De zéro à un
Highlights
3 - TOUTES LES ENTREPRISES HEUREUSES SONT DIFFÉRENTES
Les Américains mythifient la concurrence et lui attribuent le pouvoir de nous épargner les files d’attente que subissent les affamés des régimes socialistes. En réalité, le capitalisme et la concurrence sont à l’opposé l’un de l’autre. Le capitalisme se fonde sur l’accumulation du capital, mais en situation de concurrence parfaite, cette concurrence annihile tous les profits. Pour les créateurs d’entreprise, la leçon est claire : si vous voulez créer et capter une valeur qui soit durable, ne créez pas une entreprise dans le secteur indifférencié des biens de consommation.
3 - TOUTES LES ENTREPRISES HEUREUSES SONT DIFFÉRENTES
Les tenants du monopole mentent pour se protéger. Ils savent qu’en se vantant de leur position exclusive ils s’exposent à la vérification à l’examen et aux attaques. Comme ils veulent que leur monopole continue de réaliser des profits sans encombre, ils tendent à faire tout leur possible pour le dissimuler – généralement en exagérant la puissance de leurs concurrents (pourtant inexistants).Songez au discours de Google sur sa propre activité. Le groupe se garde bien d’affirmer qu’il détient un monopole. Mais s’agit-il d’un monopole ? En fait, cela dépend : un monopole de quoi ? Disons que Google est d’abord et avant tout un moteur de recherche. En mai 2014, il possédait environ 68 % du marché des moteurs de recherche. (Ses plus proches concurrents, Microsoft et Yahoo!, en détiennent respectivement 19 % et 10 %.) Si cela ne vous semble pas une position suffisamment dominante, considérez le fait que le terme « google » est désormais une entrée de l’Oxford English Dictionary – ce nom propre est devenu un verbe. N’espérez pas trop que Bing, le moteur de recherche de Microsoft, connaisse le même destin.Mais supposons que l’on définisse Google comme étant d’abord et avant tout un groupe publicitaire. Cela suffit à changer le point de vue. Le marché américain de la publicité des moteurs de recherche représente 17 milliards de dollars annuels. La publicité en ligne représente 37 milliards de dollars annuels. La totalité du marché publicitaire américain pèse 150 milliards de dollars. Et le marché publicitaire mondial représente 495 milliards de dollars. Par conséquent, même si Google monopolisait totalement le marché américain de la publicité sur les moteurs de recherche, le groupe de Mountain View ne détiendrait que 3,4 % du marché publicitaire mondial. Sous cet angle, Google semble être un acteur de petite taille dans un monde très concurrentiel.
3 - TOUTES LES ENTREPRISES HEUREUSES SONT DIFFÉRENTES
Les créateurs d’entreprise ont toujours une tendance à minimiser l’ampleur de la concurrence, mais c’est la plus grande erreur que puisse commettre une start-up. Une tentation fatale les guette, celle de décrire leur marché comme étant extrêmement étroit, de sorte qu’elles le domineraient par définition.
3 - TOUTES LES ENTREPRISES HEUREUSES SONT DIFFÉRENTES
À l’opposé du marché de la restauration locale, si concurrentiel, PayPal était à l’époque la seule entreprise au monde de paiement par e-mail. Nous employions moins de personnel que les restaurants de Castro Street, mais notre activité valait bien plus que celle de tous ces établissements combinés. Il est très dur de gagner sa vie en ouvrant un nouveau restaurant indien servant une cuisine du Sud du pays. Au cas où vous perdriez de vue la réalité de ce marché si concurrentiel et où vous vous attacheriez à des facteurs de différenciation très banals – vous vous figurez peut-être que votre naan est supérieur parce que c’est la recette de votre arrière-grand-mère –, votre affaire ne risque guère de survivre.
3 - TOUTES LES ENTREPRISES HEUREUSES SONT DIFFÉRENTES
les critiques et les notations comparables à celles du star system, propres au guide Michelin, imposent une culture d’intense compétition susceptible de faire perdre la raison aux grands chefs. (Bernard Loiseau, chef français titulaire de trois étoiles Michelin, eut un jour ce propos : « Si je perds une étoile, je me suicide. » Michelin lui laissa ses étoiles mais, en 2003, après la rétrogradation de son restaurant par un autre guide, Loiseau se suicida bel et bien.) Cet écosystème concurrentiel force les individus à se montrer impitoyables ou les pousse vers la mort.
3 - TOUTES LES ENTREPRISES HEUREUSES SONT DIFFÉRENTES
sérieux sans pour autant mettre sa propre existence en péril. Dans le monde des affaires, soit l’argent compte, soit l’argent compte par-dessus tout. Les monopolistes peuvent se permettre de penser à autre chose que de gagner de l’argent : les antimonopolistes, non. Dans une situation de concurrence parfaite, l’entreprise est tellement concentrée sur les marges du présent qu’elle ne peut planifier aucun avenir à long terme. Un seul facteur permet à une entreprise de transcender la lutte journalière brute pour la survie : les bénéfices du monopole.
3 - TOUTES LES ENTREPRISES HEUREUSES SONT DIFFÉRENTES
la réussite d’une entreprise est exactement proportionnelle à sa capacité à faire ce que d’autres ne savent pas faire
3 - TOUTES LES ENTREPRISES HEUREUSES SONT DIFFÉRENTES
Toutes les entreprises heureuses sont différentes : chacune d’entre elles détient un monopole en résolvant un problème unique. Toutes les compagnies qui échouent sont identiques : elles n’ont pas su échapper à la concurrence.
3 - TOUTES LES ENTREPRISES HEUREUSES SONT DIFFÉRENTES
pourquoi les économistes sont-ils si obsédés par la concurrence, considérée comme l’état idéal ? Il s’agit d’une relique de l’histoire. Pour leurs calculs mathématiques, ils se sont inspirés du travail des physiciens du xixe siècle : ils voient les individus et les entreprises comme des atomes interchangeables, pas comme des sources de création uniques en leur genre.
3 - TOUTES LES ENTREPRISES HEUREUSES SONT DIFFÉRENTES
Les monopoles alimentent le progrès parce que la promesse d’années voire de décennies de profits monopolistiques incite fortement à l’innovation. Ensuite, les monopoles peuvent continuer d’innover car leurs profits leur permettent d’élaborer des projets de long terme et de financer d’ambitieux programmes de recherche dont les entreprises confrontées avec la concurrence ne sauraient rêver.
4 - L’IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTITION
la concurrence n’est pas seulement un concept économique ou un simple inconvénient auxquels les individus et les compagnies sont confrontés dans le cadre du marché. La concurrence est avant tout une idéologie – la seule et unique idéologie – qui envahit nos sociétés et déforme notre pensée. Nous prêchons la concurrence, nous en intériorisons la nécessité et nous en appliquons les commandements ; en conséquence, nous nous laissons prendre à ce piège, alors que plus nous nous livrons à la concurrence, moins nous y gagnons.
4 - L’IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTITION
Le monopole créatif est synonyme de nouveaux produits qui profitent à tout le monde et de bénéfices durables pour leur créateur. La concurrence est synonyme d’absence de profits pour tous, d’absence de différenciation significative et de lutte pour la survie
4 - L’IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTITION
Notre système éducatif reflète et alimente notre obsession de la compétition. Le principe même de la notation permet de mesurer précisément la compétitivité de chaque étudiant ; les détenteurs des meilleures notes accèdent à un statut et se créent des références. Nous enseignons à chacun de ces jeunes gens les mêmes sujets de manière à peu près similaire, indépendamment de leur talent ou de leurs préférences individuels. On fait en sorte que les élèves qui ne donnent pas le meilleur d’eux-mêmes en restant assis à un bureau se sentent inférieurs, alors que les enfants qui excellent selon les critères conventionnels, notamment les contrôles ou les devoirs, en viennent à se définir en fonction de cette réalité universitaire
4 - L’IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTITION
Pour avoir le privilège de devenir des personnages conformistes, ces étudiants (ou leur famille) déboursent des centaines de milliers de dollars dans des frais de scolarité, en hausse phénoménale, constamment supérieure à l’inflation.
4 - L’IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTITION
Les professeurs minimisent l’aspect féroce de l’université, mais les managers ne se lassent jamais de comparer les affaires à la guerre
4 - L’IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTITION
Les métaphores guerrières envahissent le langage des affaires au quotidien : nous recourons à des chasseurs de tête pour constituer une force de vente qui nous permettra de nous emparer d’un marché captif et de faire un massacre. Mais en réalité c’est la compétition, pas le monde des affaires, qui est comparable à la guerre : réputée nécessaire, prétendue valeureuse, mais en fin de compte destructrice.
4 - L’IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTITION
quand on mène une guerre qui n’en vaut pas la peine, tout le monde est perdant
4 - L’IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTITION
Parfois, il faut bel et bien se battre. Et lorsque c’est le cas, il vaut mieux se battre et vaincre. Il n’y a pas de moyen terme : soit on ne joue pas des poings du tout, soit on frappe fort pour l’emporter rapidement.
4 - L’IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTITION
Si vous savez identifier dans la concurrence une force destructrice plutôt qu’un signe de valeur, vous êtes déjà plus sain d’esprit que la majorité
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
une grande entreprise se caractérise par son aptitude à générer des flux de trésorerie dans le futur. Les investisseurs attendent de Twitter qu’il soit capable d’engranger les bénéfices de son monopole, au cours de la prochaine décennie, alors que les perspectives monopolistiques des journaux sont révolues.En termes simples, la valeur actuelle d’une entreprise est la somme de tout l’argent qu’elle gagnera dans le futur. (Pour correctement valoriser une entreprise, il faut aussi actualiser ces flux de liquidités futurs à leur valeur présente, car une somme d’argent donnée vaut aujourd’hui davantage que la même somme dans le futur.)
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
L’essentiel de la valeur des entreprises à croissance lente se situe dans le court terme.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
En mars 2001, PayPal n’avait pas encore enregistré de bénéfices, mais notre chiffre d’affaires croissait de 100 % d’une année sur l’autre. En effectuant une projection de nos futurs flux de trésorerie, j’ai pu constater que 75 % de la valeur actuelle de la société viendraient de profits générés en 2011 et au-delà – difficile à croire, pour une entreprise en activité depuis seulement vingt-sept mois. Et pourtant, ces chiffres se révélèrent sous-estimés. Aujourd’hui, PayPal continue de croître à un rythme annuel d’environ 15 %, et le taux d’actualisation est plus lent que dix ans plus tôt. Il semble maintenant que l’essentiel de la valeur de l’entreprise émanerait de profits de l’année 2020 et au-delà.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Pour qu’une entreprise génère de la valeur, il faut qu’elle croisse et qu’elle dure, mais beaucoup de chefs d’entreprise se concentrent surtout sur la croissance à court terme. Ils ont une excuse : la croissance est facile à mesurer, pas la durabilité.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Si on se concentre avant tout sur la croissance à court terme, on omet de se poser la question la plus importante : cette entreprise sera-t-elle encore là d’ici dix ans ? Les chiffres seuls ne suffiront pas à vous apporter la réponse ; il importe plutôt d’avoir une réflexion critique sur les caractéristiques qui distinguent votre entreprise sur un plan qualitatif.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Une technologie exclusive constitue l’avantage le plus substantiel qu’est susceptible de détenir une entreprise, parce que cela rend votre produit difficile ou impossible à répliquer. Les algorithmes de recherche de Google, par exemple, fournissent des résultats supérieurs à tous les autres. Ses technologies exclusives permettant des temps de chargement de pages extrêmement courts et un mode de saisie semi-automatique des requêtes ajoutent à la solidité et à la validité du produit qui est au cœur du moteur de recherche. Il serait très difficile de reproduire ce que Google a réussi à faire subir à ses concurrents au début des années 2000.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
En règle générale, une technologie exclusive doit être au moins dix fois plus efficace que son plus proche substitut, et dans un domaine important, pour que cela puisse déboucher sur un véritable avantage monopolistique. Tout ce qui sera d’un ordre de grandeur inférieur sera sans doute perçu comme une amélioration marginale et restera difficile à vendre, surtout dans un marché déjà saturé.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Le moyen le plus clair de réaliser un tel décuplement est d’inventer quelque chose de complètement nouveau. Si vous créez un objet là où il n’y avait rien, l’augmentation de valeur est théoriquement infinie. Un médicament éliminant le besoin de sommeil, en toute sécurité, ou par exemple un traitement de la calvitie, suffiraient certainement à fonder une activité monopolistique.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Ou alors, vous pouvez améliorer radicalement une solution déjà existante : PayPal, par exemple, a rendu l’achat et la vente sur eBay dix fois plus efficace. Au lieu de poster un chèque qui mettrait sept à dix jours à arriver, PayPal permet aux acheteurs de payer dès la fin de l’enchère
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Amazon a introduit sa première amélioration par décuplement de façon particulièrement visible : le site de vente en ligne proposait dix fois plus de livres que n’importe quelle autre librairie. Dès son lancement en 1995, Amazon pouvait se proclamer « plus grande librairie de la planète » parce qu’à l’inverse d’une librairie de détail capable de stocker cent mille volumes, Amazon n’avait pas besoin de stocker un inventaire physique, il se contentait de demander le titre à son fournisseur chaque fois qu’un consommateur passait commande
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
On peut aussi provoquer un saut qualitatif par dix en introduisant un design intégré de qualité supérieure.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Les effets de réseau peuvent être puissants, mais vous n’en récolterez jamais les fruits, à moins que votre produit ne soit déjà précieux pour ses tout premiers utilisateurs
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
les activités d’effet de réseau doivent démarrer sur des marchés particulièrement limités. Facebook a débuté avec quelques étudiants de Harvard – le premier produit de Mark Zuckerberg était conçu pour que tous ses camarades de classe y adhèrent, pas pour attirer les gens de la Terre entière. C’est pourquoi les entreprises de réseau qui réussissent sont rarement lancées par des étudiants en MBA : les marchés initiaux sont si étroits qu’ils n’apparaissent même pas comme des opportunités commerciales.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Beaucoup d’entreprises ne retirent que des avantages limités de leur croissance d’échelle. Il est notamment difficile de transformer les entreprises de services en monopoles. Si vous possédez un centre de yoga, vous ne pourrez y recevoir qu’un nombre limité de clients. Vous pouvez embaucher davantage de professeurs et vous agrandir dans d’autres locaux, mais vos marges resteront relativement basses et vous n’atteindrez jamais le stade où un noyau de gens talentueux fournit un service de valeur à des millions de clients, comme c’est le cas des ingénieurs en logiciels.Une bonne start-up doit intégrer le potentiel du passage à grande échelle dès sa conception initiale. Twitter compte dès aujourd’hui plus de deux cent cinquante millions d’usagers. Le site n’a pas besoin d’ajouter beaucoup d’autres fonctions personnalisées pour en attirer davantage et rien ne devrait l’empêcher de croître.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Lors de son retour chez Apple, Steve Jobs n’a pas seulement fait de l’entreprise un lieu de travail sympa et branché ; il a taillé dans la ligne de produits pour se concentrer sur une poignée d’opportunités de réaliser cette fameuse amélioration par décuplement. Aucun groupe de technologie ne peut se bâtir sur sa seule image de marque.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
La marque, l’échelle, les effets de réseau et la technologie, le tout selon une certaine combinaison, définissent un monopole ; mais pour faire fonctionner ces éléments, il faut choisir soigneusement son marché et opter délibérément pour l’expansion.Commencer petit et faire monopoleAu début, toutes les start-up sont petites. Tous les monopoles dominent une vaste part de marché. C’est pourquoi chaque start-up doit débuter avec un tout petit marché. Il vaut toujours mieux pécher par excès de petitesse. La raison en est simple : il est plus facile de dominer un petit marché qu’un grand. Si vous trouvez que votre marché initial est peut-être trop grand, c’est qu’il l’est certainement.Petit ne signifie pas inexistant. Nous avons commis cette erreur au début de PayPal. Notre premier produit permettait aux consommateurs de s’envoyer de l’argent via leur PalmPilot. C’était une technologie digne d’intérêt et personne d’autre n’en faisait autant. Toutefois, les millions d’utilisateurs de PalmPilots dans le monde n’étaient pas concentrés en un lieu particulier, ils avaient peu de points communs et n’utilisaient leur PDA qu’épisodiquement. Personne n’avait besoin de notre produit, donc nous n’avions pas de clients.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Pour une start-up, le marché-cible parfait se compose d’un petit groupe de gens très regroupés et desservis par peu ou pas de concurrents. Tout marché de grande taille est un mauvais choix, et un grand marché déjà desservi par des entreprises concurrentes est un choix pire encore.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
La vision fondatrice de Jeff Bezos visait à dominer tout le commerce de détail en ligne, mais il a délibérément choisi de commencer par les livres. Il y avait des millions d’ouvrages à inscrire au catalogue, mais ils étaient tous plus ou moins de la même forme, faciles à expédier, et certains des titres les plus rarement vendus – les moins rentables à conserver en stock pour un détaillant – attiraient aussi les clients les plus enthousiastes. Amazon est devenu la solution dominante pour quiconque était situé loin d’une librairie ou à la recherche d’un article sortant de l’ordinaire.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
négative entre Napster et l’industrie américaine du disque. Quand vous élaborez un plan pour vous étendre à des marchés adjacents, ne créez aucune rupture, ne dérangez rien : évitez la concurrence, autant que possible.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
être le premier à prendre l’initiative relève de la tactique : ce n’est pas un objectif en soi. Ce qui compte réellement, c’est de générer des flux de trésorerie dans le futur. À cet égard, être premier entrant ne vous sera d’aucun bénéfice si un autre se présente et vous déloge. Il vaut bien mieux être le dernier entrant, c’est-à-dire être l’auteur du dernier développement significatif sur un marché spécifique et engranger ensuite des années ou même des décennies de profits résultant de ce monopole.
5 - L’AVANTAGE DU DERNIER ENTRANT
Pour y parvenir, le meilleur moyen consiste à dominer une petite niche et à croître sur cette base, en suivant une vision de long terme ambitieuse. Dans ce cas particulier au moins, les affaires sont comme un jeu d’échecs. Le grand maître José Raul Capablanca l’avait parfaitement formulé : pour gagner, « il faut avant toute chose étudier la fin de partie ».
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Depuis la Renaissance et le Siècle des Lumières jusqu’au milieu du xxe siècle, la chance était un facteur à maîtriser, à dominer et à contrôler ; tout le monde s’accordait à penser qu’il fallait faire son possible, sans s’attarder sur l’impossible. Ralph Waldo Emerson a su formuler cette philosophie en ces termes : « Les hommes superficiels croient en la chance, croient aux circonstances. […] Les hommes forts croient dans la cause et l’effet. » En 1912, après être devenu le premier explorateur à atteindre le pôle Sud, Roald Amundsen écrivait : « La victoire attend celui chez qui tout est en ordre – les gens appellent cela de la chance. » Personne ne prétendait que l’infortune n’existait pas, mais les générations antérieures croyaient pouvoir se créer elles-mêmes leur chance en travaillant avec acharnement.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Peut-on contrôler son avenir ? On peut attendre de l’avenir qu’il soit clairement défini, ou l’envisager au contraire brumeux et incertain. Si l’on traite le futur comme étant défini, en toute logique, on cherchera à le comprendre d’avance et à le façonner. Mais si l’on considère un avenir indéfini régi par l’aléatoire, on renoncera à essayer de le maîtriser
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
une conception définie favorise la conviction ferme. Au lieu de se lancer à la poursuite d’une médiocrité aux facettes multiples et d’appeler cela de la « complétude », l’individu défini détermine ce qu’il a de mieux à faire et passe à l’acte. Au lieu de travailler inlassablement à se rendre indifférenciable, il se bat pour devenir excellent dans un domaine capital, pour devenir un monopole à lui seul. Tel n’est pas le choix des jeunes gens d’aujourd’hui, parce que tout le monde autour d’eux a depuis longtemps perdu la foi en un monde défini
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
On peut aussi attendre de l’avenir qu’il soit meilleur ou pire que le présent. Les optimistes s’ouvrent à l’avenir ; les pessimistes le redoutent. La combinaison de ces possibilités génère quatre visions du monde
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
; la BCE pourrait aussi bien imprimer celle-ci sur ses euros : « Il est urgent d’attendre. » Les Européens se bornent à réagir aux événements au coup par coup, en espérant que la situation ne s’aggrave pas. Le pessimiste indéfini ne peut savoir si ce déclin inévitable sera rapide ou lent, catastrophique ou progressif. Tout ce qu’il peut faire, c’est attendre qu’il survienne, et dans l’intervalle rien ne l’empêche donc de manger, de boire et de s’amuser : d’où la fameuse fièvre vacancière des Européens.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Un pessimiste défini croit pouvoir connaître l’avenir, mais comme cet avenir sera sinistre, il doit s’y préparer. Curieusement, la Chine est probablement la région la plus résolument pessimiste du monde actuel. Les Américains voyant l’économie chinoise croître à un rythme effréné (10 % par an depuis 2000), nous imaginons un pays confiant, maîtrisant son avenir. Mais la raison en est que les Américains, qui restent toujours optimistes, projettent leur optimisme sur la Chine. Du point de vue chinois, la croissance économique n’est jamais assez rapide. Tous les autres pays de la planète craignent que la Chine ne domine le monde ; la Chine est la seule à craindre de ne jamais y parvenir.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Depuis 1982, après une brève phase de pessimisme dans les années 1970, et avec le début d’un long marché boursier haussier, la finance a éclipsé l’ingénierie en tant que mode d’appréhension du futur, et l’optimisme indéfini a fini par dominer la pensée américaine. Pour un optimiste indéfini, le futur sera meilleur, sans qu’il sache comment exactement, et il n’échafaude pas de plans spécifiques. Il s’attend à profiter de l’avenir, mais ne voit aucune raison de le concevoir concrètement.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Que vous soyez né en 1945, en 1950 ou en 1955, tous les ans, durant les dix-huit premières années de votre vie, les choses n’ont cessé de s’améliorer, et vous n’y étiez pour rien. Le progrès technologique semblait connaître une accélération automatique, de sorte que les Baby Boomers ont grandi avec de grandes attentes mais peu de projets précis sur la manière de les réaliser. Ensuite, le progrès technologique ayant calé, dans les années 1970, l’inégalité croissante des revenus vint à la rescousse de la crème de l’élite des Baby Boomers. Tous les ans, pour les riches et les puissants d’âge adulte, la situation ne cessait de s’améliorer, automatiquement. Le reste de leur génération était laissé pour compte, mais les riches Baby Boomers qui façonnent aujourd’hui l’opinion publique voient peu de raison de remettre en cause leur optimisme béat. Menant des carrières toutes tracées où tout leur réussit, ils ne peuvent imaginer que tout ne réussisse pas aussi pour leurs enfants.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Alors qu’un avenir clairement optimiste aurait besoin d’ingénieurs pour concevoir des villes souterraines et créer des colonies spatiales, un avenir indéfiniment optimiste requiert sans cesse plus de banquiers et d’avocats. La finance incarne la pensée indéfinie parce que c’est le seul moyen de gagner de l’argent quand on ne sait absolument pas comment créer de la richesse. S’ils ne fréquentent pas les facultés de droit, de brillants diplômés se dirigent vers Wall Street précisément parce qu’ils n’ont aucun plan de carrière véritable. Et une fois qu’ils sont entrés chez Goldman Sachs, ils s’aperçoivent que même à l’intérieur de la finance, tout est indéfini. Cela reste une vision optimiste – on ne jouerait pas sur les marchés si l’on s’attendait à perdre –, mais le principe fondamental, c’est que le marché se révèle aléatoire : comme on ne peut rien savoir de précis ou de substantiel, la diversification des investissements devient suprêmement importante.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Le caractère indéfini de la finance peut se révéler bizarre. Songez à ce qui se passe quand des patrons qui ont connu la réussite cèdent leur entreprise. Que font-ils de cet argent ? Dans un monde financiarisé, cela se déroule comme suit : — Les fondateurs ne savent qu’en faire et ils le confient à une grande banque. — Les banquiers ne savent qu’en faire, ils diversifient en répartissant ces capitaux dans un portefeuille d’investisseurs institutionnels. — Les investisseurs institutionnels ne savent que faire des capitaux gérés et les diversifient en amassant un portefeuille de titres. — Les entreprises concernées s’efforcent de pousser le cours de leur action à la hausse pour générer de nouvelles sources de liquidités. Ensuite, elles distribuent des dividendes ou se lancent dans des opérations de rachats de leurs propres titres, et le cycle se répète. Personne au sein de la chaîne, à aucun moment, ne sait que faire de cet argent dans l’économie réelle. Mais en réalité, dans un monde indéfini, les acteurs préfèrent se réserver une optionalité illimitée ; l’argent est plus précieux que tout ce que l’on pourrait en faire. Ce n’est que dans un avenir défini que l’argent est un moyen tendu vers une fin, et non une fin en soi.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Les politiques ont toujours dû officiellement rendre des comptes au moment des élections, mais aujourd’hui ils se règlent sur ce que pense l’opinion, à chaque instant. Les sondages modernes leur permettent de tailler leur image très exactement en fonction d’une opinion publique préexistante, et pour l’essentiel c’est ce qu’ils font. Les prédictions électorales d’un Nate Silver sont d’une remarquable exactitude, mais l’attention qu’elles suscitent tous les quatre ans est encore plus remarquable2. Nous sommes désormais plus fascinés par les prédictions statistiques de ce que penseront les États-Unis dans quelques semaines que par les prédictions visionnaires de ce à quoi ce pays ressemblera dans dix ou vingt ans.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Au xvie siècle, les conquistadors ont exploré la jungle de Floride, à la recherche d’une Fontaine de vie. Francis Bacon écrivait que « la prolongation de la vie » devait être considérée comme une branche à part entière de la médecine – et la plus noble. Dans les années 1660, Robert Boyle plaçait l’extension de la durée de vie (ainsi que « le recouvrement de la jeunesse ») en tête de sa fameuse liste de souhaits pour une science future5. Que ce soit par l’exploration géographique ou à travers la recherche en laboratoire, les meilleurs esprits de la Renaissance considéraient la mort comme une sorte de défaite
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Nous n’avons pas encore découvert les secrets de la vie, mais les assureurs et les statisticiens du xixe siècle ont su révéler un secret de la mort qui régit encore toute notre pensée à l’heure actuelle : ils ont découvert comment réduire la mort à une probabilité mathématique. Les « tables de vie » nous indiquent quel est notre risque de mourir, pour une année donnée, ce que les générations précédentes ignoraient. Toutefois, si en échange nous y avons gagné de meilleurs contrats d’assurance, nous avons apparemment renoncé à rechercher les secrets de la longévité. Puisque nous connaissons désormais les fourchettes actuelles d’espérance de vie, elles nous paraissent naturelles. Aujourd’hui, notre société est tout entière imprégnée de deux idées jumelles, celles d’une mort à la fois inévitable et aléatoire.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Le pessimisme indéfini fonctionne parce qu’il est auto-réalisateur : si vous êtes un fainéant aux faibles attentes, vous serez sans doute à la hauteur de ces attentes-là. Mais la quatrième, celle de l’optimisme indéfini, semble foncièrement intenable : comment l’avenir peut-il devenir meilleur si personne ne le planifie ?
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
sans plan audacieux, aucune progression itérative ne vous mènera de 0 à 1.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Il est vrai que tous les grands chefs d’entreprise sont d’abord et avant tout des concepteurs. Quiconque a tenu en main un iDevice ou un MacBook à l’usinage profilé a pu toucher du doigt le résultat de l’obsession, chez Steve Jobs, de la perfection visuelle et expérientielle. Mais la leçon la plus importante à retenir de Jobs n’a rien à voir avec l’esthétique. La plus grande création jamais conçue par Jobs, c’est son entreprise. Apple a imaginé et exécuté une série de programmes pluriannuels pour créer de nouveaux produits et les distribuer efficacement. Oubliez les « produits minimums viables ». Depuis le lancement d’Apple en 1976, Jobs s’est employé à changer le monde grâce à une planification rigoureuse, sans tenir compte de la rétroaction des groupes cibles ou sans songer à copier les succès des autres.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Quand une grande entreprise émet une offre de rachat d’une start-up à succès, elle propose presque toujours trop ou trop peu : les fondateurs ne vendent que lorsqu’ils n’ont plus aucune vision concrète pour leur société, auquel cas l’acquéreur l’a sans doute payée trop cher. Les fondateurs définis qui ont des projets solides ne vendent pas, ce qui signifie que l’offre n’était pas assez élevée.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Dans un monde où les gens ont une vision aléatoire de l’avenir, une entreprise dotée d’un plan bien défini sera toujours sous-évaluée.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
tous les professeurs de philosophie et tous les Gladwell de la planète sont ancrés dans leurs habitudes (pour ne rien dire des politiques). Dans ces domaines surinvestis, il est extrêmement difficile d’introduire des changements, même en y mettant de la matière grise et les meilleures intentions.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Une start-up représente la plus vaste activité dont vous puissiez avoir une maîtrise définie. On peut avoir la maîtrise de sa propre existence, mais aussi celle d’une partie du monde, petite mais importante. Cela commence par le rejet de l’injuste tyrannie du hasard. Vous n’êtes pas un billet de loterie.
6 - VOUS N’ÊTES PAS UN BILLET DE LOTERIE
Vous n’êtes pas un billet de loterie Il nous faut rouvrir la voie vers un avenir défini, et le monde occidental aura besoin de rien moins qu’une révolution culturelle pour y parvenir.
7 - LA PISTE DE L’ARGENT
L’argent crée de l’argent. « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a » (Matthieu, 25:29). Albert Einstein va dans le même sens quand il affirmait que les intérêts composés sont « la plus grande découverte mathématique de tous les temps » et même « la force la plus puissante dans l’univers ». Quelle que soit votre version préférée, le message ne peut pas vous échapper : ne sous-estimez jamais une croissance exponentielle. En réalité, rien ne prouve qu’Einstein ait jamais prononcé aucune de ces deux phrases – ces citations sont tout à fait apocryphes.
7 - LA PISTE DE L’ARGENT
cette approche « Spray and Pray » produit en général des portefeuilles entiers de ratages, et pas un seul coup gagnant1. C’est parce que les bénéfices du risque ne respectent pas une distribution d’ensemble normale. Au contraire, ils sont régis par la loi de puissance : une petite poignée d’entreprises se révèlent nettement plus performantes que toutes les autres. Si vous vous concentrez sur la diversification au lieu de vous attacher uniquement à rechercher les rares entreprises capables d’acquérir une valeur exceptionnelle, vous manquerez ces spécimens si rares.
7 - LA PISTE DE L’ARGENT
Pour le capital-risqueur, cela implique deux règles très étranges. Premièrement, n’investissez que dans des sociétés qui ont le potentiel de rapporter la valeur de tout le reste du fonds. C’est là un principe effrayant, car il élimine la vaste majorité des investissements possibles. (Même les entreprises qui connaissent un beau succès ne réussissent généralement qu’à une échelle plus modeste.) Cela conduit à la deuxième règle : la règle numéro un étant si restrictive, il ne saurait y avoir d’autres règles.
7 - LA PISTE DE L’ARGENT
Chaque fois que vous passez de la substance d’une entreprise à la question financière de savoir si elle s’insère ou non dans une stratégie diversifiée de couverture, l’investissement-risque ressemble à une loterie. Et dès que vous pensez jouer à la loterie, psychologiquement, vous vous préparez déjà à perdre.
7 - LA PISTE DE L’ARGENT
au bout de dix ans, le portefeuille ne se scindera pas entre gagnants et perdants mais entre un investissement dominant et tout le reste.
7 - LA PISTE DE L’ARGENT
La loi de puissance n’est pas seulement importante pour les investisseurs : elle est importante pour tous et pour chacun, car tout le monde est investisseur. Un chef d’entreprise effectue un investissement majeur rien qu’en consacrant son temps à travailler sur une start-up. C’est pourquoi tout entrepreneur doit réfléchir et savoir si son entreprise va réussir et se valoriser. Et chaque individu est inévitablement un investisseur, lui aussi. Quand vous choisissez une carrière, vous agissez en vous fondant sur la conviction que le type de travail que vous faites aura acquis de la valeur, d’ici quelques décennies.
7 - LA PISTE DE L’ARGENT
Un portefeuille diversifié, telle est la réponse la plus courante à la question de la valeur future : « ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier », c’est ce que tous les investisseurs se sont entendu expliquer. Comme nous le disions, les meilleurs investisseurs de capital-risque se constituent eux aussi un portefeuille, en revanche, les investisseurs qui comprennent la loi de puissance se lancent dans le moins d’investissements possibles. En revanche, dans cette conception du portefeuille, à laquelle souscrivent aussi bien la sagesse populaire que le monde de la finance, avec ses conventions, ce style de pari diversifié est considéré comme une source de solidité. Plus on boursicote, plus on est censé se garantir contre l’incertitude de l’avenir.Mais la vie n’est pas un portefeuille boursier : ni pour le fondateur d’une start-up ni pour un individu. Un chef d’entreprise ne peut se « diversifier » : on ne peut pas diriger des dizaines de sociétés à la fois et ensuite espérer que l’une d’elles sorte du lot. Autre aspect moins évident mais tout aussi important, un individu ne peut pas diversifier sa propre existence tout en gardant en réserve des dizaines de carrières, toutes d’une égale possibilité.
7 - LA PISTE DE L’ARGENT
Tout ce que vous faites compte. Il faut se concentrer sans relâche sur ce que l’on sait bien faire mais, avant cela, il faut approfondir la réflexion : cela aura-t-il de la valeur, dans le futur ?Rapporté au monde des start-up, cela signifie qu’on ne doit pas nécessairement créer sa propre entreprise, même si l’on est exceptionnellement talentueux. En tout état de cause, aujourd’hui, trop de gens créent la leur.
7 - LA PISTE DE L’ARGENT
Si vous créez effectivement votre propre société, pour bien la gérer, vous ne devrez jamais oublier la loi de puissance. Les choses les plus importantes sont singulières : un marché vaudra sans doute mieux que tous les autres, comme évoqué au chapitre 5. Et une stratégie de distribution domine généralement toutes les autres, aussi – à ce sujet, lisez le chapitre 11. Le temps et la prise de décision respectent également la loi de puissance, et certains moments comptent plus que d’autres – sur ce point, reportez-vous au chapitre 9. Toutefois, vous ne pouvez vous fier à un monde qui refuse d’admettre que la loi de puissance cadre étroitement vos décisions à votre place, de sorte que ce qui importe le plus est aussi rarement évident. Cela pourrait même constituer un secret. Mais dans un monde de loi de puissance, vous ne pouvez vous permettre de ne pas réfléchir au point de la courbe où interviendront vos actions.
8 - GISEMENTS SECRETS
Toutes les idées les plus répandues et les plus courantes de notre époque sont d’abord restées du domaine de l’inconnu et de l’insoupçonné. La relation mathématique entre les côtés du triangle, par exemple, est restée secrète un millénaire. Pythagore a dû longtemps réfléchir pour la découvrir. Si vous vouliez être dans le secret de la nouvelle découverte de Pythagore, le meilleur moyen d’être informé à ce sujet était encore d’adhérer à l’étrange culte végétarien du mathématicien. Aujourd’hui, sa géométrie relève de la convention – une vérité toute simple que l’on enseigne aux élèves du primaire. Une vérité conventionnelle peut être importante – elle est essentielle pour apprendre les mathématiques élémentaires, par exemple –, mais elle ne vous procurera aucune avantage. Ce n’est pas un secret.
8 - GISEMENTS SECRETS
Souvenez-vous de notre question à contre-courant : Quelle est la vérité fondamentale que très peu de gens partagent avec vous ? Si nous avons déjà une connaissance très claire de tout ce que nous saurons jamais du monde naturel – si toutes les idées conventionnelles d’aujourd’hui sont déjà élucidées et si tout a déjà été fait –, alors il n’existe pas de bonnes réponses. La pensée à contre-courant n’est pertinente que si le monde a encore des secrets à livrer.
8 - GISEMENTS SECRETS
la version entrepreneuriale de notre question à contre-courant : quelle est l’entreprise de grande valeur que personne ne crée ? Toute réponse correcte est nécessairement un secret : un élément à la fois important et inconnu, une chose difficile mais faisable. S’il subsiste beaucoup de secrets, alors il reste encore à créer quantité d’entreprises capables de changer le monde.
8 - GISEMENTS SECRETS
Le fondamentalisme religieux, par exemple, n’autorise aucun intermédiaire face aux questions les plus épineuses : il y a d’un côté des vérités faciles qu’on ne s’étonnera pas d’entendre débiter par des enfants, et de l’autre il y a les mystères du divin, qui sont inexplicables. C’est entre les deux – dans la zone des dures réalités – que réside l’hérésie. Dans la religion moderne de l’écologie, la vérité commode, c’est que nous devons protéger l’environnement. Au-delà de ce précepte, c’est Mère Nature qui reste la meilleure juge, et rien ne saurait la remettre en question. Les adeptes de l’économie de marché révèrent une logique similaire. La valeur des choses est fixée par le marché. Même un enfant peut suivre la cotation de titres boursiers. Mais la question de savoir si ces prix obéissent à une logique qui a un sens n’a pas à être posée ; le marché est bien plus clairvoyant que vous ne le serez jamais.
8 - GISEMENTS SECRETS
Pourquoi tout un pan de notre société a-t-il cessé de croire à l’existence de secrets impénétrables ? Cela commence peut-être déjà par la géographie. Il ne reste plus d’espaces vierges sur la carte. Si vous aviez grandi au xviiie siècle, il vous resterait encore de nouvelles régions du monde à découvrir. Après avoir entendu des récits d’aventures lointaines, vous pourriez devenir vous-même explorateur. C’était encore probablement vrai jusqu’au xixe siècle et au début du xxe ; depuis, les cahiers photos du National Geographic montrent à tous les Occidentaux à quoi ressemblent les endroits les plus exotiques, les plus inexplorés. Aujourd’hui, la quasi-totalité des explorateurs n’existent que dans les livres d’histoire et dans les récits pour enfants. Les parents n’attendent pas de leurs bambins qu’ils deviennent explorateurs, pas plus qu’ils n’espèrent les voir devenir pirates ou sultans. Peut-être subsiste-t-il quelque part au fin fond de l’Amazonie quelques dizaines de tribus n’entretenant aucun contact avec le monde extérieur, et nous savons qu’il reste encore une dernière frontière terrestre dans les profondeurs de l’océan. Mais l’inconnu semble plus accessible que jamais.
8 - GISEMENTS SECRETS
Outre le fait naturel que les frontières physiques ont reculé, quatre tendances sociales se sont conjuguées pour déraciner toute croyance dans l’existence de certains secrets. La première, c’est le gradualisme. Depuis notre prime enfance, on nous enseigne que la bonne manière de faire les choses consiste à progresser par très petites étapes à la fois, jour après jour, un échelon après l’autre. Si vous êtes brillantissime et si vous finissez par apprendre des choses qui ne sont pas au programme d’examen, vous n’en retirerez aucun crédit. Mais si vous faites exactement ce qu’on vous demande (en réussissant à le faire un tout petit peu mieux que vos pairs), en échange, vous obtiendrez un A. Ce procédé s’applique jusque tout en haut de l’échelle des postes, c’est pourquoi les universitaires cherchent généralement à accumuler quantité de publications d’articles des plus triviaux, au lieu de viser de nouvelles frontières.
8 - GISEMENTS SECRETS
La deuxième tendance, c’est l’aversion au risque. Les gens ont peur des secrets parce qu’ils ont peur de se tromper. Par définition, un secret n’a pas été validé par la majorité. Si votre objectif est de ne jamais commettre d’erreur de votre vie, ne recherchez pas de secrets. La perspective d’être seul mais d’avoir raison – de dédier son existence à une chose à laquelle personne ne croit – est vraiment rude. La perspective d’être seul et d’avoir tort peut s’avérer insupportable.
8 - GISEMENTS SECRETS
La troisième tendance, c’est la complaisance. Les élites sociales sont celles qui détiennent le plus de liberté et d’aptitude à explorer de nouvelles voies de réflexion, mais ce sont aussi celles qui semblent le moins croire aux secrets. Pourquoi se lancer à la recherche de nouveaux secrets si vous pouvez confortablement collecter une rente sur tout ce qui a déjà été fait ? À chaque rentrée, les doyens de la crème des facultés de droit et des écoles de commerce accueillent les classes de nouveaux arrivants avec ce même message implicite : « Vous êtes entré dans cette institution d’élite. Vous n’avez plus de soucis à vous faire. Vous êtes paré pour la vie. » Mais ce sera encore plus le cas si vous évitez d’ajouter foi à ce genre de croyance.
8 - GISEMENTS SECRETS
La quatrième tendance, c’est l’« aplatissement » de notre planète. À mesure que la mondialisation progresse, les gens y voient un marché homogène et hautement concurrentiel : le monde est « plat ». Partant de cette hypothèse, quiconque pourrait avoir l’ambition de se lancer à la recherche d’un secret se posera d’abord cette question : s’il était encore possible de découvrir une quelconque nouveauté, un membre anonyme de ce vivier mondial de talents composé d’individus tous plus intelligents et plus créatifs ne l’aurait-il pas déjà découvert ? Cette petite voix du doute a de quoi dissuader les gens de même commencer de se lancer à la recherche de secrets dans un monde qui semble trop vaste pour que l’un ou l’autre de ces individus y apporte une contribution un tant soit peu singulière.
8 - GISEMENTS SECRETS
dans une société démocratique, une pratique abusive ne persiste que tant qu’une majorité n’en perçoit pas l’injustice
8 - GISEMENTS SECRETS
On ne peut trouver de secrets si on ne les cherche pas. Andrew Wiles le démontra quand il apporta la preuve du Théorème de Fermat, après trois cent cinquante-huit années d’investigations infructueuses d’autres mathématiciens – le genre d’échec prolongé qui aurait pu amener à conclure une tâche impossible par nature.
8 - GISEMENTS SECRETS
de quoi les gens ne sont-ils pas autorisés à parler ? Qu’est-ce qui est interdit ou tabou ?Parfois, rechercher les secrets de la nature et ceux des individus mène à la même vérité.
8 - GISEMENTS SECRETS
qu’en surface ; en fait, elles sont colossales.Le mieux est d’aller chercher des secrets là où personne ne va les chercher. La plupart des gens ne pensent qu’en fonction de ce qu’on leur a enseigné ; les cursus scolaires ne visent qu’à transmettre un savoir conventionnel. On serait donc en droit de s’interroger : existe-t-il des domaines qui comptent et qui n’auraient pas été standardisés et institutionnalisés ?
8 - GISEMENTS SECRETS
La pyramide alimentaire qui préconisait de consommer peu de matières grasses et de grosses quantités de céréales était sans doute davantage un produit du lobby de l’agro-alimentaire que de la vraie science ; elle a eu pour effet principal d’aggraver l’épidémie d’obésité qui frappe les États-Unis et certains pays d’Europe1. Il nous reste bien d’autres choses à apprendre en la matière : nous en savons plus sur la physique d’étoiles lointaines que sur la nutrition humaine. Ce ne sera pas facile, mais ce n’est évidemment pas impossible, et c’est exactement le genre de domaines qui pourrait nous réserver des secrets.
8 - GISEMENTS SECRETS
Si vous découvrez une réalité secrète, vous êtes face à un choix : révélez-vous votre secret ou le gardez-vous pour vous ?Cela dépend de la nature du secret : certains sont plus dangereux que d’autres. Ainsi que Faust en avertit Wagner :Le peu d’hommes qui ont su quelque chose,et qui ont été assez fous pour ne point garder leur secret dans leur propre cœur,ceux qui ont découvert au peuple leurs sentiments et leurs vues,ont été de tout temps crucifiés et brûlés2.À moins de nourrir des convictions parfaitement conventionnelles, c’est rarement une bonne idée de révéler tout ce que vous savez à tout le monde.Alors, à qui le dire ? À tous ceux à qui vous jugerez nécessaire d’en faire part, et cela s’arrête là
8 - GISEMENTS SECRETS
Dans la pratique, il y a toujours un juste milieu entre ne rien dire à personne et tout dire à tout le monde – et c’est cela, une entreprise. Les meilleurs dirigeants d’entreprise le savent : toute affaire florissante se construit autour d’un secret qui demeure caché aux regards extérieurs. Une entreprise florissante est en quelque sorte une conspiration qui vise à changer le monde ; quand vous partagez un secret, le destinataire devient membre de la conspiration.
9 - FONDATIONS
la « loi de Thiel » : si une start-up repose sur de mauvaises fondations, c’est un défaut impossible à rectifier.
9 - FONDATIONS
les entreprises sont comme les pays. Les mauvaises décisions initiales – choisir les mauvais associés ou ne pas engager les bons employés – sont très difficiles à rectifier, une fois prises. Avant que quiconque tente même de les corriger, il faut quelquefois une crise de l’ordre d’une faillite. Le premier travail du fondateur consiste à prendre les bonnes décisions initiales, parce qu’on ne peut construire d’entreprise florissante sur des fondements erronés.
9 - FONDATIONS
Choisir un cofondateur, c’est comme se marier, et le conflit entre fondateurs est tout aussi pénible qu’un divorce. Au début de toute relation, ce n’est pas l’optimisme qui manque. Comme il n’est guère romantique de réfléchir froidement à ce qui pourrait mal tourner, les protagonistes s’en abstiennent. Mais si les fondateurs finissent par présenter des différences irréconciliables, l’entreprise en devient la victime.
9 - FONDATIONS
Il faut des gens corrects et qui s’entendent, mais il faut aussi une structure qui contribue à maintenir la cohésion de tous sur le long terme.Pour anticiper les sources plausibles de dissension dans toute entreprise, il est utile de distinguer entre trois notions :— la propriété : qui possède les titres de l’entreprise, au plan juridique ?— la possession : qui dirige véritablement l’entreprise au jour le jour ?— le contrôle : qui pilote formellement les affaires de la société ?Une start-up type répartit la propriété de la compagnie entre les fondateurs, les employés et les investisseurs. Les directeurs et les employés qui la font tourner en détiennent la possession. Et un conseil d’administration, généralement composé de fondateurs et d’investisseurs, en exerce le contrôle.En théorie, cette répartition fonctionne sans accrocs.
9 - FONDATIONS
En salle du conseil, être moins, c’est mieux. Plus le conseil est restreint, plus il est facile pour ses directeurs de communiquer, de parvenir à un consensus et d’exercer une supervision efficace. Toutefois, cette efficacité signifie elle-même que, dans toute situation de conflit, un conseil à l’effectif limité peut s’opposer avec fermeté à la direction. C’est pourquoi il est crucial d’en choisir judicieusement les membres : chacun d’eux compte. Un seul administrateur problématique peut suffire à créer des complications et même à compromettre l’avenir de votre entreprise.Un conseil de trois membres sera l’idéal. Son effectif ne devrait jamais dépasser cinq membres
9 - FONDATIONS
En réalité, un conseil pléthorique n’exercera aucun contrôle ; il fournira purement et simplement une couverture au premier micro-dictateur venu qui prendra effectivement la tête de la structure.
9 - FONDATIONS
toute personne qui ne détient pas de stock-options ou ne perçoit pas un salaire régulier versé par votre entreprise sera fondamentalement déconnecté. Situés à la marge, ils auront tendance à exiger de la valorisation à court terme et ne vous aideront pas à en créer pour l’avenir. C’est pourquoi recourir à des consultants ne fonctionne jamais. Les employés à temps partiel, cela ne fonctionne pas. Il convient même d’éviter le travail à distance, car chaque fois que des collègues de travail ne sont pas réunis à plein temps, sur un même site, tous les jours, le manque de cohésion peut finir par s’insinuer. Si vous décidez d’introduire quelqu’un dans votre entreprise, c’est une décision binaire. Ken Kesey avait raison : on est tous du voyage ou on n’en est pas
9 - FONDATIONS
L’argent est attirant. Il présente une pure liberté de choix : une fois que vous recevez votre salaire, vous pouvez en faire ce que vous voulez
9 - FONDATIONS
Les start-up n’ont pas à verser de salaires élevés parce qu’elles ont mieux à offrir : une part de l’entreprise proprement dite. Un portefeuille de titres est une forme de rémunération capable de pousser efficacement ses membres à créer de la valeur future.
9 - FONDATIONS
Octroyer une participation égale à chacun constitue généralement une erreur : chaque individu possède des talents et des responsabilités différents, et des coûts d’opportunité différents. Des montants égaux paraîtront donc d’emblée arbitraires et injustes. D’un autre côté, accorder d’entrée de jeu des montants différents paraîtra tout aussi injuste, nécessairement. À ce stade, le ressentiment peut tuer une entreprise, mais il n’existe pas de formule de participation parfaite permettant de l’éviter.Ce problème devient encore plus aigu avec le temps, au fur et à mesure que de nouvelles têtes rejoignent l’entreprise. Les tout premiers embauchés obtiennent généralement davantage de parts parce qu’ils prennent davantage de risques, mais d’autres arrivants plus tardifs peuvent se révéler encore plus vitaux pour la réussite d’une entreprise. Une secrétaire qui a intégré eBay en 1996 a pu gagner deux cents fois plus que son patron, un acteur chevronné du secteur, arrivé en 1999. Le graffeur qui a décoré les murs des locaux de Facebook en 2005 a reçu un portefeuille de titres dont la valeur a finalement atteint 200 millions de dollars, alors qu’un ingénieur de talent arrivé en 2010 n’en aura peut-être gagné que deux. Comme il est impossible d’atteindre l’équité parfaite en distribuant de telles participations, les fondateurs ont intérêt à tenir les détails secrets. Envoyer à tous dans l’entreprise un e-mail reprenant la liste des participations de chacun équivaudrait à larguer une bombe atomique sur vos bureaux.
9 - FONDATIONS
La participation est un outil puissant précisément en raison de ces limitations. Quiconque préfère posséder une part de votre entreprise plutôt que de toucher des sommes liquides témoigne d’une préférence pour le long terme et d’un engagement à accroître la valeur de l’entité dans le futur. La participation ne peut créer de motivations parfaites, mais c’est le meilleur moyen pour un fondateur de maintenir tout le monde au sein de l’entreprise à peu près sur la même ligne.
9 - FONDATIONS
Les entreprises les plus profitables maintiennent cette ouverture à l’invention, tout à fait caractéristique des débuts. Cela conduit à une autre perception, moins évidente, de ce qu’est cette période fondatrice : elle dure aussi longtemps qu’une société crée de la nouveauté, et elle prend fin quand la création cesse. Si vous réussissez à poser correctement ce moment fondateur, vous aurez fait davantage que créer une entreprise profitable : vous aurez la capacité d’orienter son lointain avenir vers la création de nouveautés, au lieu de vous cantonner dans l’intendance d’une réussite héritée. Vous pourriez même étendre ce moment fondateur à l’infini.
10 - LA MÉCANIQUE DE LA MAFIA
Dès le début, je voulais que PayPal soit le lieu de relations étroites et non purement transactionnelles. J’estimais que des relations plus fortes ne nous rendraient pas seulement plus épanouis et plus efficaces dans le travail, mais elles nous vaudraient aussi de plus belles réussites de carrières, au-delà même de PayPal. Nous avons donc décidé d’embaucher des gens qui travailleraient ensemble en s’appréciant vraiment. Il fallait qu’ils aient du talent, mais plus encore qu’ils soient enthousiastes à l’idée de travailler spécifiquement avec nous. Ce fut le point de départ de la Mafia Paypal.
10 - LA MÉCANIQUE DE LA MAFIA
Recruter des conspirateursLe recrutement est l’une des compétences essentielles de toute entreprise. Il ne faut jamais l’externaliser. Vous avez besoin de collaborateurs qui ne soient pas seulement qualifiés sur le papier, mais qui, après leur embauche, opéreront ensemble en toute cohésion. Les quatre ou cinq premières recrues pourraient se laisser attirer par une forte participation au capital ou de hautes responsabilités. Il y a plus important que de telles offres aussi évidentes, et c’est votre réponse à cette question : pourquoi faut-il que ce vingtième employé intègre votre société ?Les gens talentueux n’ont aucun besoin de travailler pour vous ; ils ont largement le choix. Il faut vous poser cette question dans une version plus pointue : quel intérêt aurait cet individu à rejoindre votre société au poste de vingtième ingénieur quand il pourrait aller travailler chez Google pour toucher plus d’argent et en retirer plus de prestige ?Voici quelques exemples de mauvaises réponses à cette question : « Votre portefeuille de stock-options vaudra plus ici qu’ailleurs. » « Vous aurez la possibilité de travailler avec les gens les plus intelligents du monde. » « Vous contribuerez à résoudre les problèmes les plus complexes. » Des titres de valeur, des individus intelligents ou des problèmes pressants, que trouver à redire ? Rien, mais comme toutes les entreprises mettent en avant les mêmes arguments, aucune ne vous aidera à sortir du lot. Les argumentaires généraux et interchangeables n’expliquent pas pourquoi telle ou telle recrue devrait intégrer votre entreprise, au lieu de quantité d’autres.Les seules bonnes réponses étant spécifiques à votre entreprise, vous ne les trouverez pas dans ce livre. Mais ces bonnes réponses se rangent dans deux grandes catégories : certaines sont relatives à votre mission et d’autres à votre équipe. Vous attirerez les employés dont vous avez besoin si vous êtes en mesure de leur expliquer pourquoi votre mission est captivante : non pas ce qui en justifie l’importance sur un plan général, mais en quoi ce que vous faites est important et pourquoi personne d’autre ne serait capable d’en faire autant. C’est le seul aspect qui peut lui donner une importance unique. Chez PayPal, si l’idée de créer une nouvelle monnaie numérique pour remplacer le dollar passionnait un candidat, cela nous donnait envie de dialoguer avec lui ; sinon, c’est qu’il n’avait pas le rôle de l’emploi.Toutefois, même une grande et belle mission ne suffit pas. Le style de recrue qui, après embauche, sera l’employé qui s’engagera le plus à fond sera aussi celle qui se demandera : « Est-ce le genre de gens avec qui j’ai envie de travailler ? » Vous devez être capable d’expliquer pourquoi votre entreprise constitue pour lui, au plan personnel, l’adéquation parfaite. Et si vous en êtes incapable, c’est probablement qu’il n’est pas en bonne adéquation.
10 - LA MÉCANIQUE DE LA MAFIA
former une tribu d’individus de même sensibilité farouchement dévoués à la mission de l’entreprise.
10 - LA MÉCANIQUE DE LA MAFIA
La première équipe PayPal travaillait en parfaite entente parce que nous étions tous le même genre de geeks. Nous aimions tous la science-fiction : Cryptonomicon2 était l’une de nos lectures obligées, et nous préférions la vision capitaliste de Star Wars à la philosophie communiste de Star Trek. Plus important, nous étions tous obsédés par la création d’une monnaie numérique qui serait contrôlée par les individus plutôt que par les gouvernements. Pour que l’entreprise marche, peu nous importaient l’apparence extérieure ou le pays d’origine des gens que nous embauchions, mais il fallait que chaque nouvelle recrue partage le même niveau d’obsessions.
10 - LA MÉCANIQUE DE LA MAFIA
un climat interne pacifié permet aussi tout simplement à une start-up de survivre. Quand elle fait faillite, nous nous figurons souvent qu’elle succombe à des rivaux prédateurs dans un écosystème concurrentiel. Mais toute entreprise est aussi son propre écosystème et les luttes intestines la rendent vulnérable aux menaces extérieures. Le conflit interne est comme une maladie auto-immune : la cause contingente de la mort a beau être une pneumonie, la cause réelle demeure invisible.
10 - LA MÉCANIQUE DE LA MAFIA
Dans le type d’organisation le plus intensif, les protagonistes ne fréquentent que leurs homologues, tous membres de cette même organisation. Ils ignorent leur famille et renoncent au monde extérieur. En contrepartie, ils éprouvent de forts sentiments d’appartenance, et accèdent peut-être même à des « vérités » ésotériques qui échappent aux individus ordinaires. Nous avons un terme pour désigner de telles organisations : sectes. Vues de l’extérieur, les cultures du dévouement total paraissent insensées, notamment parce que les sectes les plus notoires étaient meurtrières : Jim Jones et Charles Manson en fournissent de tristes exemples.Mais les créateurs d’entreprises devraient prendre au sérieux ces cultures de l’extrême dévouement. Une attitude de tiédeur envers son travail est-elle un signe de santé mentale ? Une attitude purement professionnelle est-elle la seule approche saine ?
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
les vendeurs et autres « intermédiaires » ont une réputation de parasites, alors que la création d’un bon produit devrait générer un flux de distribution simplement magique. Dans la Silicon Valley, où les ingénieurs ont plutôt tendance à construire des machines très cool sans savoir les vendre, la brillante idée de Jusqu’au bout du rêve plaît particulièrement1. Mais il ne suffit pas de construire ces machines pour attirer les consommateurs. Il faut provoquer la rencontre entre le produit et eux, et c’est plus difficile qu’il n’y paraît.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Dans la Silicon Valley, la publicité, le marketing et la vente laissent les geeks sceptiques, car ces activités leur semblent aussi superficielles qu’irrationnelles. Pourtant, la publicité compte, puisqu’elle fonctionne. Elle fonctionne sur les geeks et elle fonctionne sur vous. Vous pouvez toujours croire que vous êtes une exception, que vos préférences sont authentiques et que la publicité ne fonctionne que sur les autres. Il est facile de résister aux arguments de vente les plus évidents, si bien que nous entretenons une fausse confiance dans notre indépendance d’esprit. Mais la publicité n’existe pas pour vous faire acheter un produit sur-le-champ ; elle existe pour instiller de subtiles impressions qui, ultérieurement, pousseront les ventes. Quiconque est incapable d’admettre ses effets probables s’expose à une double illusion.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Ce que les geeks ne saisissent pas, c’est que réussir à faire passer l’acte de vendre pour une démarche facile réclame un énorme travail.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Tous les vendeurs sont des acteurs : leur priorité, c’est la persuasion, pas la sincérité. C’est pourquoi le mot « vendeur » peut devenir une insulte, et le vendeur de voitures d’occasion reste et demeure notre archétype de l’individu louche. Mais nous ne réagissons négativement que face aux vendeurs maladroits et trop transparents – c’est-à-dire aux mauvais vendeurs. La vente recouvre une vaste palette de compétences : entre les novices, les experts et les maîtres, il existe quantité de degrés. Il y a même des grands maîtres de la vente. Si vous ne connaissez aucun de ces grands maîtres, ce n’est pas parce que vous ne les avez jamais rencontrés, mais plutôt parce que leur art se dissimule en pleine lumière. Tom Sawyer réussit à convaincre les amis de son quartier de blanchir la palissade pour lui – un coup de maître. Mais les convaincre d’aller jusqu’à le payer pour avoir le privilège de se charger de ces corvées à sa place, c’est un stratagème digne d’un grand maître, et ses amis n’y ont vu que du feu. Et peu de choses ont changé depuis que Twain écrivit cette histoire, en 1876.Comme le jeu d’un acteur, la vente fonctionne surtout très bien quand elle reste cachée. Cela explique pourquoi presque tous les métiers liés à la distribution – qu’il s’agisse de la vente, du marketing ou de la publicité – ont un intitulé qui n’a rien à voir avec aucune de ces activités. Les gens qui vendent de la publicité sont des « gestionnaires de compte ». Ceux qui vendent aux clients travaillent au « développement commercial ». Ceux qui vendent des entreprises sont des « banquiers d’investissement ». Et ceux qui se vendent eux-mêmes, on les appelle des « politiciens ». Ces changements d’appellation ont une raison : quand on nous vend quelque chose, aucun de nous n’a envie qu’on le lui rappelle.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Quelle que soit la carrière, la faculté de vendre distingue les superstars des tocards. À Wall Street, la nouvelle recrue débute comme « analyste » maniant une compétence technique, mais son but est de négocier des fusions-acquisitions. Un avocat s’enorgueillit de ses aptitudes professionnelles, mais les cabinets d’avocats sont dirigés par des « faiseurs de pluie », ceux qui attirent les gros clients. Même les professeurs d’université, qui revendiquent compétence et autorité sur la base de leurs travaux, envient les maîtres de l’autopromotion, capables de définir leur propre champ d’activité. Les idées universitaires sur l’histoire ou la langue anglaise ne se diffusent pas seulement sur la base de leur bien-fondé intellectuel. Même le devenir de la physique fondamentale et les voies futures de la recherche sur le cancer sont des produits de la persuasion. Les protagonistes du monde des affaires eux-mêmes sous-estiment l’importance de la vente, et il y a une raison fondamentale à cela : l’effort systématique qui est fait pour en dissimuler les rouages, à tous les niveaux et dans tous les domaines, dans un monde pourtant secrètement gouverné par elle.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Il vaut mieux penser la distribution comme un aspect essentiel du design de votre produit. Si vous avez inventé quelque chose de nouveau sans avoir inventé de moyen efficace de le vendre, vous êtes sur une mauvaise affaire, quelle que soit la qualité du produit.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Des ventes et un mode de distribution supérieurs sont capables en soi de créer un monopole, même sans aucune différenciation de produit. L’inverse n’est pas vrai.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
comme les ventes complexes n’imposent de conclure que quelques marchés par an, un grand maître des ventes comme Elon Musk peut employer ce temps pour se concentrer sur les interlocuteurs les plus cruciaux – et même surmonter l’inertie politique.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Alex, P-DG de Palantir, consacre vingt-cinq jours par mois à voyager, à rencontrer nos clients actuels et potentiels. Nos contrats s’échelonnent du million aux 100 millions de dollars. À ce tarif, les acheteurs veulent parler au P-DG, pas au directeur commercial.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
En commençant par de petits groupes d’utilisateurs confrontés aux problèmes de partage de données les plus épineux, le nouveau représentant commercial de Box établit des relations avec de plus en plus d’utilisateurs au sein de chaque entreprise cliente. En 2009, Blake vendait un petit compte Box à la Clinique du sommeil de l’université Stanford, où des chercheurs avaient besoin d’un moyen simple et sûr de stocker des journaux de données d’expériences. Aujourd’hui, l’université propose un compte Stanford sous la marque Box à chacun de ses étudiants et professeurs et l’Hôpital universitaire de Stanford fonctionne avec Box. Si l’entreprise avait commencé par essayer de convaincre le président de l’université d’acquérir une solution à l’échelle de l’institution entière, Box n’aurait rien vendu. Une démarche de vente complexe aurait fait de Box une start-up vouée à l’échec et à l’oubli ; à l’inverse, ces ventes personnalisées en ont fait une société qui vaut plusieurs milliards de dollars.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Afin de toucher ses consommateurs finaux, un fabricant de biens de grande consommation doit produire des spots publicitaires pour les chaînes de télévision, insérer dans les journaux des encarts offrant des bons de réduction et concevoir des emballages de produits qui attirent l’attention.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Le marketing et la publicité fonctionnent pour les produits grand public à relativement bas prix, mais pour lesquels n’existe pas de méthode de distribution virale.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Chez PayPal, notre base d’utilisateurs initiale comptait vingt-quatre personnes, qui travaillaient tous dans l’entreprise. Acquérir des clients à travers des bannières publicitaires se révélait trop onéreux. Toutefois, en payant directement des gens pour qu’ils souscrivent et en leur versant ensuite encore davantage d’argent pour qu’ils nous recommandent à des amis, nous avons pu atteindre un rythme de croissance extraordinaire. Cette stratégie nous coûtait 20 dollars par client, mais elle nous a aussi conduits à une croissance journalière de 7 %, ce qui signifiait que notre base d’utilisateurs doublait presque en dix jours. Au bout de quatre ou cinq mois, nous avions des centaines de milliers d’utilisateurs et une opportunité viable de bâtir une grande entreprise, en offrant un service de transfert d’argent assorti de frais minimes qui a fini par largement dépasser notre coût d’acquisition client.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
la démarche fourre-tout – employer peu de vendeurs, placer des publicités dans les magazines et tenter d’ajouter après coup une fonctionnalité virale au produit – ne fonctionne pas. La plupart des entreprises sont incapables de faire fonctionner leurs canaux de distribution : plus qu’un mauvais produit, la cause d’échec la plus fréquente tient à des ventes médiocres. Si vous parvenez à faire fonctionner ne serait-ce qu’un seul canal de distribution, vous enregistrerez déjà de beaux résultats d’activité. Si vous essayez de vous en créer plusieurs sans en verrouiller aucun, vous êtes fini.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Votre entreprise doit vendre davantage que ses produits. Il faut aussi réussir à la vendre à ses employés et à vos investisseurs. Il existe une version « ressources humaines » du mensonge selon lequel les grands produits se vendent tout seuls : « Cette entreprise est si formidable que les gens se battront pour y entrer. » Et il en existe aussi une autre version du côté des financements : « Cette entreprise est si formidable que les investisseurs viendront frapper à sa porte. »
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Le vacarme et l’effervescence que peut générer une telle aventure sont des facteurs tout à fait réels, mais tout cela survient rarement sans un recrutement bien calculé et des séances de motivation en coulisses.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
il ne faut jamais partir du principe que les gens vont tomber en admiration devant votre entreprise sans une stratégie de relations publiques. Même si votre produit n’a pas besoin d’exposition médiatique pour attirer des clients parce que vous avez su créer une stratégie de distribution virale, la presse peut vous aider, elle, à attirer des investisseurs et des employés.
11 - LE CONSTRUIRE SUFFIRA-T-IL À LES ATTIRER ?
Tout le monde a un produit à vendre – que l’on soit employé, fondateur ou investisseur. C’est vrai même si votre entreprise se résume à votre ordinateur et vous. Regardez autour de vous. Si vous ne voyez aucun commercial nulle part, cela signifie que c’est vous qui êtes votre propre vendeur.
12 - L’HOMME ET LA MACHINE
Maintenant que des millions de paysans chinois peuvent enfin profiter d’un apport minimum de calories qui leur est assuré, ils ont envie de puiser une part plus importante de ces calories dans de la viande de porc que dans de simples céréales. Cette convergence des envies d’une population à une autre est encore plus évidente au sommet : de Saint-Pétersbourg à Pyongyang, tous les oligarques ont le même goût pour le champagne Cristal.
12 - L’HOMME ET LA MACHINE
Les individus possèdent l’intentionnalité – nous établissons des plans et prenons des décisions dans des situations compliquées. Nous sommes moins performants dans l’analyse d’énormes quantités de données. Les ordinateurs font exactement l’inverse : ils excellent dans le traitement efficace des données, mais ont du mal à formuler des jugements élémentaires qui seraient à la portée de n’importe quel humain.
12 - L’HOMME ET LA MACHINE
les entreprises les plus profitables ne demanderont pas quels problèmes les ordinateurs sont capables de résoudre à eux seuls. Elles se poseront plutôt une autre question : comment les ordinateurs peuvent-ils aider les humains à résoudre des problèmes difficiles ?
13 - LA VIE EN VERT
plusieurs questions auxquelles toute entreprise se doit de répondre : 1. La question de l’ingénierie Êtes-vous capable de créer une technologie de rupture au lieu d’apporter de simples améliorations progressives ? 2. La question du timing Le moment est-il bien choisi pour lancer une activité comme la vôtre ? 3. La question du monopole Vous lancez-vous avec une grosse part de marché ? 4. La question du personnel Avez-vous la bonne équipe ? 5. La question de la distribution Avez-vous les moyens non seulement de créer mais aussi de livrer votre produit ? 6. La question de la durabilité Votre position de marché sera-t-elle défendable dans dix ou vingt ans ? 7. La question du secret Avez-vous su cerner une opportunité unique que d’autres n’ont pas vu ?
13 - LA VIE EN VERT
Tout entrepreneur devrait se projeter comme le dernier entrant sur son marché. Cela suppose de commencer par se poser cette question : à quoi ressemblera le monde dans dix ou vingt ans et comment mon activité s’y insérera-t-elle ?
13 - LA VIE EN VERT
« l’entrepreunariat social ». Cette conception philanthropique des affaires commence avec l’idée que les entreprises et les organismes à but non lucratif ont occupé jusqu’à présent des positions diamétralement opposées : les entreprises possèdent un grand pouvoir, mais sont enchaînées à la motivation du profit ; les organismes à but non lucratif visent l’intérêt public, mais ce sont des acteurs faibles sur le plan économique. Les entrepreneurs sociaux visent à combiner le meilleur des deux et à « bien faire en faisant le bien ». En général, ils finissent par ne faire ni l’un ni l’autre. L’ambiguïté entre objectifs sociaux et financiers n’arrange rien. Mais ici c’est l’ambiguïté du terme « social » qui pose encore plus problème : ce qui est « socialement bénéfique » est-il bon pour la société ou simplement perçu comme bon par la société ? Ce qui est assez bon pour être salué par tous les publics peut aussi relever d’une pure convention, comme l’idée générique d’une énergie verte.
13 - LA VIE EN VERT
En janvier 2010 – environ un an et demi avant que l’implosion de Solyndra, pendant la première administration Obama, ne transforme la question des subventions en débat politique –, Tesla obtint un prêt de 465 millions de dollars du Département de l’Énergie. Au milieu des années 2000, une aide d’un demi-milliard de dollars eût été impensable. Et elle reste inconcevable aujourd’hui. Il n’y eut qu’un seul moment où c’était possible et Tesla a su jouer de ce moment à la perfection.
13 - LA VIE EN VERT
L’énergie est la ressource maîtresse : c’est grâce à elle que nous nous nourrissons, que nous nous construisons un toit et que nous fabriquons tout ce dont nous avons besoin pour vivre dans le confort. La majorité de la planète rêve de vivre aussi confortablement que les Américains et la mondialisation fera naître des défis énergétiques de plus en plus lourds, à moins que nous ne réussissions à créer une nouvelle technologie. Il n’existe tout simplement pas assez de ressources sur cette Terre pour qu’on se contente de reproduire les vieilles méthodes ou de redistribuer notre accès à la prospérité.
13 - LA VIE EN VERT
Il sera délicat de trouver de petits marchés pour des solutions énergétiques – sur des îles lointaines, on pourrait viser le remplacement du moteur diesel par une source électrique, ou peut-être construire des réacteurs modulaires destinés à un déploiement rapide dans des installations militaires en territoire hostile. Paradoxalement, pour les entrepreneurs qui créeront l’Énergie 2.0, le défi sera de savoir penser petit.
14 - LE PARADOXE DES FONDATEURS
Les sociétés primitives sont surtout confrontées à un problème fondamental : leurs conflits suffiraient à les déchirer si elles n’avaient aucun moyen de les enrayer. Aussi, chaque fois que des fléaux, des désastres ou des rivalités violentes menaçaient la paix, il était bénéfique pour la société d’en imputer l’entière responsabilité à un seul individu, sur lequel tout le monde s’accorderait : un bouc émissaire.
14 - LE PARADOXE DES FONDATEURS
Qui peut efficacement tenir lieu de bouc émissaire ? Comme les fondateurs, ceux-ci sont des figures extrêmes et contradictoires. D’un côté, un bouc émissaire est nécessairement faible ; il est impuissant, incapable d’empêcher sa propre victimisation. De l’autre, étant celui qui est capable de désamorcer le conflit en endossant toute la responsabilité, il devient le membre le plus puissant de la communauté.
14 - LE PARADOXE DES FONDATEURS
La valeur d’Apple dépendait d’un facteur crucial : la vision singulière d’un être singulier. C’est ce qui permet d’entrevoir pourquoi, étrangement, les entreprises créatrices de nouvelles technologies ressemblent souvent davantage à des monarchies féodales qu’à des organisations réputées plus « modernes ». Un fondateur unique peut prendre des décisions autoritaires, inspirer une forte loyauté envers sa propre personne et tout planifier des décennies à l’avance. Paradoxalement, des bureaucraties impersonnelles peuplées de professionnels chevronnés jouiront le cas échéant d’une longévité dépassant celle d’une vie humaine, mais agissent ordinairement selon un horizon de court terme.
14 - LE PARADOXE DES FONDATEURS
Nous vénérons et méprisons tour à tour les fondateurs des grandes technologies, tout comme nous le faisons des célébrités. La courbe qui a mené Howard Hughes au sommet de la renommée, avant qu’il n’inspire pitié, est la plus dramatique qu’ait jamais connue un fondateur de grand groupe technologique au xxe siècle. Il était né riche, mais s’était toujours intéressé davantage à la technologie qu’au luxe. Il a construit le premier émetteur radio de Houston à onze ans. L’année suivante, il a construit la première moto qui ait jamais roulé dans cette même ville. À trente ans, il avait réalisé neuf films, des succès commerciaux, à une époque où Hollywood était à la pointe de la technologie. Mais Howard Hughes était encore plus célèbre pour la carrière qu’il menait parallèlement dans l’aviation. Il dessinait des avions, les produisait et les pilotait lui-même. Il a inscrit des records mondiaux de vitesse, notamment ceux du vol intercontinental et du vol autour du globe les plus rapides.Il était obsédé par l’idée de voler plus haut que tout le monde. Il aimait rappeler aux gens qu’il était un simple mortel, pas un dieu grec, ce que les mortels n’affirment que lorsqu’ils veulent susciter la comparaison avec les dieux. Howard Hughes « était un homme auquel on ne pouvait appliquer les mêmes critères qu’à vous et moi », avait un jour déclaré son avocat devant un tribunal fédéral. Il avait payé cet avocat pour tenir un propos pareil, mais selon le New York Times, « ni le juge ni le jury n’ont contesté l’argument ». Quand il fut décoré de la Médaille d’Or du Congrès, en 1939, pour ses prouesses en aéronautique, il ne s’est même pas présenté pour la recevoir – bien des années plus tard, le président Truman la retrouva à la Maison Blanche et la lui fit expédier par la poste.Pour Hugues, l’année 1946 marqua le début de la fin : il subit alors son troisième crash aérien, le pire. S’il avait péri ce jour-là, il aurait laissé pour toujours le souvenir d’un des Américains les plus audacieux et les plus prospères de tous les temps. Mais il a survécu – de justesse. Il est devenu un obsessionnel-compulsif, souffrant d’une addiction aux antalgiques, et s’est retiré de la vie publique pour passer les trente dernières années de son existence dans un confinement solitaire qu’il s’est imposé de lui-même. Hughes avait toujours agi un peu follement, en se fondant sur l’hypothèse que moins de gens auraient envie de mettre des bâtons dans les roues à un fou. Mais quand son numéro de folie s’est transformé en une existence entière de folie, il est devenu un objet de pitié autant que de respect ou de crainte.
14 - LE PARADOXE DES FONDATEURS
La leçon à retenir, pour nous, entrepreneurs, c’est que nous avons besoin de fondateurs. En tout état de cause, nous devrions nous montrer plus tolérants envers ces personnages fondateurs qui nous semblent si étranges ou si extrêmes ; nous avons besoin d’individus sortant de l’ordinaire, capables de pousser l’entreprise au-delà d’une simple progression graduelle.La leçon à retenir, pour les fondateurs, c’est que la place éminente qu’ils occupent et l’adulation dont ils sont l’objet sont soumises à une condition : elles peuvent à tout moment se transformer en pure notoriété individuelle et les exposer à la diabolisation. Alors, prudence.
14 - LE PARADOXE DES FONDATEURS
La dissidence totale vis-à-vis de la société n’existe pas. Se croire investi d’une autosuffisance divine n’est pas la marque d’une individualité forte, mais celle d’un personnage qui prend l’adoration de la foule – ou ses quolibets – pour une vérité. Le plus grand péril, pour un fondateur, est de devenir trop sûr de son mythe, jusqu’à en perdre le sens commun. Mais pour une entreprise, l’autre danger non moins insidieux serait de perdre tout sens du mythe et de prendre le désenchantement pour de la sagesse.