’il se conduit mal, le monstre viendra l’enlever (seulement pour quelques jours). •Donnez vie à un objet inanimé. Utilisez une peluche, un vêtement ou tout autre objet inanimé pour amadouer l’enfant et le persuader d’accomplir une tâche. Faites faire cette tâche à l’objet en question (brosser les dents d’une peluche) ou faites parler l’objet (c’est la brosse à dents qui demande à l’enfant de se brosser les dents, par exemple).

Chapitre 12. Outils pour modeler le comportement: le jeu théâtral

Associer les comportements indésirables au fait d’être un bébé fonctionne incroyablement bien chez les jeunes enfants, qui ont terriblement envie d’être une grande fille ou un grand garçon. Le jour où notre dentiste nous a conseillé de jeter la tétine de Rosy, l’idée m’a effrayée. Cela faisait trois ans qu’elle l’avait. J’ai donc incité Rosy à ne plus utiliser sa tétine en la reliant à la petite enfance. Chaque fois qu’elle la voulait, je lui disais: «Oh, c’est parce que tu es un bébé.» Au bout de trois jours, elle est venue me voir et m’a tendu sa tétine en disant: «Je n’en ai plus besoin, je suis une grande fille.»

Chapitre 13. Comment nos ancêtres éduquaient les enfants?

aucune de ces cultures n’est «épargnée», «vierge» ou «coupée» du reste du monde. Toutes les cultures communiquent et commercent avec d’autres, qu’elles soient proches ou plus éloignées. Chaque culture apprend des autres cultures et transmet des connaissances. Toutes les cultures sont reliées les unes aux autres. Les Hadza du nord de la Tanzanie ne font pas exception. Depuis des milliers d’années, ils vivent dans une vaste savane boisée, à peu près de la taille du département du Rhône, autour d’un immense lac d’eau salée. Tout au long de l’histoire, ils ont chassé des animaux sauvages, des grands (girafes, hippopotames, oryx) comme des petits (lapins, chats sauvages, petites antilopes, écureuils, souris), arraché des morceaux de viande fraîche à des lions en plein festin («nourriture facile»), recueilli du miel des arbres («l’or de la vie»), creusé pour trouver des tubercules en forme d’igname et grignoté les fruits croquants et acidulés des baobabs. Ils vivent depuis toujours dans des huttes en forme de dôme faites de branches et d’herbes que les femmes peuvent aisément construire en plus ou moins deux heures.

Chapitre 13. Comment nos ancêtres éduquaient les enfants?

Autrement dit, les Hadza mènent une vie semblable à celle de leurs ancêtres il y a des milliers d’années, pas en raison de leur isolement ou d’un manque d’exposition à d’autres modes de vie, mais parce qu’ils considèrent le leur comme optimal dans l’environnement rigoureux où ils évoluent. Et c’est le cas: les Hadza réussissent plutôt bien depuis très, très longtemps. Pourquoi réparer ce qui n’est pas cassé? La réussite des Hadza repose en grande partie sur leur relation très ancienne à la terre. Les Occidentaux parleraient d’une relation «durable». Les familles coopèrent avec la faune et la flore environnantes de sorte que toutes puissent coexister et prospérer au fil des millénaires. C’est une relation fondée sur le respect et une ingérence minimale, plutôt que sur le contrôle et la transformation, comme les Occidentaux ont tendance à le faire*. 

Chapitre 13. Comment nos ancêtres éduquaient les enfants?

La botaniste Robin Wall Kimmerer compare cette approche de la vie à une «économie du don». La terre offre aux familles hadza des dik-diks, des babouins et des tubercules; en retour, les Hadza ont une responsabilité vis-à-vis de cette terre. Ils doivent en prendre soin et la préserver. C’est une relation bidirectionnelle, de réciprocité.

Chapitre 13. Comment nos ancêtres éduquaient les enfants?

Dans son ouvrage brillant, Tresser les herbes sacrées, Robin écrit: Dans une économie du don, les dons ne sont pas gratuits. L’essence du don est de créer un tissu de relations. La racine d’une économie du don a pour monnaie la réciprocité… Dans une économie du don, la propriété est assortie d’un «faisceau de responsabilités».

Chapitre 13. Comment nos ancêtres éduquaient les enfants?

Pendant mon court séjour auprès des familles hadza, j’observe partout cette économie du don: dans leur façon de traiter les animaux qu’ils ont chassés, de partager la moindre des plantes qu’ils ont cueillies et dans leur façon de ne produire quasiment aucun déchet. Je vois aussi l’économie du don à l’œuvre dans leur relation avec leurs enfants. Les parents ne cherchent pas à ce que l’enfant se conforme à un quelconque idéal, aussi vite que possible, par le contrôle et la domination. Ils se concentrent plutôt sur le don mutuel. Le parent fait constamment don de son amour, de sa compagnie et de nourriture à l’enfant et, en retour, il attend que l’enfant endosse un «paquet de responsabilités»

Chapitre 13. Comment nos ancêtres éduquaient les enfants?

Nous coexistons, avec une ingérence minimale et dans le respect mutuel; et par réciprocité, nous nous aimons et sommes reliés. Avec mes gros sabots d’Occidentale, j’ai imaginé une devise pour décrire ce mode de relation: tu t’occupes de tes affaires, je m’occupe des miennes et nous cherchons en permanence des moyens de nous aider le plus possible l’un l’autre.

Chapitre 13. Comment nos ancêtres éduquaient les enfants?

Elle se met à pleurer et je me dis qu’on ferait mieux d’abandonner et de rentrer au camp. J’appelle David, notre interprète, pour qu’il revienne nous aider. Il a lui-même deux filles, dont une de 4 ans. Il identifie immédiatement mon problème avec Rosy. Et il me donne sans hésiter un conseil éducatif qui résume en grande partie ce que les pères et les mères m’apprendront lors de ce voyage, qui en dit très long sur ce qu’est ce mode éducatif du don. «Lâche-lui la main. Laisse-la marcher toute seule, me dit-il une pointe d’exaspération dans la voix. Elle peut partir devant et toi, tu la suis. Elle va s’en sortir. – Vraiment? Tu crois ça. – Oui, ça va aller. – D’accord… Mais je ne crois pas…» dis-je dubitative. Mais avant que je puisse finir ma phrase, Rosy file et escalade les rochers comme un bébé babouin. David a touché en plein dans le mille avec Rosy. Une fois que je la laisse marcher «toute seule», elle s’en sort très bien tout au long de la partie de chasse, allant et venant pendant trois heures. À ce moment précis, je vois de mes propres yeux ce qu’un peu d’autonomie peut faire pour un petit enfant – et pour sa relation avec sa mère.

TEAM 3. Un antidote ancestral contre le stress et l’anxiété

Tout au long de notre séjour en Tanzanie, je m’étonne constamment de la liberté dont les enfants semblent jouir. Les enfants de tout âge peuvent aller partout où ils veulent, faire tout ce dont ils ont envie et exprimer tout ce qu’ils ressentent. En comparaison, la vie de Rosy semble enfermée, voire emprisonnée. Elle passe toutes ses journées à l’école ou dans notre appartement, elle est en permanence soumise à mon regard, celui de Matt ou de ses professeurs. Et nous l’arrosons, par-dessus le marché, d’un flot incessant d’instructions. Les enfants hadza jouissent même de liberté émotionnelle. Si un enfant a besoin de faire une crise, soit. Personne ne se précipite pour le faire taire, personne ne lui dit de se «calmer», personne ne lui explique comment il doit se sentir. Un parent ou un autre enfant finira par consoler l’enfant, mais on n’observe aucun sentiment d’urgence. Les parents accordent cette liberté aux enfants dès leur plus jeune âge

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Au départ, je me dis que Tetite et les autres enfants hadza sont «indépendants», qu’ils jouissent d’une très grande indépendance. Mais au fil du temps, à force de les observer de plus près et d’écouter plus attentivement, je me rends compte que je me trompe. Ce qu’ont les enfants hadza, ce n’est pas de l’indépendance, c’est quelque chose de beaucoup plus précieux.

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Dans les communautés de chasseurs-cueilleurs, le droit de chacun à prendre ses propres décisions – c’est-à-dire le droit à l’autonomie – est généralement hautement valorisé. Contrôler autrui est considéré comme quelque chose de nuisible. Ce principe est l’une des pierres angulaires de leur système de pensée, y compris dans leur façon d’élever les enfants.

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Cette vision s’applique aussi pour les enfants, qui ont le droit à chaque instant de décider de leurs actions et d’établir leur propre programme. Les parents ne les inondent pas d’ordres et de leçons, ils ne leur proposent pas sans arrêt de l’aide. Ils ne ressentent pas cette urgence permanente à «occuper» le temps d’un enfant ou à le «garder occupé». Ils sont confiants dans la capacité de l’enfant à y parvenir seul. Pourquoi s’en mêler? «Décider à la place de quelqu’un d’autre, peu importe son âge, est tout à fait étranger à leurs comportements», écrit Jean Liedloff au sujet de la communauté autochtone vénézuélienne des Yecuana. «La volonté d’un enfant est sa force motrice.»

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À vrai dire, de nombreux parents dans les communautés de chasseurs-cueilleurs se donnent beaucoup de mal pour ne pas dire aux enfants (ou aux adultes) ce qu’ils doivent faire. Cela ne signifie pas que les parents ne prêtent pas attention aux enfants ou ne se préoccupent pas de ce qu’ils font. Loin de là! C’est même tout le contraire. Un parent – ou une autre personne responsable de l’enfant – est à coup sûr en train de le surveiller. (En réalité, les parents hadza observent souvent leurs enfants bien plus attentivement que je ne le fais, même lorsque je suis en train de déverser mon interminable flot de consignes sur Rosy. Car, quand on y pense, peut-on vraiment observer un enfant tout en parlant?) Mais ils veillent sur eux depuis un autre poste d’observation: ils considèrent que les enfants sont les mieux placés pour savoir comment apprendre et grandir. La plupart du temps, toutes les interventions d’un parent ne font qu’entraver la route de l’enfant.

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Comme l’explique Suzanne Gaskins, ethnopsychiatre spécialisée dans la culture maya: «Un enfant de 1 an peut être parfaitement heureux de faire, tout seul, ce dont il a envie, pendant une heure. Un parent ou toute autre personne responsable de l’enfant le surveille pour s’assurer qu’il est en sécurité. Mais l’enfant n’est pas stimulé. Personne n’intervient pour modifier son programme. Les parents respectent la légitimité des intentions de cet enfant de 1 an et leur objectif est de les faciliter.» Chez les chasseurs-cueilleurs!Kung, dans le sud de l’Afrique, il n’y a qu’un seul mot pour dire «apprendre» et «enseigner» (n!garo) et les parents disent souvent «Il apprend [à lui-même]» quand un enfant tente de comprendre comment faire quelque chose. Pourquoi interrompre cet apprentissage?

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Laisse ton enfant faire ce qu’il veut; tu n’es pas à ta place. Laisse-le vivre.

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Les supermamans et les superpapas hadza n’exercent un contrôle sur leurs enfants qu’en dernier recours. Ils préféreraient presque faire n’importe quoi plutôt que de dire à un enfant ce qu’il doit faire. Cette croyance est si forte chez les Yaka, un peuple de chasseurs-cueilleurs d’Afrique centrale, que les parents vont jusqu’à interrompre et humilier un autre adulte qui essaie de contrôler un enfant. «C’est l’une des rares fois où nous avons vu des parents se mêler de l’éducation des enfants d’autrui, raconte la psychologue Sheina Lew-Levy. Lorsqu’un parent essaie vraiment de changer le comportement d’un enfant et de lui faire faire quelque chose qu’il n’a pas envie de faire, un autre parent interviendra pour dire: “Laisse ton enfant faire ce qu’il veut; tu n’es pas à ta place. Laisse-le vivre.”»

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Dans le cadre d’une étude, Sheina compta le nombre d’ordres émis par les parents à leurs enfants pendant une heure de temps. Les résultats dépeignent un tableau précis du mode éducatif des chasseurs-cueilleurs. Sheina suivit adultes et enfants dans leur maison et autour de chez eux pendant neuf heures. Elle nota chaque fois qu’un adulte confiait une tâche à un enfant («Va chercher du feu», «Tiens ce récipient d’eau» ou «Va te laver les mains»), lui expliquait comment quelque chose fonctionne, le félicitait ou lui faisait une remarque négative. (Parce que, à bien y réfléchir, féliciter un enfant est aussi une manière de le contrôler.) Devinez combien d’ordres les parents yaka émirent en moyenne en une heure de temps. Trois. Cela signifie essentiellement que, chaque heure, les parents restent silencieux pendant plus de cinquante-sept minutes. En outre, plus de la moitié de ces ordres étaient des demandes visant à ce que l’enfant aide l’adulte ou la communauté. Les parents choisissent donc de ne donner des ordres que lorsque la demande contribue à transmettre la valeur de la coopération

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contribue à transmettre la valeur de la coopération. Quand les parents ont besoin de rappeler une règle à un enfant ou d’influencer ses actions, ils le font d’une façon subtile, indirecte et qui minimise les conflits. Le parent permet à l’enfant de garder un sentiment de maîtrise pour qu’il ne se sente ni contrôlé ni dominé. L’adulte a recours aux questions, aux conséquences et aux énigmes. Il peut aussi modifier son propre comportement (par exemple, s’éloigner d’un enfant qui tape plutôt que lui dire d’arrêter de taper), changer l’environnement de l’enfant (retirer l’iPad de la chambre d’un enfant qui en fait un usage déraisonnable plutôt que de lui dire de ne pas l’utiliser) ou l’aider silencieusement à se tirer d’une situation périlleuse (se tenir à côté de l’enfant qui escalade un mur et lui tendre doucement la main ou l’observer, au lieu de lui dire de descendre du mur). Cette politique du «je-ne-donne-pas-d’ordres» a des répercussions considérables sur la relation entre l’enfant et ses parents, à commencer par une diminution des conflits – une très nette diminution.

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Un après-midi, autour du feu, Thaa et Belie illustrent magnifiquement cela. Le père et la fille sont assis côte à côte pendant près de deux heures. Thaa affûte une flèche pour la chasse du lendemain et Belie l’observe. Ils parlent un peu mais observent surtout un silence complice. Ils coexistent paisiblement. Pendant ces deux heures, aucun n’essaie de commander l’autre. Aucun ne dit à l’autre ce qu’il doit faire. Ou ne pas faire. Ils semblent partager cette règle entendue: tu décides pour toi et je décide pour moi. Par conséquent, ils ne se disputent pas. Il n’y a entre eux aucune des tensions et angoisses présentes entre Rosy et moi. Ils semblent simplement apprécier la compagnie de l’autre.

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Pour une mère occidentale, j’ai l’impression d’être plutôt cool. Matt et moi nous efforçons de donner à Rosy un maximum de liberté. J’accorde beaucoup d’importance à l’indépendance et à l’autonomie et je souhaite les deux à Rosy. Mais en réalité, comparée aux mères hadza et mayas, je suis une gourde enquiquinante. Non, c’est un euphémisme. Je suis une naze autoritaire. Mes intentions sont admirables: j’essaie de lui apprendre à être une bonne personne et à faire les choses correctement. Mais je commence à me demander si ce mode d’éducation ne produirait pas l’effet inverse, créant une enfant plus demandeuse, plus exigeante et plus dépendante.

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En regardant les parents hadza en action, je me rends compte que je suis sans arrêt en train de donner des ordres. À vrai dire, je suis même à l’affût de la moindre consigne. «Rosy, attention au feu.» «Ne grimpe pas trop haut sur les rochers.» «Arrête d’agiter ce bâton.» «Ne mange pas trop de muffins.» «Essuie ta bouche.» «Arrête-toi au passage piéton!» Je dis même à Rosy ce qu’elle doit dire («Dis merci!»), ce qu’elle doit faire de son corps («Rosy, arrête de sucer ton pouce») et quelles émotions elle doit ressentir («Rosy, arrête de pleurer et cesse d’être en colère»). Je ne me contente pas de lui dire quand elle enfreint une règle ou se comporte mal. Non. Je lui dis aussi quand elle essaie simplement d’aider ou de participer à une activité. Et pour veiller à sa sécurité, je l’enferme littéralement dans les quelques mètres carrés qui m’entourent: «Rosy, descends de ce mur», «Rosy, ne cours pas sur le trottoir.» Rosy, Rosy, Rosy, Rosy. C’est un flot permanent de consignes2. À bien y réfléchir, même quand je donne le «choix» à Rosy – ou que je lui pose une question commençant par «veux-tu» –, d’une certaine manière, je restreins son expérience en dirigeant son attention ou en contrôlant son comportement. Je suis sans cesse en train d’essayer de la contrôler.

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Pendant toute la durée de mes séjours en Tanzanie ou à Mexico, jamais je n’entendis un parent hadza ou maya demander à un enfant «veux-tu…?» et encore moins proposer des «choix». Moi, je le fais tout le temps. Pourquoi? D’où me vient ce tel besoin de contrôler le comportement de Rosy? De guider et rétrécir son chemin dans le monde? Tous les soirs en Tanzanie, je me pose cette question en caressant le dos de Rosy pendant qu’elle s’endort dans la tente. J’arrive à une conclusion simple: je pense que c’est ce que fait un bon parent. Je suis convaincue que plus je parle à Rosy, plus je lui donne d’instructions, et plus je suis une bonne mère. Je crois que tous ces ordres permettront à Rosy d’être en sécurité et de devenir une personne bienveillante et respectueuse. 

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Accorder une telle liberté et une si grande indépendance aux enfants doit bien avoir un prix, n’est-ce pas? Outre les considérations en matière de sécurité, laisser les enfants décider de ce qu’ils font à tout instant doit avoir des conséquences sur leur comportement. Si je donne des consignes à Rosy, ce n’est pas uniquement pour entendre le son de ma voix. Si j’arrêtais de lui donner des directives claires et de lui expliquer les conséquences logiques de ses actes, ne deviendrait-elle pas une sale gamine autocomplaisante? Comme l’a écrit un psychologue, la liberté des enfants semble être «la recette du désastre… pour fabriquer des enfants gâtés et exigeants qui deviendront des adultes gâtés et exigeants». Rappelez-vous Veruca Salt dans Charlie et la chocolaterie: «Je veux un écureuil, c’est décidé! Achète-moi un de ces écureuils!» Mais jamais pendant mon séjour en Tanzanie je n’ai assisté à un comportement semblable à celui de Veruca Salt. Pas davantage chez les enfants mayas. À vrai dire, dans les deux communautés, j’observai l’opposé. Je vis des enfants qui pleurnichaient, réclamaient et criaient beaucoup moins que les enfants occidentaux. Des enfants pleins d’égards pour autrui, des enfants désireux d’aider leurs amis et leur famille, des enfants confiants, curieux et fonceurs.

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Elizabeth Marshall Thomas résuma cette idée avec éloquence: «Libérés de toute frustration ou anxiété… les enfants ju/’hoan étaient le rêve de tout parent. Aucune culture n’a jamais élevé d’enfants plus intelligents, plus aimables et plus confiants.»

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Comment se fait-il qu’une vie sans punitions ni règles donne des enfants confiants et coopérants chez les Hadza quand, dans notre culture, on obtient autocomplaisance et égoïsme? La réponse est, à l’évidence, complexe. Un enfant, c’est comme une bouteille de vin. Le produit final ne dépend pas seulement du travail du vigneron (le parent) pendant le processus de fermentation (l’éducation), mais aussi de l’environnement dans lequel les grappes poussent (les valeurs de la communauté). Cela étant dit, un facteur semble particulièrement important pour élever des enfants gentils et bienveillants: les enfants hadza ne jouissent pas seulement de liberté ou d’indépendance, mais aussi d’autonomie. Et ça fait toute la différence.

TEAM 3. Un antidote ancestral contre le stress et l’anxiété

On confond facilement indépendance et autonomie. Avant d’écrire ce livre, je pensais que cela revenait au même. En réalité, ces concepts ont deux significations distinctes et cette différence est primordiale pour comprendre comment les parents chasseurs-cueilleurs élèvent des enfants aussi débrouillards et attentionnés. C’est aussi la clé pour comprendre un mode d’éducation n’impliquant pas de contrôle sur l’autre, une façon de collaborer avec son enfant qui apaise la relation et aide à réduire l’anxiété chez l’enfant.

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La différence est liée à la connectivité. L’indépendance, c’est n’avoir pas besoin d’autrui ou ne pas être influencé par lui. Un enfant indépendant fonctionne comme une planète solitaire. Il est déconnecté. Il n’a pas d’obligation envers sa famille et la communauté dans laquelle il évolue. Et en échange, la famille et la communauté n’attendent rien de l’enfant. L’indépendance, c’est un chat de gouttière errant dans la ville qui n’a de comptes à rendre à personne ou la petite Michaeleen de 10 ans qui gambade pieds nus par une chaude journée d’été. Ce n’est ni Belie en Tanzanie ni Angela dans le Yucatán. Les enfants hadza et mayas ont une pléthore de liens et d’obligations envers de nombreuses personnes – jeunes, vieux et de tous les âges intermédiaires. Et ces liens existent à presque tous les moments de leur vie. Même quand les enfants font du vélo dans le village ou s’enfoncent dans les fourrés pour escalader des rochers, même quand ils vivent des aventures analogues aux miennes quand j’étais petite, ils restent fortement liés à leur famille et à leur communauté. Ces enfants ne sont pas des planètes solitaires. Ils appartiennent à un système solaire, décrivant des cercles les uns autour des autres, et sont stabilisés par la présence et la gravité d’autrui. Ces liens s’expriment de deux manières: les responsabilités envers autrui et un filet de protection invisible.

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LES RESPONSABILITÉS ENVERS AUTRUI Quand les enfants hadza sortent jouer ou traîner aux abords du camp, ils sont libres. C’est incontestable. Mais les parents enveloppent cette liberté d’une couche supplémentaire: ils attendent des enfants qu’ils aident leur famille. Ces attentes sont manifestes chaque fois que nous sommes avec Belie. Pour commencer, les mères et les grands-mères l’appellent souvent pour solliciter son aide. Elles émettent de petites demandes, comme nous l’avons vu dans la partie précédente. «Belie, va me chercher un bol», lui dit l’une des vieilles femmes après avoir moulu les graines de baobab à la pierre. «Belie, apporte-le-moi», lui dit une mère quand son bébé commence à pleurer et a besoin d’être nourri. Chaque fois que le moment est venu de partir dans les fourrés, une mère ou une cousine plus âgée lui demande de porter quelque chose (du bois pour le feu, une bouteille d’eau…), de récolter quelque chose (des pains de singe) ou de s’occuper de quelqu’un (Tetite). Et chaque fois qu’ils s’installent pour le repas, ils attendent de Belie non seulement qu’elle partage sa nourriture avec les plus jeunes, mais aussi qu’elle commence par leur donner cette part. (Les parents de la communauté forment Belie depuis son plus jeune âge, grâce à la formule magique: pratique, exemple, reconnaissance.)

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Globalement, chaque fois qu’une femme effectue une tâche, elle demande à Belie de l’aider et de contribuer à son modeste niveau. Elle reçoit peu d’ordres, peut-être un ou deux par heure (versus une centaine chez moi!). Il arrive même que les femmes ne disent rien du tout: elles connectent Belie au groupe et veillent à ce qu’elle contribue aux objectifs communs par leurs simples actes. Par exemple, lorsque nous partons ramasser des tubercules, l’une des mères tend à Belie un bâton pour creuser. Une autre fois, elle lui met son bébé dans les bras pour que Belie le porte. Ou bien elle montre un seau du doigt pour lui signifier qu’elle doit le remplir d’eau. Belie semble toujours heureuse d’aider et fière d’apporter sa contribution.

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Même quand elle joue en dehors du camp, loin des adultes, Belie reste utile et dévouée au groupe. Comment? Elle veille sur Tetite et sur les autres bambins. Les parents l’ont formée pour s’occuper des plus petits et Belie prend ce travail très au sérieux. Vous vous souvenez quand Tetite nous avait suivies jusqu’aux rochers? Je ne l’avais pas vue jusqu’à ce qu’elle ait besoin d’aide. Mais, tout du long, Belie avait un œil sur la petite. Lorsque je l’ai aperçue, Belie était déjà en train de redescendre les rochers pour veiller à sa sécurité. Après quelques jours d’observation des femmes hadza avec Belie, je vois à quel point il est facile d’impliquer les enfants dans les tâches – et à quel point je rendais la chose difficile. Je l’intellectualisais beaucoup trop. Pour commencer, je confiais à Rosy des tâches bien trop complexes pour elle («Range le salon», «Plie le linge», «Viens m’aider à faire la vaisselle»). Cela fonctionne beaucoup mieux si je lui confie de petites sous-tâches de ce que je suis moi-même en train de faire (par exemple: «Mets ce livre sur la bibliothèque» en lui tendant un livre, «Range cette chemise dans le tiroir» en lui donnant la chemise, «Mets ce bol au lave-vaisselle» en lui tendant le bol). Face à des ordres aussi simples, Rosy est bien moins susceptible d’opposer une résistance et bien plus susceptible de réussir à accomplir la tâche. J’enrobais aussi mes demandes de trop de pincettes inutiles («Rosy, ça t’embêterait de m’aider à débarrasser la table?» ou «Rosy, as-tu envie d’apporter ce café à ton père?»). Alors que je peux très bien lui mettre une assiette sale dans les mains et dire «Va poser ça à la cuisine» ou lui donner une tasse de café et dire «Apporte ce café à papa». C’est tout! C’est simple. C’est clair. Et il y a beaucoup plus de chances que ça fonctionne.

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D’après la psychologue Sheina Lew-Lewis, en saupoudrant ces demandes dans les tâches du quotidien, les parents entraînent les enfants à orienter leurs activités et leur attention vers les autres. Ils apprennent à guetter les besoins d’autrui et à intervenir pour aider chaque fois qu’ils le peuvent.

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Les enfants apprennent au passage à prendre leurs propres décisions. En même temps, selon Sheina, on attend de chacun qu’il mette la main à la pâte et apporte sa contribution. «Par conséquent, les enfants et les adultes agissent tous de leur propre chef. Personne ne vous dit ce que vous devez faire. Mais à la fin de la journée, chacun revient avec de la nourriture pour le groupe. Vous partagez cette nourriture. Vous pensez au groupe3.» Cette approche est une très belle façon d’élever ses enfants, parce qu’elle leur offre deux choses dont ils ont à la fois besoin et terriblement envie: la liberté et le travail d’équipe. J’ai toujours considéré la liberté et le travail d’équipe comme des concepts contradictoires. Mais, dans cette approche de la parentalité, les deux idées s’équilibrent et mettent en valeur les avantages de l’une et de l’autre. C’est comme une pêche parfaitement mûre.

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Il en va de même pour élever des enfants attentionnés. Seule, la liberté (la douceur) peut rendre un enfant égoïste. Mais ajoutez une touche de travail d’équipe (l’acidité) et l’enfant déborde de confiance et de générosité. Il devient la pêche parfaite.

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Rosy résume ce mode d’éducation avec éloquence: «Tout le monde fait ce qu’il veut, mais chacun doit être gentil, partager et aider.»

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dans ces cultures, les parents laissent rarement leurs jeunes enfants complètement seuls. Avec mes yeux d’Occidentale, les enfants me paraissaient seuls, mais en y regardant d’un peu plus près, je me rendis compte que ce n’était pas du tout le cas. C’est exactement ce que me confia un jour l’ethnopsychiatre Suzanne Gaskins au sujet de Chan Kajaal: «Il y a toujours quelqu’un qui observe.» Vous pensez être seul, mais les gens gardent un œil sur tout. «L’image que je me fais d’un parent maya – ou d’un enfant plus âgé – est celle de celui qui attend en coulisses, qui anticipe l’aide nécessaire et qui la fournit de façon presque transparente, presque invisible, me dit Suzanne. De sorte que le jeune enfant ait à peine conscience de l’aide qu’il a reçue.»

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Quand les parents ne peuvent pas eux-mêmes «garder un œil» sur les enfants, ils veillent à ce qu’un enfant plus âgé les accompagne pour les aider en cas de besoin. Ils entraînent les enfants à prendre soin de leurs petits frères et sœurs dès qu’ils commencent à marcher. Ainsi, quand ils atteignent 5 ou 6 ans, l’âge de Belie, ils sont tout à fait aptes à s’occuper des plus petits. Ils savent comment garder un bambin en sécurité, comment le nourrir et le consoler quand il commence à pleurer. Dans le même temps, les enfants plus âgés (amis ou frères et sœurs) leur rendent la pareille en veillant sur eux. On observe une magnifique hiérarchie d’amour et de soutien. Les adolescents aident les jeunes enfants, les jeunes enfants aident les tout-petits, et tout le monde aide les bébés.

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Il arrive même que les parents envoient un enfant plus âgé (ou un autre adulte) suivre en douce un plus petit lorsqu’il va pour la première fois faire une course tout seul. Le plus grand reste hors de sa vue pour que le plus petit ait l’impression de mener sa mission tout seul. Dans le Yucatán, Maria m’a confié avoir recours à cette stratégie quand ses enfants apprennent à faire seuls les commissions. «Alexa [alors âgée de 4 ans] voulait toujours aller seule à l’épicerie du coin. Je la laissais faire, mais je demandais à une de ses sœurs de la suivre, parce que j’avais peur qu’elle se perde.» Ainsi, donner de l’autonomie aux enfants ne se fait pas au sacrifice de la sécurité. Il s’agit simplement de rester discret et hors de la vue de l’enfant. Il s’agit de surveiller de loin, afin qu’il puisse explorer et apprendre par lui-même. Et si l’enfant est en danger – réellement en danger –, vous intervenez pour l’aider. 

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L’autonomie est incroyablement bénéfique pour les enfants de tous les âges. De nombreuses études ont établi un lien entre l’autonomie et un grand nombre de caractéristiques recherchées pour les enfants, notamment l’élan intérieur, la motivation à long terme, l’indépendance, la confiance en soi et de meilleures fonctions exécutives. En gros, tous les traits de caractère que j’observe chez Belie. À mesure que l’enfant grandit, on peut lier l’autonomie à de meilleurs résultats scolaires, à des chances accrues de réussite professionnelle et à une diminution des risques de toxicomanie et d’alcoolisme. Dans leur ouvrage intitulé The Self-Driven Child, le neuropsychologue William Stixrud et l’enseignant Ned Johnson écrivent que «comme l’exercice et le sommeil, [l’autonomie] semble bénéfique sur à peu près tous les plans».

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En substance, lorsque je me mets en retrait, que j’attends-un-peu et que je laisse Rosy gérer le monde toute seule, je lui transmets plusieurs messages importants. Je lui dis qu’elle est capable et autonome, qu’elle peut résoudre ses problèmes toute seule et qu’elle peut faire face à ce que la vie lui réserve. Repensez à la formule. En laissant Rosy agir par elle-même, je lui donne des occasions de pratiquer l’autonomie et l’indépendance. Et je lui montre l’exemple du respect pour autrui. À l’inverse, si je passe mon temps à lui donner des instructions et à guider ses actions, je sape sa confiance en elle, même quand j’essaie de l’aider. Je lui donne des occasions de pratiquer la dépendance et le besoin. Et je lui montre l’exemple d’un comportement autoritaire et exigeant.

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mon autoritarisme présente un autre inconvénient: il ralentit la croissance de Rosy, physiquement et mentalement. Les familles hadza ont constaté cet effet sur les enfants. Dans un livre intitulé Hadzabe: By the Light of a Million Fires, un groupe d’anciens expliquent que «parce que nous accordons autant de liberté aux enfants et parce qu’ils participent dès leur plus jeune âge à toutes les activités, nos enfants sont indépendants beaucoup plus tôt que dans la plupart des sociétés». En outre, quand un enfant n’a pas suffisamment d’autonomie, il se sent souvent impuissant face à sa vie. William et Ned l’expliquent dans The Self-Driven Child: «C’est ce que ressentent en permanence de nombreux enfants [américains].» Ce sentiment engendre du stress et, avec le temps, ce stress chronique peut se transformer en anxiété et en dépression. D’après les deux auteurs, le manque d’autonomie est probablement une raison essentielle de la forte prévalence de l’anxiété et de la dépression chez les enfants et les adolescents américains.

NOTE

Encourager l’autonomie dans le travail et le choix de son travail semble essentiel. Dans ce cas, le rôle du marketing serait juste d’indiquer où sont les besoins de la société, donc = à la recherche

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Dans la culture occidentale, nous ne sommes pas très doués pour ce qui est de donner de l’autonomie aux enfants. Nous croyons l’être. Nous essayons. Mais au bout du compte, beaucoup d’enfants n’ont aucune maîtrise sur leur vie quotidienne. Nous établissons pour eux des emplois du temps et des routines, et nous veillons à ce qu’un adulte supervise chaque moment de leur journée. D’une certaine manière, nous macromanageons et micromanageons leur vie. Et ce faisant, nous générons une quantité incroyable de stress chez nos enfants, mais aussi dans nos relations avec eux.

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Selon William et Ned, l’autonomie fournit l’«antidote contre le stress». Quand vous avez l’impression d’influencer votre situation immédiate et l’orientation de votre vie, le stress diminue, le cerveau se détend et la vie devient plus simple.

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Pour la psychologue Holly Schiffrin, «le plus beau cadeau qu’un parent puisse faire à son enfant, c’est lui offrir l’occasion de prendre ses propres décisions. Les parents qui “aident” trop leurs enfants se stressent eux-mêmes et laissent leurs enfants mal armés pour devenir des adultes».

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En résumé, il existe deux façons principales d’accroître l’autonomie de votre enfant tout en réduisant les conflits et la résistance. 1. Diminuez le nombre d’ordres et autres interventions verbales que vous émettez (questions, demandes, choix…). 2. Aidez l’enfant à devenir plus solide en l’entraînant à gérer les obstacles et les dangers, ce qui vous permet en retour de diminuer le nombre de consignes que vous lui donnez.

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Si l’enfant se retrouve dans une situation en apparence dangereuse, attendez un peu et voyez s’il peut s’en sortir tout seul avant d’intervenir. Si ce n’est pas le cas, allez-y et éliminez le danger physique ou éloignez l’enfant.

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Essayez cet exercice pour toute activité susceptible d’engendrer du stress et des disputes (comme le moment de se préparer pour aller à l’école ou au lit). Au bout du compte, l’enfant n’aura peut-être pas le look ou le comportement que vous aimeriez. Il ira peut-être à l’école avec les cheveux emmêlés ou des chaussures dépareillées, mais les bienfaits psychologiques sur votre famille dépassent largement ces considérations esthétiques.

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• Tentez trois ordres par heure. Programmez le minuteur de votre téléphone sur vingt minutes. Pendant ce laps de temps, ne donnez qu’un seul ordre verbal à votre enfant. Résistez à l’envie de lui dire tout et n’importe quoi: ce qu’il doit faire, manger, dire ou comment il doit se comporter. Cela inclut les questions sur ce qu’il veut et ce dont il a besoin. Si vous devez absolument intervenir pour modifier son comportement, faites-le par la communication non verbale: par vos actions ou par des mimiques. Essayez de tout cœur de laisser vivre l’enfant, même s’il enfreint les «règles» ou fait quelque chose que vous ne supportez pas. (N’oubliez pas, ce ne sont que vingt minutes.)

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Au bout de vingt minutes, évaluez comment vous et votre enfant vous sentez. Êtes-vous plus calme et détendu? Votre enfant est-il moins stressé? Votre relation est-elle moins conflictuelle?

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• Arrêtez d’être ventriloque. Je ne me rendais pas compte à quel point je jouais le rôle de ventriloque pour Rosy jusqu’à ce que je constate que les parents hadza ne répondent jamais à la place des enfants ni ne leur disent ce qu’ils doivent dire. Jamais au grand jamais. Pendant ce temps, je passe mon temps à répondre à la place de Rosy («Oui, Rosy adore l’école!») ou à lui dire ce qu’elle doit dire («Dis merci, Rosy»). Je lui prends sa voix.

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Alors, à notre retour de Tanzanie, j’arrête tout bonnement de répondre pour elle (ou, du moins, je m’y efforce le plus possible). Résultat: Rosy semble parfois impolie avec les gens. Mais je suis certaine qu’elle va apprendre et trouvera bientôt comment bien se comporter (grâce à la formule). Et quand je trouve qu’elle aurait dû se montrer reconnaissante, je lui demande après coup «Qu’aurait fait une grande fille?» et je m’en tiens là.

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Dans son ouvrage intitulé How to Raise an Adult, Julie Lythcott-Haims, ancienne doyenne de Stanford, donne le conseil suivant: «Dans un magasin, avec un professeur ou avec un entraîneur, vous pouvez même vous tenir physiquement en retrait et éviter le contact visuel pour indiquer clairement à l’adulte que c’est l’enfant qui parlera.»

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Quelle que soit la situation, laissez l’enfant prendre les rênes et vous montrer quelles conversations il peut gérer lui-même. Quoi qu’il arrive, résistez à l’envie de l’interrompre, même s’il fait des erreurs ou qu’il oublie des choses importantes. Attendez-un-peu avant de parler. Comme le souligne Julie, votre enfant devra un jour affronter ces conversations tout seul. C’est aujourd’hui le moment de mettre ces compétences en pratique.

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• Laissez les enfants gérer leurs disputes. En Arctique, les parents inuits ne cessèrent de me répéter ce conseil. Globalement, lorsque des enfants se disputent, restez en retrait, ne vous en mêlez pas. Votre intrusion ne ferait qu’empirer les choses et empêcherait les enfants d’apprendre à régler leurs conflits. N’intervenez que s’ils se font du mal (mais vraiment du mal). Si un enfant vient vous voir pour se plaindre d’un autre, hochez la tête et dites «Hum». Les enfants savent que faire. Ils n’ont pas besoin qu’on valide leurs sentiments. Ils ont besoin d’autonomie

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• Laissez tomber une règle. Y a-t-il quelque chose que votre enfant a vraiment envie de faire seul, sans votre aide, mais pour lequel vous êtes toujours derrière son dos ou que vous l’empêchez de faire? Ce peut être aller à l’école à vélo ou aller faire une course. Utiliser un couteau de cuisine, cuire quelque chose sur le barbecue ou faire des pâtes. Repensez à l’astuce de Maria dans le Yucatán: laissez faire l’enfant! Et pendant qu’il le fait, tissez autour de lui un filet de protection invisible. S’il quitte la maison, attendez-un-peu, puis suivez-le discrètement de loin (ou demandez à un enfant plus âgé de le faire). S’il veut se servir d’un couteau ou d’un autre outil de ce type, adaptez la situation afin qu’il ne se blesse pas. Donnez-lui un aliment facile à couper (du céleri, des fraises…), proposez-lui un couteau émoussé ou laissez-le utiliser un vrai couteau pendant trente secondes, par exemple. Puis échangez le couteau aiguisé contre un couteau émoussé. Dans toutes ces situations, l’objectif est le même: donner à l’enfant un peu plus de liberté et une véritable pratique pour acquérir une nouvelle compétence.

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• Apprenez à l’enfant à éviter ou à gérer les dangers dans la maison et autour de chez vous. Dans la culture occidentale, nous dressons des remparts entre le danger et les bébés, les jeunes enfants et les enfants. On met des coques en plastique sur les prises, on range les couteaux sur des étagères en hauteur, et lorsqu’un bambin se dandine près d’un barbecue, on se précipite en hurlant («Stop! Attends! C’est chaud!»). Cette vigilance assure la sécurité de l’enfant. Mais, bon sang, quelle source de stress pour tout le monde! Pendant ce temps, dans la grande majorité des cultures, les jeunes enfants apprennent – en toute sécurité – comment utiliser un couteau, s’occuper d’un feu, cuisiner près d’une cuisinière à gaz et même tirer à l’arc et lancer des harpons. Les détails spécifiques de la formation dépendent de l’âge de l’enfant, de ses aptitudes et du niveau de danger de l’activité. Mais dans tous les cas, l’idée reste la même: utilisez la formule! Pratique, exemple, reconnaissance. Il s’avère que les enfants sont avides d’apprendre tout cela! Ils adorent ça. Les petits voient leurs parents utiliser des couteaux, de la chaleur et de l’électricité pour faire des choses aussi incroyables que couper, cuisiner et générer de la lumière. Pourquoi un enfant n’aurait-il pas envie de participer4? • Pour les bébés et les tout-petits (qui rampent et qui marchent), prenons l’exemple du feu et de l’électricité. Apprenez à votre petit quels objets de la maison (et de ses environs) sont «chauds». Quand la cuisinière est allumée, montrez-la et dites «chaud!». Puis mimez ce qui se passerait si vous y touchiez. «Aïe! Ça fait mal.» Montrez une prise électrique et faites de même: «Aïe! C’est chaud!» Si vous ou un membre de la famille se brûle accidentellement, montrez la brûlure à l’enfant pour qu’il voie ce qui arrive quand on n’est pas prudent avec le «chaud». Vous pouvez par exemple lui dire: «Je n’ai pas fait attention et j’ai touché la cuisinière. Tu vois ce qui s’est passé? Aïe! Ça fait mal.» Si un bambin montre de l’intérêt pour un outil qui vous paraît trop dangereux pour lui, invitez-le à vous regarder pendant que vous utilisez l’objet dangereux. Puis profitez de sa curiosité pour lui enseigner des techniques de sécurité. Par exemple, vers l’âge de deux ans et demi, Rosy était attirée par le feu. Mon mari lui a donc appris comment souffler une bougie, comment la flamme pouvait la brûler et comment fonctionne un extincteur.

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• Pour les jeunes enfants (à partir de 3 ans environ), veillez à ce que l’enfant comprenne parfaitement comment éviter le danger (voir étapes ci-dessus). Il peut à présent s’entraîner à gérer le danger. Pour le feu, montrez-lui comment allumer un brûleur et le four, remuer une préparation bouillante dans une casserole, retourner une crêpe ou faire fondre du beurre dans une poêle. Pour les couteaux, commencez par lui montrer comment utiliser un couteau pointu à dents, avant d’en venir progressivement à un couteau d’office pas trop aiguisé. L’idée, c’est de lui donner un ustensile suffisamment coupant pour qu’il puisse en faire quelque chose, mais pas trop pour qu’il ne se blesse pas. Si l’enfant s’en sort bien avec le couteau qu’il a et en demande un plus tranchant, laissez-le essayer avec un aliment facile à couper, comme une banane ou un petit concombre. Inutile de précipiter les choses. Si un enfant est heureux de couper avec un couteau à beurre, laissez-le tranquille.

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• Trouvez des zones d’autonomie. Dans le monde occidental, beaucoup de familles habitent près de routes très empruntées, de carrefours dangereux, dans des quartiers peuplés d’inconnus. Cela dit, on peut quand même trouver des endroits où les enfants peuvent jouir d’une autonomie (presque) totale et où les parents peuvent se détendre (tout en pratiquant la nouvelle règle des «trois ordres par heure»). Dans chaque zone d’autonomie, ayez recours à la même stratégie: formez l’enfant à gérer ou à éviter tout danger présent dans cet environnement, afin de ne pas avoir à lui donner de consignes incessantes. Vous pouvez le faire en suivant ces trois étapes:

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– Identifier les dangers. Au début, promenez-vous près de l’enfant pendant qu’il découvre les lieux. Soyez son filet de protection invisible. Guettez les dangers – pentes abruptes, flaques d’eau, objets tranchants. Recensez-les mentalement. Ne dites rien à l’enfant s’il ne les remarque pas ou n’y porte pas d’intérêt particulier. Montrer un danger à un enfant, c’est chercher les ennuis. – Se mettre en retrait. Asseyez-vous quelque part, sortez un livre (ou du travail) et détendez-vous. Laissez l’enfant explorer les lieux en toute autonomie. Comptez les consignes que vous lui donnez et limitez-vous à trois par heure. – Tisser un filet de protection invisible. Si l’enfant s’approche d’un danger, commencez par l’observer plus attentivement. Plus il reste près du danger, plus vous êtes attentif. Résistez à l’envie de vous précipiter vers lui ou de hurler un avertissement. Attendez et observez. Si l’enfant s’intéresse au danger, rejoignez-le calmement et expliquez-lui comment se comporter (par exemple, si c’est un objet tranchant, dites tranquillement: «Ça coupe, aïe. On pourrait se faire mal»). S’il connaît déjà le danger, rappelez-lui les conséquences (pour un objet tranchant, dites d’une voix calme: «Tu pourrais te couper. Aïe, tu vas te faire mal si tu marches dessus.»). S’il ne comprend toujours pas, prenez-lui gentiment la main et éloignez-le du danger. Vous réessaierez la leçon un autre jour. Essayez de faire en sorte que les enfants passent au moins trois heures par semaine dans une zone d’autonomie et augmentez progressivement cette durée pour arriver à quelques heures par jour, en mettant à profit les moments après l’école et les week-ends.

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Quels endroits constituent de bonnes zones d’autonomie? Pour les petits, cherchez des endroits de plein air qui vous permettent de garder un œil sur eux à bonne distance, sans avoir à les suivre partout. Par exemple: > Les parcs avec de grands espaces à découvert > Les aires de jeux (j’aime bien celles recouvertes de sable ou d’un revêtement mou pour amortir les chutes) > Les plages (vous pouvez rapidement entraîner l’enfant à éviter la mer) > Les jardins communautaires > Les prés > Les cours de récréation > Votre maison et votre jardin (ou votre cour, si vous êtes en ville)

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Pour les enfants plus âgés, les piscines municipales et les maisons des jeunes constituent de très bonnes zones d’autonomie. Progressivement, déposez-y vos enfants (ainsi qu’aux endroits listés ci-dessus) et récupérez-les plus tard. Apprenez-leur à s’occuper d’eux-mêmes et de leurs jeunes frères et sœurs. Dites-leur de veiller sur les petits et de s’assurer qu’ils sont en sécurité.

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• Faites de votre quartier une zone d’autonomie. L’âge précis pour cette zone d’autonomie dépend vraiment du quartier, de l’enfant et de la disponibilité du filet de protection (des grands frères et sœurs présents pour surveiller les petits, par exemple). Cela dit, il n’est jamais trop tôt pour qu’un enfant se familiarise avec les lieux avoisinants. Dès leur plus jeune âge, enseignez aux tout-petits comment traverser une rue passante, faire attention aux voitures et connaître les autres dangers alentour. Laissez-les jouer dehors le plus possible, pendant que vous êtes assis devant la maison ou que vous les regardez par la fenêtre. Augmentez progressivement la distance qu’ils peuvent parcourir seuls ou surveillés de loin. Renforcez le filet de protection invisible en faisant connaissance avec vos voisins.

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a) Présentez vos enfants aux voisins. Cela concerne les voisins de tous les âges. Invitez-les à dîner ou à boire un café (ou une bière). Avec vos enfants, préparez des cookies ou des plats pour les voisins et apportez-les ensemble. (C’est aussi une super activité pour s’entraîner à la générosité et au partage.) b) Organisez une fête de quartier. Une fois que tout le monde s’est rencontré, les voisins connaissent mieux les enfants de la rue et sont plus enclins à garder un œil sur eux dans leurs aventures en autonomie. c) Encouragez vos enfants à jouer avec les enfants du quartier. Invitez-les chez vous pour jouer ou regarder un film. Sympathisez avec leurs parents et organisez des dîners. Un enfant même très jeune, à 3 ou 4 ans, peut aller chez un voisin tout seul (ou avec un filet de protection invisible). Comme nous le verrons dans la prochaine partie, les voisins, parents comme enfants, peuvent devenir des alloparents importants, créant ainsi un cercle de protection physique et émotionnel autour des enfants.

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MÉMO •Tout comme les adultes, les enfants, petits et grands, n’aiment pas qu’on les commande. Ils ont, quel que soit leur âge, un penchant naturel pour l’apprentissage de l’autonomie sans qu’on s’en mêle. •Quand on mène un enfant à la baguette, on sape sa confiance en lui et son autonomie. •Quand on respecte l’autonomie de l’enfant et qu’on réduit ses instructions au minimum, on lui envoie le message qu’il est autonome et capable de régler lui-même les problèmes. •Donner de l’autonomie à un enfant est la meilleure façon de le protéger du stress et de l’anxiété. •L’indépendance et l’autonomie sont deux concepts distincts: –Un enfant indépendant est déconnecté des autres, il n’est responsable de personne d’autre que lui. –Un enfant autonome est maître de ses actes et prend ses propres décisions, mais il est en relation permanente avec sa famille et ses amis. On attend de lui aide, partage et bienveillance. On attend de lui qu’il rende au groupe chaque fois qu’il le peut.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Cerise sur le gâteau, Matt et moi pouvions bénéficier d’un congé payé pour passer plus de temps avec notre petite fille. Nous étions chanceux. Et heureux. Les six premières semaines de Rosy se déroulèrent sans accroc. Matt me préparait des sandwichs de pain grillé à la confiture et au beurre de cacahuète, tandis que j’apprenais comment allaiter. Rosy pleurait beaucoup. Mais Matt et moi formions une équipe. On se relayait pour la prendre dans nos bras et la rassurer, et ma sœur vint passer dix jours avec nous, ce qui fut merveilleux. Puis Matt reprit le travail. Et notre univers prit un virage périlleux. De 8 heures à 18 heures, soit environ dix heures par jour, ce n’était plus que moi, la chienne Mango et Rosy, grincheuse et colliqueuse. Jour après jour. Heure après heure. Minute après minute. Le temps commença à avancer à une lenteur insoutenable. Qu’allais-je donc bien pouvoir faire de mes journées? Et, ah oui, comment allais-je m’y prendre pour la faire dormir afin de pouvoir me reposer? Parfois, j’allumais la radio juste pour entendre une autre voix. Ou, si j’en avais la force, je sautais dans un Uber et j’allais participer à un groupe de soutien à l’allaitement à l’autre bout de la ville. Un après-midi, une amie de fac passa dire bonjour et apporta le dîner. Mais ce fut à peu près tout. Le reste du temps, j’étais seule et, à mesure que les jours passaient, notre appartement parfait ressemblait de plus en plus à une île perdue. Chaque fois que Rosy pleurait, s’agitait ou criait, j’étais seule pour la prendre dans mes bras, la câliner et l’apaiser. Moi seule lui apportais nourriture, confort et amour. J’étais tout pour elle. Et peu à peu, jour après jour, elle devenait tout pour moi. Sur le papier, une relation aussi forte, aussi belle, aussi fusionnelle semblait idyllique. C’était comme cela que je me l’étais imaginée. Et c’était l’image que je m’en faisais en voyant les photos de mes amis sur Facebook. La paisible félicité du congé maternité. Mais dans les faits, un tel isolement, une telle solitude eurent un côté sombre pour moi. Au début du troisième mois, j’étais complètement épuisée. Je dormais trois à quatre heures par nuit, au maximum, parce que je ne parvenais pas à ce que Rosy dorme plus longtemps dans son berceau. J’étais tellement fatiguée que je n’avais plus l’énergie pour faire autre chose que garder ce petit être en vie. Je n’écrivais plus, je ne lisais plus rien sur la science. Je n’allais plus me promener, je ne cuisinais plus. Jour après jour, je sentais mon identité glisser hors de mon corps. Je finis par faire une dépression. Et je savais que j’avais besoin d’aide. Mais trouver de l’aide était très difficile. Je dus appeler des médecins et des thérapeutes pendant des mois avant d’avoir de la chance et de trouver enfin une psychiatre qui acceptait notre assurance maladie et qui avait des créneaux disponibles. Quand Rosy eut 6 mois, je prenais des antidépresseurs et voyais une thérapeute chaque semaine. «Vous avez besoin de vous faire aider avec Rosy, me dit-elle un après-midi. Pouvez-vous embaucher une nourrice? Reprendre plus tôt le travail? Vous avez besoin d’aide.»

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Je me suis toujours fait porter la faute de cette dépression – pour une raison quelconque, je n’étais pas capable d’assumer ma vie de jeune maman. Je traînais un «bagage» résiduel de mon enfance. Je n’avais pas suffisamment cherché de compagnie juste après la naissance de Rosy. Je n’avais pas fait les bons choix en matière de garde d’enfant. Ou j’avais une «défaillance» génétique ou autre disposition de ce genre. Mais pendant mon séjour chez les Hadza, je commençai à comprendre que je n’avais jamais été la cause du problème. Loin de là. 

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Les alloparents sont toutes personnes – autres que la mère ou le père – qui aident à s’occuper d’un enfant. Un proche, un voisin, un ami et même un autre enfant peuvent être de fantastiques alloparents. Sarah est convaincue que ces parents supplémentaires furent essentiels à l’évolution de l’être humain. Au cours de sa carrière, elle a rassemblé un nombre impressionnant de preuves, qui constituent une véritable mine d’or pour étayer cette hypothèse. Elle pense que l’évolution de l’être humain s’est opérée en partageant au sein du groupe la charge liée au soin des enfants. Dans le même temps, le petit d’homme a évolué pour s’attacher, se lier et être élevé par un petit groupe de personnes, et pas uniquement deux.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Un jour, j’ai entendu parler d’une famille alloparentale comme d’un «cercle d’amour» et je fus frappée par la pertinence du terme. Parce que nous ne parlons pas ici de personnes qui entrent et sortent de la vie d’un enfant en intervenant de façon occasionnelle. Nous parlons de cinq ou six personnes clés qui travaillent main dans la main avec la mère et le père, et qui s’unissent pour offrir un flux constant d’amour inconditionnel à l’enfant à mesure qu’il grandit.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

En fin de compte, vous êtes responsable de vos propres enfants, mais vous devez aimer tous les enfants comme les vôtres.– Subion

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Prenons l’exemple des Efe, un groupe de chasseurs-cueilleurs qui vivent depuis des milliers d’années dans la forêt tropicale d’Afrique centrale. Aussitôt après qu’une femme a donné naissance à un bébé, d’autres femmes forment autour d’elle une unité d’intervention d’élite, prête à réagir au moindre pleur ou gémissement du bébé. Elles portent, câlinent, bercent et même allaitent le nouveau-né. L’anthropologue Melvin Konners écrit que «s’occuper d’un bébé agité est un effort collectif». Au bout de quelques jours, la mère peut se remettre à travailler et confier le bébé à une allomère. Au cours des premières semaines de vie du nourrisson, il changera de bras toutes les quinze minutes en moyenne. Quand le bébé a 3 semaines, les allomères prennent en charge 40% des soins physiques qui lui sont apportés. À 16 semaines, ce chiffre grimpe à 60%. Deux ans plus tard, l’enfant passe plus de temps avec les autres mères qu’avec la sienne. Tous ces câlins et tous ces moments de réconfort de la part des allomères ont des effets bénéfiques et durables sur les bébés et les enfants. Ces femmes connaissent le petit poussin aussi bien que sa propre mère. Et il se sent aussi à l’aise et en sécurité avec ses alloparents qu’avec sa mère. Par conséquent, les bébés se lient et s’attachent à de nombreux adultes, jusqu’à cinq ou six. On observe des situations similaires dans beaucoup de communautés de chasseurs-cueilleurs à travers le monde. Chez les Bayaka, qui vivent aussi en Afrique centrale, ce sont quelque vingt personnes qui s’occupent d’un enfant au fil de la journée. Certaines se contentent de garder l’enfant de façon occasionnelle, mais d’autres – la moitié environ – apportent leur aide pour des tâches essentielles, telles que nourrir l’enfant ou le laver. «La situation est donc très différente de ce qu’on observe en Occident, où la mère est l’unique figure dans la vie du bébé et consume toute son énergie pour prendre soin de lui», explique l’anthropologue Abigail Page, qui étudie un groupe de chasseurs-cueilleurs des Philippines, les Agtas.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Selon Abigail, un jeune enfant âgé de 5 ans de plus qu’un autre peut être le meilleur enseignant du monde, bien meilleur que les parents eux-mêmes. Elle souligne plusieurs gros avantages des enfants sur nous, les vieux. Ils ont plus d’énergie que les parents. Ils intègrent naturellement le jeu et la simulation dans leurs «exercices éducatifs», ce qui rend l’apprentissage plus amusant. Et leur niveau de compétence est plus proche de celui d’un enfant plus jeune.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Au bout du compte, ces garderies multiâges ne libèrent pas seulement du temps aux adultes, elles apportent aussi une stimulation physique et mentale aux enfants. Pour Sheina, «ces garderies sont très importantes pour l’apprentissage et le développement social. Dans ces groupes, les enfants apprennent à élargir leurs horizons, ils acquièrent des compétences sociales et émotionnelles et ils apprennent comment fonctionner en société».

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Les enfants passent d’un adulte à l’autre avec tant de facilité et de confort qu’ils semblent aussi à l’aise avec les uns qu’avec les autres. Subion, une mère de quatre enfants, résume parfaitement le concept d’alloparentalité: «En fin de compte, vous êtes responsable de vos propres enfants, mais vous devez aimer tous les enfants comme les vôtres.»

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

En regardant Subion rire et plaisanter avec les autres femmes du camp tandis qu’elles se passent les bébés, je me rends compte que ces mères bénéficient non seulement d’une aide immense, mais aussi d’une solide camaraderie. J’ai de la chance si j’arrive à passer deux ou trois heures par semaine avec mes copines. Ces femmes hadza se voient huit à dix heures tous les jours! Il est évident que ces femmes entretiennent des relations profondément enrichissantes et épanouissantes.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

aider les parents à subvenir aux besoins de leurs enfants. Mais si, en plus de permettre aux enfants d’avoir le ventre plein, l’alloparentalité apportait aussi aux parents une chose essentielle: l’amitié? Subion et les autres parents hadza reçoivent en abondance ce qui me manquait cruellement lorsque je devins mère: le soutien social. Ils appartiennent à un réseau foisonnant de personnes vers qui ils peuvent se tourner s’ils se sentent déprimés ou s’ils ont besoin d’aide. Quand la vie leur joue des tours, ils se soutiennent mutuellement.

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Pour Homo sapiens, le soutien social fonctionne un peu comme un médicament miracle. Il procure des bienfaits pour la santé qui se répercutent sur l’ensemble du corps, de l’esprit aux veines en passant par le cœur et les os. Tout au long des dernières décennies, de nombreuses études ont établi un lien entre les amitiés profondes et la camaraderie et une multitude de bienfaits pour la santé. Elles réduisent les risques de maladies cardio-vasculaires, renforcent le système immunitaire et nous protègent du stress, de l’anxiété et de la dépression. Et quand on est enfermé dans une pathologie mentale, plus on a l’impression d’être soutenu par ses amis et sa famille, plus on a de chances de guérir de l’anxiété et de la dépression. «Le seul fait de passer du temps avec quelqu’un, même si vous n’interagissez pas, peut réduire votre tension artérielle et avoir un effet apaisant», explique Bert Uchino, psychologue à l’Université d’Utah, qui étudie les répercussions de la solitude sur notre santé physique. À l’inverse, selon Bert, un manque de soutien social aggrave les problèmes de santé mentale, ce qui crée une sorte d’effet boule de neige. La solitude engendre anxiété, dépression et troubles du sommeil, qui accroissent en retour la solitude. «Quand vous ne bénéficiez d’aucun soutien social, votre corps montre des signes de stress physique, comme si vous vous sentiez menacé, comme si vous craigniez que des gens s’en prennent à vous.» Le soutien social est tellement important pour la santé que, selon une étude, avoir des relations solides a une corrélation aussi forte avec une longue espérance de vie que faire de l’exercice ou arrêter de fumer. Autrement dit, le temps et l’énergie que vous consacrez à nouer et à cultiver des amitiés profondes et épanouissantes sont probablement tout aussi essentiels à votre bien-être général que votre jogging quotidien (ou le fait de ne pas fumer).

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Certains anthropologues sont convaincus que l’alloparentalité offre aux enfants une chose presque magique: la confiance dans le monde. L’assurance que votre famille s’occupera de vous. L’assurance que vos voisins veilleront sur vous. L’assurance que la forêt prendra soin de vous. L’assurance que les gens que vous rencontrerez seront bienveillants, chaleureux et serviables. L’assurance que le monde subviendra à vos besoins.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

«La relation intime qui se développe entre un nourrisson et ses alloparents dès le début de sa vie crée un degré de confiance élevé et il projette ensuite cette confiance sur le monde entier», explique Sheina Lew-Levy. Ainsi, le cercle d’amour qui entoure un jeune enfant le prépare à mieux véhiculer dans le monde l’amour, la confiance et le sentiment de sécurité.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

J’imagine à quel point ma découverte de la maternité aurait été différente si j’avais reçu autant de soutien. Si notre famille disposait de cinq alloparents disponibles, et je ne parle même pas de dix. Il aurait été si agréable d’avoir une tante proche pour m’apprendre à emmailloter Rosy ou un grand-père pour me montrer comment la bercer pour l’endormir. Ou si une voisine avait été là les nuits où Rosy avait des coliques et où nous n’arrivions pas à l’apaiser. Ou si ma sœur était restée trois mois plutôt qu’une semaine. Avec tous ces bras, ces cœurs et ces câlins en plus, Rosy aurait beaucoup moins pleuré, j’en suis sûre. Et les parents alors? J’aurais sans doute eu l’impression d’être un peu plus humaine et moins une machine à produire du lait et à changer des couches. Matt et moi nous serions sentis moins seuls et moins épuisés. Avoir des alloparents nous aurait tirés vers le haut, physiquement et mentalement. Aurais-je quand même souffert de dépression post-partum? J’en doute.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Après tout, le problème ne venait peut-être pas de moi. Finalement, le problème provient peut-être de la culture occidentale, de notre manière de concevoir le fonctionnement de la parentalité et de notre façon de faire venir les bébés au monde. En isolant les jeunes parents et en misant à ce point sur la famille nucléaire pour prendre soin des enfants, nous posons les bases de l’anxiété et de la dépression post-partum. (Et je parle ici d’une famille comme la mienne, qui a la chance et le privilège inouïs de jouir d’un logement, d’un revenu stable et d’une assurance maladie. Qu’en est-il des familles ne bénéficiant pas d’une telle sécurité financière? J’ose à peine imaginer à quel point notre culture leur complique la tâche.)

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

cette façon d’élever seuls les enfants n’est pas non plus idéale pour eux, malgré toutes nos bonnes intentions. En tant que parents, nous nous efforçons de faire notre possible pour apporter à nos enfants ce dont ils auront besoin à l’avenir, mais en nous focalisant à ce point sur l’école, les notes, la «réussite», ne sommes-nous pas en train de les enfermer au sein du foyer et, par la même occasion, de les rendre vulnérables à l’anxiété et à la dépression, comme celles que j’ai ressenties quand je suis devenue mère? J’en viens à me dire que ce dont Rosy a besoin, ce n’est pas d’une nouvelle activité extrascolaire ou de devoirs supplémentaires le week-end. Non. Ce dont elle a besoin, c’est de passer du temps avec des adultes et des enfants qui comptent, qui la connaissent et qui l’aiment autant que son père et moi. Ce dont elle a besoin, c’est d’un cercle d’amour qui la tire vers le haut et lui donne confiance dans le monde.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

RECETTE No 9: BÂTIR UN SOUTIEN ÉMOTIONNEL POUR TOUTE LA FAMILLE (ET SOUFFLER UN PEU) Un peu d’alloparentalité peut faire beaucoup. Deux ou trois adultes bienveillants supplémentaires peuvent vraiment faire la différence dans la vie d’un enfant, quel que soit son âge.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Renforcez l’importance des «petites mamans» et des «petits papas» dans la vie de votre enfant. Dans la culture occidentale, les alloparents ne manquent pas parmi notre entourage. Je parle des personnes qui travaillent très dur pour aider nos enfants: les nourrices, puéricultrices, enseignantes et baby-sitters. Certains de ces alloparents passent plus de temps que nous avec nos enfants. Ce sont des piliers du développement et de la santé émotionnels de l’enfant. Pourtant, depuis une centaine d’années, notre culture repousse ces alloparents à la périphérie du paysage parental. Mais on peut aisément remettre l’accent sur leurs contributions et sur leur importance. Tout d’abord, on peut montrer à ces personnes à quel point on apprécie le travail qu’elles font pour nos enfants. On peut exprimer notre reconnaissance envers les professeurs et les professionnels de la petite enfance en incitant nos enfants à leur faire des cartes ou des gâteaux pour les remercier de leurs efforts. On peut aussi souligner leur anniversaire ou leur offrir des cadeaux réalisés par les enfants au moment des vacances. Et si un enseignant ou un entraîneur montre un intérêt particulier pour l’enfant, on peut même l’inviter à dîner.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Quant aux nourrices et aux baby-sitters, qui travaillent régulièrement à notre domicile, on pourrait les considérer un peu moins comme des aides rémunérées et un peu plus comme des membres appréciés de la famille, en s’intéressant à leur vie et à leur famille, en leur offrant une rémunération aussi généreuse que possible, en apportant de l’aide à leur famille chaque fois que nécessaire. Si les personnes sont ouvertes à cette idée, on peut les inviter lors de fêtes ou de dîners. (Soyez très clair sur le fait qu’il ne s’agit pas de «travail supplémentaire», mais de l’expression de votre reconnaissance et d’une envie sincère d’approfondir la relation.)

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Même quand l’enfant grandit et que la personne ne s’en occupe plus, on peut continuer d’entretenir la relation en prenant des nouvelles régulières par téléphone, par courriel, en organisant des visites si la personne est d’accord, en lui apportant des cadeaux ou des friandises maison. Et surtout, on peut accorder le même respect et la même reconnaissance à ces personnes qui s’occupent de nos enfants qu’à nos proches. Leur contribution à notre famille est tout aussi importante.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Formez un mini-alloparent. Recrutez un grand frère ou une grande sœur pour s’occuper des plus petits. Commencez à le former très tôt, vers 3 ou 4 ans. À cet âge, un enfant est avide d’apprendre et d’aider, et prendre soin d’un tout-petit deviendra comme une seconde nature quand il grandira. Quel que soit l’âge de l’enfant, utilisez la formule: offrez-lui des occasions de pratiquer, montrez l’exemple du comportement souhaité et liez le soin qu’il apporte à un petit à une certaine maturité. Dites à l’enfant qu’il est responsable du bébé et qu’il «doit être son papa/sa maman» ou «le grand». Avec le temps, donnez progressivement à l’enfant davantage de responsabilités. Tissez le filet de protection nécessaire.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Tissez un réseau de tantes et d’oncles. C’est Suzanne Gaskins qui m’a donné cette idée brillante. En gros, il s’agit de choisir trois ou quatre amis proches pour chaque enfant. Puis toutes les familles coopèrent pour s’occuper des enfants à tour de rôle après l’école. Chaque jour, une famille va les chercher (si besoin), fournit le goûter et l’encadrement parental (si besoin). «Mes fils se sont retrouvés avec tout un tas de tantes et d’oncles», raconte Suzanne. Les enfants font travailler leurs muscles de l’autonomie tout en développant du soutien social avec les familles de leurs amis. Avec le temps, tout le monde forme une sorte de grande famille élargie. Et les parents peuvent souffler!

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Montez un GEM. C’est mon acronyme pour «groupe d’enfants multiâges». Les GEM permettent aux enfants de faire des pas de géant dans leur développement émotionnel. Auprès des grands, les plus jeunes acquièrent un comportement plus élaboré. Les plus grands apprennent en formant les petits, tout en faisant travailler leurs compétences en matière d’animation et d’éducation. Il y a différentes façons de créer un GEM. Vous pouvez faire les choses très simplement et encourager les enfants du quartier à jouer ensemble les week-ends et après l’école. Je dis souvent à Rosy «Va chercher Marat [le garçon qui vit dans l’appartement voisin]», en alternance avec «Va jouer chez Marat». Vous pouvez aussi organiser un GEM hebdomadaire avec les voisins dans votre jardin ou dans un parc. Invitez tous les enfants du quartier pour quelques heures un samedi ou un dimanche. Vous n’aurez besoin que d’un ou deux parents supplémentaires, avec qui vous formerez le fameux filet de protection invisible. Dans l’idéal, les adultes devront se fondre dans le paysage et n’intervenir que si un enfant risque de se faire mal. Essayez d’organiser un GEM chaque semaine. Ou demandez à d’autres parents de l’organiser et de le superviser. Au bout de quelques mois, il est très probable que les enfants joueront ensemble, en autonomie, sans que cela demande beaucoup d’organisation. Et le filet de protection qui se sera tissé dans le quartier sera solide et étendu.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Apprenez à supporter les membres de votre famille (ou à reconnaître la valeur de leur contribution). Selon les familles, ce point peut être délicat. Dans la mienne, il y a parfois des conflits et des tensions. Mais je vois bien à quel point ils aiment Rosy – et à quel point elle les aime. J’ai donc décidé d’arrêter de chercher les disputes et d’apprendre à coexister en paix (la plupart du temps).

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

Si c’est impossible avec votre famille, concentrez-vous sur le réseau de tantes et d’oncles tissé avec vos voisins et amis. L’objectif est ici de nouer des liens profonds et de qualité, pas forcément plus de liens.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

MÉMO •Les bébés et les enfants sont conçus pour être élevés par toutes sortes de personnes. Grands-parents, tantes, nourrices, voisins… toutes sont importantes. •Ce réseau d’amour et de soutien aide l’enfant à voir le monde comme un lieu bénéfique et bienveillant, ce qui le protège de la dépression et d’autres troubles de santé mentale. •Un ou deux alloparents supplémentaires peuvent vraiment faire la différence dans la vie d’un enfant. •Les autres enfants peuvent être de fantastiques alloparents et ont tendance à faire de meilleurs enseignants et camarades de jeu que les adultes. Les enfants intègrent naturellement le jeu aux apprentissages et ont des niveaux de compétence plus proches de ceux des petits que les adultes. •Les amitiés intimes et profondes sont probablement tout aussi importantes pour votre santé et celle de votre enfant que l’exercice physique et une alimentation saine.

Chapitre 15. Un antidote ancestral contre la dépression

•Tissez un réseau de tantes et d’oncles. Collaborez avec trois ou quatre autres familles pour vous partager les temps extrascolaires, en mettant en place un roulement pour chaque jour de la semaine. Ce réseau procure un soutien émotionnel aux enfants et permet aux parents de souffler. •Créer un GEM (groupe d’enfants multiâges). Encouragez votre enfant à jouer avec d’autres, de tous les âges et dans tout le quartier. Invitez les autres familles à des dîners ou des apéros. Organisez de grandes garderies de quartier le week-end, où vous invitez des enfants de tous les âges à jouer dans votre jardin ou dans un parc. •Formez de mini-alloparents. Apprenez très tôt aux enfants plus âgés à s’occuper de leurs petits frères et sœurs. Établissez un lien entre l’aide qu’ils apportent et leur maturité croissante («Tu aides ton petit frère parce que tu es une grande fille maintenant»). Récompensez l’enfant en augmentant ses responsabilités au fil du temps. •Appréciez l’aide des alloparents déjà présents. Travaillez main dans la main avec votre enfant pour exprimer votre reconnaissance aux nourrices, puéricultrices, professeurs et entraîneurs. Faites-lui rédiger des petits mots, préparer des biscuits et friandises pour les remercier. Considérez-les comme des membres importants de votre famille. Montrez l’exemple du respect et de la générosité.

TEAM 4. Un nouveau paradigme pour les parents occidentaux

Les parents hélicoptères, par exemple, exercent un contrôle strict sur le planning global de l’enfant (macroparentalité), ainsi que sur les actions de l’enfant pendant ses activités (microparentalité). À l’inverse, les parents en faveur d’une éducation «en liberté» permettent à l’enfant d’établir seul son programme et de décider de ses actions au cours de ses activités. Ils adoptent une approche du laissez-faire sur les deux fronts, macro et micro.

TEAM 4. Un nouveau paradigme pour les parents occidentaux

Grâce à l’approche éducative TEAM, la mère et le père établissent un programme quotidien et un planning global pour toute la famille. Ils vaquent à leurs occupations, chez eux et au sein de leur communauté, en partant du principe que les enfants leur emboîteront le pas – plus ou moins*. Ils accueillent les enfants dans leur monde d’adulte. Sur le plan de la macroparentalité, ce sont les parents qui tiennent les rênes. La famille fait des activités ensemble et les enfants ont peu d’influence sur le planning général. Mais au cours de ces activités destinées à toute la famille, l’enfant est en grande partie responsable de son propre comportement. Il jouit d’une très grande autonomie et le parent s’en mêle le moins possible. L’adulte surveille l’enfant et choisit avec soin les moments où il doit influencer sa conduite (par exemple, quand l’enfant est en danger ou que le parent veut lui transmettre une valeur culturelle essentielle, comme la serviabilité ou la générosité). Même dans ces moments-là, les parents ont la main légère. Ils encouragent l’enfant, grâce à une batterie d’outils, plutôt que de le contraindre par la punition et la menace. Ils savent que les actes et les exemples sont bien plus efficaces – et beaucoup moins stressants – que les consignes et les ordres. Et chaque fois que possible, le parent puise dans l’intérêt et l’enthousiasme de l’enfant pour le motiver.

TEAM 4. Un nouveau paradigme pour les parents occidentaux

Non seulement une ingérence minimale réduit les conflits, mais elle offre aussi des tas d’occasions aux enfants de s’entraîner à se divertir et à s’occuper par eux-mêmes. Ils deviennent incroyablement doués dans l’art de l’absorption solitaire et de l’amusement autoproduit. Ils apprennent aussi à résoudre les problèmes par eux-mêmes, à gérer leurs conflits, à inventer leurs propres jeux, à préparer leur goûter et même à acheter leur fichue bouteille de lait. Et, au passage, ils deviennent beaucoup moins exigeants. En substance, si le parent n’exige ni ne monopolise l’attention de l’enfant, l’enfant n’exigera ni ne monopolisera l’attention du parent.

TEAM 4. Un nouveau paradigme pour les parents occidentaux

En Occident, on se met une pression folle pour «optimiser» ses enfants. Cela passe souvent par le fait de remplir leurs journées d’activités et de divertissements ininterrompus. Il m’est assurément arrivé de sentir cette responsabilité avec Rosy (et ça m’arrive encore). Ce sentiment fait peser un véritable fardeau sur nos épaules et emplit notre esprit d’une anxiété omniprésente (par exemple, «Oh mon Dieu, que vais-je faire de Rosy pendant tout un samedi?»). Mais cela surcharge aussi notre mode d’éducation, sur les plans macro et micro. Nous avons le réflexe naturel de nous mêler au maximum des occupations de nos enfants. Selon l’anthropologue Davis Lancy, «les parents se sont mis à assumer toutes ces obligations supplémentaires parce que quelqu’un nous a convaincus qu’elles étaient essentielles pour l’optimisation de l’enfant». Mais aucune preuve scientifique ne montre que cette approche est plus bénéfique pour les enfants. Elle n’est assurément pas optimale pour tous les enfants (certainement pas pour Rosy). On pourrait faire valoir que cette approche va à l’encontre du penchant naturel des enfants pour l’autonomie, l’autoexploration et la coopération. Sans parler du fait que ce mode d’éducation est épuisant pour tout le monde. Chaque fois que le parent exerce un contrôle sur le comportement de l’enfant, il s’expose au risque d’une résistance.

TEAM 4. Un nouveau paradigme pour les parents occidentaux

Avant que je commence à écrire ce livre, Suzanne Gaskins m’avait prévenue que «l’ingérence maximale» ne faisait que me compliquer la vie. En plus d’être un frein pour le développement physique et émotionnel de Rosy. «Je pense que les parents, dans notre société, provoquent des disputes inutiles. C’est très stressant pour un enfant quand un parent passe son temps à le pousser dans des endroits où il n’est pas prêt à aller ou n’a pas décidé qu’il voulait aller.»

TEAM 4. Un nouveau paradigme pour les parents occidentaux

Nous pouvons relâcher notre emprise sur le comportement de nos enfants et sur ce que nous pensons devoir faire en tant que parents. Nous pouvons avoir la certitude que nos enfants savent mieux que nous ce dont ils ont besoin pour grandir et apprendre.

TEAM 4. Un nouveau paradigme pour les parents occidentaux

Nous pouvons rejoindre les millions de parents à travers le monde – et à travers l’histoire – qui se placent derrière l’enfant, attendent-un-peu et le laissent prendre ses propres décisions, faire ses propres erreurs, assembler ses brochettes à sa façon. Nous, ou un alloparent, nous tiendrons derrière eux les bras tendus, prêts à les rattraper s’ils tombent.

Chapitre 16. Le sommeil

Auparavant, les gens suivaient généralement les signaux biologiques: dors quand tu es fatigué, réveille-toi quand tu es reposé. Selon Benjamin, «ça vaut la peine de le répéter: il y a deux siècles, rien ou presque de notre modèle standard de sommeil n’existait tel que nous le connaissons aujourd’hui».

Chapitre 16. Le sommeil

i vous pensez que tout le monde a besoin de huit heures de sommeil, revoyez votre jugement. En 2015, des chercheurs suivirent les habitudes de sommeil de plus de quatre-vingts personnes dans trois communautés autochtones vivant sans électricité: les Hadza en Tanzanie, les San en Namibie et les Chimane en Bolivie. Les résultats étaient extrêmement similaires entre les trois groupes: en moyenne, les gens dormaient six à sept heures par nuit (ce qui est incroyablement proche du nombre d’heures de sommeil de bien des Occidentaux).

Chapitre 16. Le sommeil

Ce qui fait de nous des dormeurs aussi bizarres, d’après Benjamin, ce n’est pas tant notre nombre d’heures de sommeil que la manière dont nous essayons de contrôler le sommeil des autres et notre rigidité à ce sujet. Nous établissons pour nous et nos enfants des plannings stricts qui ne sont pas en accord avec notre biologie élémentaire. Puis nous dépensons une énergie folle à suivre ces plannings. Et quand ils ne fonctionnent pas – ou que nos enfants ne les suivent pas –, cela crée de l’anxiété. Nous craignons de ne pas être normaux ou d’être de mauvais parents.

Chapitre 16. Le sommeil

Je ne vais pas vous mentir. Ce plan me fiche la trouille. Et si elle n’allait jamais se coucher? Si elle ne se réveillait pas le matin? On se dirige tout droit vers L’Enfer de Dante, c’est certain. Nous décidons donc d’essayer pendant une semaine, et si ça ne fonctionne pas, nous reviendrons à notre routine.

Chapitre 16. Le sommeil

La formule fonctionne bien mieux – et bien plus vite – que je ne l’aurais prédit. Les premiers soirs, Rosy reste debout très tard, jusqu’à 22 h 30 ou 23 heures. Mais elle se réveille sans problème le matin. Le quatrième soir, elle va se coucher à l’heure habituelle et, quand arrive le septième soir, elle se prépare presque toute seule pour aller au lit. Finies les disputes. Finis les cris. Elle ne court plus dans tout l’appartement comme un chat sauvage.

Épilogue

On peut regarder le comportement d’un enfant comme un verre d’eau. Est-il à moitié serviable ou à moitié blessant? À moitié généreux ou à moitié égoïste? Une fois que j’ai eu changé de perspective et que j’ai vu les bonnes intentions de Rosy et son vif désir d’aider, j’ai pu cultiver et développer ces qualités, l’aider à voir ces traits de caractère en elle

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