Psychologie des foules
Highlights
Préface de l’auteur
L’action inconsciente des foules, substituée à l’activité consciente des individus, représente une des caractéristiques de l’âge actuel.
Introduction
Les seuls changements importants, ceux d’où le renouvellement des civilisations découle, s’opèrent dans les opinions, les conceptions et les croyances. Les événements mémorables sont les effets visibles des invisibles changements des sentiments des hommes
Introduction
L’âge où nous entrons sera véritablement l’ère des foules.
Il y a un siècle à peine, la politique traditionnelle des États et les rivalités des princes constituaient les principaux facteurs des événements. L’opinion des foules, le plus souvent, ne comptait pas. Aujourd’hui les traditions politiques, les tendances individuelles des souverains, leurs rivalités pèsent peu. La voix des foules est devenue prépondérante. Elle dicte aux rois leur conduite. Ce n’est plus dans les conseils des princes, mais dans l’âme des foules que se préparent les destinées des nations.
L’avènement des classes populaires à la vie politique, leur transformation progressive en classes dirigeantes, est une des caractéristiques les plus saillantes de notre époque de transition. Cet avènement n’a pas été marqué, en réalité, par le suffrage universel, si peu influent pendant longtemps et d’une direction si facile au début. La naissance de la puissance des foules s’est faite d’abord par la propagation de certaines idées lentement implantées dans les esprits, puis par l’association graduelle des individus amenant la réalisation de conceptions jusqu’alors théoriques. L’association a permis aux foules de se former des idées, sinon très justes, au moins très arrêtées de leurs intérêts et de prendre conscience de leur force.
Introduction
Aujourd’hui les revendications des foules deviennent de plus en plus nettes, et tendent à détruire de fond en comble la société actuelle, pour la ramener à ce communisme primitif qui fut l’état normal de tous les groupes humains avant l’aurore de la civilisation. Limitation des heures de travail, expropriation des mines, des chemins de fer, des usines et du sol ; partage égal des produits, élimination des classes supérieures au profit des classes populaires, etc. Telles sont ces revendications.
Chapitre Premier - Caractéristiques générales des foules
Le fait le plus frappant présenté par une foule psychologique est le suivant : quels que soient les individus qui la composent, quelque semblables ou dissemblables que puissent être leur genre de vie, leurs occupations, leur caractère ou leur intelligence, le seul fait qu’ils sont transformés en foule les dote d’une sorte d’âme collective. Cette âme les fait sentir, penser et agir d’une façon tout à fait différente de celle dont sentirait, penserait et agirait chacun d’eux isolément. Certaines idées, certains sentiments ne surgissent ou ne se transforment en actes que chez les individus en foule. La foule psychologique est un être provisoire, composé d’éléments hétérogènes pour un instant soudés, absolument comme les cellules d’un corps vivant forment par leur réunion un être nouveau manifestant des caractères fort différents de ceux que chacune de ces cellules possède.
Chapitre Premier - Caractéristiques générales des foules
dans l’agrégat constituant une foule, il n’y a nullement somme et moyenne des éléments, mais combinaison et création de nouveaux caractères
Chapitre Premier - Caractéristiques générales des foules
Entre un célèbre mathématicien et son bottier un abîme peut exister sous le rapport intellectuel, mais au point de vue du caractère et des croyances la différence est souvent nulle ou très faible.
Or, ces qualités générales du caractère, régies par l’inconscient et possédées à peu près au même degré par la plupart des individus normaux d’une race, sont précisément celles qui, chez les foules, se trouvent mises en commun. Dans l’âme collective, les aptitudes intellectuelles des hommes, et par conséquent leur individualité, s’effacent. L’hétérogène se noie dans l’homogène, et les qualités inconscientes dominent.
Cette mise en commun de qualités ordinaires nous explique pourquoi les foules ne sauraient accomplir d’actes exigeant une intelligence élevée. Les décisions d’intérêt général prises par une assemblée d’hommes distingués, mais de spécialités différentes, ne sont pas sensiblement supérieures aux décisions que prendrait une réunion d’imbéciles. Ils peuvent seulement associer en effet ces qualités médiocres que tout le monde possède. Les foules accumulent non l’intelligence mais la médiocrité
Chapitre Premier - Caractéristiques générales des foules
l’individu en foule acquiert, par le fait seul du nombre, un sentiment de puissance invincible lui permettant de céder à des instincts, que, seul, il eût forcément refrénés. Il y cédera d’autant plus volontiers que, la foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, le sentiment de la responsabilité, qui retient toujours les individus, disparaît entièrement.
Chapitre Premier - Caractéristiques générales des foules
la contagion mentale, intervient également pour déterminer chez les foules la manifestation de caractères spéciaux et en même temps leur orientation. La contagion est un phénomène aisé à constater, mais non expliqué encore, et qu’il faut rattacher aux phénomènes d’ordre hypnotique
Chapitre Premier - Caractéristiques générales des foules
Chez une foule, tout sentiment, tout acte est contagieux, et contagieux à ce point que l’individu sacrifie très facilement son intérêt personnel à l’intérêt collectif. C’est là une aptitude contraire à sa nature
Chapitre Premier - Caractéristiques générales des foules
Une troisième cause, et de beaucoup la plus importante, détermine dans les individus en foule des caractères spéciaux parfois fort opposés à ceux de l’individu isolé. Je veux parler de la suggestibilité, dont la contagion mentionnée plus haut n’est d’ailleurs qu’un effet.
Chapitre Premier - Caractéristiques générales des foules
l’individu plongé depuis quelque temps au sein d’une foule agissante, tombe bientôt – par suite des effluves qui s’en dégagent, ou pour toute autre cause encore ignorée – dans un état particulier, se rapprochant beaucoup de l’état de fascination de l’hypnotisé entre les mains de son hypnotiseur. La vie du cerveau étant paralysée chez le sujet hypnotisé, celui-ci devient l’esclave de toutes ses activités inconscientes, que l’hypnotiseur dirige à son gré
Chapitre Premier - Caractéristiques générales des foules
Par le fait seul qu’il fait partie d’une foule, l’homme descend donc plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation. Isolé, c’était peut-être un individu cultivé, en foule c’est un instinctif, par conséquent un barbare. Il a la spontanéité, la violence, la férocité, et aussi les enthousiasmes et les héroïsmes des êtres primitifs. Il s’en rapproche encore par sa facilité à se laisser impressionner par des mots, des images, et conduire à des actes lésant ses intérêts les plus évidents. L’individu en foule est un grain de sable au milieu d’autres grains de sable que le vent soulève à son gré.
Et c’est ainsi qu’on voit des jurys rendre des verdicts que désapprouverait chaque juré individuellement, des assemblées parlementaires adopter des lois et des mesures que réprouverait en particulier chacun des membres qui les composent. Pris séparément, les hommes de la Convention étaient des bourgeois, aux habitudes pacifiques. Réunis en foule, ils n’hésitèrent pas, sous l’influence de quelques meneurs, à envoyer à la guillotine les individus les plus manifestement innocents ; et contrairement à tous leurs intérêts, ils renoncèrent à leur inviolabilité et se décimèrent eux-mêmes.
Chapitre II - Sentiments et moralité des foules
L’événement le plus simple vu par la foule est bientôt un événement défiguré. Elle pense par images, et l’image évoquée en évoque elle-même une série d’autres sans aucun lien logique avec la première. Nous concevons aisément cet état en songeant aux bizarres successions d’idées où nous conduit parfois l’évocation d’un fait quelconque. La raison montre l’incohérence de pareilles images, mais la foule ne la voit pas ; et ce que son imagination déformante ajoute à l’événement, elle le confondra avec lui.
Chapitre II - Sentiments et moralité des foules
La première déformation perçue par l’un d’eux forme le noyau de la suggestion contagieuse. Avant d’apparaître sur les murs de Jérusalem à tous les croisés, saint Georges ne fut certainement vu que d’un des assistants. Par voie de suggestion et de contagion le miracle signalé fut immédiatement accepté par tous.
Tel est le mécanisme de ces hallucinations collectives si fréquentes dans l’histoire