Livre de Carlos Castaneda sur le Chamanisme
Highlights
Prologue
J’avais compris que voir signifiait la capacité de certains êtres humains à élargir le champ de leur perception jusqu’à être en mesure d’évaluer non seulement les apparences extérieures mais aussi l’essence de toute chose. Il m’avait également expliqué que les voyants voient l’homme comme un champ d’énergie ressemblant à un œuf lumineux. Chez la majorité des gens, disait-il, le champ d’énergie est divisé en deux parties. Chez quelques hommes et quelques femmes, il existe quatre ou parfois trois parties. Ceux-ci, parce qu’ils sont plus souples que l’homme moyen, peuvent devenir naguals après avoir appris à voir.
Prologue
Les expériences que je raconte ici s’étant déroulées dans un état de conscience accrue, elles ne peuvent participer de la même trame que celle de la vie quotidienne. Elles manquent de contexte terrestre, bien que j’aie fait de mon mieux pour combler cette lacune sans pour autant romancer. Quand on se trouve dans un état de conscience accrue, on est très peu conscient de l’environnement, toute la concentration dont on dispose étant absorbée par les détails de l’action en cours.
Prologue
Dans le cas présent, l’action consistait naturellement à élucider la maîtrise de la conscience.
1Les nouveaux voyants
“ Je dois insister sur un fait important ”, poursuivit-il, “ le fait que ces sorciers savaient comment fixer la conscience de leurs victimes. Tu ne l’as pas relevé quand j’y ai fait allusion. Cela ne t’a rien dit. Ce n’est pas étonnant. Que la conscience puisse être manipulée est une des choses les plus difficiles à reconnaître. ”
1Les nouveaux voyants
“ Ce fut en mangeant des plantes de pouvoir que les Toltèques s’engagèrent sur la voie de la connaissance ”, répondit-il. “ Qu’ils aient été poussés par la curiosité, la faim ou l’erreur, ils en mangèrent. Une fois que les plantes de pouvoir eurent produit leur effet, certains d’entre eux commencèrent assez vite à analyser leurs expériences. A mon avis, les premiers à s’engager sur la voie de la connaissance étaient très audacieux, mais succombaient à une lourde erreur. ”
1Les nouveaux voyants
“ Toltèque ” signifiait “ homme de connaissance ”. À l’époque dont il parlait, des siècles ou peut-être des millénaires avant la conquête espagnole, tous ces hommes de connaissance vivaient dans une vaste région géographique, située au nord et au sud de la vallée de Mexico et travaillaient dans des domaines spécifiques : ils étaient guérisseurs, ensorceleurs, conteurs, danseurs, oracles, ils préparaient la nourriture et la boisson. Ces domaines d’activité favorisaient une sagesse spécifique, une sagesse qui les distinguait des hommes ordinaires. Qui plus est, ces Toltèques se trouvaient être également des hommes qui étaient adaptés à la structure de la vie quotidienne, à peu près comme le sont aujourd’hui les médecins, les artistes, les enseignants, les prêtres et les marchands. Ils exerçaient leur profession sous le strict contrôle de confréries organisées et devinrent compétents et influents, à tel point qu’ils dominaient même des groupes d’hommes vivant hors des régions géographiques qui étaient celles des Toltèques.
1Les nouveaux voyants
“ Après que certains de ces hommes eurent enfin appris à voir – après des siècles de familiarité avec les plantes de pouvoir – ”, me dit don Juan, “ les plus entreprenants d’entre eux commencèrent à enseigner à d’autres hommes de connaissance comment voir.
1Les nouveaux voyants
Ils devinrent remarquablement compétents pour ce qui était de voir, et capables d’exercer un grand contrôle sur les mondes étranges qui se révélaient à eux. Mais cela ne servait à rien. Voir avait miné leur force et les avait poussés à être obsédés par ce qu’ils voyaient. ”
1Les nouveaux voyants
Certains d’entre eux s’efforcèrent de se servir de l’acte de voir de façon positive et de l’enseigner aux autres. Je suis sûr que, sous leur conduite, les populations de villes entières partirent pour d’autres mondes et ne revinrent jamais. ”
1Les nouveaux voyants
“ Après que l’univers des premiers Toltèques eut été détruit, les voyants qui avaient survécu se retirèrent et amorcèrent un examen sérieux de leurs pratiques. Ils commencèrent par instaurer l’art de traquer, l’art de rêver et l’intention comme procédés fondamentaux; cela nous donne peut-être une indication sur ce qui leur était réellement arrivé quant aux plantes de pouvoir. ”
1Les nouveaux voyants
Il y en a que nous connaissons très bien. Mais ils ne sont pas tout à fait comme nous, parce qu’ils se sont concentrés sur d’autres aspects spécifiques de la connaissance, comme la danse, l’art de guérir, l’ensorcellement, l’éloquence, au lieu de se consacrer aux activités que recommandaient les nouveaux voyants, c’est-à-dire l’art de traquer, le rêve, l’intention. Ceux qui sont tout à fait comme nous ne sauraient croiser notre chemin.
1Les nouveaux voyants
L’humeur de la Gorda suscita en moi une grande inquiétude. J’éprouvai un réel malaise. Je ne dis rien mais don Juan sembla remarquer ce que je ressentais. “ Tu devrais remercier la Gorda jour et nuit ”, dit-il soudain. “ Elle t’aide à anéantir ta suffisance. Elle est le petit tyran de ta vie mais tu n’as pas encore saisi cela. ”
1Les nouveaux voyants
“ L’effort le plus remarquable des nouveaux voyants réside dans leur explication du mystère de la conscience ”, poursuivit-il. “ Ils ont condensé toute cette explication en quelques concepts et quelques actes qu’ils enseignent aux apprentis lorsque ceux-ci sont dans un état de conscience accrue. ”
2Les petits tyrans
Il me dit que la valeur de la méthode d’enseignement des nouveaux voyants vient de ce qu’elle exploite le fait qu’aucun être humain ne peut se souvenir de ce qui s’est passé pendant qu’il se trouvait en état de conscience accrue. Cette incapacité à se souvenir constitue un obstacle presque insurmontable pour les guerriers qui doivent, s’il leur faut poursuivre dans leur voie, se rappeler toute l’instruction qu’ils ont reçue. Ce n’est qu’après des années de lutte et de discipline qu’ils parviennent à se souvenir de leur instruction. À ce moment-là, les concepts et les procédés qui leur ont été enseignés se trouvent intériorisés et ont ainsi acquis la force que les nouveaux voyants entendaient leur voir prendre. 2
2Les petits tyrans
Je lui dis, me plaignant à moitié, que son refus de me parler pendant les deux derniers jours m’avait mis très mal à l’aise. Il me regarda et arqua les sourcils. Un sourire effleura ses lèvres puis s’évanouit. Je compris qu’il me signifiait que je ne valais pas mieux que la Gorda. “ J’étais en train de provoquer ta suffisance ”, dit-il d’un air désapprobateur. “ La suffisance est notre plus grand ennemi. Penses-y, ce qui nous affaiblit, c’est de nous sentir offensés par les actes et les méfaits de nos semblables. Notre suffisance nous contraint à passer la plus grande partie de notre vie à être offensé par quelqu’un. ”
2Les petits tyrans
Je le rattrapai et lui dis ce que je venais de comprendre. Ses yeux brillaient de malice et de plaisir. “ Que dois-je faire à propos de la Gorda ? ” demandai-je. “ Rien ”, dit-il. “ Les découvertes sont toujours personnelles. ”
2Les petits tyrans
Il déclara que les voyants, les anciens comme les nouveaux, se répartissent en deux catégories. La première compte ceux qui sont prêts à se dominer et peuvent canaliser leurs activités vers des objectifs pragmatiques, susceptibles de bénéficier à d’autres voyants et à l’homme en général. La seconde est formée de ceux qui ne s’intéressent ni à la maîtrise de soi, ni à aucun objectif pragmatique. Les voyants sont unanimes à considérer que ces derniers n’ont pas su résoudre le problème de la suffisance. La suffisance n’est pas une chose simple et naïve, expliqua-t-il. Elle se trouve à la fois au cœur de tout ce qui est bon et au cœur de tout ce qui est mauvais en nous. Pour se débarrasser de la mauvaise suffisance, il faut une stratégie magistrale. Tout au long des âges les voyants ont réservé leurs plus hautes louanges à ceux qui y avaient réussi.
2Les petits tyrans
“ Je t’ai répété plusieurs fois que pour suivre la voie de la connaissance il fallait faire preuve de beaucoup d’imagination ”, dit-il. “ Sur cette voie, comprends-tu, rien n’est aussi clair que nous le souhaiterions. ”
2Les petits tyrans
“ L’impeccabilité, comme le fait de se débarrasser de la suffisance, est un concept trop vague pour représenter quelque valeur à mes yeux ”, remarquai-je. Don Juan s’étrangla de rire et je le mis au défi de m’expliquer ce qu’était l’impeccabilité. “ L’impeccabilité ”, dit-il, “ n’est rien d’autre que le bon usage de l’énergie. Mes exposés ne comportent pas le moindre soupçon de morale. J’ai épargné de l’énergie et cela me rend impeccable. Pour comprendre cela, tu dois toi-même épargner assez d’énergie. ” Nous nous tûmes pendant longtemps. Je voulais penser à ce qu’il venait de dire. Il se remit soudain à parler. “ Les guerriers font des inventaires stratégiques ”, dit-il. “ Ils recensent tout ce qu’ils font. Puis ils décident de ce qu’ils peuvent modifier, dans cet inventaire, pour pouvoir s’accorder un répit en matière de dépense d’énergie. ” Je rétorquai que leurs inventaires devaient inclure tout ce qui se trouve sous le soleil. Il répondit patiemment que l’inventaire stratégique dont il parlait ne concernait que des modèles de comportement qui n’étaient pas essentiels à notre survie et à notre bien-être.
2Les petits tyrans
Don Juan déclara alors que dans les inventaires stratégiques des guerriers la suffisance figure comme l’activité qui consomme la plus grande quantité d’énergie, d’où leur effort pour la supprimer.
2Les petits tyrans
L’un des premiers soucis des guerriers est de libérer cette énergie pour affronter l’inconnu grâce à elle, poursuivit don Juan. L’impeccabilité est l’action qui consiste à reconvertir cette énergie.
2Les petits tyrans
Il me dit que la stratégie la plus efficace avait été mise au point par les voyants de la Conquête, les maîtres incontestables de l’art de traquer. Cette stratégie comporte six éléments qui se combinent les uns aux autres. Cinq d’entre eux sont définis comme les attributs du statut de guerrier : il s’agit du contrôle, de la discipline, de l’endurance, du sens du minutage et du vouloir.
2Les petits tyrans
Le sixième élément, peut-être le plus important de tous, participe du monde extérieur et on l’appelle le petit tyran.
2Les petits tyrans
le vouloir participe d’une autre sphère, celle de l’inconnu, Les quatre autres attributs appartiennent à la sphère du connu, là même où se logent les petits tyrans. En réalité, ce qui transforme les êtres humains en petits tyrans c’est précisément la manipulation abusive du connu. ”
2Les petits tyrans
“ En général seuls quatre attributs sont mis en œuvre. Le cinquième, le vouloir, est toujours réservé pour une ultime confrontation, celle où les premiers font face, pour ainsi dire, au peloton d’exécution. ”
2Les petits tyrans
si les voyants sont capables de tenir bon en affrontant les petits tyrans, ils peuvent certainement affronter impunément l’inconnu et même supporter la présence de l’inconnaissable.
2Les petits tyrans
Nous savons que rien ne peut mieux tremper l’âme d’un guerrier que le défi qui consiste à traiter avec des gens impossibles qui se trouvent en position de pouvoir. Seules de telles conditions peuvent faire acquérir aux guerriers la modération et la sérénité nécessaires pour supporter le poids de l’inconnaissable. ” J’exprimai mon désaccord en vociférant. Je pensais, lui dis-je, que les tyrans ne peuvent que frapper leurs victimes d’impuissance ou bien les rendre aussi brutales qu’ils le sont eux-mêmes. Je lui fis remarquer qu’on avait procédé à d’innombrables études à propos des effets de la torture physique et psychologique sur ce genre de victimes. “ La différence réside dans quelque chose que tu viens de dire. Tu parles de victimes – pas de guerriers.
2Les petits tyrans
Don Juan me dit que son benefactor, en lui expliquant ce qu’il devait faire pour tirer profit de cet ogre, lui apprit aussi ce que les nouveaux voyants considèrent comme les quatre étapes jalonnant la voie de la connaissance. La première étape, pour les profanes, consiste à décider de devenir apprenti. Après avoir changé d’optique sur eux-mêmes et sur le monde, les apprentis franchissent la seconde étape et deviennent des guerriers, c’est-à-dire des êtres capables de la plus grande discipline et du plus grand contrôle de soi. La troisième étape, après l’acquisition de l’endurance et du sens du minutage, consiste à devenir des hommes de connaissance. Lorsque les hommes de connaissance apprennent à voir, ils ont franchi la quatrième étape et sont devenus des voyants.
2Les petits tyrans
Un guerrier n’est pas centré sur lui-même à la façon d’un égoïste, mais dans l’esprit d’une étude exhaustive et continue du moi.
2Les petits tyrans
L’idée d’utiliser un petit tyran n’est pas seulement destinée à parfaire le courage du guerrier, mais aussi à procurer du plaisir et du bonheur. ” “ Comment le monstre que vous avez décrit pourrait-il procurer du plaisir à quiconque ? ” “ Il était insignifiant en comparaison des véritables monstres auxquels furent confrontés les nouveaux voyants pendant la Conquête. Toutes les indications que nous possédons prouvent que ces voyants s’en donnèrent à cœur joie avec eux. Ils ont démontré que les pires tyrans eux-mêmes peuvent procurer un grand plaisir, à condition, bien sûr, que l’on soit un guerrier. ”
2Les petits tyrans
Don Juan m’expliqua que l’erreur des hommes moyens qui affrontent des petits tyrans est de ne pas avoir le recours d’une stratégie ; le handicap fatal vient de ce que les hommes moyens se prennent trop au sérieux. Leurs actes et leurs sentiments, comme ceux des petits tyrans, sont pour eux de la plus haute importance. Les guerriers, quant à eux, ne bénéficient pas seulement d’une stratégie bien conçue, mais sont libérés de la suffisance. Ce qui met un frein à leur suffisance est d’avoir compris que la réalité est une interprétation que nous élaborons nous-même. Ce savoir constitue l’avantage décisif des nouveaux voyants sur les Espagnols à l’esprit fruste. Il me dit qu’il avait acquis la conviction qu’il pourrait venir à bout du contremaître en ayant recours à la seule découverte du fait que les petits tyrans se prennent terriblement au sérieux, contrairement aux guerriers.
2Les petits tyrans
Grâce à mon contrôle, j’accomplissais les tâches les plus stupides que l’homme exigeait de moi. Ce qui généralement nous épuise, dans ce genre de situation, vient de l’usure qu’elle inflige à notre suffisance. Tout homme ayant un brin de fierté se sent déchiré lorsqu’on lui donne le sentiment qu’il ne vaut rien. ” “ Je faisais avec plaisir tout ce qu’il me demandait. J’étais joyeux et fort. Et je me moquais complètement de ma fierté ou de ma peur. Je me trouvais là en guerrier impeccable. Le fait de garder le moral quand on est bafoué s’appelle le contrôle. ” Don Juan m’expliqua que, suivant la stratégie de son benefactor, au lieu de s’apitoyer sur lui-même comme il l’avait fait autrefois, il devait se mettre immédiatement au travail pour recenser les points forts, les faiblesses de l’homme, et les excentricités de son comportement.
2Les petits tyrans
Il découvrit que les points les plus forts du contremaître résidaient dans la violence de sa nature et dans son audace. Il avait tiré sur don Juan en plein jour et sous les yeux de nombreux spectateurs. Sa grande faiblesse venait de ce qu’il aimait son travail et ne voulait pas le compromettre. Il n’aurait jamais tenté de tuer don Juan pendant la journée, à l’intérieur de l’enceinte. Son autre faiblesse venait de ce qu’il était père de famille. Il avait une femme et des enfants qui vivaient dans une cabane proche de la maison. “ Rassembler toutes ces informations pendant que l’on vous tabasse s’appelle la discipline ”, dit don Juan. “ L’homme était un véritable monstre. Il n’y avait pas de rachat possible en lui. Selon les nouveaux voyants, un parfait petit tyran n’a pas de bons côtés. ” Don Juan ajouta que les deux autres attributs du statut de guerrier qu’il ne possédait pas encore, l’endurance et le sens du minutage, avaient été inclus automatiquement dans la stratégie de son benefactor. L’endurance consiste à attendre patiemment – sans précipitation, sans anxiété –, c’est une simple, joyeuse façon de différer ce qui doit arriver. “ Je rampais tous les jours ”, poursuivit don Juan, “ pleurant parfois sous le fouet de l’homme. Et pourtant j’étais heureux. C’était la stratégie de mon benefactor qui me faisait tenir du jour au lendemain, sans haïr cet homme. J’étais un guerrier. Je savais ce que j’attendais. C’est exactement en cela que consiste la grande joie du statut de guerrier.
2Les petits tyrans
Don Juan disait que le sens du minutage est la qualité qui gouverne la libération de tout ce qui est retenu. Le contrôle, la discipline et l’endurance sont, disait-il, à l’image d’un barrage derrière lequel tout est accumulé. Le sens du minutage est la porte du barrage.
2Les petits tyrans
L’homme ne connaissait que la violence, dont il se servait pour exercer la terreur. Si l’on neutralisait sa violence, il devenait quasiment impuissant.
2Les petits tyrans
“ Je sautai dans le box du plus sauvage des étalons ”, me dit don Juan, “ et le petit tyran, aveuglé par la rage, sortit son couteau et sauta à ma poursuite. Je m’abritai immédiatement derrière la planche. Le cheval lui donna un seul coup de pied et c’en fut fini. ”
2Les petits tyrans
“ J’avais passé six mois dans cette maison et pendant ce temps, j’avais exercé les quatre attributs du statut de guerrier. J’avais réussi grâce à eux. Pas une fois je ne m’étais apitoyé sur moi-même ni n’avais pleuré d’impuissance. J’avais été joyeux et serein. Ma discipline et mon contrôle étaient aussi vifs que d’habitude, et j’avais eu un aperçu de première main de ce que l’endurance et le sens du minutage apportaient au guerrier impeccable. Et pas un instant je n’avais souhaité la mort de cet homme. ”
2Les petits tyrans
L’endurance consiste à retenir, grâce au courage, une chose dont le guerrier sait qu’elle doit légitimement arriver. Cela ne signifie pas que le guerrier passe son temps à mijoter une mauvaise action contre qui que ce soit ni à projeter des règlements de compte. L’endurance n’a rien à voir avec cela. Tant que le guerrier dispose du contrôle de la discipline et du sens du minutage l’endurance garantit que ce qui est dû, quelle qu’en soit la nature, sera donné à celui qui le mérite, quel qu’il soit. ” “ Est-ce qu’il arrive parfois aux petits tyrans de gagner, et d’anéantir le guerrier qui les affronte ? ” “ Bien sûr. Il fut un temps, au début de la Conquête, où les guerriers mouraient comme des mouches. Leurs rangs furent décimés. Les petits tyrans pouvaient mettre à mort n’importe qui, par simple caprice. Soumis à ce genre de pression, les voyants accédèrent à des états sublimes. ” Don Juan me raconta que ce fut l’époque où les voyants qui avaient survécu devaient s’exercer jusqu’à la limite de leurs possibilités pour trouver de nouvelles voies. “ Les nouveaux voyants se servaient des petits tyrans, dit don Juan, en me fixant avec insistance, non seulement pour se défaire de leur suffisance, mais pour réaliser la manœuvre très subtile qui consistait à se retirer de ce monde.
2Les petits tyrans
“ À quoi mesurez-vous la défaite ? ” “ Quiconque se met sur le même plan que le petit tyran est vaincu. Agir en colère, sans contrôle ni discipline, n’avoir pas d’endurance, c’est être vaincu. ”
3Les émanations de l’Aigle
Il déclara qu’il existait une série de vérités relatives à la conscience, découvertes par les voyants, les anciens et les nouveaux, et que ces vérités avaient été disposées en un ordre spécifique pour les besoins de la compréhension. La maîtrise de la conscience, m’expliqua-t-il, consistait à intérioriser l’ordre complet de ces vérités. La première vérité, dit-il, était que notre familiarité avec le monde que nous percevons nous force à croire que nous sommes entourés par des objets qui existent par eux-mêmes et en tant qu’eux-mêmes, exactement tels que nous les percevons, alors qu’en réalité il n’existe pas un monde d’objets mais un univers des émanations de l’Aigle.
3Les émanations de l’Aigle
Il me dit ensuite qu’avant de pouvoir expliquer la notion des émanations de l’Aigle, il devait parler du connu, de l’inconnu et de l’inconnaissable. La plupart des vérités relatives à la conscience avaient été découvertes par les anciens voyants. Mais l’ordre dans lequel elles avaient été disposées avait été établi par les nouveaux voyants. Et, faute de cet ordre, elles étaient pratiquement incompréhensibles.
3Les émanations de l’Aigle
Une des grandes erreurs que les anciens voyants avaient commises fut de ne pas rechercher d’ordre. Présumer, comme ils le firent, que l’inconnu et l’inconnaissable sont une même chose fut une des conséquences fatales de cette erreur. Il revint aux nouveaux voyants de corriger cette faute. Ils fixèrent des limites et définirent l’inconnu comme un domaine dissimulé à l’homme, peut-être enseveli dans un contexte terrifiant, mais qui, néanmoins, lui est accessible. L’inconnu se transforme en connu le moment venu. L’inconnaissable, lui, est l’indescriptible, l’impensable, l’insaisissable. C’est un domaine qui nous restera à jamais inconnu et pourtant il existe, à la fois éblouissant et horrifiant dans son immensité.
3Les émanations de l’Aigle
Comment les voyants peuvent-ils les distinguer l’un de l’autre ? ” demandai-je. “ Il existe une règle empirique simple ”, dit-il. “ Confronté à l’inconnu, l’homme se montre audacieux. C’est une propriété de l’inconnu que de nous donner un sentiment d’espoir de bonheur. L homme se sent vigoureux, transporté. L’appréhension que suscite l’inconnu est elle-même très gratifiante. Les nouveaux voyants virent que l’homme est au mieux de lui-même face à l’inconnu. ” “ Quand ce que l’on prend pour l’inconnu s’avère être l’inconnaissable, les conséquences en sont désastreuses ”, dit-il. “ Les voyants se sentent épuisés, plongés dans le désarroi. Ils sont en proie à une oppression terrible. Leur corps perd sa tonicité, leur raisonnement et leur modération s’égarent en vain, car l’inconnaissable n’a aucun effet stimulant sur l’énergie. Il est inaccessible à l’homme ; il ne faut donc pas y faire intrusion étourdiment, ni même prudemment. Les nouveaux voyants comprirent qu’il leur fallait être préparés à payer des prix exorbitants pour le moindre contact avec cet univers. ”
3Les émanations de l’Aigle
inventorier l’inconnu signifie le rendre accessible à notre perception. En pratiquant régulièrement l’acte de voir, les nouveaux voyants découvrirent que l’inconnu et le connu sont vraiment sur un pied d’égalité, car tous deux sont à la portée de la perception humaine. En fait les voyants peuvent quitter le connu, le moment venu, et pénétrer dans l’inconnu. Tout ce qui se trouve au-delà de notre capacité à percevoir relève de l’inconnaissable. Et la distinction entre celui-ci et le connaissable est capitale. Confondre les deux mettrait les voyants dans une situation infiniment précaire lorsqu’ils affrontent l’inconnaissable.
3Les émanations de l’Aigle
Ce fut en exerçant l’acte de voir que les nouveaux voyants découvrirent certains faits irréfutables qui leur servirent à aboutir à des conclusions, révolutionnaires à leurs yeux, sur la nature de l’homme et du monde. Ces conclusions, qui fondèrent l’existence du nouveau cycle, étaient les vérités relatives à la conscience que don Juan était en train de m’expliquer.
3Les émanations de l’Aigle
“ Comme je te l’ai dit, commença-t-il, la première vérité relative à la conscience est que le monde extérieur n’est pas, en réalité, ce que nous croyons. Nous pensons que c’est un monde d’objets et c’est faux. ”
3Les émanations de l’Aigle
“ La première vérité est que le monde est ce qu’il paraît, et pourtant ne l’est pas. Il n’est pas aussi solide ni réel que notre perception a été amenée à le croire, mais il n’est pas non plus un mirage. Le monde n’est pas une illusion, comme on l’a dit ; il est réel, et il est irréel. Sois très attentif à cela, car il ne faut pas seulement que tu l’acceptes, il faut que tu le comprennes. Nous percevons. Cela est un fait d’évidence. Mais ce que nous percevons n’est pas un fait du même ordre car on nous enseigne ce qu’il faut percevoir. ” “ Quelque chose, là dehors, affecte nos sens. Cela est réel. Ce qui n’est pas réel, c’est ce que nous disent nos sens sur la nature de cette chose. Prends l’exemple d’une montagne. Nos sens nous disent qu’il s’agit d’un objet. Elle se caractérise par une dimension, une couleur, une forme. Il existe même des catégories de montagnes, qui sont parfaitement pertinentes. Il n’y a rien à redire à cela ; le hic, c’est simplement que nous n’avons jamais pensé que nos sens jouent uniquement un rôle superficiel. Nos sens perçoivent comme ils le font parce qu’une propriété spécifique de notre conscience les y force. ”
3Les émanations de l’Aigle
“ J’ai employé l’expression “le monde” ”, poursuivit-il, “ au sens de tout ce qui nous entoure. Il existe une meilleure expression, bien sûr, mais elle serait tout à fait incompréhensible pour toi. Les voyants disent que seule notre conscience nous conduit à croire qu’il existe un monde d’objets, là dehors. Mais ce qui, en réalité, se trouve là dehors, ce sont les émanations de l’Aigle, fluides, en mouvement perpétuel et cependant inchangées, éternelles. ”
3Les émanations de l’Aigle
Il m’expliqua qu’un des legs les plus extraordinaires que nous ont transmis les anciens voyants réside dans leur découverte que la raison d’exister de tous les êtres sensibles est de mettre en valeur la conscience. Don Juan qualifiait cette découverte de colossale.
3Les émanations de l’Aigle
“ Les anciens voyants, en prenant des risques follement dangereux ”, poursuivit-il, “ virent véritablement la force indicible qui est la source de tous les êtres sensibles. Ils l’appelèrent l’Aigle car, dans les rares et brèves visions qu’ils purent soutenir, ils virent cette force sous une forme qui ressemblait à celle d’un aigle noir et blanc, d’une dimension infinie. ”
3Les émanations de l’Aigle
“ Ils virent que c’est l’Aigle qui donne la conscience. L’Aigle crée les êtres sensibles afin qu’ils vivent et enrichissent la conscience qu’il leur donne en même temps que la vie. Ils virent aussi que c’est l’Aigle qui dévore cette conscience enrichie après avoir fait en sorte que les êtres sensibles s’en dessaisissent au moment de leur mort. ” “ Quand les anciens voyants disent que la raison d’exister des hommes est de mettre en valeur la conscience, ce n’est pas une question de foi ou de déduction. Ils l’ont vu. ”
3Les émanations de l’Aigle
“ Ils ont vu la conscience des êtres sensibles s’envoler au moment de la mort et flotter comme une houppe de coton lumineuse qui se dirige directement vers le bec de l’Aigle pour y être consommée. Pour les anciens voyants cela était la preuve que les êtres sensibles ne vivent que pour enrichir la conscience qui constitue la nourriture de l’Aigle. ”
3Les émanations de l’Aigle
“ Un nagual est une personne assez souple pour pouvoir incarner n’importe quoi, m’avait-il dit. Entre autres choses, être un nagual implique que l’on n’ait aucun point de vue à défendre. Souviens-toi de cela – nous y reviendrons sans cesse. ”
3Les émanations de l’Aigle
Nous y étions revenus sans cesse, et sous tous les angles possibles ; il semblait effectivement n’avoir aucun point de vue à défendre, mais pendant son séjour à Oaxaca l’ombre d’un doute m’effleura. Je me rendis compte soudain qu’un nagual avait bien un point de vue à défendre – la description de l’Aigle et de son action exigeait, selon moi, qu’on la défende avec passion. J’essayai de soumettre ce sujet à certains des compagnons de don Juan mais ils éludèrent mes questions. Ils me dirent que j’étais exclu de ce genre de discussion tant que don Juan n’avait pas terminé les explications qu’il me réservait. Dès qu’il revint, nous nous assîmes pour parler et je l’interrogeai sur le sujet. “ Ces vérités n’ont pas à être défendues avec passion ”, répondit-il. “ Si tu crois que je tente de les défendre, tu te trompes. Ces vérités ont été rassemblées pour le plaisir et l’édification des guerriers, et pas pour impliquer le moindre sentiment de propriété. Quand je t’ai dit qu’un nagual n’a pas de point de vue à défendre, j’entendais, entre autres choses, qu’un nagual n’a pas d’obsessions. ”
3Les émanations de l’Aigle
Je lui demandai de m’expliquer ce que sont les émanations de l’Aigle. Il me répondit que les émanations de l’Aigle sont une chose en soi, immuable, qui embrasse tout ce qui existe, le connu et l’inconnu. “ On ne peut décrire par des mots ce que sont véritablement les émanations de l’Aigle ”, poursuivit don Juan. “ Un voyant doit en être le témoin. ” “ En avez-vous été le témoin vous-même, don Juan ? ” “ Bien sûr, et pourtant je ne peux pas te dire ce qu’elles sont. Elles sont une présence, presque une sorte de masse, une pression qui engendre une sensation éblouissante. On ne peut les apercevoir que fugitivement, de même qu’on ne peut avoir qu’une vision fugitive de l’Aigle lui-même. ”
3Les émanations de l’Aigle
“ Diriez-vous, don Juan, que l’Aigle est la source de ses propres émanations ? ” “ Cela va sans dire. ” “ Je voulais savoir si c’est le cas sur le plan visuel. ” “ Rien de ce qui concerne l’Aigle ne relève du visuel. Le corps tout entier d’un voyant sent intuitivement l’Aigle. Il existe en chacun de nous quelque chose qui peut nous faire appréhender une réalité à travers notre corps tout entier. Les voyants expliquent l’acte de voir l’Aigle en termes très simples : l’homme étant composé par les émanations de l’Aigle, il lui faut simplement retourner à ses composantes. Le problème surgit de la conscience de l’homme ; c’est elle qui s’embrouille et se trouble. Au moment crucial, quand il faudrait simplement que les émanations se reconnaissent elles-mêmes, en tant que telles, la conscience de l’homme ne peut s’empêcher d’interpréter. Il en résulte une vision de l’Aigle et des émanations de l’Aigle. Mais il n’existe ni Aigle ni émanations de l’Aigle. Ce qui existe là, aucune créature vivante ne le peut saisir. ”
3Les émanations de l’Aigle
“ Regarde ce que certains voyants nous ont infligé. Nous sommes paralysés par leur vision d’un Aigle qui règne sur nous et nous dévore au moment de notre mort. ” Il me dit que cette version traduisait un laisser-aller manifeste et que, personnellement, il n’appréciait pas l’idée d’une entité qui nous dévore. À son avis, il serait plus exact de parler de l’existence d’une force qui exerce une attraction sur notre conscience, d’une façon assez semblable à celle d’un aimant attirant des pailles de fer. Au moment de la mort, tout notre être se désintègre sous l’attraction de cette force immense. Il trouvait grotesque qu’un tel événement soit interprété par l’image de l’Aigle en train de nous dévorer, parce que cette interprétation transforme un acte indicible en un fait aussi banal que celui de manger.
3Les émanations de l’Aigle
tu dois te souvenir que nous gardons nos défauts même après que nous sommes devenus des voyants. C’est pourquoi, quand tu verras cette force, il est très possible que tu sois d’accord avec les voyants négligents qui l’appelèrent l’Aigle, comme ce fut mon cas. Mais il se peut également que tu ne le sois pas. Peut être résisteras-tu à la tentation d’imputer des attributs humains à ce qui est incompréhensible et créeras-tu pour le désigner un mot nouveau, un mot plus approprié. ”
3Les émanations de l’Aigle
Les nouveaux voyants découvrirent vite les énormes difficultés qui étaient en jeu et ce n’est qu’après avoir connu de grandes tribulations dans leur tentative d’inventorier l’inconnu et de le séparer de l’inconnaissable qu’ils comprirent que tout est composé par les émanations de l’Aigle. Seule une petite partie de ces émanations se trouve accessible à la conscience humaine, et cette petite partie se trouve encore réduite, par les contraintes de notre vie quotidienne, à une minuscule fraction. Cette minuscule fraction des émanations de l’Aigle forme le connu. La petite partie accessible a la conscience humaine représente l’inconnu, et le reste, qui est incalculable, recouvre l’inconnaissable. ”
3Les émanations de l’Aigle
Ils se rendirent compte que toutes les créatures vivantes sont forcées d’utiliser les émanations de l’Aigle sans jamais en connaître la nature. Ils comprirent aussi que les organismes sont constitués de façon à appréhender un certain registre de ces émanations et qu’à chaque espèce correspond un registre déterminé. Les émanations exercent une grande pression sur les organismes et c’est grâce à cette pression que ceux-ci construisent leur monde perceptible.
3Les émanations de l’Aigle
“ En ce qui nous concerne, nous, les êtres humains, nous utilisons ces émanations et nous les interprétons comme étant la réalité. Mais ce que perçoit l’homme est une partie si minime des émanations de l’Aigle qu’il est ridicule de faire grand cas de nos perceptions, et pourtant il nous est impossible de ne pas en tenir compte.
3Les émanations de l’Aigle
“ La peur est l’une des grandes forces de la vie des guerriers. Elle les pousse à apprendre. ”
3Les émanations de l’Aigle
Les nouveaux voyants, quant à eux, imprégnés d’esprit pratique, purent voir un flux d’émanations et voir comment l’homme ainsi que d’autres êtres vivants les utilisaient pour construire leur monde perceptible. ” “ Comment l’homme utilise-t-il ces émanations, don Juan ? ” “ C’est si simple que cela en a l’air idiot. Pour un voyant, les hommes sont des êtres lumineux. Notre luminosité est composée de la partie des émanations de l’Aigle qui se trouve enfermée dans notre cocon en forme d’œuf. Cette partie spécifique, cette poignée d’émanations enfermées est ce qui fait de nous des hommes. Percevoir consiste à accorder les émanations qui se trouvent à l’intérieur de notre cocon avec celles qui se trouvent à l’extérieur. ”
4La lueur de la conscience
Les émanations ressemblent-elles à des rayons de lumière ? ” demandai-je. “ Non. Pas du tout. Ce serait trop simple. Elles sont indescriptibles. Je dirais cependant, à titre personnel, qu’elles ressemblent à des filaments de lumière. Ce qui est incompréhensible pour la conscience normale, c’est que ces filaments sont conscients. Je ne peux te dire ce que cela signifie parce que je ne sais pas bien ce que je raconte. Tout ce que je peux te dire, par mes commentaires personnels, c’est que ces filaments sont conscients d’eux-mêmes, vivants et vibrants, qu’il en existe tellement que les chiffres n’ont pas de sens et que chacun d’entre eux est en lui-même une éternité. ”
4La lueur de la conscience
“ C’est le devoir d’un nagual que de toujours chercher de meilleures méthodes d’explication ”, répondit-il. “ Le temps modifie tout et chaque nouveau nagual doit assimiler de nouveaux mots, de nouvelles idées pour décrire son voir. ” “ Cela signifie-t-il qu’un nagual prend des idées dans l’univers de la vie quotidienne ? ” demandai-je. “ Non. Cela signifie qu’un nagual parle de voir par des moyens toujours nouveaux ”, dit-il. “ Par exemple, si tu étais le nouveau nagual, tu devrais dire que la conscience engendre la perception. Tu dirais en cela la même chose que mon benefactor, mais d’une autre façon. ”
4La lueur de la conscience
“ Que disent les nouveaux voyants sur la nature de la perception, don Juan ? ” “ Ils disent que la perception est une condition de l’alignement; les émanations intérieures au cocon s’alignent avec les émanations extérieures qui leur correspondent. L’alignement est ce qui permet à chaque créature vivante de cultiver la conscience. Les voyants affirment cela parce qu’ils voient les créatures vivantes comme elles sont en réalité : des êtres lumineux qui ressemblent à des bulles de lumière blanchâtre. ” Je lui demandai comment les émanations intérieures au cocon s’accordent aux émanations extérieures, pour réaliser la perception. “ Les émanations intérieures et les émanations extérieures sont les mêmes filaments de lumière ”, dit-il. “ Les êtres sensibles sont des bulles minuscules composées de ces filaments, des points de lumière microscopiques liés aux émanations infinies. ” Il poursuivit et m’expliqua que la luminosité des êtres vivants vient de la partie spécifique des émanations de l’Aigle qu’ils contiennent dans leur cocon lumineux. Quand les voyants voient la perception, ils constatent que la luminosité des émanations de l’Aigle qui se trouvent à l’extérieur du cocon de ces créatures avive la luminosité des émanations intérieures à leur cocon. La luminosité extérieure exerce une attraction sur celle de l’intérieur ; elle la prend au piège, pour ainsi dire, et la fixe. Cette fixation constitue la conscience de chaque être particulier. Les voyants peuvent également voir comment les émanations qui se trouvent à l’extérieur du cocon exercent une pression spéciale sur la partie des émanations qui est située à l’intérieur. Cette pression détermine le degré de conscience dont jouit chaque être vivant. Je lui demandai d’être plus clair quant à la façon dont les émanations de l’Aigle qui se trouvent à l’extérieur du cocon exercent une pression sur celles de l’intérieur. “ Les émanations de l’Aigle ”, dit-il, “ sont plus que des filaments de lumière. Chacune d’entre elles est une source d’énergie illimitée. Considère cela sous cet angle : les émanations extérieures au cocon étant de même nature que celles qui se trouvent à l’intérieur, leurs énergies forment une sorte de pression continue. Mais le cocon isole les émanations qu’il renferme dans sa trame et oriente ainsi la pression. ” “ J’ai évoqué devant toi le fait que les anciens voyants étaient maîtres dans l’art de manier la conscience, poursuivit-il. Ce que je peux ajouter maintenant, c’est qu’ils étaient les maîtres de cet art parce qu’ils avaient appris à manipuler la structure du cocon de l’homme. Je t’ai dit qu’ils avaient élucidé le mystère de la conscience. J’entendais par là qu’ils ont vu et compris que la conscience est une lueur qui se trouve au sein du cocon des êtres vivants. Ils l’ont appelée à juste titre la lueur de la conscience. ”
4La lueur de la conscience
Il m’expliqua que les anciens voyants ont vu que la conscience de l’homme est une lueur d’une luminosité couleur d’ambre, plus intense que le reste du cocon. Cette lueur se trouve sur une étroite bande verticale située à l’extrême droite du cocon, et qui s’étend sur toute sa longueur. La maîtrise des anciens voyants consista à déplacer cette lueur, à faire en sorte qu’elle se propage, à partir de sa position d’origine, à la surface du cocon, vers l’intérieur, sur sa largeur.
4La lueur de la conscience
Je demandai à don Juan de m’expliquer comment il m’était possible d’agir comme je le faisais. Je pouvais, dans des états de conscience accrue, regarder en arrière et me souvenir de tout ce qui me concernait; je pouvais raconter tout ce que j’avais fait, dans l’un ou l’autre état, je pouvais même me souvenir de mon incapacité à me remémorer. Mais une fois revenu à mon niveau de conscience normale, quotidienne, je ne pouvais rien me rappeler de ce que j’avais fait en état de conscience accrue, même si ma vie en dépendait. “ Arrête, ne va pas plus loin ”, dit-il. “ Tu ne t’es encore souvenu de rien. La conscience accrue n’est qu’un état intermédiaire. Il y a, au-delà, infiniment plus, et tu t’y es trouvé très souvent, très souvent. En ce moment précis, tu ne peux t’en souvenir, même si ta vie en dépend. ” Il avait raison. Je ne savais pas du tout de quoi il parlait. J’implorais une explication. “ L’explication vient ”, dit-il. “ C’est un lent processus, mais nous y arriverons. Il est lent parce que je suis exactement comme toi : j’aime comprendre. Je suis le contraire de mon benefactor, qui n’était pas enclin à expliquer. Pour lui, seule l’action existait. Il nous mettait carrément aux prises avec des problèmes incompréhensibles et nous laissait les résoudre tout seul. Certains d’entre nous ne résolurent jamais rien vraiment, et nous nous trouvâmes, à la fin, embarqués à peu près dans la même galère que les anciens voyants : rien que de l’action, et pas de vraie connaissance. ” “ Ces souvenirs sont-ils prisonniers dans mon esprit ? ” “ Non. Ce serait trop simple ”, répondit-il. “ Les voyants se livrent à des actions plus complexes que celle de diviser un homme en corps et esprit. Tu as oublié ce que tu as fait ou ce dont tu as été le témoin parce que, lorsque tu accomplissais ce que tu as oublié, tu voyais. ” Je demandai à don Juan d’expliciter ce qu’il venait de dire. Il m’expliqua patiemment que tout ce que j’avais oublié s’était produit dans des états au cours desquels ma conscience quotidienne s’était trouvée accrue, intensifiée, une condition signifiant que d’autres domaines de mon être total étaient utilisés. “ Ce que tu as oublié se trouve enfermé dans ces domaines de ton être total, dit-il. Utiliser ces autres domaines, c’est voir. ” “ Je suis plus déconcerté que jamais, don Juan ”, dis-je. “ Ce n’est pas de ta faute. Voir, c’est mettre à nu le cœur de tout, être le témoin de l’inconnu et avoir une brève vision de l’inconnaissable. En tant que tel, cela n’apporte aucun réconfort. Les voyants perdent d’habitude tous leurs moyens en découvrant que l’existence est d’une complexité incompréhensible et que notre conscience normale lui nuit par ses limitations. ”
4La lueur de la conscience
Pour comprendre, il faut de la modération, pas de l’émotivité. Prends garde à ceux qui versent des larmes en faisant une découverte, car ils n’ont rien découvert.
4La lueur de la conscience
“ Qu’est-ce donc que voir ? ” demandai-je. Il me répondit que voir relève de l’alignement. Et je lui rappelai qu’il avait dit la même chose de la perception. Il m’expliqua alors que l’alignement des émanations que l’on utilise d’ordinaire constitue la perception du monde quotidien, mais que l’alignement d’émanations qui ne sont jamais utilisées d’ordinaire, constitue le fait de voir. On voit lorsqu’un tel alignement se produit. Voir étant la conséquence d’un alignement hors du commun ne peut donc pas être quelque chose que l’on pourrait tout simplement regarder. Il ajouta qu’en dépit du fait que j’avais vu un nombre incalculable de fois, il ne m’était jamais venu à l’esprit de faire abstraction de mes yeux. J’avais succombé à la façon dont on désigne et dont on décrit voir.
4La lueur de la conscience
“ Quand les voyants voient, quelque chose vient tout expliquer tandis que se produit le nouvel alignement. Il s’agit d’une voix qui leur dit à l’oreille ce qu’est chaque chose. S’il manque cette voix, ce à quoi le voyant s’adonne n’est pas voir. ” Après un moment de silence, il continua à m’expliquer ce qu’était la voix de voir. Il dit qu’il était aussi faux de dire que voir était entendre, parce que c’était infiniment plus que cela, mais que des voyants avaient choisi d’utiliser le son comme mesure d’un nouvel alignement. Il qualifiait la voix de voir comme une chose des plus mystérieuses, des plus inexplicables. “ Ma conclusion personnelle est que la voix de voir n’appartient qu’à l’homme, dit-il. Il pourrait en être ainsi, parce que parler est une propriété exclusive de l’homme. Les anciens voyants croyaient qu’il s’agissait de la voix d’une entité omnipotente, intimement liée à l’homme, une entité protectrice de l’homme. Les nouveaux voyants découvrirent que cette entité qu’ils appelèrent le moule de l’homme, est dépourvue de voix. La voix de voir est une chose tout à fait incompréhensible pour les nouveaux voyants ; ils disent qu’elle est la lueur de la conscience qui joue sur les émanations de l’Aigle comme un harpiste joue sur une harpe. ”
4La lueur de la conscience
“ lorsque les voyants voient que les émanations en liberté pèsent sur celles qui se trouvent à l’intérieur du cocon et qui sont tout le temps en mouvement, et les immobilisent, ils savent qu’à ce moment-là l’être lumineux est fixé par l’attention. ”
4La lueur de la conscience
la voix de voir leur a dit que les émanations intérieures au cocon sont tout à fait immobiles et s’accordent à celles qui se trouvent à l’extérieur. ”
4La lueur de la conscience
“ Les voyants ”, ajouta-t-il, “ soutiennent, naturellement, que la conscience nous vient de l’extérieur de nous-même, que le véritable mystère n’est pas en nous. Comme les émanations en liberté sont par nature destinées à fixer ce qui se trouve à l’intérieur du cocon, le truc propre à la conscience consiste à permettre aux émanations dont le rôle est de fixer, de se fondre avec ce qui se trouve en nous. Les voyants croient que si nous permettons un tel avènement nous devenons ce que nous sommes véritablement fluides, à jamais en mouvement, éternels. ”
4La lueur de la conscience
“ Le degré de conscience de chaque être sensible individuel, poursuivit-il, dépend de la mesure dans laquelle il est capable de laisser les émanations en liberté le porter. ”
4La lueur de la conscience
don Juan reprit son explication. Il dit que les voyants voyaient que la conscience s’accroît, s’enrichit depuis le moment de la conception, par le processus de la vie même. Il dit que les voyants voyaient, par exemple, que la conscience d’un insecte individuel ou d’un homme individuel croît depuis le moment de la conception, selon des modalités présentant des différences stupéfiantes, mais avec une égale cohérence.
4La lueur de la conscience
“ La conscience se développe depuis le moment de la conception, répondit-il. Je t’ai toujours dit que l’énergie sexuelle était d’une importance fondamentale et qu’elle doit être contrôlée et utilisée avec beaucoup de soin.
4La lueur de la conscience
tu t’es toujours offusqué de ce que je disais, parce que tu pensais que je parlais de contrôle en termes de moralité ; j’en ai toujours parlé dans le sens d’une économie et d’une orientation de l’énergie
4La lueur de la conscience
le sexe est fait pour donner la lueur de la conscience.
4La lueur de la conscience
quand les êtres sensibles pratiquent l’acte sexuel, les émanations intérieures à leur cocon font de leur mieux pour donner la conscience au nouvel être sensible qu’ils sont en train de créer. ”
5La première attention
Il me dit que les voyants, après de durs efforts, étaient arrivés à la conclusion que l’état conscient des êtres humains adultes, mûri par le processus de la croissance, ne peut plus être désigné par le terme de conscience, parce qu’il s’est transformé en une chose plus intense et complexe que les voyants appellent l’attention.
5La première attention
Il répondit qu’à un moment donné de la croissance des êtres humains une bande des émanations intérieures à leur cocon se met à briller très intensément; à mesure que les êtres humains accumulent de l’expérience, elle se met à luire. Dans certains cas, la lueur de cette bande d’émanations s’accroît de façon si spectaculaire qu’elle fusionne avec les émanations extérieures. Constatant un tel accroissement, les voyants ont dû présumer que la conscience est la matière première de la maturation et l’attention son produit fini.
5La première attention
“ Comment les voyants décrivent-ils l’attention ? ” demandai-je. “ Ils disent que l’attention est la mise en valeur et l’accroissement de la conscience par le processus même du vivant. “ Le danger, en ce qui concerne les définitions, ” ajouta-t-il, “ réside en ce qu’elles simplifient les sujets pour les rendre compréhensibles ; dans ce cas précis, qui consiste à définir l’attention, on risque de transformer un accomplissement magique, miraculeux, en une chose banale. L’attention constitue le plus grand accomplissement propre à l’homme. Elle évolue à partir de la conscience animale brute jusqu’à englober toute la gamme des options humaines. Les voyants la portent à leur tour à un point de perfection telle qu’elle englobe tout le champ des possibilités humaines. ”
5La première attention
L’exploit des voyants qui consiste à considérer l’homme comme un être lumineux en forme d’œuf est, lui, un exemple des possibilités humaines. Dans le cas du corps en tant qu’objet, on aborde le connu, dans celui du corps en tant qu’œuf lumineux, on aborde l’inconnu ; c’est pourquoi le champ des possibilités humaines est presque inépuisable
5La première attention
“ Les voyants, poursuivit don Juan, disent qu’il existe trois types d’attention. Ce propos ne concerne que les êtres humains, pas tous les êtres sensibles qui existent. Mais il ne s’agit pas seulement de trois types d’attention, il s’agit plutôt de trois niveaux d’achèvement. Ce sont la première attention, l’attention seconde et la tierce attention, trois domaines indépendants les uns des autres, chacun complet en soi. ”
5La première attention
tout ce à quoi l’on peut penser fait partie de la première attention.
5La première attention
“ L’attention seconde, pour sa part, constitue un état plus complexe et plus spécialisé de la lueur de la conscience. Elle est liée à l’inconnu. Elle survient lorsque sont utilisées des émanations intérieures au cocon qui n’ont pas servi jusque-là. ” “ J’ai qualifié l’attention seconde de spécialisée parce que, pour utiliser ces émanations qui n’ont pas servi, il faut des tactiques singulières, élaborées qui exigent une discipline et une concentration suprêmes. ”
5La première attention
Il ajouta qu’il m’avait déjà dit, lorsqu’il m’enseignait l’art de rêver, que la concentration nécessaire pour être conscient du fait que l’on est en train de faire un rêve est le signe avant-coureur de l’attention seconde. Cette concentration est une forme de conscience qui n’appartient pas à la même catégorie que la conscience requise pour ce qui concerne l’univers quotidien.
5La première attention
Il me dit que l’attention seconde est également appelée la conscience du côté gauche ; et qu’il s’agit du domaine le plus vaste que l’on puisse imaginer, si vaste en réalité qu’il semble illimité. “ Je ne m’y hasarderais pour rien au monde, ” poursuivit-il. “ C’est un bourbier tellement bizarre et complexe que les voyants modérés n’y pénètrent qu’à des conditions extrêmement strictes. ”
5La première attention
“ Ce qui rend les choses très difficiles, c’est que l’attention seconde est d’un accès très facile et d’un attrait presque irrésistible. ”
5La première attention
l’exploit qui consistait à éclairer une bande après l’autre contribua à les emprisonner dans le bourbier de l’attention seconde. ” “ Les nouveaux voyants ont corrigé cette erreur et permis à la maîtrise de la conscience de se développer en direction de sa fin naturelle, qui est de répandre la lueur de la conscience au-delà des limites du cocon lumineux d’un seul coup. ”
5La première attention
On accède à la tierce attention quand la lueur de la conscience devient le feu intérieur : une lueur qui allume non plus une bande après l’autre, mais toutes les émanations de l’Aigle qui se trouvent à l’intérieur du cocon de l’homme. ”
5La première attention
Il ajouta que tous les êtres humains accèdent, au moment de leur mort, à l’inconnaissable, mais trop brièvement et uniquement pour que soit purifiée la nourriture de l’Aigle. “ Accéder à ce niveau d’attention tout en conservant sa force vitale, sans devenir une conscience désincarnée qui se dirige, comme un tremblement lumineux, vers le bec de l’Aigle pour être dévorée, voilà l’accomplissement suprême pour les êtres humains. ”
5La première attention
Don Juan exprima le respect que lui inspirait l’effort délibéré des nouveaux voyants pour accéder à la tierce attention pendant qu’ils sont vivants et conscients de leur individualité.
5La première attention
Il trouvait inutile de s’étendre sur les cas isolés d’hommes et autres êtres sensibles qui accèdent à l’inconnu et à l’inconnaissable sans même s’en rendre compte ; il parlait de ce phénomène comm du don de l’Aigle
Le feu du dedans
Don Juan me tapota gentiment le dos. Il dit que la colère produit d’habitude un effet très apaisant, comme c’est parfois le cas de la peur ou de l’humour.
Le feu du dedans
“ Pleure un bon coup et tu te sentiras mieux. ”
Le feu du dedans
“ Ah, voilà le mystère ”, dit-il. “ Il s’agit d’un mystère de la conscience qui ne peut être élucidé rationnellement par le discours. On ne peut qu’être le témoin du mystère. ”
Le feu du dedans
les nouveaux voyants étaient profondément perturbés par le fait que la conscience prévient la mort tout en la provoquant de par sa fonction de nourriture pour l’Aigle
Le feu du dedans
Il répéta que la conscience commence avec la pression permanente que les émanations en liberté exercent sur celles qui sont prisonnières du cocon. Cette pression engendre le premier acte de conscience ; elle arrête le mouvement des émanations prisonnières qui luttent pour briser le cocon, pour mourir. La vérité, pour un voyant, est que tous les êtres vivants luttent pour mourir. C’est la conscience qui arrête la mort.
Le feu du dedans
Ils ont découvert des vérités incontestables par le truchement de l’acte de voir. Ces vérités sont ordonnées en termes de contradictions censément flagrantes, c’est tout. ” “ Les voyants doivent, par exemple, être des êtres méthodiques, rationnels, des parangons de modération et, en même temps, fuir toutes ces qualités pour être totalement libres et ouverts aux merveilles et aux mystères de l’existence. ”
Le feu du dedans
“ Seul un sentiment de suprême modération peut surmonter les contradictions ”, dit-il. “ Diriez-vous, don Juan, que c’est l’art qui joue ce rôle ? ” “ Tu peux appeler comme tu voudras l’instance qui surmonte les contradictions – art, affection, modération, amour ou même gentillesse. ”
Le feu du dedans
“ Les êtres humains observent les émanations qu’ils renferment dans leur cocon, répondit-il. Aucune autre créature ne le fait. Au moment où la pression exercée par les émanations en liberté fixe les émanations intérieures, la première attention commence à s’observer elle-même. Elle enregistre tout ce qui la concerne, ou, du moins, elle tente de le faire, par les moyens dont elle dispose, si aberrants soient-ils. Dresser un inventaire, c’est ainsi que les voyants désignent ce processus. ”
Le feu du dedans
“ Je ne veux pas dire par là que les êtres humains choisissent de dresser un inventaire, ou qu’ils peuvent refuser de le faire. Dresser un inventaire, c’est le commandement de l’Aigle. Cependant, la manière dont on obéit à ce commandement est soumise, elle, à la volonté. ”
Le feu du dedans
Pour ce qui est de l’inventaire de la première attention, les voyants le dressent, car ils ne peuvent désobéir. Mais une fois qu’ils l’ont fait, ils s’en débarrassent. L’Aigle ne nous ordonne pas de vénérer notre inventaire ; il nous ordonne de le dresser, c’est tout. ”
Le feu du dedans
Ce n’est pas dans le but d’être accordées aux émanations extérieures que sont apaisées les émanations intérieures au cocon de l’homme, répondit-il. Cela est évident quand on a vu comment se comportent d’autres créatures
Le feu du dedans
les êtres humains apaisent leurs émanations puis en font un objet de réflexion. Les émanations se concentrent sur elles-mêmes
Le feu du dedans
Une fois qu’ils sont profondément engagés dans l’inventaire, deux choses peuvent arriver. Ils peuvent ne tenir aucun compte des impulsions venant des émanations en liberté, ou les utiliser d’une manière très spécialisée.
Le feu du dedans
Ne tenir aucun compte de ces impulsions, après avoir fait un inventaire, a pour conséquence ultime un état unique en lui-même, connu comme étant la raison. Utiliser chaque impulsion d’une manière spécialisée a pour conséquence ce qu’on appelle la préoccupation de soi-même.
Le feu du dedans
La raison humaine apparaît à un voyant comme une lueur sans éclat, exceptionnellement homogène qui réagit rarement, sinon jamais, à la pression constante des émanations en liberté – une lueur qui rend la coquille en forme d’œuf plus dure mais plus friable.
Le feu du dedans
Don Juan dit que la raison, chez l’espèce humaine, devrait être généreuse, mais que c’était très rarement le cas dans les faits. La majorité des êtres humains virent vers la préoccupation de soi-même.
Le feu du dedans
Il affirma que la conscience de tous les êtres humains comporte un certain degré d’auto contemplation qui sert à ces êtres à avoir des relations mutuelles.
Le feu du dedans
À l’inverse des hommes de raison, qui ne tiennent aucun compte des émanations en liberté, les individus préoccupés d’eux-mêmes utilisent chacune des émanations et les transforment toutes en une force destinée à agiter les émanations qui se trouvent à l’intérieur de leur cocon. Constatant tout cela, les voyants parvinrent à une conclusion pratique. Ils virent que les hommes de raison sont voués à vivre plus longtemps, parce que, en négligeant l’impulsion des émanations en liberté, ils apaisent l’agitation naturelle qui se manifeste à l’intérieur de leur cocon. Les individus préoccupés d’eux-mêmes, quant à eux, abrègent leur vie en utilisant l’impulsion des émanations en liberté pour créer un supplément d’agitation.
Le feu du dedans
“ La première attention ne fonctionne que pour le connu ”, dit Genaro. “ Elle ne vaut pas un radis pour l’inconnu. ” “ Ce n’est pas tout à fait vrai ”, répliqua don Juan. La première attention fonctionne très bien pour l’inconnu. Elle lui barre le chemin ; elle le nie avec tant d’acharnement qu’en définitive l’inconnu n’existe pas pour la première attention.
6Les êtres non organiques
Quand les nouveaux voyants ont agencé l’ordre des vérités relatives à la conscience, ils ont vu que la première attention consomme toute la lueur de la conscience dont disposent les êtres humains sans qu’il reste la moindre parcelle d’énergie.
6Les êtres non organiques
les nouveaux voyants ont décrété que les guerriers, puisqu’ils doivent avoir accès à l’inconnu, doivent économiser leur énergie. Mais où trouveront-ils de l’énergie si celle-ci est toute entière épuisée ? Ils en trouveront, disent les nouveaux voyants, en supprimant les habitudes inutiles. ”
6Les êtres non organiques
“ Après tout le temps que tu as passé sur la voie du guerrier, tu possèdes suffisamment d’énergie disponible pour saisir l’inconnu, mais pas assez pour le comprendre ou même t’en souvenir. ”
6Les êtres non organiques
“ Quelle est cette force mystérieuse ? ” demandai-je. “ C’est une force présente partout, dans tout ce qui est ”, dit-il. “ Les anciens voyants n’ont jamais tenté d’élucider le mystère de la force qui les a conduits à créer leurs pratiques secrètes ; ils l’acceptaient simplement, comme quelque chose de sacré. Mais les nouveaux voyants l’examinèrent de près et l’appelèrent le vouloir, le vouloir des émanations de l’Aigle, ou intention. ”
6Les êtres non organiques
Avoir constaté que la vie organique n’est pas la seule forme de vie existant sur terre fut incontestablement l’une des découvertes les plus intéressantes des anciens voyants, surtout à leur propre usage.
6Les êtres non organiques
Pour les voyants, être en vie signifie être conscient ”, répondit-il. “ Pour l’homme ordinaire, être en vie signifie être un organisme. C’est en cela que les voyants sont différents. Le fait d’être conscient signifie pour eux que les émanations qui provoquent la conscience se trouvent enfermées dans un réceptacle
6Les êtres non organiques
Les êtres organiques sont pourvus d’un cocon qui entoure les émanations. Mais il existe d’autres créatures dont les réceptacles ne ressemblent pas à un cocon pour un voyant. Elles renferment pourtant les émanations de la conscience et elles ont des caractéristiques de vie différentes de la reproduction et du métabolisme.
6Les êtres non organiques
“ Comme quoi, don Juan ? ” “ Comme la dépendance émotionnelle, la tristesse, la joie, la colère, et ainsi de suite. Et je n’ai pas encore dit le meilleur, l’amour ; une forme d’amour que l’homme n’est même pas capable de concevoir. ”
6Les êtres non organiques
tu ne peux en aucun cas demeurer en état de conscience accrue parce que tu seras incapable de te maintenir en état de fonctionner à moins que moi-même, Genaro ou n’importe lequel des guerriers du clan du nagual ne te couvions, à chaque instant de la journée, comme je le fais en ce moment.
6Les êtres non organiques
Nous allons tous les deux poser ce miroir sur la surface du ruisseau qui se trouve près de la maison. Il est assez large et assez peu profond pour servir nos objectifs. ” “ Le but est de laisser la fluidité de l’eau exercer sa pression sur nous et nous transporter. ”
6Les êtres non organiques
Il m’ordonna de me vider de pensées et de fixer la surface du miroir. Il répéta sans cesse que le truc consistait à ne pas penser du tout. Je regardai dans le miroir avec une vive attention. Le courant léger brouilla doucement le reflet du visage de don Juan et du mien. Après quelques minutes d’une contemplation constante du miroir, il me sembla progressivement que l’image de son visage et du mien devenait beaucoup plus claire. Et le miroir s’agrandit jusqu’à mesurer au moins un mètre. Le courant semblait s’être arrêté, et le miroir apparaissait aussi clair que s’il s’était trouvé à la surface de l’eau. Plus étrange encore était la netteté de nos reflets. C’était comme si mon visage avait été grossi, non pas en dimension mais dans le sens de la précision. Je pouvais voir les pores de la peau de mon front.
6Les êtres non organiques
Don Juan me murmura doucement de ne pas fixer mes yeux ou les siens mais de laisser errer mon regard sans me concentrer sur aucune partie de nos reflets. “ Regarde fixement sans fixer ! ”, m’ordonna-t-il à plusieurs reprises en un murmure puissant. Je fis ce qu’il disait sans m’arrêter pour réfléchir à l’apparente contradiction. A ce moment-là quelque chose en moi fut saisi par ce miroir et, en fait, la contradiction disparut.
6Les êtres non organiques
“ Il est possible de regarder fixement sans fixer ”, pensai-je, et à l’instant où cette idée fut formulée, une tête apparut dans le miroir à côté de celle de don Juan et de la mienne. Elle se trouvait à ma gauche, sur la partie inférieure du miroir.
6Les êtres non organiques
Je contrôlai peu à peu ma peur. Je regardai la troisième tête et pris progressivement conscience du fait que ce n’était pas une tête humaine, ni une tête animale non plus. En fait ce n’était pas une tête du tout. C’était une forme sans mobilité interne. Au moment où cette pensée me vint, je pris immédiatement conscience que ce n’était pas moi qui la pensais. La prise de conscience elle-même n’était pas une pensée. Je fus saisi, un moment, d’une anxiété terrible puis quelque chose d’incompréhensible se révéla à moi. Ces pensées étaient une voix à mon oreille ! “ Je vois ! ”, hurlai-je en anglais, mais aucun son ne sortit. “ Oui, tu vois ”, dit en espagnol la voix à mon oreille. Je me sentis enveloppé par une force plus puissante que moi. Je ne ressentais ni souffrance ni même angoisse. Je ne ressentais rien. Je savais sans l’ombre d’un doute, parce que la voix me le disait, que je ne pourrais pas briser l’étreinte de cette force par un acte de volonté ou de violence. Je savais que j’étais en train de mourir. Je levai automatiquement les yeux pour regarder don Juan, et, l’instant où nos regards se croisèrent la force me lâcha. J’étais libre. Don Juan me souriait comme s’il savait exactement ce par quoi j’étais passé. Je me rendis compte que j’étais debout. Don Juan tenait le miroir par le côté pour que l’eau puisse dégoutter. Nous retournâmes à pied, en silence, jusqu’à la maison.
6Les êtres non organiques
Il dit que c’était bien, qu’il était naturel d’avoir peur et qu’il était mauvais et absurde de contrôler la peur. En supprimant leur terreur alors qu’ils auraient dû avoir peur à en perdre la tête, les anciens voyants se sont enlisés.
6Les êtres non organiques
Le choc que je ressentis en voyant apparaître une forme ronde sur le bord du miroir dissipa tous mes malaises. “ Que fait-on maintenant ? ” murmurai-je. “ Détends-toi et ne fixe ton regard sur rien, pas même une seconde ”, répondit-il. “ Observe tout ce qui apparaît dans le miroir. Regarde sans fixer. ”
6Les êtres non organiques
Don Juan murmura que si je me sentais sur le point d’être enveloppé par une force inhabituelle, je devais rouler les yeux dans le sens des aiguilles d’une montre ; mais il insista sur le fait que je ne devais en aucun cas lever la tête pour le regarder. Au bout d’un moment, je remarquai que le miroir réfléchissait quelque chose de plus que le reflet de nos visages et de la forme ronde. Sa surface s’était obscurcie. Des taches d’une intense lumière violette apparurent. Elles s’agrandirent. Il y avait également des taches d’un noir de jais. Puis cela se transforma en une image qui ressemblait à une photo de ciel nocturne nuageux, par clair de lune. Soudain, toute la surface fit l’objet d’une mise au point, comme s’il s’agissait d’un film. Le nouveau spectacle était une vue tridimensionnelle, stupéfiante, des profondeurs. Je sus qu’il m’était absolument impossible de résister à l’extraordinaire attrait de cette vue. Elle commença à me captiver. Don Juan me murmura avec force de rouler les yeux pour me sauver. L’exercice m’apporta un soulagement immédiat. Je pus à nouveau distinguer nos reflets et celui de l’allié. Puis l’allié disparut et réapparut encore à l’autre extrémité du miroir. Don Juan m’enjoignit de serrer le miroir de toutes mes forces. Il me prévint que je devais être calme et m’abstenir de tout mouvement brusque. “ Que va-t-il se passer ? ” murmurai-je. “ L’allié va essayer de sortir ”, répondit-il. À peine avait-il prononcé ces mots que je sentis une forte traction. Quelque chose secouait mes bras. La traction venait d’au-dessous du miroir. C’était comme une force de succion qui engendrait une pression uniforme tout autour du miroir. “ Tiens bien le miroir mais ne le casse pas ”, m’ordonna don Juan. “ Résiste à la succion. Ne permets pas à l’allié d’enfoncer le miroir trop profondément. ” La force avec laquelle nous étions aux prises était énorme. J’avais l’impression que mes doigts allaient se casser ou être écrasés sur les rochers du fond. Nous perdîmes l’équilibre à un moment donné, don Juan et moi, et dûmes descendre des rochers plats jusque dans le ruisseau. L’eau était très peu profonde, mais la violence des coups donnés par la force de l’allié autour du cadre du miroir était aussi effrayante que si nous nous étions trouvés dans une grande rivière. Autour de nos pieds, l’eau tourbillonnait follement, mais les images, dans le miroir, étaient intactes. “ Attention, cria don Juan. Le voilà ! ” La traction se transforma en poussée venue d’en dessous. Quelque chose agrippait le bord du miroir ; non pas l’extrémité extérieure du cadre, l’endroit où nous tenions celui-ci, mais celle qui bordait le verre et qui se trouvait saisie de l’intérieur du verre. C’était comme si la surface du verre était effectivement une fenêtre ouverte et que quelque chose ou quelqu’un grimpait tout simplement au travers.
6Les êtres non organiques
Don Juan observa qu’il était tout à fait naturel, dans la vie des guerriers, d’être triste sans raison manifeste. Les voyants disent que l’œuf lumineux, en tant que champ d’énergie, pressent sa destination finale dès que se brisent les frontières du connu. Un simple coup d’œil sur l’éternité qui se trouve à l’extérieur du cocon suffit à perturber le confort que nous procure notre inventaire. La mélancolie qui en résulte peut engendrer la mort.
6Les êtres non organiques
Il déclara que la meilleure façon de se débarrasser de la mélancolie est de se moquer d’elle. Il dit, d’un ton railleur, que ma première attention faisait tout ce qu’elle pouvait pour rétablir l’ordre qui avait été perturbé par mon contact avec l’allié. Comme il n’y avait aucun moyen de le rétablir par des moyens rationnels, ma première attention le faisait en concentrant tout son pouvoir sur la tristesse.
6Les êtres non organiques
Rien ne suscite une plus grande solitude que l’éternité. Et rien ne nous est plus douillet que d’être un être humain. C’est encore bien là une nouvelle contradiction – comment l’homme peut-il préserver ce qui le lie à sa condition humaine et s’aventurer pourtant joyeusement et délibérément dans la solitude absolue de l’éternité ? Dès que tu résoudras cette énigme, tu seras prêt pour le voyage définitif. ”
6Les êtres non organiques
“ Les êtres humains ne sont vraiment rien, don Juan ”, dis-je. “ Je sais exactement ce que tu penses ”, dit-il. “ Bien sûr, nous ne sommes rien, mais c’est en cela que réside le défi suprême, dans le fait que nous, qui ne sommes rien, puissions affronter la solitude de l’éternité. ”
6Les êtres non organiques
Ils avaient découvert que la seule chose qui compte est l’impeccabilité, c’est-à-dire l’énergie libérée.
6Les êtres non organiques
“ Maintenant tu comprends, bien sûr, que parler des “profondeurs” est une figure de rhétorique. Il n’y a pas de profondeurs, il n’y a que le maniement de la conscience. Mais les anciens voyants ne le comprirent jamais. ”
6Les êtres non organiques
les alliés sont attirés par l’énergie que libèrent les émotions, l’amour est aussi efficace, de même que la haine ou la tristesse.
6Les êtres non organiques
Je lui demandai si, au cas où il eût contrôlé sa peur, l’allié aurait cessé de le suivre. Il répondit que le contrôle de la peur était un truc propre aux anciens croyants. Ils la contrôlaient au point de la morceler. Ils prenaient leurs alliés à l’hameçon avec leur propre peur et, en distribuant celle-ci au compte-gouttes, comme de la nourriture, ils tenaient en fait les alliés en esclavage.
7Le point d’assemblage
Don Juan vint à côte de moi et, sans intervenir dans ma lutte, me murmura à l’oreille que je devais porter toute ma concentration sur le point médian de mon corps. Au cours des années précédentes, il avait insisté pour que je mesure mon corps au millimètre près et que je détermine son point médian exact, en longueur aussi bien qu’en largeur. Il avait toujours dit que ce point, en chacun de nous, est un vrai centre d’énergie.
7Le point d’assemblage
le fait de traiter avec les petits tyrans aide les voyants à réussir une manœuvre subtile : cette manœuvre consiste à déplacer leur point d’assemblage. ”
7Le point d’assemblage
La raison s’occupe d’instruments qui engendrent l’énergie, mais elle n’a jamais sérieusement considéré que nous étions plus que des instruments : nous sommes des organismes qui créent de l’énergie. Nous sommes une bulle d’énergie. Il n’est donc pas invraisemblable qu’une bulle d’énergie creuse une cavité dans une autre bulle d’énergie. ”
7Le point d’assemblage
“ Pourquoi faut-il qu’on oublie ? ” demandai-je. “ Parce que les émanations qui suscitent une plus grande clairvoyance cessent d’être mises en valeur quand les guerriers sortent de l’état de conscience accrue ”, répondit-il. “ Avec la disparition de cette mise en valeur, tout ce dont ils ont fait l’expérience ou dont ils ont été les témoins disparaît. ” Don Juan me dit qu’une des tâches qu’avaient conçues les nouveaux voyants pour leurs élèves consistait à les forcer à se souvenir, c’est-à-dire à remettre en valeur par eux-mêmes, plus tard, les émanations utilisées dans des états de conscience accrue.
7Le point d’assemblage
Il m’expliqua ensuite que l’on voit un état de conscience accrue non seulement comme une lueur qui pénètre plus profondément dans la forme d’œuf des êtres humains, mais aussi comme une lueur plus intense à la surface du cocon. Cela n’est pourtant rien en comparaison de la lueur engendrée par un état de conscience totale, que l’on voit comme un jaillissement incandescent dans l’œuf lumineux tout entier. C’est une explosion de lumière d’une telle ampleur que les limites de la coquille s’en trouvent diffusées et que les émanations intérieures s’étendent au-delà de l’imaginable. “ Ces cas sont-ils des cas particuliers, don Juan ? ” “ Bien sûr. Cela n’arrive qu’aux voyants. Il n’existe pas d’autres hommes ou d’autres créatures vivantes qui s’illuminent ainsi. Cela vaut la peine de contempler des voyants qui accèdent délibérément à la conscience totale. C’est à ce moment qu’ils brûlent de l’intérieur. Le feu intérieur les consume. Alors ils fusionnent en pleine conscience avec les émanations en liberté, et se fondent dans l’éternité. ”
7Le point d’assemblage
“ Chaque être vivant dispose d’un point d’assemblage qui choisit des émanations pour les mettre en valeur. Les voyants peuvent voir si les êtres sensibles ont une vision commune du monde en voyant si les émanations choisies par leurs points d’assemblage sont les mêmes. ” Il affirma que l’un des progrès les plus importants des nouveaux voyants fut de découvrir que l’endroit où se situe ce point sur le cocon de toutes les créatures vivantes ne constitue pas une caractéristique permanente mais que le point est fixé sur cet endroit spécifique par l’habitude. C’est de là que provient l’insistance acharnée des nouveaux voyants à susciter de nouvelles actions, de nouvelles possibilités pratiques. Ils veulent désespérément aboutir à de nouveaux usages, à de nouvelles habitudes.
7Le point d’assemblage
les êtres humains perdent toujours par défaut. Ils ne connaissent tout simplement pas leurs possibilités
7Le point d’assemblage
Le point d’assemblage de l’homme apparaît sur une partie définie du cocon de par le commandement de l’Aigle ”, dit-il. “ Mais l’endroit précis est déterminé par l’habitude, par des actes qui se répètent. Nous apprenons d’abord qu’il peut être placé à cet endroit, puis nous-mêmes lui commandons d’y être. Notre commandement devient le commandement de l’Aigle et ce point est fixé à cet endroit. Réfléchis très attentivement à ceci ; notre commandement devient le commandement de l’Aigle.
7Le point d’assemblage
Qu’arrive-t-il aux personnes dont le point d’assemblage perd de sa rigidité ? ” demandai-je. “ S’il ne s’agit pas de guerriers, elles pensent qu’elles sont en train de perdre la tête ”, dit-il en souriant. “ Tout comme tu as cru, une fois, que tu devenais fou. S’il s’agit de guerriers, ils savent qu’ils sont devenus fous, mais ils attendent patiemment. Vois-tu, quand on est en bonne santé et sain d’esprit, cela signifie que le point d’assemblage est fixe. Quand il se déplace, cela signifie que l’on est littéralement détraqué. ” Il me dit que les guerriers dont le point d’assemblage s’est déplacé peuvent choisir entre deux options. La première consiste à reconnaître qu’on est malade et à se comporter comme des détraqués, en réagissant émotivement aux mondes étranges que les déplacements du point d’assemblage amènent à contempler ; l’autre consiste à rester impassible, indifférent, en sachant que le point d’assemblage revient toujours à sa position d’origine.
7Le point d’assemblage
Que se passe-t-il si le point d’assemblage ne revient pas à sa position d’origine ? ” demandai-je. “ Dans ce cas, les gens sont perdus ”, dit-il. “ Ils sont incurablement fous, parce que leur point d’assemblage ne peut plus assembler le monde tel que nous le connaissons, ou bien ce sont des voyants hors de pair qui ont amorcé le mouvement qui les conduit vers l’inconnu. ” “ Qu’est-ce qui détermine l’un ou l’autre de ces comportements ? ” “ L’énergie ! L’impeccabilité ! Les guerriers impeccables restent de marbre. Ils demeurent insensibles. Je t’ai souvent dit que les guerriers peuvent voir des mondes effroyables et être, tout de suite après, en train de raconter une blague, de rire avec leurs amis ou avec des étrangers. ”
7Le point d’assemblage
Selon tous les critères ordinaires, tu étais bien en train de perdre la tête ”, dit-il, “ mais, du point de vue des voyants, tu n’aurais pas perdu grand chose. L’esprit, pour un voyant, n’est que l’auto- contemplation de l’inventaire de l’homme. Si tu perds cette auto contemplation mais que tu ne perds pas tes fondations, tu vis, en vérité, une vie infiniment plus forte que si tu l’avais conservée. ”
7Le point d’assemblage
ce sont simplement les émanations écartées par la première attention qui forment l’inconnu
7Le point d’assemblage
L’inconnaissable, quant à lui, est une éternité où notre point d’assemblage n’a aucun moyen de grouper quoi que ce soit. ”
7Le point d’assemblage
le point d’assemblage ressemble à un aimant lumineux qui sélectionne des émanations et les regroupe partout où il se déplace, dans les limites de la bande humaine d’émanations. Cette découverte fut la gloire des nouveaux voyants parce qu’elle jeta une lumière nouvelle sur l’inconnu.
7Le point d’assemblage
J’insistai à nouveau sur le fait que le mystère me semblait de toute évidence résider en nous. “ Le mystère est en dehors de nous. Il n’y a, en nous, que des émanations qui tentent de briser le cocon. Et ce fait nous paraît aberrant, de toute façon, que nous soyons des hommes ordinaires ou des guerriers. Seuls les nouveaux voyants surmontent cela. Ils luttent pour voir. Et, par le moyen des déplacements de leur point d’assemblage, ils en viennent à comprendre que le mystère réside dans la perception. Pas tant dans ce que nous percevons, mais dans ce qui nous fait percevoir. ”
7Le point d’assemblage
c’est la position du point d’assemblage qui dicte ce que perçoivent nos sens. ” “ Si le point d’assemblage aligne des émanations intérieures au cocon quand il se trouve dans une position qui n’est pas sa position normale, les sens de l’homme se mettent à percevoir selon des modes inimaginables. ”
8La position du point d’assemblage
les nouveaux voyants sont les guerriers de la liberté totale, que leur seul objectif est la libération ultime qui survient lorsqu’ils accèdent à la conscience totale.
8La position du point d’assemblage
Les guerriers se préparent à être conscients et ils n’accèdent à la pleine conscience que lorsqu’il ne reste plus de suffisance en eux. C’est seulement quand ils ne sont plus rien qu’ils deviennent tout. ”
8La position du point d’assemblage
don Juan dit que la suffisance est la force qui motive tout accès de mélancolie. Il ajouta que les guerriers sont autorisés à passer par des états de profonde tristesse mais que la tristesse ne sert qu’à les faire rire.
8La position du point d’assemblage
Il m’expliqua que le point d’articulation de tout ce qu’accomplissent les voyants est quelque chose dont il m’avait parlé depuis le jour de notre rencontre : l’interruption du dialogue intérieur. Il insista plusieurs fois sur le fait que c’est le dialogue intérieur qui maintient le point d’assemblage fixé à sa position d’origine. “ Une fois que l’on est parvenu au silence, tout est possible ”, dit-il.
8La position du point d’assemblage
Tu l’as voulu et tu as par conséquent institué une nouvelle intention, un nouveau commandement. Ton commandement est ensuite devenu le commandement de l’Aigle. ” “ C’est là une des découvertes les plus extraordinaires des nouveaux voyants : le fait que notre commandement puisse devenir le commandement de l’Aigle. Le dialogue intérieur s’interrompt comme il commence : par un acte de volonté. Après tout, ce sont ceux qui nous enseignent qui nous forcent à nous parler à nous-mêmes
8La position du point d’assemblage
En nous enseignant, ils engagent leur vouloir et nous engageons le nôtre, sans le savoir ni l’un ni l’autre. En apprenant à nous parler à nous-mêmes, nous apprenons à manier le vouloir. Nous nous imposons par le vouloir de nous parler à nous-mêmes. Pour cesser de nous parler à nous-mêmes, il faut employer la même méthode exactement : nous devons le vouloir, nous devons en avoir l’intention.
8La position du point d’assemblage
Je lui demandai de qui il parlait lorsqu’il disait qu’il y avait des personnes qui nous enseignaient à nous parler à nous-mêmes. “ Je parlais de ce qui arrive aux êtres humains lorsqu’ils sont enfants ”, répondit-il, “ une époque où tout le monde autour d’eux leur apprend à répéter un dialogue sans fin sur eux-mêmes. Le dialogue s’intériorise, et cette seule force maintient le point d’assemblage fixé. ”
8La position du point d’assemblage
les voyants voient que les enfants n’ont pas, au début, de point d’assemblage fixe. Leurs émanations intérieures se trouvent dans un état de grande agitation et leur point d’assemblage se déplace partout, au sein de la bande humaine, leur permettant de se concentrer avec force sur des émanations qui seront plus tard entièrement négligées
8La position du point d’assemblage
Le dialogue intérieur est un processus qui consolide constamment la position du point d’assemblage, parce que cette position est arbitraire et nécessite un renfort régulier. “ En réalité, beaucoup d’enfants voient, ” poursuivit-il. “ La plupart de ceux qui voient sont considérés comme des excentriques et toutes les mesures sont prises pour les corriger, pour leur faire renforcer la position de leur point d’assemblage. ”
8La position du point d’assemblage
“ Je te donnais des plantes de pouvoir pour que ton point d’assemblage se déplace ”, poursuivit don Juan. “ Les plantes de pouvoir produisent cet effet ; mais la faim, la fatigue, la fièvre et d’autres choses de ce genre peuvent produire un effet semblable. L’homme ordinaire a le tort de penser que la conséquence d’un déplacement est purement mentale. Ce n’est pas le cas, comme tu peux en témoigner toi-même. ”
8La position du point d’assemblage
Sur les deux bords de la bande humaine d’émanations, il y a un curieux amoncellement de détritus, une énorme pile de déchets humains. Il s’agit d’un dépôt très malsain, sinistre. Il avait une valeur importante pour les anciens voyants mais pas pour nous. ” “ Y tomber est extrêmement facile. Genaro et moi avons voulu te donner hier un bref exemple de ce déplacement latéral; c’est pour cela que nous avons déplacé en marchant ton point d’assemblage, mais n’importe qui peut accéder à ce dépôt en interrompant simplement son dialogue intérieur. Si le déplacement est minime, on en explique les conséquences en parlant de fantaisies de l’esprit. Si le déplacement est considérable, on parle d’hallucinations pour en désigner les conséquences. ”
8La position du point d’assemblage
Le rythme des pas amortis s’empare immédiatement de la force d’alignement des émanations intérieures au cocon que le silence intérieur a détachée. “ Cette force s’accroche tout de suite aux bords de la bande ”, poursuivit-il. “ Nous trouvons, sur le bord droit, d’innombrables visions d’activité physique, de violence, de meurtre, de sensualité. Sur le bord gauche nous trouvons la spiritualité, la religion, Dieu. Genaro et moi avons déplacé en marchant ton point d’assemblage vers les deux bords de manière à t’offrir une vue complète de cette pile de déchets humains. ”
8La position du point d’assemblage
une fois le silence intérieur instauré, les liens qui rattachent le point d’assemblage à l’endroit spécifique où il se situe commencent à se rompre, et le point d’assemblage est alors libre de se déplacer
8La position du point d’assemblage
Il dit que le déplacement s’effectue d’ordinaire vers la gauche, que la préférence pour cette direction est une réaction naturelle chez la plupart des êtres humains
8La position du point d’assemblage
certains voyants peuvent diriger ce mouvement vers des positions qui se trouvent au-dessous de l’endroit où le point se situe d’habitude. Les nouveaux voyants appellent ce déplacement le “ déplacement vers le bas ”.
8La position du point d’assemblage
Don Juan me dit aussi que parmi les nombreuses erreurs de jugement commises par les anciens voyants, l’une des plus graves consistait à déplacer leur point d’assemblage vers la région immense du bas, ce qui fit d’eux des experts dans l’art d’adopter des formes animales. Ils choisissaient divers animaux comme points de repère et appelaient ces animaux leur nagual. Ils croyaient qu’en déplaçant leur point d’assemblage vers certains endroits précis ils pourraient acquérir les caractéristiques de l’animal de leur choix, sa force, sa prudence, sa ruse, son agilité ou sa férocité.
8La position du point d’assemblage
il avait guidé mon point d’assemblage jusqu’à ce que je parvienne à isoler la bande d’émanations de la corneille, ce qui eut pour résultat de me transformer en corneille. Je posai à nouveau à don Juan la question que je lui avais posée des dizaines de fois. Je voulais savoir si je m’étais physiquement transformé en corneille ou si j’avais simplement pensé et senti comme cet animal. Il m’expliqua qu’un déplacement du point d’assemblage vers la région du bas aboutit toujours à une transformation totale. Il ajouta que si le point d’assemblage franchit un certain seuil crucial, le monde disparaît ; il cesse d’être ce qu’il est pour nous, à niveau d’homme. Il admit que ma transformation fut en effet effroyable à tous égards
8La position du point d’assemblage
Je lui demandai si d’autres organismes pouvaient déplacer leur point d’assemblage. “ Leurs points peuvent se déplacer ”, dit-il, “ mais, dans leur cas, le déplacement n’est pas volontaire. ”
8La position du point d’assemblage
“ Le point d’assemblage des autres organismes est-il également dressé à apparaître là où il est ? ” demandai-je. “ Tout organisme à sa naissance est dressé d’une façon ou d’une autre ”, répondit-il. “ Nous pouvons ne pas comprendre comment se fait leur dressage – après tout, nous ne comprenons même pas comment il se fait dans notre cas – mais les voyants voient que les nouveau-nés sont amenés par cajoleries à faire ce que fait leur espèce. C’est exactement ce qui arrive aux enfants : les voyants voient leur point d’assemblage se déplacer de tous les côtés et ils voient ensuite comment la présence des adultes fixe chaque point à un endroit précis. Il arrive la même chose à tous les autres organismes. ”
9Le déplacement vers le bas
pour ce qui est de la perception, le point d’assemblage de l’homme prend une partie des émanations déjà choisies pour l’alignement et en fait une création plus agréable au regard. “ Les écrémages des hommes ”, poursuivit don Juan, “ sont plus réels que ce que perçoivent d’autres créatures. C’est le piège qui nous guette. Ils nous paraissent si réels que nous oublions que nous les avons créés en commandant à nos points d’assemblage d’apparaître là où ils le font. Nous oublions qu’ils ne nous paraissent réels que parce que notre commandement nous intime de les percevoir comme tels. Nous avons le pouvoir d’écrémer les alignements mais nous n’avons pas le pouvoir de nous protéger de nos propres commandements. Cela reste à apprendre
9Le déplacement vers le bas
Je t’ai expliqué qu’il existe chez l’homme un point d’assemblage ”, poursuivit-il, “ et que ce point d’assemblage aligne des émanations destinées à la perception. Nous avons également parlé du fait que ce point se déplace de la position où il est fixé. Or la dernière vérité est qu’une fois que ce point d’assemblage franchit une certaine limite, il peut assembler des mondes entièrement différents du monde que nous connaissons
9Le déplacement vers le bas
Il me dit, toujours en murmurant, que certaines régions géographiques non seulement aident à ce déplacement précaire du point d’assemblage mais sélectionnent aussi des directions spécifiques pour ce déplacement. Le désert de Sonora, par exemple, aide le point d’assemblage à se déplacer au-dessous de sa position ordinaire, vers le domaine de la bête
Le feu du dedans
les guerriers sont au monde pour s’exercer à être des témoins impartiaux, de façon à comprendre le mystère de notre être et à savourer la jubilation de découvrir ce que nous sommes vraiment. C’est le but le plus élevé des nouveaux voyants. Et tous les guerriers ne l’atteignent pas.
Le feu du dedans
Il dit que l’homme moderne a quitté le royaume de l’inconnu et du mystérieux et s’est installé dans le royaume du fonctionnel. Il a tourné le dos à l’univers du pressentiment et de l’exultation et s’est réjoui d’accueillir l’univers de l’ennui.
Le feu du dedans
la Catalina et moi, et nous jouâmes jusqu’à ce que je n’éprouve plus ni pensées, ni sentiments, ni le moindre degré de conscience humaine. J’étais, pourtant, nettement conscient. Ma conscience était formée par une vague connaissance qui me donnait de l’assurance ; c’était une confiance sans bornes, une certitude physique de mon existence, non pas au sens d’un sentiment humain d’individualité, mais au sens d’une présence qui était tout.
Le feu du dedans
L’une des conséquences du fait qu’ils avaient économisé de l’énergie avait été la destruction du nid douillet mais infiniment ennuyeux et restrictif qui était le leur dans le monde de tous les jours. Leur dépression, leur disait le nagual Julian, n’était pas tellement due à la tristesse d’avoir perdu leur nid, mais au désagrément de devoir chercher une nouvelle résidence.
Le feu du dedans
“ La position du point d’assemblage sur le cocon de l’homme ”, m’expliqua don Juan, “ est maintenue par le dialogue intérieur, et pour cette raison, il s’agit, au mieux, d’une position peu solide. C’est pourquoi les hommes et les femmes perdent aussi facilement l’esprit, surtout ceux dont le dialogue intérieur est répétitif, ennuyeux, et sans profondeur. ”
Le feu du dedans
Les nouveaux voyants disent que les êtres humains les plus souples sont ceux dont le dialogue intérieur est le plus varié. ”
Le feu du dedans
Don Juan dit encore qu’un déplacement vers le bas entraînait une vision qui n’était pas celle d’un autre monde au sens propre, mais celle de notre monde quotidien lui-même, vu sous un autre angle
10Grandes bandes d’émanations
“ Qu’est-ce qui fait que ces huit bandes engendrent la conscience ? ” demandai-je. “ L’Aigle donne la conscience par le moyen de ses émanations ”, répondit-il.
10Grandes bandes d’émanations
“ Le monde dans sa totalité est composé de quarante-huit bandes ”, dit-il. “ Le monde qu’assemble notre point d’assemblage pour notre perception normale est formé de deux bandes; l’une est la bande organique et l’autre est une bande qui ne comporte qu’une structure, mais pas de conscience. Les quarante-six autres grandes bandes ne font pas partie du monde que nous percevons en temps normal. ”
10Grandes bandes d’émanations
“ Cela peut te paraître étrange ”, dit-il, “ mais les arbres, par exemple, sont plus proches de l’homme que les fourmis. Je t’ai dit qu’entre les arbres et l’homme il peut se nouer une relation importante ; c’est parce qu’ils partagent des émanations. ” “ De quelle dimension est leur cocon ? ” “ Le cocon d’un arbre gigantesque n’est pas beaucoup plus grand que l’arbre lui-même. Ce qui est intéressant, c’est que certaines toutes petites plantes ont un cocon presque aussi grand qu’un corps humain et trois fois plus large. Ce sont des plantes de pouvoir. Elles ont en commun avec l’homme la plus grande quantité d’émanations, non pas les émanations de la conscience, mais d’autres émanations en général. ”
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
les nouveaux voyants se mirent à pratiquer un contrôle systématique de leur comportement. Ils appelèrent cette pratique l’art de traquer.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
traquer est simplement un mode de comportement à l’égard des gens.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Le vouloir devint le deuxième fondement. Les nouveaux voyants le considéraient comme une explosion d’énergie aveugle, impersonnelle, incessante, qui nous incite à nous comporter comme nous le faisons. Le vouloir explique notre perception du monde des événements ordinaires et, indirectement, à travers la force de cette perception, il explique le fait que le point d’assemblage soit situé sur sa position ordinaire.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Ils l’appelèrent l’intention, et ils la decrivirent comme la manière réfléchie de guider le vouloir, l’énergie de l’alignement.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
dans les conditions de vie qui étaient les leurs, traquer ne réussissait à déplacer les points d’assemblage que dans des proportions minimes. Pour obtenir un effet maximal, il fallait traquer dans un cadre idéal ; il fallait qu’il y ait des petits tyrans occupant des positions importantes d’autorité et de pouvoir. Il devenait de plus en plus difficile aux nouveaux voyants de se trouver dans des situations de ce genre ; la nécessité d’en improviser ou d’en rechercher devint un fardeau insupportable.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Alors qu’ils tentaient de voir les émanations, ils affrontèrent un problème très sérieux. Ils découvrirent qu’il est impossible de les voir sans courir un risque mortel, et ils devaient pourtant les voir. Ce fut à ce moment-là qu’ils utilisèrent la technique du rêve des anciens voyants comme bouclier pour se protéger du coup mortel des émanations de l’Aigle. Et, en agissant ainsi, ils se rendirent compte que rêver était, en soi, le moyen le plus efficace pour déplacer le point d’assemblage.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
rêver est très dangereux et les rêveurs sont très vulnérables ”, dit-il. “ Le rêve est dangereux parce qu’il possède un pouvoir inconcevable ; il rend les rêveurs vulnérables parce qu’il les laisse à la merci de l’incompréhensible force d’alignement. ” “ Les nouveaux voyants ont compris que nous disposions, dans notre état de conscience normale, d’innombrables défenses qui peuvent nous sauvegarder contre la force des émanations inutilisées qui soudain s’alignent dans le rêve. ”
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Don Juan m’expliqua que le rêve, comme l’art de traquer, commença par une simple observation. Les anciens voyants se rendirent compte qu’au cours des rêves le point d’assemblage se déplace légèrement du côté gauche, d’une façon tout à fait naturelle. Ce point se relâche en effet quand l’homme dort et toutes sortes d’émanations inutilisées se mettent à luire. Les anciens voyants furent aussitôt intrigués par cette observation et commencèrent à travailler sur ce déplacement naturel jusqu’à ce qu’ils parviennent à le contrôler. Ils appelèrent ce contrôle rêver, ou l’art de manier le corps de rêve.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Après avoir observé les rêveurs pendant leur sommeil, les anciens voyants adoptèrent la solution qui consiste à laisser les rêves suivre leur cours naturel. Ils avaient vu que le point d’assemblage du rêveur pénétrait beaucoup plus profondément à l’intérieur du côté gauche dans certains rêves que dans d’autres. Cette observation les amena à se poser la question de savoir si c’est le contenu du rêve qui provoque le déplacement du point d’assemblage, ou si c’est le mouvement du point d’assemblage, à lui seul, qui engendre le contenu du rêve en activant des émanations inutilisées. Ils constatèrent vite que c’est le déplacement du point d’assemblage à l’intérieur du côté gauche qui engendre les rêves. Plus loin va le mouvement, plus le rêve est vif et étrange. Ils tentèrent, c’était inéluctable, de prendre le commandement de leurs rêves, dans le but de faire pénétrer profondément leur point d’assemblage dans le côté gauche. En essayant, ils découvrirent que lorsque les rêves sont consciemment ou à demi consciemment manipulés, le point d’assemblage regagne immédiatement sa place habituelle. Comme leur objectif était le déplacement de ce point, ils en conclurent forcément qu’intervenir dans les rêves revenait à intervenir dans le déplacement naturel du point d’assemblage.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Il m’expliqua que jusqu’ici j’avais compris rêver comme étant le contrôle des rêves, et que tous les exercices qu’il m’avait fait accomplir, comme celui, par exemple, de trouver mes mains dans mes rêves, ne visaient pas, malgré les apparences, à m’enseigner à commander mes rêves. Ces exercices étaient destinés à maintenir mon point d’assemblage fixé à l’endroit où il s’était déplacé pendant mon sommeil. C’est en cela que les rêveurs doivent trouver un équilibre subtil. Ils ne peuvent orienter que la fixation de leur point d’assemblage. Les voyants sont comme des pêcheurs équipés d’une ligne qui se pose où elle peut; la seule chose qu’ils puissent faire est de maintenir la ligne ancrée à l’endroit où elle s’est immergée.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Il me dit que les nouveaux voyants hésitèrent, au début, à utiliser le rêve. Ils étaient convaincus qu’au lieu de fortifier les guerriers, rêver les affaiblissait, les rendait despotiques, fantasques. C’était le cas de tous les anciens voyants. Pour compenser les effets abominables du rêve, et comme ils étaient obligés de s’en servir, les nouveaux voyants élaborèrent un système de comportement riche et complexe connu sous le nom de voie du guerrier, ou chemin du guerrier.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Don Juan insista sur le fait que la force dont il parlait n’était pas seulement la conviction. Personne ne pouvait avoir de convictions plus fortes que les anciens voyants, et pourtant ils étaient faibles jusqu’à la moelle. La force intérieure, cela signifiait un sens de l’équanimité, d’indifférence presque, un sentiment de bien-être, mais par-dessus tout, cela signifiait un penchant naturel et profond pour l’étude, pour la compréhension. Les nouveaux voyants appelaient tous ces traits de caractère la modération. “ Les nouveaux voyants sont convaincus qu’une vie impeccable mène obligatoirement en elle-même à un sens de la modération, et que celui-ci, à son tour, mène au déplacement du point d’assemblage. ”
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Tout ce qui est exigé, c’est de l’impeccabilité, de l’énergie, et cela commence par un seul acte qui doit être délibéré, précis et soutenu. On acquiert, si cet acte se répète assez longtemps, le sens d’une intention inflexible, qui peut s’appliquer à tout. Si l’on y parvient, la route se dégage. Une chose en entraîne une autre jusqu’à ce que le guerrier prenne conscience de tout son potentiel.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Il m’expliqua que mon point d’assemblage s’était déplacé et qu’il avait été conduit par la modération jusqu’à une position qui suscitait la compréhension. Il aurait aussi bien pu être conduit par une saute d’humeur vers une position qui ne fait qu’accroître la suffisance, ce qui était déjà arrivé plusieurs fois.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Je t’ai dit que les nouveaux voyants croyaient que le point d’assemblage pouvait être mû de l’intérieur. Ils franchirent un pas de plus et affirmèrent que les hommes impeccables n’avaient besoin de personne pour les guider et, qu’en économisant leur énergie ils peuvent faire, seuls, tout ce que font les voyants
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
“ Les nouveaux voyants se fichaient pas mal d’obtenir une réplique parfaite du corps ; en fait, imiter le corps ne les intéressait pas du tout. Mais ils ont conservé seulement l’expression de corps de rêve pour désigner un sentiment, une vague d’énergie que le déplacement du point d’assemblage transporte n’importe où au sein de ce monde, ou n’importe où au sein des sept mondes accessibles à l’homme. ”
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
Don Juan esquissa ensuite le procédé nécessaire pour parvenir au corps de rêve. Il me dit que cela commence par un acte initial, dont la prolongation engendre une intention inflexible. L’intention inflexible conduit au silence intérieur, et le silence intérieur mène à la force intérieure nécessaire pour déplacer le point d’assemblage, dans les rêves, vers des positions appropriées.
11L’art de traquer, l’intention, et la position de rêve
“ Ce dont nous avons le plus grand besoin, c’est de modération, et personne ne peut nous la procurer ou nous aider à l’obtenir que nous-mêmes. Sans elle, le déplacement du point d’assemblage est chaotique, comme sont chaotiques nos rêves ordinaires. ”
12Le nagual Julian
“ Tu n’arrives pas à te souvenir parce que tu ne disposes pas encore du vouloir, ” dit-il. “ Tu dois mener une vie impeccable et avoir un gros excédent d’énergie, alors peut-être le vouloir libérera-t-il ces souvenirs. ”
12Le nagual Julian
Voulez-vous dire, don Juan, que les seules personnes qui aident leurs semblables sont celles qui s’en moquent éperdument ? ” demandai-je, vraiment vexé. “ C’est ce que disent les traqueurs, ” dit-il avec un grand sourire.
12Le nagual Julian
“ Je m’intéresse tellement à mes semblables ”, poursuivit-il, “ que je ne fais rien pour eux. Je ne saurais pas quoi faire. Et je serais tout le temps harcelé par l’idée que je leur impose ma volonté par mes cadeaux. ” “ Bien sûr, j’ai surmonté tous ces sentiments en suivant la voie du guerrier. Tout guerrier peut réussir, dans ses relations avec les gens, comme l’avait fait le nagual Julian, à condition de déplacer son point d’assemblage jusqu’à une position où il lui devient indifférent que les gens l’aiment, ne l’aiment pas, ou le dédaignent
12Le nagual Julian
des traqueurs comme le nagual Julian sont des chefs naturels pour les gens. Ils peuvent les aider à faire n’importe quoi. “ Le nagual Elias disait que ces guerriers peuvent aider les gens à guérir ”, poursuivit don Juan, “ ou les aider à tomber malade. Ils peuvent les aider à trouver le bonheur, ou les aider à trouver la peine. Je suggérai au nagual Elias qu’au lieu de dire que ces guerriers aident les gens, il faudrait dire qu’ils exercent leur influence sur eux. Il me dit qu’ils n’influencent pas seulement les gens, mais qu’ils les conduisent activement comme un troupeau. ”
12Le nagual Julian
mon benefactor était comme les anciens voyants ; il était capable de distribuer sa peur au compte-gouttes, et l’allié réagissait à cela. Je ne le savais pas. Tout ce que je voyais de mes propres yeux était une créature horrifiante qui avançait sur nous, prête à nous déchirer en lambeaux
12Le nagual Julian
“ Avec son penchant pour le drame, poursuivit don Juan, mon benefactor réussit à déplacer mon point d’assemblage au point de m’imprégner directement d’une sensibilité irrésistible aux deux qualités de base des guerriers : l’effort soutenu et l’intention inflexible. Je compris que pour être de nouveau libre un jour, je devrais agir d’une manière méthodique et régulière et en collaboration avec le vieil homme fragile,
12Le nagual Julian
Ce sont des changements très durables ; vois-tu, en épaulant l’apprenti, le maître traqueur obtient la pleine coopération et la pleine participation de l’apprenti. Obtenir la pleine coopération et la pleine participation de quelqu’un est pratiquement l’aboutissement le plus important de la méthode des traqueurs
12Le nagual Julian
“ En te parlant de mon envie ”, poursuivit-il, “ je tente de t’indiquer quelque chose de très important, à savoir que la position de notre point d’assemblage dicte notre manière de nous comporter et la nature de nos sentiments. ” “ Mon grand défaut, à cette époque, était de ne pas pouvoir comprendre ce principe. J’étais sans expérience. Je vivais par le biais de ma suffisance, comme tu le fais, parce que c’était là que se situait mon point d’assemblage.
12Le nagual Julian
Vois-tu, je n’avais pas encore appris que, pour déplacer ce point, il faut instaurer de nouvelles habitudes, vouloir qu’il se déplace. Quand il s’est déplacé effectivement, ce fut comme si je venais de découvrir que le seul moyen de traiter avec des guerriers hors de pair comme mon benefactor consiste à être dépourvu de suffisance, de façon à pouvoir les célébrer impartialement. ”
12Le nagual Julian
Don Juan ajouta que le nagual Julian était un magicien, un prestidigitateur qui pouvait manier la force du vouloir à un degré qui serait incompréhensible pour l’homme ordinaire. Ses drames comportaient des personnages magiques, appelés par la force de l’intention, comme l’être non organique qui pouvait adopter une forme humaine grotesque. “ Le pouvoir du nagual Julian était si impeccable qu’il pouvait forcer à se déplacer le point d’assemblage de n’importe quelle personne et aligner des émanations qui lui faisaient percevoir tout ce que voulait le nagual Julian. Il pouvait, par exemple, apparaître très vieux ou très jeune pour son âge selon ce qu’il voulait accomplir. Et ceux qui connaissaient le nagual ne pouvaient dire qu’une chose a propos de son âge, à savoir qu’il variait. Au cours des trente-deux ans où je l’ai connu, il n’était parfois pas beaucoup plus âgé que tu ne l’es maintenant, et parfois si pitoyablement vieux qu’il ne pouvait même pas marcher. ”
12Le nagual Julian
Mon benefactor me dit que mon père et ma mère avaient vécu uniquement pour m’engendrer, et que leurs propres parents avaient fait de même envers eux. Il ajouta que les guerriers étaient différents parce qu’ils déplacent assez leur point d’assemblage pour prendre conscience du prix énorme qu’a coûté leur vie. Ce déplacement leur donne le respect et l’admiration mêlée de crainte que leurs parents n’ont jamais éprouvés à l’égard de la vie en général, ou envers le fait d’être vivant en particulier
13L’impulsion de la terre
“ J’ai attendu que tu me poses la seule question éloquente que tu pourrais poser, mais tu ne l’as jamais fait ”, poursuivit-il. “ Tu t’obstines à demander si tout le mystère est en nous. Mais tu progresses. ” “ L’inconnu ne se trouve pas vraiment à l’intérieur du cocon de l’homme, dans les émanations qui ne sont pas touchées par la conscience et pourtant, d’une certaine façon, il s’y trouve. C’est ce point que tu n’as pas compris.
13L’impulsion de la terre
Don Juan me répéta à plusieurs reprises que la portion des émanations qui se trouvent à l’intérieur du cocon de l’homme n’est destinée qu’à la conscience et que la conscience réside dans le fait d’accorder cette portion d’émanations avec la même portion d’émanations en liberté. On les appelle les émanations en liberté parce qu’elles sont immenses ; et lorsqu’on dit que l’inconnaissable se trouve en dehors du cocon de l’homme, cela revient à dire que l’inconnaissable est au sein du cocon de la terre. Cependant, au sein du cocon de là terre se trouve aussi l’inconnu, et l’inconnu, dans le cocon de l’homme, ce sont les émanations qui ne sont pas touchées par la conscience. Quand la lueur de la conscience les touche, elles deviennent actives et peuvent s’aligner avec les émanations en liberté qui leur correspondent. Quand cela se produit, l’inconnu est perçu et devient le connu.
13L’impulsion de la terre
Genaro est séparé de nous en ce moment par la force de la perception ”, dit calmement don Juan. “ Quand le point d’assemblage assemble un monde, ce monde est total. Voilà le prodige sur lequel sont tombés les anciens voyants sans jamais comprendre sa nature : la conscience de la terre peut nous donner une impulsion qui nous sert à aligner d’autres grandes bandes d’émanations, et la force de ce nouvel alignement fait disparaître le monde.
14La force roulante
Il répéta, comme s’il voulait me le faire entrer en tête à la foreuse, que l’alignement est une force unique parce qu’elle peut soit aider le point d’assemblage à se déplacer, soit le maintenir fixé à sa position ordinaire. Il dit que l’aspect de l’alignement qui maintient le point immobile est le vouloir; et l’aspect qui provoque son déplacement est l’intention. Comme le vouloir, la force d’alignement impersonnelle, se transforme en intention, la force personnalisée qui est au service de chaque individu, c’est, observa-t-il, un des mystères les plus obsédants qui soient. “ Le plus étrange, dans ce mystère, c’est que la transformation soit si facile à accomplir ”, poursuivit-il. “ Mais ce qui est moins facile, c’est de nous convaincre nous-mêmes qu’elle est possible. C’est cela, cela même, qui constitue notre cran de sécurité. Nous devons être convaincus. Et personne de nous ne veut l’être. ”
14La force roulante
déplacer le point d’assemblage de son cadre naturel et le maintenir fixé à un autre emplacement, c’est dormir ; les voyants apprennent, par la pratique, à dormir et à se comporter pourtant comme si de rien n’était.
14La force roulante
Il ajouta, après une brève pause, que pour voir le cocon de l’homme, il faut contempler les gens par derrière, pendant qu’ils s’éloignent en marchant. Il est inutile de contempler les gens face à face, parce que le devant du cocon en forme d’œuf de l’homme est pourvu d’un écran de protection, que les voyants appellent la plaque antérieure. Il s’agit d’un écran pratiquement inattaquable, inébranlable, qui nous protège toute notre vie contre l’assaut d’une force singulière qui provient des émanations elles-mêmes.
14La force roulante
Il me dit ensuite de me détendre les muscles, de faire taire mon dialogue intérieur, et de laisser mon point d’assemblage dériver sous l’emprise du silence intérieur. Il m’exhorta à me frapper, doucement, mais fermement le flanc droit, entre l’os iliaque et la cage thoracique. Je le fis trois fois et je m’endormis profondément. C’était un état de sommeil très particulier. Mon corps était endormi, mais j’étais parfaitement conscient de tout ce qui se passait. J’entendais don Juan qui me parlait et je suivais chacune de ses phrases comme si j’étais éveillé, mais il m’était impossible de faire le moindre mouvement avec mon corps.
14La force roulante
Don Juan me chuchota à l’oreille que, si je le voulais, mes yeux pouvaient ralentir tout ce sur quoi ils se fixaient. Puis il me prévint qu’un autre homme arrivait. Je me rendis compte à cet instant qu’il y avait deux voix. Celle que je venais d’entendre était la même que celle qui m’avait engagé à être patient. C’était celle de don Juan. L’autre, celle qui m’avait dit de me servir de mes yeux pour ralentir le mouvement, était la voix de voir.
Le feu du dedans
Les écrans représentent pour nous un grand secours et une grande entrave. Ils nous apaisent en même temps qu’ils mystifient. Ils nous donnent un sentiment fallacieux de sécurité. ”
Le feu du dedans
Il souligna que voir est un euphémisme qui désigne le déplacement du point d’assemblage et que si je déplaçais le mien un rien de plus vers la gauche, j’aurais une image claire des boules de feu, une image que je pourrais alors interpréter comme un souvenir.
Le feu du dedans
Quand le point d’assemblage se déplace involontairement, la force roulante fend le cocon ”, poursuivit-il. “ J’ai parlé plusieurs fois d’un trou qui se trouve sous le nombril de l’homme. Il ne se situe pas, en réalité, sous le nombril, mais dans le cocon, à la hauteur du nombril. Ce trou ressemble plutôt à une cavité, à une défectuosité naturelle du cocon qui, par ailleurs, est lisse. C’est là que le culbuteur nous frappe continuellement et c’est là que le cocon se fend. ” Il continua, et m’expliqua que lorsqu’il s’agit d’un déplacement mineur du point d’assemblage, la fente est très petite, le cocon se répare vite lui-même et les gens subissent ce qui arrive à tout le monde un jour ou l’autre : la vision de tâches de couleurs et de formes contournées qui persiste même si l’on ferme les yeux. Lorsqu’il s’agit d’un déplacement considérable, la fente est elle aussi très grande et il faut du temps au cocon pour se réparer, comme dans le cas des guerriers qui utilisent des plantes de pouvoir exprès pour provoquer ce déplacement, ou des gens qui se droguent et aboutissent sans le savoir au même résultat; dans ce genre de cas, les hommes ont froid et se sentent engourdis ; ils ont du mal à parler et même à penser ; tout se passe comme s’ils avaient été gelés de l’intérieur. Don Juan me dit que lorsque le point d’assemblage se déplace d’une manière radicale sous l’effet d’un traumatisme ou d’une maladie mortelle, la force roulante provoque une fente de la longueur du cocon ; le cocon s’effondre et s’enroule sur lui-même et l’individu meurt. “ Un déplacement volontaire peut-il également provoquer un trou de cette nature ? ” demandai-je. “ Parfois ”, répondit-il. “ Nous sommes vraiment fragiles. Tandis que le culbuteur nous frappe sans discontinuer, la mort nous atteint à travers le trou. La force roulante, c’est la mort. Quand elle trouve un point faible dans le trou d’un être lumineux, elle le fend automatiquement et provoque son effondrement. ” “ Tous les êtres vivants ont-ils un trou ? ” demandai-je. “ Bien sûr ”, répondit-il. “ S’ils n’en avaient pas ils mourraient. Les trous sont cependant de différentes tailles et de différentes configurations. Le trou de l’homme est une dépression en forme de cuvette, de la dimension d’un poing, ce qui représente une configuration très fragile et vulnérable. Le trou des autres créatures organiques ressemble beaucoup à celui de l’homme ; certains sont plus résistants que les nôtres, d’autres plus fragiles. Mais le trou des êtres non organiques est vraiment différent. Il ressemble à un long fil, un cheveu de luminosité ; les êtres non organiques sont, en conséquence, infiniment plus solides que nous. ”
Le feu du dedans
Parce qu’ils se sont familiarisés avec la force roulante grâce à la maîtrise de l’intention, les nouveaux voyants ouvrent, à un moment donné, leur propre cocon et la force les inonde au lieu de les faire rouler comme une tique recroquevillée. Cela a pour résultat final leur désintégration totale et instantanée.
Le feu du dedans
il est infiniment plus facile de détruire une chose que de la construire et de l’entretenir.
15Les provocateurs de la mort
Ils avaient non seulement découvert et utilisé l’impulsion de la terre, mais ils avaient également découvert que s’ils restaient enterrés, leurs points d’assemblage alignaient des émanations inaccessibles d’ordinaire, et que cet alignement mettait en œuvre le pouvoir étrange et inexplicable de la terre à détourner les coups incessants de la force roulante. Ils élaborèrent donc les techniques les plus ébahissantes et les plus complexes pour s’enterrer pendant de très longues périodes sans subir aucun préjudice. Dans leur lutte contre la mort, ils apprirent à étirer ces périodes jusqu’à ce qu’elles couvrent des millénaires.
15Les provocateurs de la mort
il me chuchota à l’oreille de ne pas me soucier des procédés, parce que la plupart des choses vraiment hors du commun qui arrivent aux voyants, ou d’ailleurs à l’homme ordinaire, arrivent toutes seules, avec la seule intervention de l’intention.
15Les provocateurs de la mort
Don Juan avait dit que ce qui pouvait nous arriver de pire serait de devoir mourir, et que, comme il s’agit déjà là de notre destin immuable, nous sommes libres ; ceux qui ont tout perdu n’ont plus rien à craindre.
15Les provocateurs de la mort
“ Tu es tout à fait endormi, sans qu’il te faille être allongé, répondit-il. Si des gens se trouvant dans un état de conscience normale te voyaient maintenant, tu leur paraîtrais légèrement pris de vertige, saoul même. ” Il m’expliqua qu’au cours du sommeil normal le point d’assemblage se déplace le long d’un bord ou de l’autre de la bande humaine. Ces déplacements sont toujours accompagnés d’assoupissement.
15Les provocateurs de la mort
Les déplacements qui sont déclenchés par la pratique s’effectuent le long de la section médiane de la bande humaine et ne sont pas accompagnés d’assoupissement, et pourtant un rêveur dort.
16Le moule de l’homme
C’est la maîtrise de la conscience qui donne au point d’assemblage l’impulsion qui lui est nécessaire. Après tout, nous sommes, nous les êtres humains, vraiment peu de chose ; nous sommes, essentiellement, un point d’assemblage fixé sur une certaine position. Notre ennemi, aussi bien que notre ami, est notre dialogue intérieur, notre inventaire. Sois un guerrier, fais taire ton dialogue intérieur ; dresse ton inventaire puis jette-le. Les nouveaux voyants dressent des inventaires précis, puis s’en gaussent. Débarrassé de l’inventaire, le point d’assemblage se libère.
16Le moule de l’homme
“ Tu mettras longtemps à pouvoir appliquer le principe selon lequel ton commandement est le commandement de l’Aigle ”, me dit-il. “ Cela est l’essence même de la maîtrise de l’intention. Entre-temps, commande-toi à toi-même de ne pas te tourmenter, même dans les pires moments de doute. Il y aura un long processus avant que ce commandement ne soit entendu et obéi comme s’il était celui de l’Aigle. ”
16Le moule de l’homme
“ Les nouveaux voyants recommandent de se livrer à un acte très simple lorsqu’ils sont menacés par l’impatience, le désespoir, la colère ou la tristesse. Ils recommandent aux guerriers de rouler des yeux. Quelle que soit la direction dans laquelle s’effectue ce roulement, elle fera l’affaire : moi, je préfère rouler des yeux dans le sens des aiguilles d’une montre. ” “ Le mouvement des yeux provoque un déplacement momentané du point d’assemblage. Ce mouvement te procurera un soulagement. Cela se fait en lieu et place de la véritable maîtrise de l’intention. ”
17Le voyage du corps de rêve
“ La seule chose qui apaise ceux qui voyagent dans l’inconnu est l’oubli ”, dit-il. “ Quel soulagement que d’être dans le monde ordinaire ! ”
17Le voyage du corps de rêve
j’ai déplacé ton point d’assemblage au-delà de la position où il n’existe plus de doutes. Il y a deux positions de ce genre pour les guerriers. Dans l’une, tu n’as plus de doutes parce que tu sais tout. Dans l’autre, qui est l’état de conscience normale, tu n’as pas de doutes parce que tu ne sais rien. ”
17Le voyage du corps de rêve
Il m’expliqua que je devais comprendre que la rationalité est une condition de l’alignement, la simple conséquence de la position du point d’assemblage. Il insista sur le fait que je devais comprendre cela pendant que je me trouvais dans un état de grande vulnérabilité, comme c’était le cas alors. Le comprendre quand mon point d’assemblage avait atteint la position où il n’existe plus de doutes était inutile, parce que, dans cette position, des découvertes de cette nature sont monnaie courante. Il était également inutile de le comprendre lorsqu’on était dans un état de conscience normale ; dans un tel état, des découvertes de ce genre sont des bouffées émotionnelles qui ne valent que le temps de l’émotion.
17Le voyage du corps de rêve
Le mystère réside dans la position de rêve. Si celle-ci est assez forte pour t’attirer, tu peux aller jusqu’aux confins de ce monde, ou au-delà, tout comme les anciens voyants l’ont fait. Ils disparaissaient de ce monde parce qu’ils se réveillaient dans une position de rêve qui se trouvait au-delà des limites du connu. Le jour dont nous parlons, ta position de rêve était dans ce monde, mais très loin de la ville d’Oaxaca. ” “ Comment un tel voyage se produit-il ? ” demandai-je. “ Il est impossible de savoir comment cela se passe ”, dit-il. “ Une forte émotion, une intention inflexible, ou un grand intérêt, servent de guides ; ensuite, le point d’assemblage se fixe puissamment sur la position de rêve, assez longtemps pour y entraîner toutes les émanations intérieures au cocon. ”
18Franchir la barrière de la perception
Assembler d’autres mondes n’est pas seulement une affaire de pratique mais une affaire d’intention, ” poursuivit-il. “ Et il ne s’agit pas d’un simple exercice qui consiste à sortir de ces mondes en bondissant, comme si l’on était tiré par un élastique. Vois-tu, un voyant doit être audacieux. Une fois que tu franchis la barrière de la perception, tu n’as pas à revenir au même endroit, dans le monde. Comprends-tu ce que je veux dire ? ”
Épilogue
“ Les anciens voyants disaient que si les guerriers doivent poursuivre un dialogue intérieur, ils doivent poursuivre le bon dialogue. Cela signifiait, pour les anciens voyants, un dialogue sur la sorcellerie et sur le renforcement de leur autocontemplation. Pour les nouveaux voyants, il n’est pas question de dialogue, mais de la manipulation détachée de l’intention par le truchement de commandements modérés. ”
Épilogue
Il répéta à plusieurs reprises que la manipulation de l’intention commence par un commandement que l’on s’adresse à soi-même ; ce commandement est ensuite répété jusqu’à ce qu’il devienne le commandement de l’Aigle, et alors le point d’assemblage se déplace, en conséquence, au moment où les guerriers accèdent au silence intérieur.
Épilogue
les nouveaux voyants découvrirent que si l’on provoque un déplacement continuel du point d’assemblage jusqu’aux confins de l’inconnu mais qu’on le fait revenir vers une position qui se trouve à la limite du connu, il traverse alors, comme l’éclair lorsqu’il est soudain libéré, le cocon de l’homme tout entier, en alignant d’un seul coup toutes les émanations intérieures au cocon. “ Les nouveaux voyants brûlent de la force de l’alignement ”, poursuivit don Juan, “ de la force de la volonté, qu’ils ont transformée en force de l’intention par une vie impeccable. L’intention est l’alignement de toutes les émanations de la conscience, il est donc juste de dire que la liberté totale signifie la conscience totale. ” “ Est-ce là ce que vous allez tous faire, don Juan ? ” demandai-je. “ Absolument, si nous avons assez d’énergie ”, répondit-il. “ La liberté est le don de l’Aigle à l’homme. Très peu d’hommes, malheureusement, comprennent que tout ce qu’il nous faut, pour accepter un don aussi magnifique, c’est posséder suffisamment d’énergie. ”
Épilogue
Nous savons maintenant que nous sommes restés pour nous souvenir de la conscience accrue et recouvrer la totalité de nous-même. Et nous savons aussi que plus nous nous souvenons, plus notre allégresse, notre interrogation sont intenses, mais plus grands sont aussi nos doutes, notre trouble. Jusqu’à présent, on dirait que nous ne sommes restés que pour être tourmentés par les questions les plus fondamentales sur la nature et le destin de l’homme, jusqu’au moment où nous aurons peut-être assez d’énergie non seulement pour vérifier tout ce que don Juan nous a appris, mais