Highlights
Le pont d’Avignon - Novembre 2013
À New York, au début du siècle, Internet était un Far West et le mantra capitaliste fonctionnait à plein : l’intérêt général était la somme des intérêts privés, c’était juste une question de temps avant que la technologie et les milliards des investisseurs ne le révélassent
Le pont d’Avignon - Novembre 2013
Dès 1997, dans un article ravageur « Code is law », il avait vu Orwell s’immiscer entre les lignes de codes. Le professeur Lessig démontait un à un les mythes ressuscités « nouveau monde », « nouvelle frontière », par les rédactions et agences de marketing de Madison Avenue. Il écrivait qu’Internet tomberait aux mains des plus offrants, in fine les multinationales et le gouvernement. Espace de création et de liberté, il servirait à l’asservissement des populations. Cassandre de l’Internet, début 2000, le professeur Lessig criait dans le désert de Gobi
Le pont d’Avignon - Novembre 2013
Internet est tombé, comme chaque outil ou incarnation de l’intérêt général. La War on Terror a fini le travail de sape. Le réseau est devenu objet militaire, outil de domestication.
Le pont d’Avignon - Novembre 2013
En 2011, Aaron avait évoqué l’ampleur de la surveillance de masse des États-Unis sur sa population et celle de ses alliés. En 2013, dans une chambre d’hôtel à Hong Kong, Edward Snowden transmet les preuves. Obama en fait un traître à la nation. Poursuivi pour espionnage, il est promis à la Cour martiale, un procès sans défense, ni presse, ni personne. Il a renoncé à sa vie. Non à ses idées. Nul ne descend dans la rue pour le soutenir ou s’indigner de ses révélations. Vingt et un pays lui refusent l’asile politique. La Russie lui accorde un titre de résidence.
La dispute - Novembre 2013
La NSA, la surveillance de masse sont simplement les symptômes d’un système corrompu jusqu’à l’os
La dispute - Novembre 2013
L’argent a pris le pouvoir. Il donne l’accès, l’accès crée l’influence, l’influence dicte la décision
La dispute - Novembre 2013
Il nous faut des femmes et des hommes politiques qui passent les réformes nécessaires pour dégager la décision politique de l’influence de l’argent. La démocratie n’existe plus.
La dispute - Novembre 2013
Et Obama ? – Il a capitulé sur tout. – Pourtant, vous l’aviez conseillé ? je rétorque, jouant à la journaliste d’investigation. – J’ai participé à sa première campagne. Et j’ai exactement vu quand il a commencé à renoncer. – Quand ? – Bien avant l’investiture ! Il a mal choisi son équipe de transition. Il s’est entouré de personnes pour lesquelles toute régulation de la finance était un désastre. Au fond, dès le départ, il a refusé de lâcher Wall Street. – Mais pourquoi ? – Il a eu peur des répercussions pour le financement de ses campagnes ou du parti en général. Les banques adorent les démocrates, lesquels ne peuvent pas se passer de leur argent pour les élections. Il s’est couché avant d’avoir même commencé.
E.T. - Oxford - Juillet 2010
Julian Assange est coincé pour viol présumé de deux Suédoises. C’est l’ouverture du tir aux pigeons. Après l’avoir adulé, la presse le pilonne. Sa chute explique l’époque et l’homme. Elle me fascine plus que sa gloire. Julian Assange cherche et capte la lumière comme personne. Quelque chose cloche. Icare n’a pas les moyens de ses ambitions, des pieds trop longs pour voler longtemps. Un hacker n’est jamais là pour lui-même. Il s’efface devant la cause. Ou s’efface tout court. Comme Aaron.
Blind date - Novembre 2016
La finance ! J’ai voulu raconter comment elle avait pris pouvoir sur nos vies. – Ça…, soupire, énigmatique, l’ancien patron du Figaro. – Et j’ai continué à tirer le fil. J’ai voulu comprendre comment cela était arrivé, je veux dire, une telle emprise. – Alors quoi ? Qu’est-ce donc ? s’enquiert-il, élégant. – Que les médias, la politique et la finance se tiennent. – La belle affaire ! Vous n’êtes pas complotiste au moins…, s’inquiète-t-il en se cabrant sur son siège. – Mais non, je veux parler des phénomènes de bande. Comment les gens s’aident pour garder leur position. Ce qu’ils sont prêts à faire pour que rien ne change, ne rien perdre… C’est très humain. Et du coup, tout à fait mortel.
Road trip - Novembre 2016
On en appellera à la « raison économique », puisque c’est la seule qu’il reste. Puisqu’elle a gagné. On commencera par une loi sur le « secret des affaires ». Puis une autre sur la liberté de parole, la bienséance, les « bonnes mœurs ». Pour ceux qui résistent, on en appellera à la psychiatrie. Au pire, la notation des citoyens, à la chinoise, fera l’affaire.
L’enclave originelle - Novembre 2016
Je prenais l’avion sans penser aux milliards de particules de mort délestées dans l’air pour mon seul séant. Libre comme l’air, la gringa de base. D’année en année, la mer grignotait la plage. Le monde prenait l’eau, moi, le vent. Il fallut chercher à m’accomplir autrement.
Le roman familial
Le port de Chicago déborde de matières premières. Il faut créer des besoins, donc des marchés, des filières qui n’existent pas. Écouler les bêtes et faire tourner le cash. Pour garder sa population mobilisée, le pays se trouve une bonne histoire à raconter, la Pax Americana. Le message change, non la finalité. Sur tous les fronts, la jouissance devient le nec plus ultra des droits de l’homme. Leur étendard. Il faut vendre le nouveau récit du progrès et ses totems, les objets. Les marques se ruinent en publicité pour être acceptées. Les slogans sont des élans patriotiques, consommer, un devoir citoyen contre les soviets, ces rétrogrades. Des populations idiotes dont on cultive la médiocrité, des ennemis utiles pour masquer le vide : Donald Trump n’a rien inventé.
Le roman familial
William, le grand-père d’Aaron, capte le tour de passe-passe du libéralisme et crée une « agence de promotion ». Il inonde Chicago de cendriers Marlboro et de porte-clés Ford, envahit les living-rooms. Il appose des logos sur les sacs plastique. Rusé, il invente les panneaux d’affichage rétro-éclairés au néon. Il défigure la banlieue et éclaire la nuit. Surfant sur l’American way of life, il amasse une fortune et met son monde à l’abri. Il fait planter des oliviers en Israël, à la frontière égyptienne, offre une synagogue flambant neuve à Highland Park. Mission accomplie. William peut choisir sa cause et laisser sa marque.
Le roman familial
aux USA, être idéaliste, c’est devenir indécemment riche et sauver le monde après.
Le roman familial
La matérialité est une prison dont il faut scier les barreaux pour espérer vivre.
Le roman familial
Que ce serait-il passé si l’homme de Cro-Magnon avait bridé l’accès au silex ?
Le roman familial
open source
L’enfance d’un nerd - 1995
Aaron excelle. Il craque parfois. Bob le pousse, comme son père avant lui : – Tu dois te sentir dans une position inconfortable en permanence, car c’est alors seulement que tu te poses les bonnes questions. – Mais… et si je réponds mal ? – Aucune importance. Dans la vie, il y a peu de réponses et encore moins de justes ! N’hésite jamais à poser toutes les questions que tu veux et à qui tu veux. Tu testeras les connaissances de ton interlocuteur et lui rendras service. Ne cherche pas à plaire mais à progresser. Alors, tu seras utile. À part cela, la vie n’a aucun intérêt. Progresser, Aaron, tout est là. Et après, aider.
L’enfance d’un nerd - 1995
Médusé, Aaron lit à voix haute la toute première page du Web, publiée en 1993 : « Le World Wide Web est une initiative de récupération de l’information hypermédia dont le but est de donner un accès universel à un très large nombre de documents. » – Qui a créé ça ? s’enthousiasme l’enfant d’une voix de lutin. – Un monsieur anglais, Tim Berners-Lee, en Suisse. – Pourquoi a-t-il fait ça ? – Il en avait assez que les informations se perdent. Il a proposé à son chef de répertorier et de classer tous les documents publiés par ses collègues, des chercheurs, des professeurs. Et ça va tout changer ! – Pourquoi ? – Parce que la connaissance va pouvoir s’échanger, circuler librement. Sans frontières, instantanément. Fini les barrières, les livres, les trucs à payer ! Tout le savoir de l’humanité, gratuit, rangé, disponible, tout le temps.
L’enfance d’un nerd - 1995
– Le MIT, c’est le paradis, Aaron. Tu peux fabriquer tout ce que tu imagines. Ce que tu vois ici, ajoute-t-il en désignant les prototypes échoués dans le salon, a été inventé là-bas. Il y a des ordinateurs mieux que celui-là, des trucs qu’on n’a jamais vus… c’est comme un atelier de bricolage géant. Et tu as le droit de tout essayer. Personne ne te grondera jamais pour cela. La phrase flotte et se dépose au fond de la mémoire ultra-vive de l’enfant.
L’enfance d’un nerd - 1995
Tout ce que tu vois là, à l’écran, est sous-tendu par un programme pensé et écrit par quelqu’un. – Un jour, je ferai mieux, crâne Aaron. Son père le défie : – Et si tu commençais tout de suite !
L’enfance d’un nerd - 1995
Alors voilà, avec ça, tu prends les commandes de l’ordinateur. C’est toi qui vas définir les ordres. Et s’ils sont clairs, la machine va t’obéir. Et pour ça, il faut que tu maîtrises les règles. – Des règles ? – Un langage ! Un ordinateur ne reconnaît que des 0 et des 1. On a inventé des langues intermédiaires, des décodeurs si tu veux pour permettre de passer du problème à résoudre, ton idée en fait, aux 0 et aux 1 de l’ordinateur. On appelle cela le code. Il permet d’exécuter une commande. Pour cela, il doit être parfait, exquis presque. Comme un poème. Aaron boit les paroles de son père, qui poursuit : – Et là, tout n’est que tâtonnements, essais et erreurs. Tes choix en amont ne doivent jamais bloquer tes choix en aval. Il n’y a que nœuds et arbres, des décisions. Tu vas passer beaucoup de temps à revenir en arrière, à les reprendre, à tester tes hypothèses. Il faudra que tu sois patient, très calme. Jusqu’à l’écriture parfaite de la commande. – C’est bon, je suis calme. On commence ? s’impatiente Aaron. – Avant ça, écoute-moi bien. La machine ne va pas t’obéir tout de suite, tu te perdras dans tes lignes, tes instructions. Elle te volera tout ton temps. Tu vas beaucoup, beaucoup échouer. Mais tout est là : c’est à force d’échouer que tu parviendras à tes fins. Tu vas apprendre de tes erreurs… Comme dans la vie ! Tes erreurs sont tes meilleures amies, Aaron. Elles sont là pour « aider ». Tu veux qu’on essaie de programmer tes sudoku ?
L’enfance d’un nerd - 1995
Cela démarre comme un jeu, un défi entre père et fils. Bob transmet les rudiments du code et le temps s’annule
L’enfance d’un nerd - 1995
Personne ne l’explique mieux que Steve Jobs : « Coder, c’est créer des petits vélos pour nos cerveaux. »
L’enfance d’un nerd - 1995
Internet n’est pas encore l’extase des pédophiles, des apprentis djihadistes ou des manipulateurs de foules. Mais une terre inconnue émaillée de volcans, un terrain de jeu dément. Caché derrière « Aaronsw », son pseudo, l’enfant s’aventure sur Usenet, une plate-forme de discussion où les adeptes du réseau se refilent des tuyaux de programmation. Il y a alors peu de manuels, de corpus théoriques. Encore moins d’autorité. Chacun est sur un pied d’égalité. Prévisible, cohérent, rassurant, l’ordinateur devient sa figure de l’attachement. Le comprendre, sa passion dévoratrice. « Aaronsw » inonde les forums de questions. Il se forme, crée. Il refuse de renoncer à son ordinateur le samedi, rejette Shabbat, la religion tant qu’à faire. Tendu vers l’objectif, il n’a que mépris pour la nourriture qui le ramène à son enveloppe charnelle, à des considérations terrestres. Face à l’écran noir, il descend des boîtes de Cheerios, ses céréales à l’avoine du petit déjeuner. Elles s’amoncellent en bourrelets sous son T-shirt. Le reste attaque ses tripes.
Jim - Novembre 2016
Jim, le professeur d’Aaron pendant des années, contemple mon assiette de muffins, cette nourriture creuse et sans saveur qui donne tout le temps faim. Y voit-il ce complot du sucre pour abattre l’énergie vitale, la domestication par la malbouffe, prélude à celle des cerveaux ?
Jim - Novembre 2016
Aaron avait tout vu. Mieux ! Il avait tout expérimenté : la mise à mort de la justice, des libertés, de l’Internet, Obama et ses pas de danse ! La peur a gagné. La tech s’est retournée contre nous. Ou plutôt, on a eu le choix et on a laissé faire. Éblouis qu’on était.
Jim - Novembre 2016
– On s’est fait pirater, souffle Jim. – Qui ? – Nous ! Les citoyens ! – Mais… le rapport avec Aaron ? – Il était, à sa manière profonde et discrète, l’un des seuls à nous alerter. Comme un rempart, une sorte de prophète, je ne sais pas. C’est comme si sa mort avait donné le top départ ! – Mais de quoi ? Il n’avait pas anticipé Trump quand même ? – À vous de voir ! me défie-t-il simplement. En tout cas, il avait vu que la médiocrité gagnerait. Que programmé ainsi, Internet flatterait le pire de nous-mêmes. Nous ne l’avons pas « entendu ». Et il est parti.
Jim - Novembre 2016
Entre profs, on s’écharpait sur son cas. Aaron était un « dissident cognitif ».
Jim - Novembre 2016
cela voulait juste dire que rien ni personne n’assouvirait sa curiosité ni ne le soulagerait vraiment.
L’enfant indigo - 1996
Aaron ne rencontrera jamais Julian Assange, son double inversé. Il partage pourtant son maléfice, que l’homme de WikiLeaks formule ainsi : « Quand tu es bien plus brillant que les gens avec lesquels tu traînes, deux choses se passent : d’abord tu développes un ego énorme. Ensuite, tu commences à croire que tout peut être résolu avec un peu de raisonnement. Mais l’idéologie est trop limitée pour adresser la façon dont les choses fonctionnent vraiment. »
L’enfant indigo - 1996
Il exige d’être traité d’égal à égal. Il cherche ses maîtres. Les professeurs sont les premiers adultes à le désoler. – Tu sors de cette classe immédiatement ! lui ordonne Jim, haussant un peu la voix. – Parfait ! rétorque l’enfant. Je m’ennuie à mourir avec vous ! Jim se cherche une contenance. Aveuglé par le conflit d’autorité, il ne voit pas la souffrance de son élève
Cowboy - 1997
- Aux premières semaines de son second mandat, le quarante-deuxième président des États-Unis remercie le monde des affaires qui vient de le réélire avec le Telecom Reform Act. Cette loi ouvre les marchés locaux des télécoms à la concurrence, lève les restrictions sur les fusions. Elle autorise les trusts et libère les vannes. La dérégulation financière télescope celle des telcos et crée un énorme appel d’air. La bulle Internet se forme, la croissance des TIC va ravir les politiques en mal de donateurs puis la presse et les annonceurs en quête de nouveaux récits. Les points de PIB masqueront les pertes de droits.
Cowboy - 1997
un cauchemar, précise Barlow, pas pour Wall Street. Mais pour nous, les usagers !
Cowboy - 1997
cette loi instaure la censure.
Cowboy - 1997
La loi prévoit une amende de deux cent cinquante mille dollars pour qui prononcerait une parole, émettrait une image, contraire « aux bonnes mœurs ». Définies par qui, par quoi ? La loi ne le dit pas ! Mais eux, savent… Bill Clinton, alors empêtré dans l’affaire Lewinsky, puis ses successeurs dégaineront l’argument puritain à chaque occasion. Ils ne toucheront jamais à la pornographie, poule aux œufs d’or du Web, soit 30 % de ses revenus. Le sexe gouverne l’humanité, surtout quand il est triste. Autant en faire une industrie et noyer le poisson, détourner l’attention.
Cowboy - 1997
le Telecom Reform Act
Cowboy - 1997
Barlow se gratte la gorge. Sa voix de cowboy Marlboro berce les enfants : « Gouvernements du monde industriel, vous, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberespace, le nouveau domicile de l’esprit. Au nom du futur, je vous demande, à vous du passé, de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez pas de souveraineté là où nous nous rassemblons. « Je déclare l’espace social global que nous construisons naturellement indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous imposer. « Vous êtes terrifiés par vos propres enfants, parce qu’ils sont natifs d’un monde où vous serez toujours des étrangers. Parce que vous les craignez, vous confiez à vos bureaucraties les responsabilités de parents auxquelles vous êtes trop lâches pour faire face. « Dans le cyberespace, tous les sentiments et expressions d’humanité, dégradants ou angéliques, font partie d’un monde unique, sans discontinuité, d’une conversation globale de bits. Nous ne pouvons pas séparer l’air qui étouffe de l’air où battent les ailes. « Nous déclarons nos personnalités virtuelles exemptes de votre souveraineté, même lorsque nous continuons à accepter votre loi pour ce qui est de notre corps. Nous nous répandrons à travers la planète de façon que personne ne puisse stopper nos pensées. Nous créerons une civilisation de l’esprit dans le cyberespace. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste que le monde issu de vos gouvernements. »
Cowboy - 1997
Voilà, Internet est ce dernier feu autour duquel on peut tous se retrouver. Mais je vous le demande : à qui appartient ce que vous dites dans cet espace-là ? Ce sera à vous, young blood, de le décider et surtout de le faire valoir. Internet est votre affaire, ne le laissez pas aux mains des vieux comme moi ! Et regardez autour de vous ! Si vous n’agissez pas, votre lecture, que dis-je, votre connaissance du monde appartiendra à des personnes auxquelles vous ne pourrez jamais faire confiance !
Big Tech Hero - 1997
La science, la connaissance était – est ! – un bien commun, comme l’eau et l’air. Elle devait être en accès libre. Au fond, c’est le combat de sa vie. Sans elle, l’humanité rentrait dans une sorte d’obsolescence programmée.
Cash is king - 2002
Larry Lessig fulmine : la non-intervention de l’État dans l’économie américaine est une blague que se refilent les professeurs de macroéconomie, « une réalité alternative » avant l’heure. Fils d’entrepreneur, il a vu le « libéralisme » à l’œuvre : sa famille doit sa fortune à la commande publique. L’État américain a sauvé l’acier, l’automobile, comme il sauvera les banques. Il prévient : le commerce fera une bouchée de leur naïveté et tuera leur terrain de jeu, de liberté. Il faut le protéger, lui construire un corps, le droit du cyberespace. En 1997, « Code is law », son article de la Harvard Business Review lance un pavé dans la mare des start-uppers accrochés à leur Palm Pilot : « La loi doit protéger les individus contre les abus de pouvoir, comme le code doit protéger les internautes des firmes. Et non l’inverse. Le code fait loi car lui seul détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée ou de censurer la parole. Il a un impact sur qui peut voir quoi ou sur ce qui est surveillé. »
Cash is king - 2002
Larry Lessig veut torpiller le principe de droits réservés, cette mainmise sur la propriété intellectuelle qui ne protège que les affaires, de Microsoft aux studios hollywoodiens. Au nom de la protection des auteurs, sur lesquels repose toute leur bonne fortune, voire leur existence, ils s’arrogent les droits sur plusieurs générations, verrouillent les artistes, tuent la créativité
Note
Copyright
Cash is king - 2002
Larry Lessig a l’idée d’une plate-forme d’enregistrement des œuvres par et pour les auteurs pour leur diffusion et utilisation sur Internet
Cash is king - 2002
il grimpe sur le ring : « Les fournisseurs de contenu ont lancé une guerre pour protéger un modèle économique du siècle dernier. Ils sont parvenus jusque-là à stopper l’innovation. Ils ont convaincu le monde qu’il y avait l’American way of life d’un côté, l’anarchie et le communisme de l’autre. Ils gagnent parce que le choix est simple.
L’enfant du 11-Septembre - 2001
Au nom de la sécurité, la loi se durcit. Le code va payer, parler. Violation de la vie privée, réduction du droit de la défense, six semaines après les attentats, le Patriot Act institue toutes les dispositions contre lesquelles l’Electronic Frontier Foundation se bat depuis plus de dix ans. La NSA tourne son arsenal de surveillance de ses ennemis contre sa population et celles de ses alliés. L’Internet bascule et devient légalement un outil de flicage en règle des populations.
L’enfant du 11-Septembre - 2001
Via In-Q-Tel, la société de capital-risque de la CIA, le Pentagone inonde de liquidités une Silicon Valley rincée par l’explosion de la première bulle Internet. À partir de là, toute nouvelle technologie grand public trouve, dès sa conception, son double obscur et caché, son application militaire. C’est le seul moyen de tirer profit du déferlement de nouvelles technologies. Internet se militarise. Cash is king, oui. Marché conclu.
L’enfant du 11-Septembre - 2001
Jusqu’alors, l’économie a rentabilisé nos comportements, standardisé nos rêves. Avec les écrans et réseaux, elle accapare le dernier air libre, ce que nous avons de plus intime, nos pensées. Pour le justifier, l’inscrire dans les consciences, deux histoires surgissent et se renforcent : le mythe des « machines apprenantes », gentilles petites choses inoffensives élaborées pour rendre la vie plus fluide, soit une intelligence artificielle au service des hommes. Et l’avènement d’une société sans risque. Au nom du terrorisme, il s’agit de tout savoir, de tout prévoir. À terme, en mettant la main sur les données personnelles, le Patriot Act offre au capitalisme sa dernière allumette, le big data. En fusionnant, économie de marché et État d’urgence accouchent d’un marché de plus de cent milliards par an : le capitalisme de la surveillance. La folie du projet totalitaire se loge au cœur de l’algorithme devin, vendu comme ultime figure du progrès. Il faut « vectoriser » les humains. Tout déterminer, asservir.
Tapis volant - 2002-2004
Les frères se disputent, le père tranche. Personne n’ira nulle part. Aaron ne lui adresse plus la parole pendant six mois et entame la lecture de Noam Chomsky, linguiste, activiste et professeur émérite que son père honnit. C’est le plus virulent critique de « l’Empire américain ». Aaron transgresse la doxa paternelle. Il mettra deux ans à s’en remettre : « Mon esprit subit explosion sur explosion. Plusieurs fois, je dois m’allonger. Je m’accroche à la porte de ma chambre pendant que mon monde, tout ce que je croyais vrai, vacille. Dans les semaines qui suivent, je vois tout d’une autre manière. […] Je reconsidère chaque personne que je connais, tout ce que j’ai appris. […] S’intéresser au monde a des effets secondaires terribles. Ce n’est pas tant ce que vous apprenez. Mais cela vous laisse bien seul. »
La leçon de Stanford - 2004
Sur le campus, la firme Apple remarque Aaron et l’équipe de quelques prototypes. « Ambassadeur » de la marque, il donne ses avis sur des fonctionnalités, telle nouvelle ergonomie. Il accède aussi au Persuasion Technology Lab, un laboratoire qui mêle neurologie et code. La recherche fondamentale pour la captation des désirs et volontés trouve son repaire. L’intention s’annonce sans complexe : il s’agit de construire des téléphones ou des applications capables de modifier croyances et comportements humains.
La leçon de Stanford - 2004
Le client ne paiera pas pour la technologie. On lui a trop raconté qu’avec elle, tout serait gratuit. À côté de l’application militaire de chacune de ses créations (surveillance, renseignement, contrôle social), le secteur se trouve une autre source de revenu, la publicité, laquelle se rémunère au clic. L’augmentation du trafic, des paires d’yeux, devient l’obsession des investisseurs de la tech.
La leçon de Stanford - 2004
Pudiques, ils préfèrent parler « d’engagement » et inoculent dès 2003 deux virus majeurs au cœur de l’Internet : la sacro-sainte gratuité du service en l’échange de l’accès aux données (pour le calibrage personnalisé de messages publicitaires ou politiques) ; l’hystérisation des contenus. Le clic est d’or, et à ce jeu-là l’outrance et la rumeur gagnent toujours.
La leçon de Stanford - 2004
Les marchands d’attention remplacent les marchands de sommeil. Nouvelle paupérisation. Le code n’est pas seulement attaqué. Avec, les programmeurs parient contre l’humanité, comme des traders. Ils sont formés par les mêmes « grandes écoles ».
La leçon de Stanford - 2004
La défaite de la pensée est rentable.
La leçon de Stanford - 2004
Les multinationales se sont arrogé les gisements de pétrole, les terres arables, les forêts, la main-d’œuvre mondiale. Les GAFA accaparent les ressources en intelligence. Elles les « collectent » et les entreposent dans leurs sièges sociaux, bâtis comme des musées, des sociétés parfaites. Elles se targuent d’innovation de rupture, nouvel avatar du capitalisme du désastre
La leçon de Stanford - 2004
avec ses étudiants sans conscience et ses milliardaires à l’ego boursouflé, la Silicon Valley est une bulle autour de laquelle le monde brûlera. Ses habitants se croient immunisés. Ils éteindront la lumière et formeront la dernière couche de cendres.
Les Muffins - 2005
Aaron reste persuadé que le Web peut permettre à chacun d’exposer sa pensée singulière et de la partager efficacement. Il veut démocratiser son fonctionnement, simplifier l’outil. Il assemble Infogami, une plate-forme de création de sites et de blogs pour les nuls en code, c’est-à-dire tout le monde.
Les Muffins - 2005
Les médias traditionnels sont condamnés à leurs dernières régurgitations : des communiqués de presse maquillés en articles financés par les annonceurs.
Reddit Magic - 2005
En permettant aux internautes de publier et de noter le contenu, il espère faire jaillir l’important du bruit. Séparer le grain de l’ivraie. L’intelligence des foules est son fol espoir. Il déchante vite : divertissements, célébrités, complots… Sur Reddit la conversation est bordélique et prolifique
Descente - 2006
Au bout de sa première matinée de salariat, il pleure d’ennui aux toilettes : « Depuis que je suis arrivé, je n’ai pas réussi à finir un livre (alors que j’en ai lu trois dans l’avion pour venir), je n’ai pas répondu à mes e-mails (j’avais l’habitude d’en traiter cent par jour), je n’ai pas posté un seul billet (j’en postais un par jour), je n’ai pas aligné une ligne de code (je peux élaborer des programmes entiers en une nuit). »
Son domaine - 2006
Est-ce que tu ne vois pas ? Nous n’avons pas la main, nous ne l’aurons jamais. Le système est corrompu. Rien ne changera tant que nous ne toucherons pas aux racines du problème. – Les racines du problème ? répète le professeur. – Il faut débarrasser la politique de l’argent, replacer l’intérêt général au centre de la décision politique !
Son domaine - 2006
Larry Lessig serre les dents : le climat déréglé, la finance folle, les technologies de surveillance déjà hors de contrôle, les inégalités, la malbouffe, contre lesquels tout le monde est d’accord mais personne n’agit… S’il a marqué quelques victoires, les Creative Commons, ses livres, ses centres de recherches universitaires, ses notes pour Obama, c’est qu’on l’a laissé jouer. Qu’il ne représentait aucun danger.
Son domaine - 2006
Même sensibilité à fleur de peau cachée sous un contrôle de soi absolu. Même refuge dans les livres. Même soif de saisir, d’expliquer le monde. D’agir. L’exigence de l’autre a toujours été un soulagement. Larry Lessig a deux fois l’âge d’Aaron. Mais c’est lui, l’enfant, qui le guide. Aaron manœuvre son mentor comme il manœuvre son monde, avec des questions dont il n’entend les réponses. Sur le banc, il le plante d’un : – N’accepte jamais le fait, l’idée même, que tu ne peux changer le monde
La gueule du loup - 2007
La fête est finie, la bataille, perdue. Internet, personne n’est libre. La démocratie américaine n’existe pas. L’argent fait la loi. Il est la loi. Il faut changer le code ultime, la Constitution.
La gueule du loup - 2007
Aaron orchestre sa campagne en ligne. La réalité les rattrape. Cash is king, cela en est presque lassant : le professeur passe ses journées à convaincre des donateurs de financer sa campagne et se fourvoie dans ce qu’il n’a de cesse de dénoncer, la dépendance à l’argent.
La gueule du loup - 2007
Ils décident de ce que des milliards d’individus, les utilisateurs des GAFA, vont lire, voir et donc croire. Ils n’ont pas seulement la main sur le contenu mais sur la façon dont il est mis en avant. Leur obsession ? L’amélioration de l’addiction, la parfaite stimulation de dopamine. Le capitalisme jubile, la tech le relance. Pour se perpétuer, il n’a rien inventé de mieux que les catastrophes et inégalités qu’Internet nourrit et magnifie. Boucle d’autovalidation impeccable, le système est parfait, mieux qu’un dieu : In clicks we trust.
Open Access Guerilla Manifesto - 2008
Financée par deniers publics, la recherche reste cloîtrée dans le coffre-fort des éditeurs. Seules les grandes facultés américaines peuvent s’offrir le coût de leurs abonnements. Moteur du développement économique, l’accès au savoir est rançonné et les pays en développement sont exclus de la course scientifique. Il n’y a qu’une poignée de puristes pour s’en offusquer, pour saisir la vue d’ensemble : au nom du profit, une science bridée. Enorgueilli par sa victoire sur Pacer, les faveurs de la presse et les remerciements du juge, Aaron sort à découvert. Sur un coin de table, avec trois participants, il rédige son appel à la dissidence, l’Open Access Guerilla Manifesto – le « Manifeste de la guérilla pour le libre accès » : « L’information est le pouvoir. Mais comme pour tout pouvoir, il y a ceux qui veulent le confisquer. Publié depuis plusieurs siècles dans les livres et les revues, le patrimoine culturel et scientifique mondial est aujourd’hui numérisé puis verrouillé par une poignée d’entreprises privées.
Open Access Guerilla Manifesto - 2008
« La justice ne consiste pas à se soumettre à des lois injustes. Il est temps de sortir de l’ombre et, dans la grande tradition de la désobéissance civique, d’affirmer notre opposition à la confiscation criminelle de la culture publique. »
Rupture - 2009
Quitte à soigner ses dépendances, se sevrer, Aaron tente une expérience, un mois sans ordinateur : « Je quitte ce chaos de discussions instantanées, d’émissions de télévision qui transforment mon cerveau en gélatine, cette pile sans fin d’e-mails à traiter. Je veux être humain à nouveau, même si cela m’isole un peu de vous, les humains. » Sa cure de désintoxication lui ouvre les yeux : « Je croyais être quelqu’un de viscéralement malheureux, misanthrope, enclin à des sautes d’humeur et des fringales, qui passait ses journées en pyjama à se morfondre chez lui, trop triste et seul pour sortir. Mais je n’étais rien de tout cela quand j’étais déconnecté […]. J’étais solide et tranquille. »
Passages à l’acte - Septembre 2010
Aux USA, dans 96 % des cas, l’argent détermine le vote. L’élection est une levée de fonds.
Karma Police - 2010
La cabale du gouvernement contre Aaron, sa mise à mort est impossible à saisir sans le contexte de cyberguerre et de peur primaire qu’inflige Internet aux autorités, porte dérobée vers leur tricherie et leur petitesse. Cette abolition des distances torpille le glacis du pouvoir. C’est l’ultime opération bas les masques. Personne ne veut de cette transparence ni de cette horizontalité. De cette vulnérabilité.
Matricule TSK - Février 2011
David Koch n’a pas besoin d’être dans la lumière pour mener son monde. À la tête d’un groupe de pétrochimie (essence, agrochimie, troupeaux gavés d’OGM et brevet du Lycra), deuxième entreprise non cotée du pays, il arrose chaque élection. À travers l’American for Prosperity, leur think tank surpuissant, ils nient le changement climatique, achètent scientifiques et candidats, écrasent ceux qui les dérangent.
Matricule TSK - Février 2011
Le grand manitou répand son mépris pour la « populace » et la démocratie mais s’interroge : comment le gouverneur élu va-t-il raisonner l’opprobre populaire ?
Matricule TSK - Février 2011
Walker répond qu’il coupera les vivres aux déserteurs et menacera les fonctionnaires de licenciements massifs. Sa réforme passera et les pauvres paieront pour les riches. Beautiful, ponctue d’une grosse voix son interlocuteur milliardaire avant de l’inviter pour un week-end, à ses frais, en Californie
Matricule TSK - Février 2011
Walker s’entend miauler face à un interlocuteur qui n’était pas David Koch, mais un journaliste au timbre de voix proche. Le canular se répand comme une traînée de poudre sur Twitter. Le Buffalo Beast n’a jamais connu un tel score. Les frères Koch doivent démentir le trafic d’influence.
À fleur de bitume - Novembre 2016
Se payer un ticket de bus est un marqueur social, le dernier avant la dégringolade finale. C’est l’Amérique qui se lève tôt et surtout qui ne sait plus où dormir. La guerre de tous contre tous, les pauvres qui punissent les pauvres.
À fleur de bitume - Novembre 2016
Aaron. Au chaud à Harvard, planqué grâce à Larry Lessig, il rédige Comment changer le monde, un texte en deux parties. Un long article académique sur les liens entre précarité et mortalité précoce l’occupe des mois. Puis un autre sur la généralisation des banlieues comme résultante d’une entente des constructeurs automobiles et du bâtiment pour écouler acier, voitures et béton
À fleur de bitume - Novembre 2016
J’aurais aimé connaître d’autres enchaînements de hip-hop, mieux jouer avec mon corps avant que la rouille ne l’attaquât. Maîtres des horloges, mes enfants me vissent au sol. Ils sont les seuls à rire de mes pirouettes de tortue coincée, pattes en l’air, sur le dos. Je tourne moins vite. Avons-nous jamais suffisamment dansé ?
Chez Maman - 2016
Le monde s’écroule mais l’industrie de la pacification des consciences cartonne. Yoga, retraite, méditation… c’est la résignation maquillée en victoire sur soi. Mise à jour du code : inutile de comprendre ses rages, il faut laisser passer les mauvaises pensées. Ne pas déranger
Chez Maman - 2016
Tout succès porte son désastre en creux. Et son génie, ses démons
Chez Maman - 2016
J’ai compris qu’au fond, chacun cherche son chat, la joie. D’ici là, il s’agit de se tenir droit.
Occupy the Internet - Automne 2011
En septembre 2010, Aaron et une poignée d’alliés repoussent une première fois le vote de la loi anticensure écrite par et pour les studios d’Hollywood.
Occupy the Internet - Automne 2011
Échoué dans la banlieue de New York, Aaron rameute sa troupe. Jimmy Wales part seul au front et arrache la prise qui relie Wikipédia, sa création, au réseau. En lieu et place des millions de pages de l’encyclopédie gratuite en ligne, un écran noir porte la liste des sénateurs et députés à appeler de toute urgence, à faire basculer. Reddit, Electronic Arts – le plus gros éditeur de jeux vidéo –, Craigslist – le monstre de la petite annonce –, emboîtent le pas. À leur suite, cent quinze mille sites disparaissent derrière un mur imprenable. Aphone et spectral, à deux jours du vote de la loi de censure, Internet prend des allures de steppe australe au solstice d’hiver. Les revenus publicitaires plongent. Democracy Now, Ron Paul, le Tea Party relaient l’appel au boycott de l’industrie du disque, du cinéma, des multinationales, des soutiens de la loi.
Occupy the Internet - Automne 2011
Gouvernement et big corps contre internautes, commerce contre bien commun, c’est l’heure de choisir son camp
Occupy the Internet - Automne 2011
Aaron assène le coup de grâce, un outil d’appels et d’e-mails automatiques. À chaque élection, les parlementaires utilisent cette technologie de robot mail pour assaillir les votants de consignes et messages infamants sur leurs concurrents. Il retourne l’arme : trois millions d’e-mails et quatorze millions d’appels font sauter les standards et serveurs du Congrès. À travers le pays, les internautes lâchent leurs écrans pour des sit-in devant les bureaux de leurs élus et l’occupation physique des places publiques.
Occupy the Internet - Automne 2011
Dans un petit manteau noir un peu élimé, cerné de panneaux « Fuck censorship », « Nous sommes les 99 % », il harangue les manifestants : – C’est facile parfois de se sentir impuissant. Vous allez dans la rue, vous marchez et personne ne vous entend. Mais aujourd’hui, je suis là pour vous dire : vous êtes puissants ! Ses frères d’armes l’ont suivi. John Perry Barlow a fait le déplacement. Il n’a rien oublié de sa rencontre avec Aaron, dix ans plus tôt à la North Shore Day School. Assis au premier rang, il observe l’enfant devenu berger.
Occupy the Internet - Automne 2011
Au matin du vote, Barack Obama se réveille avec sept millions de signatures contre la loi sur son bureau. L’Internet panique les élus. Il a déjà volé les yeux de leurs propres enfants, une partie de leurs pensées. De crainte de s’aliéner la jeunesse, à travers Aaron tout à coup si visible et pugnace, ils se rétractent un à un. Mesure exceptionnelle, Obama annule le vote de la loi. Hollywood, la machine à images et propagande, soutien des démocrates, est battu, la censure, repoussée. En vingt-cinq ans d’existence, l’Internet s’incarne pour la première fois. Aaron mène ses troupes contre Washington, cette Rome décadente. Le réseau a une armée, un chef. Spartacus s’habille en trente-quatre. Surveillance de masse, vols de données, manipulation des élections… les scandales s’accumulent mais Spartacus va mourir dans l’indifférence. Et Rome, sous nos applaudissements, ne jamais finir de s’effondrer.
VICA - 2012
Aaron se souvient des jours heureux, ce mois sans ordinateur ni connexion. Taren l’encourage à recommencer. Il se raidit : « Je n’ai pas envie d’être heureux. Je veux juste changer le monde. »
VICA - 2012
Aaron relit Kafka et s’aperçoit, couché sur le papier, sous le pseudo de Joseph K : « Je pensais que Le Procès était une œuvre paranoïaque et hyperbolique. En fait, c’est précisément juste : chaque détail reflète ma propre expérience. Ce n’est pas de la fiction mais un documentaire. […] Les bureaucraties, une fois qu’elles sont lancées, continuent de servir leur mission, sans réfléchir, sans que les personnes qui les dirigent aient vraiment envie de le faire, ou considèrent que cela est une bonne idée ou pas. »
La leçon de Stanford - 2004
Noam Chomsky hurle : « C’est en le lisant que j’ai compris qu’il me fallait passer ma vie à réparer les failles que j’avais découvertes », remarque Aaron. Dans son sillage, il s’ouvre à d’autres sujets, les inégalités, l’argent en politique, la macroéconomie, le climat. Il s’émoustille d’un rien, une note, un mot, un clip. Et s’échappe quelques minutes ou quelques heures, s’il a de la chance et que le temps est favorable. À la fin du premier semestre, il abandonne sa scolarité au sein de la fabrique du consentement high-tech. Il s’éprend de l’analyse de scénarios. Cherche-t-il à comprendre les composantes d’un grand récit, les étapes du voyage du héros ?
Le dernier souper - 10 janvier 2013
Assagie, la jeunesse hyper-éduquée et paupérisée se targue d’inventer « l’économie du partage », sèche-pleurs de la mondialisation.
Compagnons de route - Décembre 2016
Ils vont rejoindre Edward Snowden, à qui Poutine est le seul à avoir octroyé une forme d’asile politique.
Compagnons de route - Décembre 2016
Transformer mes condamnations en joie. C’est le secret pour ne pas devenir fou, l’essence de la poésie, aussi.
Compagnons de route - Décembre 2016
Larry Lessig comprend ou me protège encore. Il prend la main, lance la séquence, le film : « Une poétesse, un avocat et un geek entrent dans un bar et se demandent : pourquoi croire encore à la démocratie ? »
Emma - Avril 2018
Dans la Silicon Valley, on parle de « mutinerie ». Est-ce à dire qu’il s’agit d’un univers carcéral ? On parle aussi des écrans comme d’une héroïne digitale dont on gave les enfants. De boucle de validation shootée à la dopamine qui détruit la façon dont les individus s’estiment et, ce n’est qu’une question de temps, dont la société fonctionne
Emma - Avril 2018
masse. Comme à chaque massacre, les ventes ont bondi. Pour ne pas mourir, le capitalisme vend des armes à des enfants pour qu’ils tuent d’autres enfants. Ce n’est pas un problème de maladie mentale. Mais de modèle économique. Et les survivants de la tuerie l’ont parfaitement saisi.
Emma - Avril 2018
Calmes, ils leur ont tenu tête, ont balancé les chiffres : cent vingt-sept millions de dollars injectés dans des campagnes électorales en 2017, dont quatorze millions pour les seuls fabricants d’armes. Ils essaient de réveiller les millions de jeunes Américains démunis. D’ici là, il faut tenir, démentir les rumeurs, les contre-feux, l’oubli, les « à quoi bon ». La NRA les traite d’acteurs à la solde de Soros, de gosses de riches. Au pied du Capitole, ils ont dressé une énorme scène, supplantée d’un message : LA MARCHE POUR NOS VIES.
Emma - Avril 2018
Des décennies de confort et d’illusion matérialistes nous ont rendus tristes et seuls, doutant du sens de la vie. Au point d’élire un clown tyrannique. Trump est notre production collective, la résultante de l’énorme entreprise d’atomisation sociale qu’est devenu Internet aux mains des intérêts privés. Elle parachève l’œuvre d’accaparement. Trump en est le plus grand utilisateur de tous les temps : Twitter est son mégaphone personnel, Google son meilleur outil de ciblage, Reddit le forum de ses soutiens suprémacistes, Facebook l’arme de prédilection des trolls et des manipulateurs de foule qui le servent.
Emma - Avril 2018
Obama a endormi les progressistes. Il a mis en joue les meilleurs d’entre eux, Aaron. Il a tenu les journalistes en respect, subjugués qu’ils étaient par les effets de manche, l’élégance. Trump nous passe aux électrochocs.
Emma - Avril 2018
Notre vieux monde a accouché d’une espèce de mutants qui peuvent tout balancer par-dessus bord, ringardiser la politique, le cirque médiatique et notre rapport au temps comme cette très jeune femme, Emma Gonzales, rasée, lesbienne, bien décidée à montrer que ni le paraître ni la médiocrité, aucune chaîne de la nouvelle féodalité n’ont réussi à se boucler sur elle. Ces lycéens vont nous dégager, nous et nos compromis, notre passion pour l’argent. Ils maîtrisent les chiffres, la langue, l’image et la lumière. Le stylo a changé de main. Si tant est que nous y prêtions attention. Aaron aurait adoré cela. Il est né quinze ans trop tôt. Ou trop tard. Son esprit est là. Moins seul, déjà.
Emma - Avril 2018
LISTEN TO THE KIDS. On a perdu des millions d’oiseaux. Mais pas les enfants. Ils se lèvent partout, prenant acte de la démission de leurs parents, piégés par les dettes, le confort ou la peur. Il ne s’agit pas de mettre son corps sur la route, mais tout son cœur
Emma - Avril 2018
Batailler pour ne jamais devenir un adulte triste. Danser en toute connaissance de cause. Et tant mieux si cela prend toute une vie.